Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur les enjeux liés à la réforme du financement de la protection sociale, à Paris le 26 septembre 2012.

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Circonstance : Installation du Haut Conseil du financement de la protection sociale, hôtel de Matignon, à Paris le 26 septembre 2012

Texte intégral

Madame la présidente, mesdames et messieurs les ministres, en installant le Haut Conseil du financement de la protection sociale j’ai conscience d’ouvrir un chantier à la fois majeur, mais particulièrement difficile.
Mais c’est avec d’autant plus de détermination et de sans des responsabilités que je le fais aujourd’hui.
La question que nous nous posons tous je crois c’est comment faire évoluer le financement de notre système de protection sociale. Mais sur les solutions à l’évidence il n’y a pas consensus. Il n’y a sans doute pas encore consensus sur le diagnostic lui-même. Pourtant le gouvernement et les partenaires sociaux – et je les en remercie - ont accepté lors de la grande conférence sociale de juillet dernier d’en faire l’un des chantiers majeurs de la feuille de route sociale. J’en suis heureux et je voudrais encore une fois remercier tous ceux et celles qui sont là aujourd’hui, qui ont accepté de siéger dans cette instance, parce que c’est un engagement en effet que vous avez accepté de faire en toute transparence mais aussi et j’y suis particulièrement attentif au respect des auditions de chacun.
Cette volonté de transparence et d’écoute nous a amenés à donner vie à cette instance permanente de dialogue et d’étude sur le financement de la protection sociale que sera le Haut Conseil. On me dira que le précédent gouvernement avait déjà crée ce Haut Conseil, c’était par un décret du 29 mars 2012, c’est vrai, mais s’agissant des décisions, très importantes, elles ont été annoncées, et certaines même votées – je pense à la fameuse TVA dite sociale - la concertation suivait la décision au lieu de la précéder.
Eh bien finalement le Haut Conseil n’a jamais été réuni et la création de ce Haut Conseil, à condition de le rétablir dans sa mission, n’en était pas moins une bonne idée. Nous l’avons donc conservé par un décret du 20 septembre 2012, tout en le faisant évoluer. Conformément au rôle que je souhaite qu’il joue. J’ai notamment voulu qu’il me soit directement rattaché et procédé personnellement aujourd’hui à son installation, parce que son objet est central, pour répondre à la situation économique et sociale actuelle, parce que les dossiers qu’il traitera mobiliseront tout le gouvernement ; en témoigne la présence à mes côtés du ministre de l’Economie et des Finances, de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, du ministre du Travail, de la Formation professionnelle et du dialogue social, et du ministre délégué au Budget. N’en doutez pas, mesdames, messieurs, ils suivront avec une grande attention vos travaux. Mais enfin, personne ne vous dictera ce que vous allez écrire, car je veux que vous puissiez travailler avec la même indépendance que les Hauts Conseils qui existent déjà. Vous les connaissez bien, je pense au Conseil d’orientation des retraites, crée en 2000 pour Lionel Jospin et qui s’est immédiatement imposé comme une référence en matière de dialogue social. Je pense aussi au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, dont le récent rapport, sur les parcours de soin, fait aujourd’hui consensus. Je pense au Haut Conseil de la (coupure) ou encore au Haut Conseil d’orientation de l’emploi.
La démarche qui a inspiré la création du COR, reprise ensuite pour les autres instances doit guider votre fonctionnement. Un travail technique approfondi, tant sur le diagnostic que sur les réformes envisagées, la recherche de consensus sur les éléments de diagnostics et l’échange sur les réformes dans un esprit de respect mutuel.
