Déclaration de M. Vincent Lurel, ministre des outre-mer, sur l'élaboration d'un cadre global pour les interventions de l'UE dans les régions ultrapériphériques, l'adaptation des politiques européennes aux spécificités des RUP et la coopération régionale entre les RUP et leur environnement régional, aux Açores le 14 septembre 2012.

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Circonstance : 18e Conférence des présidents des régions ultrapériphériques d'Europe, à Horta, aux Açores (Portugal) le 14 septembre 2012

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Commissaire,
Madame et Messieurs les Présidents de région,
Mesdames et Messieurs,
"Comment faire de la construction européenne un mode de développement solidaire générant des effets bénéfiques pour tous et prévenant la déstabilisation des régions les plus défavorisées ? (…). Les DOM, dans leur juste revendication d’une plus grande solidarité, d’une plus grande cohésion économique et sociale ne sont plus isolés, mais ils gardent une spécificité qui ne pourra jamais réduire leurs difficultés à celles de régions périphériques de la communauté. (…). Il y a quelque chose de très particulier dans la relation privilégiée entre la communauté et les DOM, qui doit être dynamisée au profit de tous, principalement sur trois plans :
* la définition d’un cadre approprié pour les interventions communautaires dans les DOM ;
* l’adaptation des politiques communes aux DOM ;
* la promotion d’une coopération régionale".
Ces quelques mots ne sont pas de moi. Ils résonnent familièrement et pourtant ils ne datent pas d’aujourd’hui.
Ils ont été prononcés, il y a 25 ans, par Jacques Delors, alors président de la Commission européenne.
Avouons-le. Le diagnostic ainsi posé est étrangement d’actualité, aujourd’hui encore.
Sommes-nous, pour autant, restés inertes ? Je ne le crois pas. Beaucoup a été fait pour assurer un meilleur développement de nos territoires, notamment grâce à la politique de cohésion. Mais, il faut reconnaître que les résultats ne sont pas encore à la hauteur des attentes légitimes de nos concitoyens.
Aujourd’hui, nous sommes face à une urgence. Nul ici ne l’ignore.
La crise que connaît l’Union est ressentie bien plus violemment dans les outre-mer où les populations sont plus fragiles, les entreprises plus endettées. Au moment où les piliers de nos sociétés sont ébranlés, nos régions ultrapériphériques payent assurément le plus lourd tribut : un chômage dont la croissance paraît inexorable, des secteurs économiques atones, un coût social croissant et exorbitant, une concurrence qui frappe durement des économies, je le disais, fragilisées…
Face à ce constat que nous partageons tous et malgré les moyens mis en œuvre, comment expliquer que nous n’ayons pas encore su trouver les outils pour agir durablement et efficacement ?
Je ne veux pas épiloguer sur une querelle juridique sur la portée de l’article 349. Elle me paraît aussi virulente, irréconciliable et finalement vaine que celle entre les Anciens et les Modernes. Ce n’est, de mon point de vue, qu’un prétexte pour s’empêcher d’agir.
Ma conviction est que nous disposons de toutes les garanties pour faire évoluer la situation. Car il ne s’agit, en définitive, que de respecter la lettre et l’esprit du traité.
Le principe est d’ailleurs simplement énoncé : si les dispositions du traité et du droit dérivé s’appliquent de plein droit aux régions ultrapériphériques, il reste possible d’adopter des mesures spécifiques en leur faveur, dans la mesure et aussi longtemps qu’il existe un besoin objectif de prendre de telles mesures en vue d’un développement économique et social de ces régions (déclaration n°26, relative aux régions ultrapériphériques annexée à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Maastricht). Cette déclaration est limpide et rien ne permet de différer davantage la mise en œuvre de dispositifs spécifiques.
Voilà pour le principe.
