Déclaration de MM. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, et Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, sur le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, à l'Assemblée nationale le 3 octobre 2012. <br>

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Circonstance : Discussion sur le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, à l'Assemblée nationale le 3 octobre 2012

Texte intégral

* Intervention du ministre des affaires étrangères
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés,
Je ne serai pas long, le Premier ministre ayant exposé hier avec pertinence les raisons pour lesquelles l'ensemble des textes qui vous sont soumis devaient être adoptés.
En outre, M. le ministre délégué chargé des affaires européennes développera dans un instant, avec le talent qu'on lui connaît, des arguments tout aussi probants.
Je souhaiterais pour ma part souligner deux points qui justifient, à notre sens, l'approbation de ce traité.
Auparavant, une remarque sur la question importante de la souveraineté. Nous pourrions en débattre à l'infini : elle a néanmoins été tranchée par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue en août dernier. Comme vous le savez, celui-ci a estimé que les dispositions du traité ne portaient aucune atteinte à la souveraineté nationale, rendant caduques les discussions qui pouvaient naître sur ce sujet.
Je n'interviendrai pas non plus dans le débat, relativement nourri, sur la notion d'austérité - le traité proposé va-t-il ou non dans le sens de l'austérité ? Je pense que la fixation d'un taux de 0,5 % en matière structurelle et la prise en compte de la notion de circonstances exceptionnelles ne changent pas grand-chose à la question de l'austérité qui relève d'une orientation politique générale qui n'est pas la nôtre. De plus, soyons précis : le budget présenté par le gouvernement est rigoureux en raison non des obligations créées par le traité, mais à cause de l'état de nos finances publiques. La situation que nous avons trouvée en arrivant au pouvoir ne nous a en effet pas laissé d'autre choix.
J'élimine donc ces thèmes, souvent développés mais qui ne me paraissent pas tout à fait pertinents dans notre discussion.
Je retiendrai seulement deux séries d'arguments.
Le premier argument porte sur le fait que nombre d'entre nous avons souhaité une réorientation de la politique européenne de la France. À l'examen du traité ainsi que des dispositions qui l'accompagnent - car elles ne peuvent en être détachées - l'on constate que cette réorientation est en route. Elle n'est certes pas terminée, loin de là, mais elle en constitue les premiers pas.
Comme vous le savez, et sans vouloir être trop abstrait, à la fin du mois de juin dernier a été adopté, sous l'impulsion notamment de la France, le pacte de croissance. Celui-ci va dans le sens d'une réorientation de la politique européenne. Les décisions concernant la Banque européenne d'investissement, les project bonds ou l'utilisation des fonds structurels, qui seront traduites d'ici quelques jours, représentent 240 milliards d'euros. Loin d'être une abstraction, ces montants financeront des projets dans chacune des régions ici représentées.
Au-delà du pacte de croissance existent aussi d'autres décisions, et reconnaissons que le sérieux budgétaire affiché par ce traité a contribué à en faciliter l'adoption. Ainsi, la décision relative à la supervision bancaire permettra d'améliorer la situation, même si le travail n'est pas terminé. Dès lors que la Banque centrale européenne contrôle ce qui se passe dans les différentes banques, nombre d'abus commis par le passé, et que vous aviez tous dénoncés, ne pourront plus se produire. En outre, la garantie des dépôts, que beaucoup d'entre nous réclamions depuis très longtemps, sera mise en place.
De même, la taxe sur les transactions financières, dont nous n'arrivions pas à obtenir la création alors que nombre d'entre vous l'appeliez de vos voeux, a enfin été adoptée. Le ministre de l'économie français et son collègue allemand viennent d'écrire à l'ensemble des membres de l'Union européenne concernés. Cette taxe sur les transactions financières fait désormais l'objet d'une coopération renforcée.
Il en va de même pour le fameux «mécanisme Draghi», dont M. Sarkozy - je ne reviendrai pas sur son bilan - n'avait jamais réussi obtenir la mise en place. Mes positions sur les questions européennes sont connues : je n'ai cessé de réclamer que la Banque centrale européenne sorte de son rôle initial et prenne à sa charge, de façon illimitée, les obligations à court terme émises par les États, afin de les soulager. C'est désormais chose faite. Voilà une mesure que nous demandons depuis de nombreuses années et qui n'est rendue possible qu'en raison du sérieux budgétaire et de la dimension de croissance.
Nous ne sommes pas sur pas au bout du chemin, mais on ne pourra pas passer à la deuxième étape si vous n'approuvez pas la première. Voilà pourquoi il vous est proposé d'approuver un début de réorientation de la politique européenne.
Un certain nombre d'entre vous se demandent s'ils doivent approuver ce traité, s'abstenir ou voter contre. Je m'adresserai plus particulièrement à ceux qui envisagent de ne pas voter pour. J'ai trop de respect pour leur position pour penser qu'ils sont dans une espèce de confort en estimant qu'ils peuvent voter comme bon leur semble puisque de toute façon la majorité approuvera ce texte. Mais que se passerait-il si la majorité de cette assemblée et du Parlement décidait de repousser ce traité ? D'abord, celui-ci continuerait d'exister puisqu'il y a suffisamment de pays qui vont l'approuver.
