Déclaration de Mme Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, sur le patrimoine culturel et plus particulièrement le droit du patrimoine, Metz le 14 septembre 2012.

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Circonstance : 29èmes Journées du Patrimoine les 15 et 16 septembre 2012

Texte intégral

Monsieur le Préfet de la région Lorraine,
Monsieur le directeur général par intérim de la direction générale des patrimoines,
Madame la cheffe du service du patrimoine,
Monsieur le directeur régional des affaires culturelles,
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Monsieur le maire de Metz,
Mesdames, Messieurs,
Vous comprendrez le bonheur que j'éprouve à lancer aujourd'hui, à Metz, la vingt-neuvième édition des journées européennes du patrimoine. Et ce bonheur ne vient pas seulement des liens forts qui m'attachent à cette ville : il résulte aussi des efforts constants poursuivis ici en faveur du patrimoine. Metz, déjà doté d'un secteur sauvegardé que vous avez, Monsieur le Maire, largement développé, va conclure tout à l'heure avec l'Etat une convention en faisant une ville d'art et d'histoire, et j'aurai l'honneur et le plaisir de la signer. Je sais que les ambitions de Metz en matière de patrimoine ne s'arrêtent pas là, que cette reconnaissance déjà remarquable de son patrimoine en appellera, le moment venu, d'autres, et je m'en réjouis beaucoup.
Je viens de visiter le chantier de la tour de la Mutte, sous la conduite de M. Bottineau, architecte en chef des monuments historiques, et j'ai pu apprécier le travail accompli par les maçons et les tailleurs de pierre, sous le contrôle des services des monuments historiques, pour restituer la beauté de ce chef d'oeuvre. J'ai constaté, une fois encore, le très haut niveau de qualification des professionnels du patrimoine, qu'il s'agisse des entreprises ou des fonctionnaires du ministère de la culture, engagés pour mener à bien des opérations de ce type. Ce professionnalisme permet à l'Etat d'investir en toute confiance pour mener à bien cette restauration.
Chacun pourra se rendre compte, lorsque le chantier sera achevé en 2014, de l'ampleur et de la qualité du travail accompli.
Nous aimons notre patrimoine : c'est une passion française. Et comment ne pas l'aimer, comment ne pas se réjouir de pouvoir bénéficier, dans toutes nos régions, de ces monuments splendides, de ces paysages magnifiques, témoins de notre histoire, de notre travail et de notre aspiration à la beauté ? La France compte aujourd'hui 38 monuments et sites inscrits par l'UNESCO au patrimoine de l'humanité, ce qui illustre parfaitement l'exception française en matière de patrimoine. La plus récente de ces inscriptions, celle du bassin minier uni du Nord-Pas-de-Calais, m'a, vous le savez, particulièrement réjouie. Elle prouve que le patrimoine est multiple, qu'il ne se limite pas aux monuments dédiés au pouvoir et à la spiritualité. Notre patrimoine, c'est aussi celui du monde du travail et, sans la mobilisation des mineurs et de leurs enfants pour préserver ces sites miniers, la France n'aurait jamais obtenu cette nouvelle distinction internationale.
Notre passion pour le patrimoine se manifeste aussi par le succès constant, depuis près de trente ans, de ces journées que l'on doit à Jack Lang et qui rassemblent aujourd'hui 12 millions de visiteurs. Il est peu de manifestations qui correspondent aussi bien à l'objectif fixé par Malraux au ministère de la culture : mettre à la portée de tous les chefs d'oeuvre de l'humanité. Durant les deux jours qui viennent, nous pourrons pénétrer dans bien des lieux habituellement fermés au public et en découvrir les trésors cachés. Je souhaite que, cette année encore, les visiteurs soient toujours plus nombreux à profiter de cette chance et à manifester ainsi la force de leur attachement au patrimoine.
Cet attachement est justifié à plus d'un titre, et c'est sur le rôle majeur que joue notre patrimoine pour notre développement économique, nos emplois et notre cohésion sociale que je voudrais insister à présent, car ces aspects ne sont pas suffisamment soulignés.
Ainsi, une étude nationale réalisée en 2009 sur les retombées économiques et sociales du patrimoine évalue à plus de 5 milliard d'euros le chiffre d'affaires des seules entreprises et artisans travaillant à la restauration du patrimoine protégé. C'est dire si l'investissement accompli par l'Etat, les collectivités territoriales et les personnes privées pour restaurer ce patrimoine bénéficie à l'activité économique. Et cet investissement, ce travail accompli par nos entreprises contribue évidemment à l'attractivité de notre territoire. Si la France est la première destination touristique au monde, c'est largement grâce à son patrimoine.
