Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Europe 1 le 27 mai 2001, sur la situation au Proche Orient et sur les orientations de Lionel Jospin en matière de construction européenne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Quand les heures sont graves, il n'y a pour vous, Hubert Védrine, ni dimanche, ni jour de fête. Les heures au Proche-Orient sont graves ?
R - Oui, jusqu'où, comment ? Ce matin, une voiture piégée a explosé à Jérusalem. Il y a une sorte de climat d'insécurité, même de panique qui se développe. Nous assistons au développement d'un engrenage sanglant que nous avions malheureusement, à juste titre, annoncé il y a plusieurs semaines. Cela fait plusieurs semaines que la France très reliée par l'Europe maintenant dans ce domaine ne cesse de dire que cet engrenage est absolument tragique pour la région, que c'est la situation la plus dure, la pire, la plus dangereuse depuis 10 à 15 ans et que nous déployons tous les efforts possibles, imaginables, avec tous les autres pays dans le monde qui veulent s'engager pour la paix et pour que les responsables de part et d'autres arrêtent.
Q - La région est-elle arrivée au point où elle peut s'enflammer militairement ?
R - Non, je ne crois pas une extension géographique de ce conflit qui est une quasi-guerre. Je ne pense pas que cela puisse s'étendre à d'autres pays, selon les schémas antérieurs connus des guerres israélo-arabes. Je crois, en revanche, qu'une aggravation est toujours possible et tant que les mécanismes dans les prises de décision à l'intérieur d'Israël sont à l'uvre, et d'autre part dans les comportements palestiniens, même si on ne met pas les deux sur le même plan, parce que les responsabilités et les moyens d'agir pour interrompre cela ne sont pas les mêmes. Tant que ces mécanismes sont à l'uvre, la situation peut encore s'aggraver, mais il faut tout faire pour empêcher cela.
Q - Ce matin, le Premier ministre Sharon a accusé Yasser Arafat d'être responsable de la vague de terrorisme. Il dit que c'est la réponse à ce qui fut une décision unilatérale décrétée par Israël. Qui est responsable, dans la phase actuelle ? Parce que chaque matin il y a un attentat, chaque après-midi, il y a des représailles du côté israélien.
R - Cela fait 8 mois que cette escalade a démarré. Elle a démarré après la visite de M. Sharon le 28 septembre sur l'esplanade des Mosquées. Même la Commission Mitchell composée de gens responsables, raisonnables, amis d'Israël, préoccupée en priorité absolument par la sécurité d'Israël, même les membres de cette Commission Mitchell donc dirigée par un ancien sénateur américain ont déclaré que la visite de M. Sharon le 28 septembre avait été mal venue, que ses effets provocateurs auraient dû être prévus, que des raisons de politique intérieure pour lesquelles M. Barak n'avait pas compris cette décision avait été dangereuse etc. Je crois donc que c'est évident pour tout le monde, mais que 8 mois après le début de cette escalade qui a été marquée par de plus en plus d'attentats meurtriers, de plus en plus de répressions très dures, je crois que l'heure n'est plus à cela. La Commission Mitchell a fait le point d'une façon courageuse, étonnamment courageuse.

Q - Que la France soutient et l'Europe soutient. Mais est-ce que cela veut dire qu'ils ont fait des propositions concrètes ? M. Védrine, la méthode Sharon a échoué ?
R - Ce n'est pas à nous, de l'extérieur, de dire cela. Les Israéliens ont élu M. Sharon pour rétablir leur sécurité qu'ils estiment mise en péril par des moyens qui sont des moyens de force, des moyens de répression, notamment militaires. Ils ont fait ce choix. C'est un choix démocratique. On ne peut pas ne pas le respecter. En même temps, on peut évidemment s'interroger sur les résultats obtenus par cette politique et par cette méthode. Mais, il ne faut désespérer de rien. Il ne faut jamais désespérer. Je pense que, n'oublions pas, que ce sont les mêmes Israéliens qui, il y a encore quelques mois, soutenaient, tout en ayant des réserves bien sûr et en discutant, les efforts de M. Barak pour aboutir à une solution de paix, à partir de propositions de paix très audacieuses. Ce sont les mêmes qui, entre temps, ont été saisi, de panique par rapport à la question de la sécurité. Les Palestiniens, aujourd'hui, sont fous de désespoir, sont à bout, au bout de 33 années de colonisation ininterrompues, sans rentrer dans le détail, tout le monde sait que c'est une vie qui est proprement intolérable. Ce sont les mêmes Palestiniens, qui encore, il y a encore quelques semaines ou quelques mois...