Je vous l’ai dit tout à l’heure avec la question du financement de la protection sociale, vous vous attaquez, j’ai conscience, le gouvernement s’attaque à un sujet très difficile. Je voudrais d’abord réaffirmer devant vous quelles sont les valeurs qui nous guident ? Ce sont les valeurs de solidarité et de justice qui sont la condition du progrès social mais aussi du développement économique durable de notre pays. La solidarité c’est que tous financent la sécurité sociale, chacun en fonction de ses moyens. La justice c’est que tous bénéficient de la couverture sociale, chacun en fonction de ses besoins. Et ces deux notions - il est toujours important dans les périodes difficiles d’incertitude, de revenir aux fondamentaux - ces deux notions ont été très bien exprimées dans l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945, inspiré par l’esprit de la résistance. Et je voudrais citer ce grand texte, en tout cas un extrait :
"La sécurité sociale est une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe, et quant aux risques qu’elle couvre. Elle suppose une redistribution du revenu national, destiné à prélever sur le revenu des individus favorisés les sommes nécessaires pour compléter les ressources des travailleurs ou des familles défavorisées".
Ce texte était visionnaire et il semble mieux décrire notre système actuel d’ailleurs que la situation de 1945, où seulement 52 % des salariés étaient couverts par les assurances sociales ; et où l’assurance maladie ne couvrait que 50 % des frais de santé. Depuis, nous avons généralisé la couverture à l’ensemble des risques sociaux avec 100 % d’affiliés au régime de base. La couverture complémentaire, individuelle ou d’entreprise a elle aussi beaucoup progressé, et de grandes réformes comme la Couverture Maladie Universelle se sont efforcées de parachever un système de protection sociale que beaucoup nous envient.
La protection sociale est trop souvent d’ailleurs présentée comme une charge, comme un fardeau. D’ailleurs dans le langage courant on parle des charges sociales pour désigner les cotisations. On oublie que les prestations qu’elles permettent de financer participent du bien être individuel et collectif sans lequel une société ne saurait progresser y compris sur le plan économique. Le financement de ces prestations est lourd, certes, 650 milliards d’euros, soit près d’un tiers de la richesse nationale, mais il joue son rôle. Non seulement de solidarité, mais il a aussi un impact économique. C’est pourquoi il est impératif aussi que chaque euro prélevé soit bien utilisé. C’est pourquoi aussi nous devons être attentifs à ce que les modalités et les assiettes des prélèvements ne constituent pas un frein au développement de l’activité et de l’emploi. Bref, qu’elles ne pénalisent pas la création de richesse elle-même.
Il faut donc prendre le temps d’un regard sur l’évolution de nos modes de financement. Notre modèle de sécurité sociale a été construit autour de régimes gérés et financés par les différents secteurs d’activité, les entreprises, les exploitations agricoles, les travailleurs indépendants. Après 1945 le rejet d’un système étatique, financé par l’impôt, a conduit à privilégier des cotisations fondées sur une base professionnelle, ces cotisations ont représenté jusqu’à 90 % des recettes de la sécurité sociale. Puis dans les années 80, pour mieux asseoir la pérennité de notre système, est apparu le besoin de faire contribuer d’autres types de ressource. La première c’est la contribution sociale de solidarité des sociétés – CSSS - qui taxe le chiffre d’affaires des sociétés de taille importante, et qui a été affectée au financement du régime social des indépendants. Mais c’est surtout la création de la CSG qui a permis une importante diminution des cotisations sociales « famille » des employeurs et "maladie" des salariés. Le financement de notre protection sociale s’est donc depuis largement diversifié. Mais si on prend en compte le fait que la CSG affectée à la sécurité sociale pèse à 70 % sur les revenus d’activité, c’est toujours 77 % du financement global de la protection sociale qui pèse sur les salaires.
C'est ainsi à un triple défi que nous sommes confrontés. D’abord celui de la pérennité de notre système de protection sociale. En tout cas c’est le point de vue du gouvernement. On ne participe pas à cette idée qu’il faudrait diminuer ce système de protection sociale pour en assurer le financement. Le retour à l’équilibre des comptes sociaux et le financement de besoins nouveaux, je pense en particulier aux besoins nés du vieillissement de notre population, et en particulier à la réforme de la dépendance, de l’accompagnement, de la perte d’autonomie ; cela fait partie des engagements du président de la République. Tout cela requiert une politique de recettes lisibles, cohérentes, résistantes aux fluctuations de l’activité économique, et de l’emploi, et qui soient adaptées aussi aux dépenses que ces recettes financent.
