Interview de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, dans "Alim'agri" de juillet 2012, sur les bilan de ses deux premiers mois d'activité au ministère, sur le projet de loi-cadre pour l'agriculture et l'avenir de la PAC.

Prononcé le 1er juillet 2012

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Média : Alim'agri

Texte intégral

- Deux mois après votre arrivée, quel regard portez-vous sur l’agriculture française ? Quels sont ses atouts et ses points faibles ?
Sa force et sa faiblesse, c’est sa diversité. C’est une force car la France est présente dans tous les secteurs. Cela crée de la valeur ajoutée, de l’emploi et nous permet d’avoir une balance commerciale excédentaire dans ce domaine. C’est paradoxalement une faiblesse, car cela multiplie les risques et les difficultés.
- Vous insistez sur l’importance des bourgs et des structures intercommunales dans les zones rurales, qui connaissent parfois de grandes difficultés en termes d’emploi, de services et d’infrastructures. Pourquoi ?
Je veux remettre les bourgs et les villages au cœur du débat car ils tiennent une place toute particulière comme centres de vie et d’activité économique. Ce sont des lieux qui portent une vraie qualité de vie, ne les oublions pas ! En même temps, il y a des politiques à conduire pour y assurer les services nécessaires. Au-delà de l’aménagement du territoire, une nouvelle ère s’ouvre maintenant et l’enjeu, c’est celui de leur socialisation.
- Le Premier ministre a évoqué une loi-cadre pour l’agriculture, prévue pour le deuxième semestre 2013. Quels en sont les principaux axes ?
Cette loi prendra en compte l’ensemble des questions agricoles, agroalimentaires, forestières et rurales. Ce sera l’occasion de porter un message, de tracer une perspective globale. Elle intègrera des points spécifiques sur le foncier, sur la fiscalité et sur l’ensemble des sujets. La loi cadre permettra à la France d’accompagner, dans un cadre législatif, la réforme de la PAC.
- Quelle vision de la PAC allez-vous défendre devant vos homologues européens ?
Qu’attendez-vous de la négociation ? Ce que je veux défendre, c’est l’idée que l’Europe doit prendre conscience de cet enjeu stratégique que sont l’agriculture et l’agroalimentaire. La politique agricole doit aussi soutenir l’emploi et la croissance. Ensuite, elle doit permettre aux agricultures d’assurer leur transition vers la durabilité de la production. Enfin, et c’est particulièrement important pour moi, la PAC doit valoriser la diversité des agricultures. Il y a aujourd’hui des risques considérables de spécialisation de zones entières, si cela se généralisait, ce serait très grave.
- Quelles orientations souhaitez-vous ?
Le cadre est fixé. Le rapport établi à l’issue de la présidence danoise constitue une étape sur laquelle nous allons nous appuyer : verdissement du premier pilier, réorganisation et convergence des aides, sortie des références historiques pour les droits à paiement unique (DPU). La France devra défendre une convergence qui préserve la diversité de ses productions. Cela sera pour nous plus difficile que pour d’autres pays, car nous avons de grandes disparités entre les productions et les régions. Nous aurons donc à poser un certain nombre de modalités spécifiques pour la France.
- La réforme de la PAC, c’est d’abord un débat sur le budget ? Êtes-vous confiant ?
Je suis conscient des difficultés qui existent à l’échelle européenne. Je suis prudent, je me battrai pour un budget européen qui soit digne de notre continent. C’est au président de la République qu’appartient cette responsabilité et je réagirai par rapport à un budget qui sera la conséquence des grands choix européens. À partir de là, nous travaillerons avec ce périmètre financier que je souhaite le plus ambitieux possible.
- La dimension environnementale vous tient à cœur. Vous souhaitez cependant sortir du débat économie-écologie et orienter l’agriculture vers de nouveaux modèles de production…
Nous sommes arrivés au terme d’une certaine façon de combiner agriculture et écologie, il est nécessaire de développer le concept d’une agriculture performante, écologiquement et économiquement. Diminuer le recours aux énergies fossiles, aux engrais et pesticides, respecter l’environnement reste indispensable, mais il est également nécessaire de dégager de la marge brute, de la valeur ajoutée.