Q - Par forcément les mêmes ...
R - En gros, ce sont les Palestiniens, bien sûr, on voit bien que les extrémistes au sein des Palestiniens profitent de la situation actuelle pour essayer de compromettre définitivement le retour à un cessez-le-feu, à une mesure de confiance, à une reprise de la discussion politique. Mais ce sont les mêmes, ce sont quand même des Palestiniens. Et il y a encore quelques mois, ils étaient derrière M. Arafat, ils attendaient qu'une solution peut-être surgisse même si la confiance n'avait pas su être construire, au début du gouvernement M. Barak entre M. Barak et M. Arafat. Ce sont les mêmes, ils seront toujours là. Donc ces tueries sont absurdes. Cette répression ne résoudra rien. Aujourd'hui il faut donc repartir des conclusions de la Commission Mitchell qui sont très précises sur ce que doivent faire les uns et les autres.
Q - Est-ce que je peux dire que je vous ai déjà interrogé quelque fois déjà, cela on le sait. Et c'est peut-être l'une des rares fois où je vous vois aussi préoccupé ou inquiet ?
R - Je dirais plus que préoccupé, inquiet. Oui, je suis à la fois inquiet et bouleversé par cet océan de souffrances absurdes. Alors que nous étions, il y a quelques mois, peut-être pas loin d'une solution. Il faut donc enrayer cette évolution à tous prix, il y a de bonnes propositions égypto-jordaniennes, il y a un rapport Mitchell qui est très bien, qui fait des propositions précises aux uns et aux autres, sur évidemment l'arrêt de la violence. Mais aussi des propositions à Israël très précises, y compris sur ce qui était hypocritement appelées "la croissance naturelle des colonies" et qui est un fait permanent d'exacerbation. La Commission Mitchell a dit des choses claires là-dessus. Elle a demandé le gel des colonies. Elle a demandé la fin du bouclage des territoires, elle a demandé qu'Israël paie à l'Autorité palestinienne ce qui est normalement dû, elle a demandé aux Palestiniens de tout faire, tout ce qui dépend d'eux pour que la violence soit arrêtée.
Q - Si Ariel Sharon refuse, qu'est-ce qui se passe ? Parce que c'est bien beau de dire la Commission Mitchell D'ailleurs il y a quelqu'un qui a été nommé par M. Bush, M. Burns, qui est aujourd'hui en train de discuter avec MM. Sharon et Arafat ?
R - Cela montre que les Etats-Unis ne pouvaient pas trop longtemps rester sur la réserve, comme ils ont tenté de l'être depuis le début de cette nouvelle administration.

Q - Si M. Sharon refuse ?
R - Ce sont aux Israéliens de prendre leur responsabilité, de s'interroger sur ce qu'ils veulent. Qu'est-ce qu'ils veulent ? Ils veulent la paix, la sécurité, je suppose, comme les Palestiniens, comme les autres Arabes. Tous ces peuples sont las de tout cela. Donc, il faut que les dirigeants politiques se comportent en responsables ; c'est le moment de le dire, et retrouvent les chemins.
Q - Quand M. Arafat était cette semaine à Paris, il a vu le président de la République, le Premier ministre, chaque fois avec vous. Il n'a jamais condamné la violence que lui demandait la Commission Mitchell. Il ne peut pas, il ne veut pas ?
