Texte intégral
Monsieur le Président de la Fondation,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les représentants des cultes,
Mesdames et Messieurs,
Il y a 70 ans, jour pour jour, le dernier convoi de déportés des Milles partait pour Auschwitz. Il y a 70 ans, le régime de Vichy raflait et livrait à lAllemagne nazie des milliers de Juifs de la zone dite "libre". Nous ne les oublierons jamais.
Nous sommes rassemblés aujourdhui pour rappeler ce que fut lhistoire tragique de ce camp, honorer la mémoire des internés, des déportés, des "Justes" qui leur ont porté secours.
Nous sommes ici aussi pour transmettre aux jeunes générations un message de confiance dans lavenir, car cest lobjet même de ce Mémorial : combattre loubli, éduquer et éveiller les consciences, lutter contre toutes les formes de xénophobie, de racisme et dantisémitisme ; rendre à jamais impossible le retour de la barbarie.
Lhistoire du camp des Milles est une histoire française. De septembre 1939 à septembre 1942, il a constamment été placé sous autorité française, dabord celle de la 3e République finissante, puis celle du régime de Vichy, qui fut délibérément le complice, en 1942, des déportations programmées et mises en uvre par lAllemagne nazie. Ce nest quen novembre 1942 que le camp des Milles, vidé de ses occupants, cesse de fonctionner.
Cest une histoire européenne, car parmi les 10 000 internés qui sont passés par le camp des Milles, de 1939 à 1942, près de 30 nationalités étaient représentées. La plupart de ces internés étaient des réfugiés, fuyant les persécutions de leur pays dorigine. Tous pensaient que la France, patrie des droits de lhomme, leur offrirait protection et asile.
Aux ambassadeurs présents aujourdhui, ainsi quà leurs représentants, je veux dire que nous conservons le souvenir de chacun de ces réfugiés, dont la confiance a été trahie.
De septembre 1939 jusquà larmistice de 1940, cest donc la 3e République qui transforma ce bâtiment industriel des Milles en camp dinternement. Il était destiné aux ressortissants de pays en guerre contre la France, considérés comme une menace potentielle par les autorités. Mais parmi les citoyens allemands ou autrichiens qui constituaient lessentiel des internés, beaucoup étaient des opposants résolus au nazisme, militants, réfugiés politiques, intellectuels.
Il est vrai quaprès 1933, bon nombre de représentants de lélite intellectuelle de lAllemagne, puis de lAutriche, ont trouvé refuge dans le Sud de la France et cétait lhonneur de notre pays. En raison de leur nationalité, beaucoup se retrouvèrent aux Milles après le déclenchement de la seconde Guerre mondiale, désemparés, ne reconnaissant plus la France quils avaient appris à aimer.
Je pense au peintre Max Ernst, envoyant un message désespéré à sa galeriste. Je pense à lécrivain Lion Feuchtwanger, qui publia dès 1942, exilé aux Etats-Unis, un récit de ses années dinternement : le Diable en France. Il nous fait prendre conscience du sentiment quont pu éprouver ces amoureux de la République française, soudain ravalés au rang de "sujets ennemis". "En Allemagne, écrit-il, quand quelquun vivait confortablement, on disait quil vivait comme Dieu en France. ( ) Mais si Dieu se sentait bien en France, on pouvait dire également que le Diable ny vivait pas mal non plus. ( ) Je ne crois pas que le Diable auquel nous avons eu affaire en France en 1940 ait été un Diable particulièrement pervers qui aurait pris un plaisir sadique à nous persécuter. Je crois plutôt que cétait le Diable de la négligence, de linadvertance, du manque de générosité, du conformisme."
Rien, pas même la guerre, ne saurait justifier cet internement systématique de ressortissants étrangers, dans des conditions dégradantes. A fortiori de réfugiés antifascistes, qui avaient fui les régimes contre lesquels la France était en guerre.
Aux yeux de milliers de femmes et dhommes, qui attendaient tellement delle, la France, terre daccueil et dasile, nétait plus vraiment elle-même.
La défaite de 1940 et le vote des pleins pouvoirs à Pétain, le 10 juillet, sonnent le glas de leurs espérances. Tous les camps dinternement, dont le camp des Milles, furent mis au service de la politique de Vichy et connurent une évolution tragique.