Quels sont les facteurs susceptibles de justifier la mise en œuvre de mécanismes particuliers. L’article 349 cite expressément six éléments objectifs : "l’éloignement, l’insularité, la faible superficie, le relief, le climat difficile, la dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement au développement de ces régions " précise ce même article. Va-t-on nous expliquer que ces handicaps structurels sont en cours de résorption ? Va-t-on nous dire que ces facteurs sont intrinsèquement porteurs de développement ? Osera-t-on nous soutenir que ces handicaps sont temporaires ?
Mais, si ces handicaps, physiques pour la majorité d’entre eux, sont permanents et incontestés, comment nous expliquera-t-on alors que les dispositifs pour les compenser soient temporaires ? Espère-t-on réellement atténuer ainsi ces handicaps physiques ? Je m’inscris aujourd’hui dans l’urgence que je ressens en provenance de nos différents territoires, et pas seulement nos territoires français. Certains d’entre vous ont d’ailleurs attiré mon attention sur des situations tout aussi alarmantes.
Je le répète : le traité nous offre des outils, utilisons-les, et utilisons-les maintenant !
Ma démarche se veut à la fois transversale et de moyen terme.
Transversale, parce que je crois que nous devons adopter une approche globale, pas seulement axée sur la politique de cohésion, car nous devons nous projeter sur le périmètre tout entier du marché intérieur. Démarche également de moyen terme, parce que je suis convaincu que nous devons inscrire notre initiative dans une vision renouvelée de la relation entre les RUP et l’Union.
Nombreux ont été ceux avant moi qui ont posé le même diagnostic. Nombreuses ont été les propositions avancées par les uns et les autres qui – hélas ! – le plus souvent ne se sont pas concrétisées.
Ce que je souhaite aujourd’hui, c’est précisément vous convaincre du bien-fondé de cette initiative et vous proposer des voies de progrès, pour peu que nous ayons la volonté politique collective de fonder les relations de nos RUP avec l’Union sur des bases plus équitables pour effectivement tenir compte de leurs vulnérabilités.
Mon analyse est que nous sommes tous, oui tous collectivement, intéressés à cette évolution. Je n’ignore pas que des réflexions ont actuellement cours au sein de la Commission et de la présidence chypriote. Je sais que vous tous, présidents de RUP, avez des propositions très concrètes à formuler. Alors je vous invite à écrire ensemble une nouvelle page.
Ainsi donc, comment procéder pour conjuguer efficacité et urgence ?
Il y a, à mon sens, deux écueils à éviter : celui de s’écarter du droit positif ; et celui de se lancer dans un schéma peu opérationnel et peu lisible.
Ce qui a guidé ma réflexion, c’est un souci de pragmatisme.
Très concrètement, j’ai analysé toutes les propositions formulées lors des différentes communications de la Commission européenne, ces dernières années, dans les déclarations finales des conférences des présidents des RUP, dans les rapports ad hoc, et notamment le rapport Solbès. Ce ne sont pas tant les propositions qui manquent… Elles doivent être maintenant mises en œuvre.
Je vous propose d’engager trois chantiers d’amélioration parallèles :
1/ 1er axe : élaborer un cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP
Ce cadre pourrait prendre la forme d’un "règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d’avenir dans les RUP".
Ce cadre ad hoc doit assurer le développement de nos économies avec des règles adaptées à leurs spécificités et contribuer directement au désenclavement de ces territoires. Les filières bénéficiaires de ce cadre spécifique pourraient être : les énergies renouvelables, les TIC, le transport, le tourisme, les filières innovantes, ou encore le bois en Guyane.
Ce cadre permettrait de décliner un "plan d’actions" pour des filières identifiées comme stratégiques dans les DOM.
Ce plan d’actions pourrait être validé sur la base d’un programme annuel comme sur le modèle du POSEI.
Pourquoi le POSEI ? Parce que je constate que ce programme a été construit sur mesure pour les RUP, d’abord dans une logique plurisectorielle avant d’être réduit au volet agricole. Or, aujourd’hui, le POSEI fonctionne : il est adapté à leurs contraintes, il est ajustable et il donne de bons résultats. Il nous faut donc nous inspirer de ce programme pour l’étendre à d’autres filières, au moins dans son esprit, si ce n’est dans son mode opératoire.