Cette même étude de 2009 évalue les retombées économiques du tourisme patrimonial à plus de quinze milliards d'euros. J'ai demandé à l'inspection générale des affaires culturelles de réaliser une étude globale relative à l'impact de la culture sur notre économie, afin de bénéficier de données actualisées sur ce point et de mieux cerner la contribution de la culture à la croissance. Je vais solliciter auprès de M. le Ministre de l'économie et des finances la participation de l'inspection générale des finances à cette étude.
Mais le patrimoine, c'est aussi un gisement d'emplois. Ce secteur est riche d'une grande diversité de métiers, depuis les agents publics en charge du patrimoine jusqu'au spécialistes de la restauration du patrimoine protégé en passant par les guides. Au total, ce secteur représente près de 100 000 emplois, toujours selon l'étude nationale de 2009. En ce n'est pas seulement le nombre, mais aussi le haut niveau de qualification de ces emplois qu'il faut souligner. Je pense, bien sûr, aux emplois publics, et je tiens à saluer le grand professionnalisme des architectes en chef des monuments historiques, des architectes des bâtiments de France, des conservateurs, des documentalistes et des autres fonctionnaires de ce secteur : ces spécialistes du patrimoine sont les garants d'un entretien et d'une restauration des édifices protégés qui respecte leur histoire et leur esthétique. La beauté de notre patrimoine leur doit beaucoup. Mais il faut aussi mentionner l'emploi privé des entreprises spécialisées et des métiers d'art. Et je n'oublie pas, enfin, l'ensemble des emplois rémunérés par des fondations ou associations pour la restauration des édifices. Ainsi, la fondation du patrimoine emploie-t-elle, grâce, notamment, aux ressources qu'elle retire du mécénat, des jeunes en difficulté sur les chantiers qu'elle anime : c'est une très belle illustration de ce que le patrimoine peut apporter à la réinsertion. Il existe donc un secteur professionnel à part entière dans le domaine du patrimoine, mêlant des métiers très divers, mais dont le point commun est le haut niveau des compétences requises.
Je tiens à souligner l'attractivité de ce secteur pour les jeunes désirant exercer des métiers qualifiés et valorisants, et c'est dans cette perspective, notamment, qu'un concours d'architectes en chef des monuments historiques sera ouvert en 2013, ce qui ne s'était pas produit depuis plusieurs années.
Le patrimoine, c'est, enfin, la cohésion sociale. Admirer la qualité d'un monument ou la beauté d'un site, c'est se livrer à la plus simple des pratiques culturelles. Le patrimoine est accessible à tous, et, pour cela, profondément populaire : en attestent, bien sûr, le succès constant des journées européennes du patrimoine, mais aussi la fréquentation toujours en hausse de nos monuments. C'est aussi le terreau d'un débat public passionnant et passionné autour de la protection des édifices et des modalités de leur restauration. Ce débat, animé notamment par le monde associatif, est sain car il atteste de l'actualité des questions posées par le patrimoine : que peut-on détruire, que doit-on conserver, à quel prix ?
C'est, enfin, la manifestation tangible du lien que nous pouvons tous construire entre notre passé et notre avenir. Dans la période difficile que nous traversons, je suis convaincue que la force de ce lien est pour nous une source d'optimisme.
Mesdames et messieurs, je souhaite que mon action permette de placer le patrimoine au coeur de la modernité. Le patrimoine, ce n'est pas le luxe, le supplément d'âme ou la nostalgie, c'est la création de richesses, l'emploi et le lien social par la culture.
Et c'est forte de cette conviction que j'ai demandé aux services du ministère de la culture de préparer un projet de loi sur le patrimoine que je souhaite soumettre à la concertation interministérielle en 2013. Je souhaite que ce projet de loi porte non seulement sur les édifices protégés, mais aussi sur les autres domaines constitutifs de notre patrimoine, qu'il s'agisse de l'archéologie, des archives ou des musées.
Trois raisons principales m'amènent à m'engager dans cette voie.