Dans la France de Vichy, le droit dasile est foulé aux pieds et la xénophobie se donne libre cours. Tout ressortissant étranger peut désormais être interné et la nationalité française est retirée à plus de 15 000 personnes, dont plus de 6 000 Juifs, qui sétaient réfugiées en France et en avaient acquis la nationalité à partir de lannée 1927. Boucs émissaires commodes, livrés à la vindicte populaire par le gouvernement lui-même, les étrangers sont devenus des "indésirables".
Lantisémitisme, ancré dans une partie de la société française, devient un antisémitisme dEtat. Le régime de Vichy promulgue des lois antisémites dès le mois doctobre 1940, sans même que lAllemagne nazie nen formule lexigence!
Au mépris de nos valeurs les plus fondamentales, les Juifs de France sont humiliés, spoliés, fichés. Des milliers de Juifs étrangers sont arrêtés et internés.
Le camp des Milles, comme dautres camps de la zone non occupée, devient lun des rouages de cette politique du déshonneur. A partir de juillet 1940, des étrangers "indésirables", des Juifs, des républicains espagnols sy entassent, dans des conditions dhygiène épouvantables. Sous la seule autorité de Vichy.
Quand sengage ce que le régime nazi qualifie de "solution finale", en 1942, le piège se referme sur les milliers de Juifs internés. Pierre Laval, chef du gouvernement, accepte de livrer aux autorités allemandes 10 000 Juifs arrêtés en zone non occupée. Il pousse linfamie jusquà proposer de déporter les enfants, ce que les Allemands ne demandaient même pas.
Après la rafle du Vel dHiv de sinistre mémoire, menée à Paris, en zone occupée, par la police française, cest donc en zone non occupée, placée sous la seule autorité de lEtat français, que le crime se répète. Le 26 août 1942, 6 000 Juifs sont arrêtés dans lensemble de la zone Sud par des policiers français, puis déportés vers les camps dextermination.
Il y aura ensuite dautres rafles, dans le Sud de la France, notamment après larrivée des troupes allemandes, en novembre 1942. Je veux rappeler ici la rafle de lOpéra, à Marseille, du 22 au 27 janvier 1943 : près de 800 Juifs sont arrêtés, très peu survivront à la déportation. Seul le débarquement des Alliés et des forces de la France combattante mettra fin à ces actes de terreur.
La tragédie frappe le camp des Milles en août et en septembre 1942. Plus de 2 000 Juifs, répartis en cinq convois, sont déportés vers Auschwitz, via Rivesaltes et Drancy. Parmi eux, une centaine denfants. Jai écouté la lecture de leurs noms avec une grande émotion.
Ma présence parmi vous, ainsi que celle de nombreux membres du gouvernement, témoigne de la volonté de la République française de veiller sur la mémoire des martyrs du camp des Milles. De ces femmes, ces hommes, ces enfants, qui ne sont jamais revenus.
Cest pour nous un devoir sacré.
Le camp des Milles doit être aujourdhui un lieu de mémoire et de recueillement, car depuis ce lieu, des milliers de victimes, qui avaient foi en la France, patrie de la Grande Révolution et des droits de lHomme, ont été envoyées à la mort.
Mais il y a eu aussi des Français, en nombre, pour sauver lhonneur. Partout en France, des hommes et des femmes courageux entretenaient la flamme de la Résistance. Et beaucoup ont sauvé des vies, au péril de la leur.
Aux Milles, le sort des internés et des déportés a bouleversé certains de ceux qui les ont côtoyés et ont partagé leurs souffrances. Je veux rendre hommage à ces Français anonymes qui ont aidé des internés à senfuir, qui ont sauvé des enfants ; à ces hommes et ces femmes, de toutes nationalités, qui ont su dire non à linacceptable.
Le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, leur a décerné le titre de "justes parmi les nations" et ici, au camp des Milles, le "mur des actes justes" leur est consacré. Je vous invite à honorer leur mémoire.
Je pense aussi à la production artistique qui a caractérisé le camp au cours des premières années, quand tant dintellectuels, de peintres, de sculpteurs, de musiciens, de metteurs en scène, de comédiens y étaient internés. Les uvres quils ont réalisées, les représentations quils ont données, sont autant dactes de résistance, parfois empreints dhumour et dironie, à la situation dramatique qui leur était imposée.
Et si le camp des Milles est aujourdhui considéré comme lun des hauts lieux de mémoire français, sil est reconnu comme monument historique, si le projet de Mémorial a pu voir le jour, avec le soutien de quatre ministères présents au sein du Conseil dadministration de la Fondation, cest à une exceptionnelle mobilisation associative et citoyenne que nous le devons.
