Entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, avec l'AFP le 8 juin 2012, sur l'avenir de la construction européenne et la crise de la Zone euro.

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Q - La France souscrit-elle aux propositions avancées hier par Angela Merkel ? En clair, la France est-elle prête à aller vers une «union politique», en abandonnant «des compétences» à l’Europe dans le domaine budgétaire, fiscal et pourquoi pas social ?
R - La France est favorable à l’approfondissement de l’intégration européenne au plan politique. Celle-ci doit inclure la dimension fiscale et sociale et assurer un haut niveau de protection des salariés et des services publics forts. En outre, les difficultés actuelles démontrent la nécessité d’un renforcement de la gouvernance économique, y compris les politiques budgétaires, notamment au sein de la zone euro.
Ceci étant, le renforcement de l’intégration politique en Europe implique des discussions, des travaux approfondis. Il ne peut s’envisager sans l’adhésion des peuples et cette adhésion sera impossible aussi longtemps que l’Union européenne n’aura pas fait la démonstration de sa capacité à apporter des réponses à la crise économique et monétaire qui soient à la hauteur de l’enjeu. Sans ces réponses, la crise démocratique et la crise économique et financière se conjugueront au risque de ruiner les efforts accomplis jusqu’à présent pour intégrer davantage nos processus de décision politique. C’est la raison pour laquelle la réforme institutionnelle ne peut être un préalable aux réponses urgentes qu’appelle la crise. Nous devons apporter ces réponses et, dans le même temps, intégrer davantage nos politiques en faisant progresser les institutions par la preuve de la capacité de l’Union européenne à surmonter ses crises.
Q - Si elle y souscrit, la France est-elle favorable à ce que ces éventuelles avancées ne concernent qu’un noyau dur de pays, si les autres ne veulent pas s’y associer ?
R - La France est très attachée à l’unité de l’Union européenne. Cependant, on peut comprendre que tout le monde ne soit pas prêt à avancer au même rythme, que ce soit en raison de disparités économiques ou sociales ou des choix politiques de chaque État membre. D’ailleurs, il existe déjà des domaines dans lesquels nous n’agissons pas à 27, qu’il s’agisse de l’Union économique et monétaire ou de l’espace Schengen par exemple. Nous pouvons continuer à le faire. Il y a des sujets, tels que la taxe sur les transactions financières par exemple, sur lesquels nous pouvons avancer d’abord à quelques-uns s’il n’est pas possible de le faire tous ensemble.
Q - La France serait-elle favorable à un renforcement des institutions communautaires, comme la Commission européenne, avec par exemple l’élection de son président au suffrage universel direct ?
R - La France est attachée aux institutions de l’Union européenne et veut œuvrer à leur renforcement. La Commission européenne joue un rôle unique au sein de ces institutions. Nous voulons une Commission forte. Mais, une nouvelle fois, un an et demi seulement après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la priorité n’est pas de mettre en chantier une nouvelle réforme institutionnelle. Si l’on veut que les peuples adhèrent à la construction européenne, l’Europe doit faire la démonstration de sa capacité à surmonter la crise financière, économique et sociale. Si nous y parvenons, l’Europe sortira renforcée de la crise, c’est ma conviction. Si au contraire, l’Europe signifie l’austérité à perte de vue et le démantèlement des systèmes sociaux, alors elle sera sévèrement accueillie par les peuples.
Q - Une des urgences de l’Europe est la situation espagnole. La France est-elle favorable à la création d’une union bancaire, c’est-à-dire une supervision des banques au niveau supranational ? Par ailleurs, estimez-vous incontournable l’intervention du FESF pour stabiliser le système bancaire espagnol ? La France envisage-t-elle d’autres options pour sauver les banques espagnoles ?
R - Je préfère parler d’«Union de régulation bancaire». La France veut agir pour une régulation efficace du système financier. Cela suppose d’avoir, au plan européen, des règles communes et une supervision forte du système bancaire, pour garantir que nos institutions financières présentent, en permanence, toutes les garanties de santé et de solidité. Nous soutiendrons les initiatives permettant d’aller dans ce sens.
S’agissant de l’Espagne, c’est d’abord à elle de déterminer les mesures qui lui paraissent nécessaires dans la situation actuelle. L’Espagne est confrontée à une crise sévère, qui résulte de l’éclatement de la bulle immobilière, aggravée par la spéculation. Elle a engagé des réformes sérieuses, qui ont impliqué, pour les Espagnols, de lourds sacrifices. Elle doit pouvoir satisfaire les besoins de financement de son économie en étant protégée de la spéculation. C’est pourquoi, l’Europe doit savoir mieux utiliser ses outils afin d’assurer la stabilité du système financier.
Q - L’Allemagne est résolument opposée aux eurobonds. Cette idée a-t-elle encore une chance d’être adoptée fin juin ?
R - Sur les eurobonds, le sujet paraissait impossible à envisager il y a quelques semaines seulement. Il est à présent mis en discussion par l’effet des initiatives fortes prises par le Président de la République. Le débat progresse. La discussion entre la France et l’Allemagne porte aujourd’hui moins sur le fait de savoir s’il faut mettre en place des obligations européennes, mais plutôt sur le moment de leur mise en œuvre : selon la France, les euro-obligations doivent contribuer à surmonter la crise ; elles peuvent aussi servir de catalyseur à un processus d’intégration des institutions ; selon l’Allemagne, elles ne peuvent intervenir qu’une fois la crise surmontée au plan financier et budgétaire et certaines étapes franchies au plan institutionnel. Pour nous, les euro-obligations sont un outil, pour nos amis allemands un point d’orgue. Nous continuons les discussions sur ce point avec nos amis allemands et nos autres partenaires de façon à parvenir, lors du sommet de fin juin, à une «feuille de route», c’est-à-dire une méthode assortie d’un calendrier, permettant d’avoir une perspective claire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2012