Le deuxième défi c’est la clarification des financements des besoins de protection sociale. Il nous faut mieux distinguer ce qui relève d’une logique contributive, et ce qui doit relever de la solidarité nationale.
Et le troisième défi c’est la question de la compétitivité de notre économie, donc chacun sait qu’elle s’est dégradée ces dernières années. Mais cette compétitivité elle ne se résume pas à la seule question du coût du travail, elle recouvre un ensemble de facteurs : la capacité d’investissement, l’effort de recherche, l’innovation, la qualité de la formation des salariés, la qualité des infrastructures. Mais il faut le reconnaitre, elle passe aussi par la question du coût du travail surtout dans les secteurs exposés à la concurrence internationale.
Je ne parle pas ici évidemment de notre compétitivité vis-à-vis de la Chine, mais plutôt de notre compétitivité vis-à-vis de nos partenaires européens. En tout cas ceux qui sont les plus performants.
Cette question nous ne pouvons plus l’ignorer, car il s’agit là de l’avenir de notre industrie, il s’agit de l’avenir de nos emplois industriels, il s’agit de l’avenir au fond de notre compétitivité nationale. C’est pourquoi nous devons traiter les sujets de la compétitivité-coût des entreprises françaises et des modalités de financement de la protection sociale.
La feuille de route sociale consigne l’engagement que nous avons pris d’une réforme du financement de la protection sociale qui intègre sans tabou cette question de la compétitivité. Le gouvernement est déterminé à tenir cet engagement, mais vos travaux prennent là encore davantage toute leur importance. Ils devront nous éclairer dans l’élaboration de ces réformes. Ils doivent permettre de structurer les analyses et les discussions avant que les décisions soient prises.
Et conformément à votre mission, il vous revient d’abord de dresser un état des lieux du système de financement de la protection sociale, d’analyser ses caractéristiques et ses changements toutes ces dernières années. Ces éléments, nous en avons besoin avant la fin du mois d’octobre 2012.
Bon, je suis conscient du caractère très exigeant de ce calendrier – je vous vois réagir – mais en même temps, je sais aussi que de nombreux travaux sont disponibles, on ne part pas de rien, sinon ça serait impossible. Et tous ces travaux devraient vous permettre de respecter cette étape en tout cas du calendrier.
Et sur la question de la compétitivité – j’y reviens – vous savez aussi la nécessité d’avancer rapidement, je vous saisirai, dès la fin du mois d’octobre, après cette première phase des orientations retenues par le gouvernement au vu notamment du rapport qui est confié à monsieur Louis Gallois et dont nous aurons connaissance prochainement, et qui conduira à un travail des membres du gouvernement.
A partir de ces orientations, vous identifierez différents scénarios permettant un financement de la protection sociale, mais pesant moins sur le travail. Et surtout juste aussi dans la répartition des efforts demandés à chacun. Vous pourrez mesurer l’impact de chacun de ces scénarios sur le pouvoir d’achat des Français.
Car je ne veux pas m’engager dans la voie qu’avait retenue le précédent gouvernement, je le répète, une annonce non concertée sans analyse préalable de l’impact des mesures de financement déjà décidées, notamment en matière de pouvoir d’achat.
Vous disposerez d’environ trois mois pour procéder à ces analyses, et surtout, les discuter entre vous. Je le répète, je suis conscient que c’est un calendrier serré, mais la situation de notre pays exige aussi d’avancer. C’est une exigence que, évidemment, le gouvernement se fixe tous les jours. Mais je crois qu’elle concerne tout le monde. Et si vous êtes là, c’est parce que justement, vous en êtes parfaitement conscients.
Donc c’est aussi au nom de la croissance, c’est aussi au nom de l’emploi que nous ouvrons ce dossier. Mais je le sais, c’est un sujet difficile. Et il ne peut pas y avoir, comme ça, spontanément, de consensus évident. Mais j’espère cependant que l’analyse commune des problèmes – qui sont nombreux dans ce dossier – vous permettra un rapprochement de vos positions.