Je veux rendre hommage à celles et ceux qui ont mené ce combat pour la mémoire depuis 30 ans. Et dabord à Alain Chouraqui, président de la Fondation du camp des Milles, qui porte ce projet avec détermination et conviction depuis tant dannées. Le soutien actif des collectivités locales concernées a été décisif. Que les élus en soient remerciés.
Ce Site-Mémorial est dabord tourné vers la jeunesse. Il sera un lieu dhistoire, de pédagogie et de transmission, comme lont voulu les hautes personnalités qui ont accompagné le projet depuis ses débuts. Je voudrais saluer lengagement en ce sens de Simone Veil, présidente dhonneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, dElie Wiesel, de Serge Klarsfeld infatigable combattant de la mémoire, de Robert Badinter, de Jorge Semprun disparu depuis.
Le travail de mémoire, avec sa dimension éducative, est essentiel.Il est aussi un lien entre les générations.
Sous lautorité dun conseil scientifique présidé par le recteur de lacadémie dAix-Marseille, cest un parcours éducatif innovant et de grande qualité qui a été imaginé. Il fait appel à la réflexion de chacun, à lanalyse des mécanismes qui ont pu conduire à la montée du fascisme et nazisme, à la passivité du plus grand nombre et finalement à lhorreur du génocide. Comment comprendre, aussi, quun lieu somme toute banal, une simple tuilerie, située dans un village paisible, puisse devenir lun des rouages dun crime de masse ?
Cette approche, fondée sur la compréhension de mécanismes universels, permet de faire converger les mémoires, celle de la Shoah, dont la singularité est indiscutable et celle des autres génocides du siècle passé. Elle permet de faire comprendre aux jeunes générations que le passé est porteur de leçons pour lavenir.
Faire obstacle à la résurgence de lintolérance et de la haine, développer lenseignement de la fraternité et du respect de lautre, telle doit être lambition de la Fondation du camp des Milles.
Et au-delà, telle doit être notre ambition de Français et dEuropéens. Car je lai dit, lhistoire des Milles est aussi une histoire européenne et nous devons faire vivre aujourdhui les valeurs fondamentales que nous avons voulu promouvoir après 1945. Pour une Europe de la paix et de la démocratie, où le rejet de lautre na pas sa place.
La lutte contre le racisme et lantisémitisme est une priorité de mon gouvernement. Je réunirai un comité interministériel sur ce sujet dans les prochaines semaines, pour adopter un plan daction. Il sera dabord fondé sur léducation, la volonté de combattre les préjugés sur létranger, sur lautre, qui restent ancrés dans bien des mentalités et que des vents mauvais ont à nouveau attisés au cours des années passées.
Quil me soit permis, dans ce lieu, de rendre hommage à une figure exceptionnelle, qui a marqué le pays dAix, mais qui est dabord un grand républicain. Je veux parler de lhistorien Jules Isaac. Le célèbre auteur de manuels, engagé, à lépoque de la République de Weimar, en faveur dun rapprochement franco-allemand, est nommé inspecteur de linstruction publique en 1936 ; mais il est révoqué par le régime de Vichy, en 1940, parce quil sappelle Isaac. Et cest alors quil se réfugie à Aix-en-Provence. Son histoire, tragique, est celle de beaucoup dautres. Sa femme, sa fille et lun de ses fils sont arrêtés en 1943 et déportés à Auschwitz. Seul son fils en reviendra.
Après la guerre, Jules Isaac consacrera le reste de sa vie à combattre lantisémitisme. Et ce quil appelait lenseignement du mépris. Cest à ce titre quil participa à la création des Amitiés judéo-chrétiennes et quil fut reconnu, avec lautorité qui était la sienne, comme un militant inlassable de la tolérance religieuse et de lamitié entre les peuples.
Sachons, nous aussi, rechercher et mettre en lumière la vérité historique, avec lucidité et sans complaisance. Sachons combattre lobscurantisme, la haine et lintolérance. Sachons rester fidèles aux valeurs de la République.
Lhistoire du camp des Milles témoigne des crimes contre lhumanité qui ont été perpétrés au cur de lEurope. Mais elle nous montre que le meilleur est aussi dans lhomme.
Vive la République, vive la France !