Je crois qu’il est de notre devoir d’introduire également dans ce cadre ad hoc spécifique aux RUP un volet social fort. Je sais qu’il s’agit d’une priorité de la Commission européenne et des RUP. C’est aussi, dois-je le rappeler, une priorité du gouvernement auquel j’appartiens. Priorité, donc, à la lutte contre le chômage, notamment des jeunes, lutte contre le décrochage scolaire, mobilisation de tous les acteurs, notamment de ceux de l’économie sociale et solidaire. Ce sont précisément les engagements clés du président François Hollande envers les outre-mer.
Ce règlement plurisectoriel doit constituer la traduction de notre engagement à donner aux RUP une feuille de route pour construire leur développement.
2/ 2ème voie : des déclinaisons sectorielles de l’article 349 permettant l’adaptation des politiques européennes aux spécificités des RUP
Les domaines dans lesquels l’article 349 pourrait être davantage mobilisé sont nombreux.
Je vous propose de cibler notre effort sur un certain nombre de domaines, essentiels pour le soutien des économies locales. Je suis favorable à la définition d’un cadre juridiquement sûr et lisible pour nos RUP, leur permettant sur le long terme de compenser les handicaps structurels auxquelles elles doivent faire face.
Nous devons agir sur plusieurs leviers :
* Les aides d’Etat : il s’agit d’un levier important au bénéfice des économies ultramarines. Il nous faut ouvrir le débat sur une exemption de notification, sous certaines conditions, des aides aux entreprises octroyées dans les RUP, tous secteurs confondus, ou sur l’ajout d’une catégorie spécifique pour les RUP dans le règlement général d’exemption par catégorie (RGEC) afin d’exempter de notification : les aides à l’investissement à finalité régionale dans les RUP ; les aides au fonctionnement dans les RUP ; les aides à l’investissement dans les pays tiers afin de renforcer la coopération régionale. La période qui s’ouvre avec la renégociation du cadre des lignes directrices des aides à finalité régionales (AFR) pour 2014-2020 doit être l’occasion de sanctuariser un cadre spécifique pour nos régions notamment s’agissant du maintien des plafonds d’intensité des aides à l’investissement.
* Le maintien des dérogations en matière fiscale et douanière pour les RUP : j’ai en tête notamment l’octroi de mer pour lequel nous ferons des propositions d’amélioration du régime.
* L’introduction ou le maintien d’adaptations spécifiques aux RUP dans les encadrements sectoriels : RDI, agriculture, pêche. Ces secteurs sont essentiels pour soutenir le développement de nos régions. J’ai déjà évoqué la question du volet agricole pour lequel il me semble que le POSEI constitue un instrument approprié. La question de la pêche doit également être traitée pour adapter la politique commune de la pêche (PCP) aux RUP. A cet effet, il faudra introduire dans les règlements PCP et FEAMP des dispositions spécifiques aux RUP (introduction de mécanismes de compensation pour favoriser l’exportation, aide aux marchés locaux, aide au renouvellement de la flotte de pêche, mise en place de conseils de concertation régionaux….).
S’agissant des programmes transversaux de l’UE. L’accès des RUP à ces programmes doit être systématisé dans les règlements régissant ces programmes et leur mise en œuvre considérablement simplifiée pour les RUP.
Deux exemples : aujourd’hui le programme ERASMUS ne permet pas la prise en charge financière du transport de l’étudiant originaire d’une RUP entre sa région et la capitale de son Etat membre. Reconnaissez avec moi que c’est tout simplement ubuesque. Soit on adapte le programme "Erasmus pour tous" pour mieux répondre aux besoins des RUP, soit on met en place un programme Erasmus spécifique pour les RUP qui se déclinerait dès lors par zones : océan Indien, océan Atlantique, Antilles-Guyane.