Ce que je souhaite, c’est pouvoir disposer de plusieurs scénarios de réformes, qui soient documentés, qui soient analysés sur le plan technique, mais aussi avec des appréciations des uns et des autres sur les différentes pistes de solution. Et sur la base de vos travaux, le Gouvernement sera ensuite amené à prendre ses décisions.
Mais ce premier sujet ne va pas épuiser l’ensemble des défis de moyen et de long terme auxquels est confronté le financement de la protection sociale. Je souhaiterais que vous puissiez poursuivre vos travaux dans les premiers mois de 2013, dans la perspective de l’équilibrage ou rééquilibrage dit durable des finances des organismes de protection sociale.
Cela passera par une évaluation, des besoins de financement à long terme de la protection sociale, et une analyse des autres évolutions souhaitables de la structure de financement.
Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a trouvé en madame Mireille Elbaum une présidente énergique, grande connaisseuse des questions qui vont vous occuper, mais aussi soucieuse d’assurer la meilleure des concertations, la meilleure des discussions et des débats.
Madame la présidente, je vous adresserai dans les tout prochains jours une lettre qui reprendra ces demandes et qui les précisera, mais je sais que je peux compter sur vous, que le Gouvernement peut compter sur vous.
Votre Conseil regroupe les meilleurs spécialistes de la protection sociale et de son financement. La présence en son sein des présidents des autres conseils permettra d’assurer une bonne articulation de leurs travaux respectifs. Je pense notamment à ceux que le Conseil d’orientation pour l’emploi va engager sur les aides aux entreprises, sur saisine de Michel Sapin, ministre du Travail, de l’emploi et du dialogue social.
Les directions de l’Etat vous appuieront – et vous me l’avez redemandé, Madame la présidente – vous appuieront en vous fournissant des données chiffrées et argumentées. Le secrétariat général du Haut Conseil du financement de la protection sociale vous apportera toute son aide, ainsi que des rapporteurs venus de tous les corps d’inspection de l’Etat.
Lors de la prochaine séance, qui aura lieu dès la semaine prochaine, madame Mireille Elbaum vous présentera, mesdames et messieurs, la méthode de travail qu’elle propose pour engager vos travaux. Et elle commencera à vous présenter des premiers éléments de diagnostic. Donc vous êtes prête et vous êtes donc mobilisée, mais vous êtes mobilisée d’abord parce que vous êtes là, je sais que vous en êtes consciente de la tâche qui vous attend. Mais en même temps, c’est avec la plus grande des motivations que vous êtes venue, soyez assurée de la détermination du gouvernement à conduire les réformes qui seront nécessaires.
Nécessaires pour le financement, mais nécessaires pour la préservation de notre système de protection sociale, qui est le coeur même du pacte de confiance entre les Français, et puis aussi, pour la compétitivité de notre économie. Et tout cela, pour contribuer à renforcer la cohésion sociale, mais aussi développer l’emploi, chacun mesure bien l’attente de nos concitoyens.
En tout cas, moi, je suis à votre écoute, comme je le suis à l’égard des autres conseils, que je le suis à l’égard de tous les partenaires sociaux, sans ce dialogue, sans cette écoute, nous ne pouvons pas prendre des décisions.
Mais je voudrais vous réaffirmer ici que dialogue, discussions, négociations ne doivent pas empêcher la décision, et les décisions seront prises. Mais je serai toujours attentif à vos propositions.
Car malgré ce que vous pouvez lire ici ou là, mais ça, bon, c’est comme ça, il y aura toujours des scénarios ou des informations qui ne sont pas validés et vérifiés dans la presse, mais ça alimente aussi le débat. Mais en ce qui concerne le Gouvernement, notre scénario n’est pas arrêté.
Et votre travail ne sera, certes, pas décisionnel, mais je vous le dis, il sera décisif pour nous éclairer. Je le répète, je suis conscient du rythme qui vous est demandé. Mais nous avons une telle responsabilité dans la période que je vous remercie à l’avance d’y participer.
Madame la présidente, je vous souhaite bon courage, ainsi que tous les membres du Haut Conseil. Encore une fois, merci d’avoir accepté d’y siéger.
Source http://www.gouvernement.fr, le 28 septembre 2012