Source http://www.gouvernement.fr, le 13 septembre 2012
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les représentants des cultes,
Mesdames et Messieurs,
Il y a 70 ans, jour pour jour, le dernier convoi de déportés des Milles partait pour Auschwitz. Il y a 70 ans, le régime de Vichy raflait et livrait à lAllemagne nazie des milliers de Juifs de la zone dite "libre". Nous ne les oublierons jamais.
Nous sommes rassemblés aujourdhui pour rappeler ce que fut lhistoire tragique de ce camp, honorer la mémoire des internés, des déportés, des "Justes" qui leur ont porté secours.
Nous sommes ici aussi pour transmettre aux jeunes générations un message de confiance dans lavenir, car cest lobjet même de ce Mémorial : combattre loubli, éduquer et éveiller les consciences, lutter contre toutes les formes de xénophobie, de racisme et dantisémitisme ; rendre à jamais impossible le retour de la barbarie.
Lhistoire du camp des Milles est une histoire française. De septembre 1939 à septembre 1942, il a constamment été placé sous autorité française, dabord celle de la 3e République finissante, puis celle du régime de Vichy, qui fut délibérément le complice, en 1942, des déportations programmées et mises en uvre par lAllemagne nazie. Ce nest quen novembre 1942 que le camp des Milles, vidé de ses occupants, cesse de fonctionner.
Cest une histoire européenne, car parmi les 10 000 internés qui sont passés par le camp des Milles, de 1939 à 1942, près de 30 nationalités étaient représentées. La plupart de ces internés étaient des réfugiés, fuyant les persécutions de leur pays dorigine. Tous pensaient que la France, patrie des droits de lhomme, leur offrirait protection et asile.
Aux ambassadeurs présents aujourdhui, ainsi quà leurs représentants, je veux dire que nous conservons le souvenir de chacun de ces réfugiés, dont la confiance a été trahie.
De septembre 1939 jusquà larmistice de 1940, cest donc la 3e République qui transforma ce bâtiment industriel des Milles en camp dinternement. Il était destiné aux ressortissants de pays en guerre contre la France, considérés comme une menace potentielle par les autorités. Mais parmi les citoyens allemands ou autrichiens qui constituaient lessentiel des internés, beaucoup étaient des opposants résolus au nazisme, militants, réfugiés politiques, intellectuels.
Il est vrai quaprès 1933, bon nombre de représentants de lélite intellectuelle de lAllemagne, puis de lAutriche, ont trouvé refuge dans le Sud de la France et cétait lhonneur de notre pays. En raison de leur nationalité, beaucoup se retrouvèrent aux Milles après le déclenchement de la seconde Guerre mondiale, désemparés, ne reconnaissant plus la France quils avaient appris à aimer.
Je pense au peintre Max Ernst, envoyant un message désespéré à sa galeriste. Je pense à lécrivain Lion Feuchtwanger, qui publia dès 1942, exilé aux Etats-Unis, un récit de ses années dinternement : le Diable en France. Il nous fait prendre conscience du sentiment quont pu éprouver ces amoureux de la République française, soudain ravalés au rang de "sujets ennemis". "En Allemagne, écrit-il, quand quelquun vivait confortablement, on disait quil vivait comme Dieu en France. ( ) Mais si Dieu se sentait bien en France, on pouvait dire également que le Diable ny vivait pas mal non plus. ( ) Je ne crois pas que le Diable auquel nous avons eu affaire en France en 1940 ait été un Diable particulièrement pervers qui aurait pris un plaisir sadique à nous persécuter. Je crois plutôt que cétait le Diable de la négligence, de linadvertance, du manque de générosité, du conformisme."
Rien, pas même la guerre, ne saurait justifier cet internement systématique de ressortissants étrangers, dans des conditions dégradantes. A fortiori de réfugiés antifascistes, qui avaient fui les régimes contre lesquels la France était en guerre.
Aux yeux de milliers de femmes et dhommes, qui attendaient tellement delle, la France, terre daccueil et dasile, nétait plus vraiment elle-même.
La défaite de 1940 et le vote des pleins pouvoirs à Pétain, le 10 juillet, sonnent le glas de leurs espérances. Tous les camps dinternement, dont le camp des Milles, furent mis au service de la politique de Vichy et connurent une évolution tragique.