R - Yasser Arafat a déclaré à Paris qu'il était prêt à mettre en uvre les conclusions de la Commission Mitchell à condition que, naturellement, les Israéliens mettent en uvre toutes leurs recommandations. Or, les Israéliens ont dit tout de suite : le rapport de la Commission Mitchell, oui, cela peut aller sur certains points, mais on ne peut pas l'accepter en ce qui concerne les colonisations, certains ont dit ce n'est pas une mesure préalable mais une mesure de confiance qui viendrait après. Ce sont des arguties. Il faut réussir à enrayer l'engrenage. Et à partir du moment où Yasser Arafat le dit d'une façon globale que les Israéliens ne disent pas non entièrement par rapport à cela, c'est à nous de travailler, nous, les pays de bonne volonté, l'Europe, la France, naturellement. Vous savez qu'elle est active sans relâche, sur cette question de la paix au Proche-Orient.
Q - Est-ce que je me trompe en disant que l'Europe et en particulier la France, c'est peut-être la France qui a inspiré l'Europe, et peut-être l'Allemagne aussi, a condamné plus sévèrement qu'auparavant les représailles y compris avec les M16 contre les Palestiniens.
R - Oui, la condamnation a été sévère, même la réaction américaine n'a pas été positive par rapport à cela. Sur le fond, ce qui a changé de la part des 15 Européens, c'est qu'ils ont pris conscience les uns après les autres, que la situation des Palestiniens dans les territoires occupés, était littéralement insupportable et inacceptable d'aucune façon que ce soit. Ce sont des pays qui sont, comme nous le sommes, je le répète exprès, viscéralement attachés à la sécurité d'Israël et à la coexistence de ces peuples et un jour à leur coopération dans un Proche-Orient en paix, c'est notre objectif à tous. Mais, on a vu les pays européens les moins disposés à critiquer Israël pour des tas de raisons que l'on connaît, finalement, arrivés à cette conclusion et dire cela parfois avec rudesse et fermeté, comme quand à Genève, les Quinze ont condamné, dans l'intérêt d'Israël.
Q - Mais quand vous dites cela, est-ce qu'Israël et en tout cas M. Sharon, qui rêve ou qui a la nostalgie de l'époque où la France vendait des avions à Israël, au jeune Etat d'Israël, est-ce que vous ne donnez pas le sentiment qu'il y a un déséquilibre français et européen à l'égard de la politique au Proche-Orient. On a choisi le camp des Arabes et le camp des Palestiniens ?
R - On a choisi le camp de la paix. Alors vous pourriez dire cela de la Commission Mitchell ? Pourquoi la Commission Mitchell avec des Américains, avec des Norvégiens, avec un ancien président turc, la Turquie a quasiment une alliance avec Israël, arrivent à cette conclusion si précise et si nette sur l'affaire des colonies. Pourquoi ? Ce n'est pas du tout un basculement d'un côté contre un autre ? Il faut bien arriver à la paix. Par rapport à cette situation, il y a des exigences exprimées auprès des Palestiniens, elles le sont constamment et l'ont encore été face à Yasser Arafat à Paris, mais il y a des gestes très précis à demander aux Israéliens, à ce gouvernement israélien, et à son armée. Aujourd'hui, c'est la communauté internationale. Qu'on arrête de raconter qu'il y aurait une sorte de déséquilibre dans la position française ? C'est une position mondiale aujourd'hui, alors que les Israéliens attachés à la paix, qui ont milité pendant des années et des années dans le cadre du Processus d'Oslo, regardent cela, se posent la question de leur propre responsabilité. Nous dirons la même chose à Paris à M. Sharon. Qu'est-ce que vous êtes prêt, à faire, vous, sans prétexte, sans préalable.
Q - Et s'il demande, à votre avis, qu'est-ce que je dois faire, pour avoir votre soutien et pour sortir Israël de l'isolement, qu'est-ce que vous lui direz ?
R - On partira de la Commission Mitchell. Oui, mais Israël n'est pas isolé. L'attachement du monde entier à la sécurité d'Israël est solide comme un roc. Le problème n'est pas là. Il s'agit de savoir s'il y a une politique qui est menée, et qui permet de sortir ou non de ce piège infernal.
