Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, à Europe 1 le 7 juin 2012, sur le retour à la retraite à 60 ans pour certains salariés, le financement de cette mesure et la proposition de Cécile Duflot de dépénaliser le cannabis.

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Média : Europe 1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT Marisol TOURAINE, ministre des Affaires sociales et de la Santé, 111 000 personnes concernées par le retour à la retraite à 60 ans, 111 000 personnes, c'est tout.
 
MARISOL TOURAINE C'est beaucoup, c'est une personne sur six environ parmi celles qui partent à la retraite chaque année. Donc c'est un effort…
 
BRUCE TOUSSAINT Donc cinq sur six qui n'en bénéficieront pas.
 
MARISOL TOURAINE Ecoutez, l'objectif, l'enjeu, c'était de dire que ce sont ceux et celles qui ont commencé à travailler jeunes qui doivent pouvoir bénéficier de conditions de départ à 60 ans. Pourquoi ? Parce qu'en ayant commencé à travailler jeune, attendre 62 ans pour partir, cela voulait dire cotiser deux ans, trois ans, quatre ans parfois de plus que les autres, ça n'était donc pas équitable. Et notre proposition qui est aujourd'hui une décision consistait à rétablir de la justice et de l'équité dans notre système de retraite.
 
BRUCE TOUSSAINT Si on fait le bilan de cette journée, la droite hurle, après tout on peut dire qu'elle est dans son rôle, les syndicats sont un peu mitigés et ceux qui espéraient un vrai retour à la retraite à 60 ans sont déçus, vous comprenez cette déception ?
 
MARISOL TOURAINE Nous avons tenu l'engagement qui était le notre. Pendant toute la campagne électorale François HOLLANDE a dit très clairement ce qu'il ferait, revenir à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes, dans certaines conditions, quand il le ferait, avant les législatives, et comment il le ferait, par un décret. Et donc je constate que ce sont ceux qui ne sont pas habitués à ce que les responsables politiques tiennent leurs promesses et leurs engagements de campagne qui hurlent le plus fort. Mais il me semble que c'est un effort très significatif et il a été perçu comme tel par l'ensemble des organisations syndicales et par l'ensemble des Français qui plébiscitent la mesure.
 
BRUCE TOUSSAINT Jean-Claude MAILLY par exemple dit, ça va dans le bon sens, mais c'est insuffisant. D'ailleurs c'est une promesse récente de campagne, il y a un an le Parti socialiste évoquait un retour complet à 60 ans.
 
MARISOL TOURAINE Nous avons toujours dit qu'il était important de faire en sorte que le départ en retraite tienne compte des conditions de la carrière et tienne compte des parcours personnels et professionnels. C'est la concrétisation de cet engagement, en tout cas le projet présidentiel de François HOLLANDE était extrêmement clair là-dessus et j'insiste c'est vraiment une mesure qui va concerner des hommes et des femmes qui ont travaillé toute leur vie, qui ont commencé jeunes, quelle que soit leur profession ou leur secteur d'activité. Je veux dire que c'est une mesure qui concerne aussi bien les salariés du privé, que les fonctionnaires, les commerçants, les artisans, les agriculteurs et donc c'est le choix de privilégier, de mieux reconnaître le travail qui est souvent difficile.
 
BRUCE TOUSSAINT Je ne sais pas si vous avez eu le temps de lire la Une du Figaro, ce titre, la France tourne le dos à l'Europe. C'est vrai, voilà c'est une exception, il n'y a pas d'autre exemple de pays qui soit revenu sur l'âge légal.
 
MARISOL TOURAINE La question, ce n'est pas l'âge légal, en France déjà, je me permets de le dire tout le monde ne partait pas à 62 ans, c'est-à-dire qu'il y avait déjà avant notre décision des hommes, des femmes qui pouvaient partir de manière anticipée. Donc nous élargissons cette possibilité là, il y a en Europe des pays qui permettent de partir au bout de 35 années de cotisations seulement. Donc le sujet n'est pas de savoir si nous modifions l'ensemble de la réforme des retraites, ce n'était pas l'objet de la décision qui a été prise hier, il s'agit simplement d'avoir une, comment dire, une mesure ciblée de justice pour des gens qui le méritent.
 
BRUCE TOUSSAINT Encore deux questions sur ce sujet, hier à votre même place, Valérie PECRESSE, ex ministre du Budget disait, ça va concerner 100 000 personnes, mais ça va être payé par des millions de personnes, c'est vrai ça ?
 
MARISOL TOURAINE Ecoutez, surtout Valérie PECRESSE semble être un peu brouillée avec le calcul mental ou arithmétique et peut-être cela explique t-il la situation dans laquelle se retrouvent les comptes publics de la France, parce qu'elle a expliqué que ça allait coûter plus de 200, 230 euros si ma mémoire est bonne aux Français à un couple de personnes gagnant 3 000 euros, 0,1 % de 3 000 euros, ça n'a jamais fait une telle somme, ça représente évidemment beaucoup moins que ça.
 
BRUCE TOUSSAINT Ce que vous avez annoncé hier, c'est le premier étage de la fusée, c'est-à-dire qu'il y aura une suite à ce feuilleton des retraites ?
 
MARISOL TOURAINE Il y aura… Non ce n'est pas une suite, il y aura une reprise de la réforme des retraites puisque manifestement il y a des exigences de justice à poursuivre. Je pense en particulier à la situation des femmes même si hier nous avons pris une mesure qui va en particulier mieux reconnaître le travail des femmes qui ont des enfants, et c'est un point important auquel je tiens tout particulièrement. Mais c'est vrai que la retraite des femmes est aujourd'hui inférieure à celle des hommes, il va falloir trouver des réponses, il va falloir mieux tenir compte de la pénibilité du travail et dans le même temps, nous devons évidemment reposer la réforme des retraites dans un cadre financier qui sera sans doute difficile.
 
BRUCE TOUSSAINT Alors ça concerne moins les retraités, quoi que, mais il y a cette fameuse affaire du cannabis. Vous qui êtes ministre de la Santé, qu'est-ce que vous avez pensé lorsque vous avec entendu Cécile DUFLOT dire qu'il fallait dépénaliser ?
 
MARISOL TOURAINE Qu'un débat aurait été utile, moi je ne suis pas favorable à cette position là parce que je crois que l'enjeu principal, c'est celui de la santé et de la santé publique. Alors évidemment la sanction seule n'a pas de sens et ça pour un ministre de la Santé, c'est une évidence, encore faut-il le dire. La sanction ne trouve son sens que si elle s'inscrit dans une politique d'accompagnement, de soins et de prévention, en particulier en direction des jeunes. Mais sans politique de santé publique, la sanction évidemment n'est pas suffisante.
 
BRUCE TOUSSAINT Donc c'était une gaffe ?
 
MARISOL TOURAINE Ecoutez, je ne sais pas si c'était une gaffe ou si c'était une tentative d'ouvrir un débat à quelques jours des législatives, en tout cas je crois que le débat a été tranché par le Premier ministre de façon très explicite.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 juin 2012