La première tient à la nécessité d'actualiser le droit du patrimoine en fonction des évolutions récentes que ce secteur à connues. Notre droit du patrimoine repose, en effet, sur de grandes lois fondatrices qui, pour certaines d'entre elles, sont relativement anciennes : la loi de 1913 sur les monuments historiques, celle de 1930 sur les sites, dont l'application relève du ministère chargé de l'environnement, ou encore celle de 1962 sur les secteurs sauvegardés, dont nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire. Toutes ces lois, précieuses, ont évidemment été modifiées au fil du temps, mais il me paraît nécessaire de les reconsidérer, aujourd'hui, en fonction des enjeux actuels de la préservation du patrimoine. Par exemple, l'impact d'une inscription au patrimoine de l'humanité, qui concerne aujourd'hui, je l'ai dit, trente-huit biens français et, je l'espère, plus encore à l'avenir, n'a pas de véritable conséquence dans notre droit national du patrimoine. Cela est évidemment préoccupant, et il faut trouver les voies et moyens de mieux contrôler cette protection avec nos outils juridiques nationaux. Un même constat peut être fait s'agissant de la protection des paysages : notre droit est conçu pour protéger les périmètres des édifices remarquables et, dans leurs limites spatiales, les plus beaux sites. Mais on voit bien aujourd'hui que cette conception de la protection, parfaitement nécessaire, ne permet pas de répondre entièrement aux questions si actuelles de l'étalement urbain non maîtrisé dans les périphéries urbaines et de ses conséquences négatives sur notre environnement naturel, mais aussi esthétique. Je compte aborder aussi cette question, en coordination parfaite, notamment, avec les ministères du logement et de l'environnement. Enfin, j'ai, comme vous le savez, souhaité qu'un livre blanc soit rédigé sur l'archéologie préventive. Si les conclusions de la commission chargée de cette mission, que j'installerai en octobre prochain, conduisent notamment à actualiser la loi de 2001 applicable à ce domaine, un projet de loi sur le patrimoine sera un excellent vecteur pour cela.
La deuxième raison résulte de ce que j'estime être un certain affaiblissement de la protection juridique de notre patrimoine depuis quelques années. Je ne défendrai jamais le « tout patrimonial » et, parce que mon expérience d'élue me rend consciente des réalités du terrain, parce que je suis aussi la ministre de la création, je sais qu'il serait irresponsable de figer notre pays dans un glacis de protections faisant obstacle à l'innovation. Pour autant, j'estime, et je ne suis pas la seule à le dire, que certaines évolutions législatives récentes, comme celle, par exemple, faisant disparaître d'ici à 2015, toute protection patrimoniale dans les communes qui n'auront pas eu la possibilité de créer des aires de valorisation du patrimoine, sont très discutables. Je serai, notamment, très attentive, dans cette perspective, aux conclusions que rendra, d'ici la fin de l'année, le groupe de travail animé par le service du patrimoine de la direction générale des patrimoines – je tiens à saluer l'action de Mme Isabelle Maréchal, qui dirige ce service – et consacré à l'évaluation des réformes récentes des procédures de travaux sur les monuments historiques. Les conclusions de ce groupe, mettant en présence l'ensemble des acteurs du secteur, y compris les entreprises de restauration et les associations de défense du patrimoine, pourront contribuer très utilement à la préparation du projet de loi.
La troisième raison, à mes yeux la plus importante, est l'exigence d'une vision d'ensemble du droit du patrimoine. Ce droit a évidemment évolué depuis quelques années, mais soit dans le cadre de législations spécifiques à un secteur particulier du patrimoine, comme la loi sur les archives de 2008, soit en conséquence de grandes lois ayant un objet principal différent, telles notamment les législations dites « Grenelle » ou les lois de simplification du droit. Il en résulte que le législateur s'est prononcé, pour ainsi dire, de façon incidente sur le patrimoine, sans être amené à se pencher sur l'équilibre d'ensemble du droit qui lui est applicable. Or, cette approche globale du patrimoine est indispensable pour permettre à la représentation nationale de se poser, enfin, des questions essentielles pour ce domaine : pourquoi conserver, comment articuler conservation et innovation, quels bénéfices économiques, sociaux et culturels peut-on attendre du patrimoine ?
Mesdames et messieurs, si je propose que ces questions soient posées, c'est parce que j'ai la conviction que les réponses apportées, le moment venu, par le législateur ne pourront que bénéficier au patrimoine. Depuis mon arrivée au ministère de la culture, je constate, dans tous mes déplacements, l'apport considérable du patrimoine pour relancer l'activité économique d'une ville, pour faire évoluer positivement l'image d'un territoire, pour, en un mot, faire progresser le sentiment individuel et collectif de bien-être. Cela est vrai à Albi, dans le bassin minier et, ici, à Metz. Les élus, quelle que soit leur tendance politique, le savent. Ce qui fonctionne à l'échelle d'une ville, d'un territoire, d'une région, fonctionnera aussi à l'échelle de notre pays. En cette période difficile, le devoir des responsables publics est aussi d'imaginer ce qui pourra, dans dix ans, contribuer à notre richesse et à notre bonheur. Le patrimoine ne sera pas seul à jouer ce rôle, mais je suis persuadée qu'il le jouera. Préserver notre patrimoine, c'est préparer notre avenir.
Je vous remercie.Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 19 septembre 2012