Q - Le processus de paix d'Oslo est caduc ?
R - Je ne souhaite pas le souligner. Mais pour le moment il n'y a pas de processus de paix. Pour le moment, il y a un engrenage de guerre plutôt qu'un processus de paix et c'est cela qu'il faut enrayer, il faut qu'il y ait un cessez-le-feu, il faut bâtir le consensus autour des recommandations de la Commission Mitchell. Il faut, par des mesures de confiance, revenir à un climat permettant de redémarrer des négociations politiques.
Q - Justement, est-ce que vous poussez à un retour à la négociation, Charm el-Cheikh comme disait Yasser Arafat, n'importe ou ailleurs ?
R - Oui, il faut y arriver, il faut passer par les deux ou trois petites étapes que je viens de rappeler.
Q - Qui sont des grandes étapes ?
R - Cela pourrait se faire vite. Mais, il faut qu'il y ait une volonté politique absolue.
Q - Et ce dimanche, M. Védrine, vous diriez qu'il y a peut-être les premières bases d'un début de commencement de retour à la discussion, malgré tout, malgré les bombes et les attentats ?
R - Pour les discussions, c'est un peut tôt. Mais en ce qui concerne le cessez-le-feu, je note que les Israéliens ont donné une instruction de cessez-le-feu, je ne sais pas comment cela se traduit sur le terrain, parce qu'ils avaient donné une énorme autonomie à chaque commandant, en fait, sur le terrain. Mais c'est un geste. Je note que Yasser Arafat a exprimé une disponibilité par rapport à l'ensemble des recommandations de la Commission Mitchell. C'est un fil qui est aigu mais nous devons le saisir et nous devons avancer. Et chaque fois qu'il y a des visiteurs importants à Paris, puisque Paris est l'une des capitales dans lesquelles inlassablement on recherche la paix.. Demain, Yasser Arafat, Ariel Sharon, le président Lahoud, le président Bachar el Assad, nous irons dans le même sens, inlassablement.
Q - Face à des crises comme le Proche-Orient, face à la mondialisation inévitable, est-ce qu'il faut plus d'Europe, et est-ce que l'Europe doit être comme une forteresse, un bouclier, comment elle doit être ?
R - Les questions européennes sont beaucoup plus vastes naturellement. L'une des ambitions de l'Union européenne qui s'élargit tout en s'approfondissant, c'est d'être un facteur de paix dans le monde, un facteur pour aider à résoudre les crises, un facteur pour améliorer ce que l'on appelle la régulation, pour que la mondialisation ne soit pas que sauvage et fondée sur le rapport de force. Oui, c'est une des autres missions de l'Europe dans le monde de demain.
Q - Le temps est donc, apparemment venu, pour Lionel Jospin de présenter demain sa vision de l'Europe pour 2004 et les années qui suivront. Elle est attendue cette vision. Quelles en sont, si vous les connaissez, les clés qui pourraient la rendre originale et novatrice ?
R - Cette attente de l'opinion par rapport à Lionel Jospin a bien montré l'importance que l'on attache à sa réflexion.
Q - C'est le fait qu'il n'y en a pas, ou qu'elle n'était pas exprimée ?
R - C'est une présentation un petit peu factice. En réalité, cela montre que son analyse, sa vision de l'avenir de l'Europe est très attendue, parce que tout le monde sait, que c'est un des éléments majeurs du débat européen pour les prochaines années. Ce débat qui se développe maintenant, notamment en France, qui est un défi le plus vivant sur ce plan, et qui doit aboutir en 2004. Il n'avait pas de raison de s'engager plus tôt, plus précocement, puisque nous avions la charge de la présidence ...
Q - Quelles sont les clés qui peuvent la rendre originale ?
R - Il ne s'agit pas de faire un concours d'originalité. Il s'agit de dire les choses fortes et justes pour inspirer la vision de l'Europe qui est celle des prochaines années.
Q - Alors qu'est-ce qui sera la force de cette intervention ?