J’ai toujours milité pour le développement de l’agriculture bio, mais même si on atteignait l’objectif de 20 % de bio —on en est loin aujourd’hui—, il reste 80 % d’autres agricultures.
Développer la bio n’est pas suffisant pour assurer la transition vers la durabilité. L’évolution vers des modèles plus durables est essentielle, cela concerne l’ensemble des modèles de production agricole qui ne doivent pas s’opposer entre eux. Il n’y a plus de modèle dominant-dominé, mais une diversité qui s’adaptera aux écosystèmes.
- Dans la loi d’avenir, vous souhaitez créer des groupements économiques et environnementaux. Pouvez-vous préciser leur rôle ?
Pour gérer les questions environnementales, il sera nécessaire de créer des dynamiques collectives entre agriculteurs et entre exploitations. On sera alors plus efficaces et le risque sera mutualisé entre les structures. Cela permettra de diffuser les pratiques innovantes, mais aussi de réhabiliter l’agronomie, de mieux traiter les questions de bassins versants, de développer l’agroforesterie, les systèmes bocagers ou encore la méthanisation. C’est un enjeu majeur.
- Certaines entreprises, notamment agroalimentaires, rencontrent aujourd’hui des difficultés. Dans ces conditions, comment mettre en œuvre le “pacte productif” annoncé par le président de la République ?
L’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt participent du pacte productif pour le redressement du pays. Si je prends l’exemple de la forêt, dont il sera également question dans la loi cadre, nous avons l’une des plus vastes forêts d’Europe mais nous importons des meubles pour 6 milliards d’euros. On ne peut pas continuer comme cela. Il y a dans l’agriculture, comme dans l’agroalimentaire et la forêt, des gisements d’emplois et de croissance.
Et il y a surtout un tissu de PME et de PMI à développer. Je vois les difficultés mais aussi les potentialités, même s’agissant de la filière volaille. Nous importons aujourd’hui 40 à 45 % de nos poulets “bas de gamme”. Il y a là un marché à conquérir.
Notre rôle est d’abord de résoudre les problèmes qui se posent pour éviter les catastrophes. C’est ce que l’on a fait pour le groupe Doux depuis le début. Débloquer des financements, assurer le suivi pour éviter au maximum les licenciements : c’est Guillaume Garot qui a pris le relais sur ces questions depuis son arrivée. Voilà notre rôle défensif. Mais il faut aussi être offensif. À la rentrée, nous allons ouvrir un cycle de tables rondes sur l’agroalimentaire et la forêt, afin de poser un diagnostic mais surtout d’être très opérationnels, pour décider ce que nous allons financer à travers la banque publique d’investissement, en lien étroit avec les régions. Je veux mettre l’accent sur l’innovation, sur la recherche et sur les soutiens aux petites et moyennes entreprises et industries. Être là au bon moment est déterminant pour qu’une petite entreprise gagne des marchés à l’export. Pour cela, il faut être présent sur le territoire de manière décentralisée.
- Vous êtes vous-même issu de l’enseignement agricole et vous y avez enseigné. Quel rôle l’enseignement agricole peut-il jouer pour l’avenir de l’agriculture ?
L’enseignement agricole doit être partie prenante du projet pour la jeunesse et l’éducation qui faisait partie des engagements du Président de la République, c’est pourquoi j’ai essayé, dans un contexte difficile, que faire en sorte qu’il soit doté dès cette rentrée de 50 postes d’enseignants supplémentaires avec un redéploiement de 60 postes d’aide au handicap, ce qui fait 110 postes en tout.
C’est essentiel car l’enseignement agricole prépare les jeunes à se construire en tant que citoyens mais permet aussi à la société d’anticiper les grands défis de demain. Je parlais à l’instant de pratiques innovantes, il faut naturellement accompagner ce processus. L’enseignement agricole a ses spécificités et il a montré son efficacité à la fois dans la qualité des formations mais aussi à travers un taux d’insertion exceptionnel dans la vie professionnelle. Il faudra lui redonner un souffle. Une partie de la loi cadre que nous avons évoquée y sera consacrée.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 25 juillet 2012