L’inadéquation est également évidente pour le Programme Cadre de Recherche et Développement (PCRD) : les RUP ne parviennent pas à l’heure actuelle à répondre aux appels à projets du 7ème PCRD (2007-2013) compte tenu de critères exigeants qui ne tiennent pas compte de leurs caractéristiques (ex : exigence d’associer plusieurs organismes de recherche de plusieurs pays membres de l’UE). Pourquoi ne pas prévoir la possibilité de lancer des appels à projets spécifiques pour les RUP à l’instar du programme BEST pour la biodiversité ?
3/ Dernier axe sur lequel je vous propose d’agir : la coopération régionale entre les RUP et les pays tiers pour favoriser leur insertion régionale
Là encore, je suis convaincu que nous pouvons agir rapidement sur plusieurs sujets.
J’ai en tête plusieurs initiatives qui contribueraient à renforcer significativement les RUP dans leur environnement régional :
* La négociation de dérogations aux normes européennes pour l’approvisionnement en provenance des pays tiers voisins : intrants agricoles, carburants, matériaux de construction. Ce serait un signal très fort d’un changement d’approche.
* La possibilité d’aide au démarrage de nouvelles lignes de transports avec les pays tiers. Ceci suppose d’inclure les connexions des RUP avec les pays tiers voisins dans le réseau des "autoroutes de la mer".
* L’Allocation spécifique RUP : l’idée serait de rendre éligible à l’aide au fret les intrants en provenance des pays tiers voisins. Cette aide pourrait également contribuer au lancement de nouvelles lignes de transport de personnes et de marchandises entre îles d’un même espace géographique.
* l’harmonisation des interventions du FED et du FEDER dans une même zone géographique pour faciliter la coopération. Actuellement, les actions de coopération sont ralenties par ces difficultés de financement, ce constat est partagé par tous. Nous pouvons introduire les adaptations nécessaires aux règlements en cours de négociation pour permettre le cofinancement par le FEDER et le FED d’actions de coopération régionale ou étudier l’hypothèse d’un organisme qui recueillerait les fonds FEDER et FED pour financer les projets communs.
Ces propositions ne sont évidemment pas exhaustives. Elles doivent être enrichies par les contributions de chacun. Mais on ne peut pas s’arrêter là. Il nous faut maintenant définir une stratégie pour porter ces propositions.
La conjonction de l’actuelle refonte des règlements européens, des travaux de révision des lignes directrices sur les aides à finalité régionale, et de la prochaine re-notification du régime d’octroi de mer constitue une réelle opportunité de renforcer le régime juridique opposable aux RUP afin de lever les obstacles qui empêchent la prise en compte réelle et effective de leurs handicaps.
Je nous invite à nous extraire d’une logique incantatoire. Il est temps d’agir. Je souhaite donc très concrètement que des réunions puissent se tenir dès que possible pour mener à bien les propositions qui auront reçues l’appui de tous. A court terme, j’envisage de confier à Serge Letchimy, président du conseil régional de Martinique, une mission pour identifier par secteurs les mesures les plus opérationnelles pour améliorer significativement l’accès des RUP au marché intérieur. Il faudra que ce travail se poursuive avec chacun d’entre vous et surtout avec la Commission. Je sais que le commissaire Hahn est particulièrement attentif à ces problématiques et nous avons besoin de lui pour porter notre voix auprès de ses collègues, car c’est bien d’une mobilisation entière de la commission dont nous avons besoin aujourd’hui. Mes services contacteront sans délai ceux de la Commission pour convenir d’une feuille de route.
Vous me trouverez toujours disponible pour trouver des solutions innovantes, adaptées à nos territoires et respectant les principes de l’Union. Nos RUP sont indéfectiblement attachées à l’UE. Je suis persuadé que collectivement nous pouvons réaliser des avancées constructives au bénéfice de tous.
Je vous remercie.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 20 septembre 2012