Dans la France de Vichy, le droit dasile est foulé aux pieds et la xénophobie se donne libre cours. Tout ressortissant étranger peut désormais être interné et la nationalité française est retirée à plus de 15 000 personnes, dont plus de 6 000 Juifs, qui sétaient réfugiées en France et en avaient acquis la nationalité à partir de lannée 1927. Boucs émissaires commodes, livrés à la vindicte populaire par le gouvernement lui-même, les étrangers sont devenus des "indésirables".
Lantisémitisme, ancré dans une partie de la société française, devient un antisémitisme dEtat. Le régime de Vichy promulgue des lois antisémites dès le mois doctobre 1940, sans même que lAllemagne nazie nen formule lexigence!
Au mépris de nos valeurs les plus fondamentales, les Juifs de France sont humiliés, spoliés, fichés. Des milliers de Juifs étrangers sont arrêtés et internés.
Le camp des Milles, comme dautres camps de la zone non occupée, devient lun des rouages de cette politique du déshonneur. A partir de juillet 1940, des étrangers "indésirables", des Juifs, des républicains espagnols sy entassent, dans des conditions dhygiène épouvantables. Sous la seule autorité de Vichy.
Quand sengage ce que le régime nazi qualifie de "solution finale", en 1942, le piège se referme sur les milliers de Juifs internés. Pierre Laval, chef du gouvernement, accepte de livrer aux autorités allemandes 10 000 Juifs arrêtés en zone non occupée. Il pousse linfamie jusquà proposer de déporter les enfants, ce que les Allemands ne demandaient même pas.
Après la rafle du Vel dHiv de sinistre mémoire, menée à Paris, en zone occupée, par la police française, cest donc en zone non occupée, placée sous la seule autorité de lEtat français, que le crime se répète. Le 26 août 1942, 6 000 Juifs sont arrêtés dans lensemble de la zone Sud par des policiers français, puis déportés vers les camps dextermination.
Il y aura ensuite dautres rafles, dans le Sud de la France, notamment après larrivée des troupes allemandes, en novembre 1942. Je veux rappeler ici la rafle de lOpéra, à Marseille, du 22 au 27 janvier 1943 : près de 800 Juifs sont arrêtés, très peu survivront à la déportation. Seul le débarquement des Alliés et des forces de la France combattante mettra fin à ces actes de terreur.
La tragédie frappe le camp des Milles en août et en septembre 1942. Plus de 2 000 Juifs, répartis en cinq convois, sont déportés vers Auschwitz, via Rivesaltes et Drancy. Parmi eux, une centaine denfants. Jai écouté la lecture de leurs noms avec une grande émotion.
Ma présence parmi vous, ainsi que celle de nombreux membres du gouvernement, témoigne de la volonté de la République française de veiller sur la mémoire des martyrs du camp des Milles. De ces femmes, ces hommes, ces enfants, qui ne sont jamais revenus.
Cest pour nous un devoir sacré.
Le camp des Milles doit être aujourdhui un lieu de mémoire et de recueillement, car depuis ce lieu, des milliers de victimes, qui avaient foi en la France, patrie de la Grande Révolution et des droits de lHomme, ont été envoyées à la mort.
Mais il y a eu aussi des Français, en nombre, pour sauver lhonneur. Partout en France, des hommes et des femmes courageux entretenaient la flamme de la Résistance. Et beaucoup ont sauvé des vies, au péril de la leur.
Aux Milles, le sort des internés et des déportés a bouleversé certains de ceux qui les ont côtoyés et ont partagé leurs souffrances. Je veux rendre hommage à ces Français anonymes qui ont aidé des internés à senfuir, qui ont sauvé des enfants ; à ces hommes et ces femmes, de toutes nationalités, qui ont su dire non à linacceptable.
Le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, leur a décerné le titre de "justes parmi les nations" et ici, au camp des Milles, le "mur des actes justes" leur est consacré. Je vous invite à honorer leur mémoire.
Je pense aussi à la production artistique qui a caractérisé le camp au cours des premières années, quand tant dintellectuels, de peintres, de sculpteurs, de musiciens, de metteurs en scène, de comédiens y étaient internés. Les uvres quils ont réalisées, les représentations quils ont données, sont autant dactes de résistance, parfois empreints dhumour et dironie, à la situation dramatique qui leur était imposée.
Et si le camp des Milles est aujourdhui considéré comme lun des hauts lieux de mémoire français, sil est reconnu comme monument historique, si le projet de Mémorial a pu voir le jour, avec le soutien de quatre ministères présents au sein du Conseil dadministration de la Fondation, cest à une exceptionnelle mobilisation associative et citoyenne que nous le devons.