R - Je crois que l'on peut dire que la plupart des interventions qui ont eu lieu depuis un an, un an et demi, sur l'avenir de l'Europe, se sont concentrées presque exclusivement sur les mécaniques institutionnelles. Sur le savoir comment est organisé les pouvoirs, niveau européen, niveau national, niveau européen entre ceci et cela, etc... L'approche de Lionel Jospin est, on le voit dans sa pratique du Premier ministre, mais on le verra plus encore dans ce discours de responsable politique s'exprimant en son nom personnel avec sa propre vision, c'est que le contenu est encore plus important que le contenant. Donc, il s'attachera à dire dans quel type d'Europe il souhaiterait que nous vivions dans les années qui viennent. Quel type d'Europe par rapport au monde, quel type d'Europe pour les habitants de l'Europe, les citoyens européens.
Q - Cela fera des généralités de plus ?
R - Non, cela fera, je crois, un ensemble d'orientations, de directions, de programmes ; propositions, qui fait que l'Europe serait renforcée dans ce qu'elle est déjà. Vous savez, quand on voyage tout le temps ce qui est mon cas, on arrive à des conclusions extrêmement simples, à propos de "qu'est-ce que c'est que l'Europe, pourquoi faire", beaucoup de gens se posent des questions absolument évidentes, ils cherchent midi à 14 h, en fait. Ce qui est frappant c'est qu'il y a une Europe, une civilisation qui n'est pas la même sur la planète. Les Etats-Unis, c'est une situation cousine, ce n'est pas tout à fait la même. Donc, il y a en Europe, pour des tas de raisons, un équilibre entre le bonheur de vivre, la liberté, en même temps l'organisation, la prospérité, mais aussi les protections en commençant par la protection sociale, les garanties et cet équilibre se voit à la fois dans la vie, les rapports entre les gens, les espaces... il y a tout un ensemble qui fait l'Europe.
Q - Et cela se traduit comment dans un discours important et la vision importante de l'homme d'Etat français ?
R - Cela se traduit dans l'idée que l'objectif n° 1 de l'Europe, en tant que continent, en tant que civilisation, en tant qu'organisation politique, c'est d'être exemplaire par rapport au reste du monde, de commencer par appliquer ces aides dans toute une série de domaines, on ne va pas décomposer cela en politique commune, qui fait quoi, qui décide quoi... Mais c'est cela l'objectif. Nous sommes très attachés, nous voulons, dans la phase de la globalisation, non seulement cette civilisation européenne particulière ne soit pas rasée, ne soit pas nivelée, ne soit pas rendue par ailleurs par n'importe quelle autre, comme une sorte de robotisation générale du monde. Nous voulons garder cela et nous voulons que cet exemple se diffuse, qu'il soit contagieux. Cela se décompose en toute série de choses, on peut parler de l'Europe sociale, on peut parler de l'éducation... Je crois que Lionel Jospin fera un discours qui va trancher sur beaucoup d'autres, qui était des discours de mécanique institutionnelle. Il fera un discours de sens, un discours de contenu, un discours de culture, un discours de civilisation pour l'Europe qui est fondamental. Non cela, fait appel à la raison, à la conviction, à l'argumentation. La mécanique institutionnelle est au service de cela après..
Q - On dira qu'il y aura du Delors, du Giscard dans cette intervention, il y aura du Védrine aussi ?
R - Le Premier ministre a fait son discours tout seul quand il a pris son stylo pour rédiger son discours. Mais avant de rédiger, il a consulté énormément de gens, mais pas seulement des ministres, ou des conseillers, et pas seulement des fonctionnaires qu'il a entendus Il faut remettre cela dans le calendrier, la conclusion de ce grand débat que nous avons souhaité sur l'avenir de l'Europe, sera en 2004. Donc en 2001, presque à la mi-2001, c'est un bon moment pour exprimer cette vision, et après c'est une contribution à un niveau important puisque c'est Lionel Jospin et ce débat va s'enrichir énormément de cet apport et ensuite se poursuivre.