Je veux rendre hommage à celles et ceux qui ont mené ce combat pour la mémoire depuis 30 ans. Et dabord à Alain Chouraqui, président de la Fondation du camp des Milles, qui porte ce projet avec détermination et conviction depuis tant dannées. Le soutien actif des collectivités locales concernées a été décisif. Que les élus en soient remerciés.
Ce Site-Mémorial est dabord tourné vers la jeunesse. Il sera un lieu dhistoire, de pédagogie et de transmission, comme lont voulu les hautes personnalités qui ont accompagné le projet depuis ses débuts. Je voudrais saluer lengagement en ce sens de Simone Veil, présidente dhonneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, dElie Wiesel, de Serge Klarsfeld infatigable combattant de la mémoire, de Robert Badinter, de Jorge Semprun disparu depuis.
Le travail de mémoire, avec sa dimension éducative, est essentiel.Il est aussi un lien entre les générations.
Sous lautorité dun conseil scientifique présidé par le recteur de lacadémie dAix-Marseille, cest un parcours éducatif innovant et de grande qualité qui a été imaginé. Il fait appel à la réflexion de chacun, à lanalyse des mécanismes qui ont pu conduire à la montée du fascisme et nazisme, à la passivité du plus grand nombre et finalement à lhorreur du génocide. Comment comprendre, aussi, quun lieu somme toute banal, une simple tuilerie, située dans un village paisible, puisse devenir lun des rouages dun crime de masse ?
Cette approche, fondée sur la compréhension de mécanismes universels, permet de faire converger les mémoires, celle de la Shoah, dont la singularité est indiscutable et celle des autres génocides du siècle passé. Elle permet de faire comprendre aux jeunes générations que le passé est porteur de leçons pour lavenir.
Faire obstacle à la résurgence de lintolérance et de la haine, développer lenseignement de la fraternité et du respect de lautre, telle doit être lambition de la Fondation du camp des Milles.
Et au-delà, telle doit être notre ambition de Français et dEuropéens. Car je lai dit, lhistoire des Milles est aussi une histoire européenne et nous devons faire vivre aujourdhui les valeurs fondamentales que nous avons voulu promouvoir après 1945. Pour une Europe de la paix et de la démocratie, où le rejet de lautre na pas sa place.
La lutte contre le racisme et lantisémitisme est une priorité de mon gouvernement. Je réunirai un comité interministériel sur ce sujet dans les prochaines semaines, pour adopter un plan daction. Il sera dabord fondé sur léducation, la volonté de combattre les préjugés sur létranger, sur lautre, qui restent ancrés dans bien des mentalités et que des vents mauvais ont à nouveau attisés au cours des années passées.
Quil me soit permis, dans ce lieu, de rendre hommage à une figure exceptionnelle, qui a marqué le pays dAix, mais qui est dabord un grand républicain. Je veux parler de lhistorien Jules Isaac. Le célèbre auteur de manuels, engagé, à lépoque de la République de Weimar, en faveur dun rapprochement franco-allemand, est nommé inspecteur de linstruction publique en 1936 ; mais il est révoqué par le régime de Vichy, en 1940, parce quil sappelle Isaac. Et cest alors quil se réfugie à Aix-en-Provence. Son histoire, tragique, est celle de beaucoup dautres. Sa femme, sa fille et lun de ses fils sont arrêtés en 1943 et déportés à Auschwitz. Seul son fils en reviendra.
Après la guerre, Jules Isaac consacrera le reste de sa vie à combattre lantisémitisme. Et ce quil appelait lenseignement du mépris. Cest à ce titre quil participa à la création des Amitiés judéo-chrétiennes et quil fut reconnu, avec lautorité qui était la sienne, comme un militant inlassable de la tolérance religieuse et de lamitié entre les peuples.
Sachons, nous aussi, rechercher et mettre en lumière la vérité historique, avec lucidité et sans complaisance. Sachons combattre lobscurantisme, la haine et lintolérance. Sachons rester fidèles aux valeurs de la République.
Lhistoire du camp des Milles témoigne des crimes contre lhumanité qui ont été perpétrés au cur de lEurope. Mais elle nous montre que le meilleur est aussi dans lhomme.
Vive la République, vive la France !
Source http://www.gouvernement.fr, le 13 septembre 2012