Q - Dans les sommets ou les conférences internationales, laquelle des visions allez-vous défendre ? Celle de la France d'aujourd'hui etc.. ou celle de Lionel Jospin ?
R - Mais c'est tout à fait différent. Là l'intervention de Lionel Jospin, comme beaucoup d'autres en Europe, avant lui et d'autres après lui, porte sur la façon dont l'Europe devrait s'organiser en 2004 pour être en mesure d'atteindre les grands objectifs que j'ai rappelés. Mais quand nous sommes devant une échéance plus précise, à court terme, par exemple, le Conseil européen de Göteborg en Suède, dans quelques semaines. Alors là c'est la France de 2001, il y a une discussion entre le président et le gouvernement, et sur chaque point de l'ordre du jour fixé par les Suédois, la France parle d'une seule voix. Mais cela n'empêche pas cette réflexion liée pendant laquelle on se projette dans l'avenir.
Q - M. Védrine, alors quelqu'un qui va présenter demain, et d'une manière aussi importante et audacieuse, une vision de l'Europe, peut-il ne pas être là en 2002 pour la défendre ?
R - Là, c'est à lui de vous répondre.
Q - A votre avis, ce n'est pas un coup d'épée dans l'eau, il promet une Europe qu'il défendra en 2002 et peut-être après ?
R - Il n'en est pas à promettre. Il en sera à dire voilà quelle est ma confection de ce que devrait être l'Europe demain, de ses objectifs, et des raisons pour lesquelles elle devrait rassembler les Européens et au-delà même de l'Europe inspirer par son exemple, beaucoup de peuples dans le monde qui sont, eux aussi, en train de chercher l'équilibre, entre l'ouverture, la mondialisation et l'identité.
Q - On prend quelques exemples. Est-ce qu'il faut une constitution pour l'Europe ?
R - Attendons le discours.
Q - Mais votre avis ?
R - Je pense que cela pourrait être l'aboutissement des négociations en 2004 si entre temps les 15 se sont mis d'accord sur ce que cela signifie exactement.
Q - Un jour, il faudra un vrai gouvernement pour l'Europe ?
R - Il y a un gouvernement des questions européennes pour le moment, il est partagé entre la Commission d'autre part et le Conseil. Donc, il y a un gouvernement des questions qui ont été transférées au niveau européen. La question est de savoir comment le faire évoluer, mais là ne rentrons pas peut-être dans la technique.
Q - En fait, Lionel Jospin et vous, passez souvent pour des Européens convertis sur le tard, plutôt tièdes, réalistes, parfois sceptiques et désabusés. C'est vrai ou c'est faux ?
R - C'est faux. C'est tellement faux que cela se passe de développement.
Q - Le 5 juin, le Parlement va dire s'il ratifie ou non le Traité de Nice. Est-ce qu'il y a un argument pour faire changer ceux qui sont hostiles ?
R - Oui, il y a un argument. Mais je ne crois pas qu'ils sont très nombreux. Il y a un argument qui est qu'aux yeux de ces gens qui ont cru que Nice n'était pas assez bien, n'allait pas assez loin, il n'y a pas un seul problème européen qui se présenterait mieux, il n'y a pas une seule ambition européenne qui serait facilitée par l'absence du Traité de Nice. Donc, on ne voit pas pourquoi ils orchestreraient cette reculade mais je ne pense pas qu'elle aura lieu.
Q - Vous êtes au Quai d'Orsay depuis 4 ans, c'est une belle longévité, qu'est-ce que vous avez appris ?
R - Vous me laissez trois secondes pour répondre ou vous me réinvitez ?
Q - Voilà, vous êtes réinvité.
Q - Et en attendant je lirai le livre que je connaissais en français et qui est maintenant traduit en anglais, aux Etats-Unis, le titre, est-ce que c'est le même que le titre français ?
R - C'est un titre plus américain, c'est "la France à l'heure de la globalisation". Un tiers qui a dû être réécrit, réadapté, parce qu'il s'est passé beaucoup de choses en un an.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mai 2001)