Ensuite, la France ne serait pas soumise à ce traité. Quelle serait alors la réaction inéluctable des marchés ? Dès lors que l'ensemble des pays de l'Union européenne, à l'exception de la France, auraient approuvé les mesures de sérieux contenues dans ce traité, point n'est besoin d'être un grand financier ou un grand économiste pour comprendre que la spéculation se déchaînerait immédiatement sur la France. Je peux malheureusement vous le garantir. Cela veut dire que les taux d'intérêt, qui actuellement sont faibles, augmenteraient et que la France serait obligée, indépendamment d'autres conséquences, de payer budgétairement beaucoup plus que ce qu'elle ne fait actuellement.
Il y aurait encore d'autres conséquences sur lesquelles je veux insister. Le mécanisme européen de stabilité qui a été adopté en 2010 prévoit, dans son dernier considérant, qu'il ne s'applique qu'aux pays qui ont adopté le traité dont nous parlons.
Cela signifie qu'au moment même où la France serait attaquée pour avoir refusé le traité, elle ne pourrait bénéficier des moyens du MES puisqu'elle aurait voté contre. Et cela va encore plus loin puisque ce que j'appelle de façon quelque peu triviale le mécanisme Draghi, qui permet à la Banque centrale d'intervenir pour alléger le fardeau des États, ne pourrait pas non plus s'appliquer à la France. Quand on regarde attentivement ce qui figure dans le mécanisme européen de stabilité et l'interprétation qu'en a donnée la Cour de Karlsruhe, on s'aperçoit que la Banque centrale européenne ne pourra intervenir pour soutenir les États en leur rachetant des obligations à court terme que si ces États ont présenté préalablement leur demande au mécanisme européen de stabilité.
Un vote négatif sur ce traité, comme le recommandent certains, aurait donc pour conséquence, dans un premier temps de déclencher une spéculation contre la France puis de la priver de la possibilité de résister à cette spéculation. Mesdames, messieurs les députés, je pense qu'aucun d'entre vous ne souhaite cela. Ce serait pourtant la conséquence mécanique d'un vote majoritaire contre ce traité.
Dès lors que ce texte amorce une réorientation de la politique européenne et que son refus entraînerait le déclenchement d'une spéculation contre la France et l'impossibilité d'y répondre, la conclusion s'imposera à nombre d'entre vous.
En conclusion, je souhaite m'adresser aux représentants de l'opposition qui vont voter ce traité, et leur dire que nous les remercions de leur soutien, même si nous apprécierions que les arguments qu'ils font valoir n'amoindrissent pas considérablement ce soutien.
Quant à la majorité, et là est probablement l'essentiel, je lui dirai que nous avons beaucoup de choses à faire pour développer la réorientation de la politique européenne. Au mois d'octobre, un premier sommet européen se penchera sur les problèmes de l'Espagne et d'autres, et au mois de novembre, une discussion fort importante aura lieu pour évoquer le cas de la Grèce et d'autres aspects. Nous devons aussi parfaire la supervision bancaire et définir le budget pour les prochaines années. Dans toutes ces occurrences, la voix de la France sera d'autant plus forte qu'elle représentera une Assemblée nationale et un Parlement unis.
À la majorité que je remercie de son soutien au gouvernement, je veux dire qu'il serait pour le moins légitime que cela se traduise par un nombre de votes nettement plus important que les votes de ceux qui s'apprêtent à adopter le texte mais qui conspuent le gouvernement.
C'est pourquoi je souhaite avec force, ayant souhaité comme beaucoup d'entre vous une réorientation de la politique européenne, qu'au moment où elle intervient, vous la souteniez massivement.
* Intervention du ministre délégué chargé des affaires européennes - extraits -
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés,
Je tiens tout d'abord à remercier le ministre des affaires étrangères pour les arguments très précieux qu'il vient d'exposer devant la représentation nationale et qui, au moment où nous devons faire un certain nombre de choix stratégiques pour l'Europe, permettent à la majorité de s'engager sur le bon chemin.
Je veux profiter de ce débat pour reprendre un certain nombre des interrogations qui ont été formulées au cours des dernières heures à cette tribune, dans la majorité comme dans l'opposition, et qui renvoient à des questions essentielles.
La première concerne l'avenir de l'Union européenne. Finalement, ce qui nous anime, nous mobilise, nous motive et nous conduit à vouloir convaincre la majorité, la gauche dans son ensemble et le gouvernement dans l'entreprise de réorientation de l'Union européenne dans laquelle nous nous sommes engagés, c'est la volonté très forte du président de la République de proposer pour l'Europe un autre projet que celui pour lequel elle était engagée depuis de nombreuses années.
Il est important, comme l'ont indiqué certains orateurs de la majorité ainsi que M. Lequiller, de profiter de ce débat pour clarifier les orientations que nous entendons faire prévaloir, le projet européen que nous voulons porter pour les cinq prochaines années et la dimension stratégique de l'entreprise : avec qui voulons-nous le faire, comment entendons-nous organiser nos relations avec l'Allemagne pour faire en sorte que ce que nous souhaitons faire prévaloir en termes de valeurs et de projets puisse l'emporter ?
Au moment où a lieu ce débat, je pense à tous les indignés qui manifestent dans les capitales européennes, à Lisbonne, à Madrid, à Athènes. Ces peuples inquiets qui souffrent de l'austérité et qui expriment des indignations justes nous envoient un message simple, clair, accessible à l'entendement de chacun de nous et dont nous devons tenir grand compte au moment où nous nous proposons ensemble de dire ce que nous voulons pour l'Europe. Ils nous disent ne plus pouvoir continuer à payer dans la désespérance et dans l'austérité, à perte de vue, la facture de la finance démente, de la spéculation déraisonnable qui a conduit l'économie financière à divorcer depuis longtemps de l'économie réelle jusqu'à voir les banques dans l'incapacité de financer les entreprises qui créent de la richesse et de la valeur sur les territoires. Ces peuples qui souffrent, qui sont à la peine, attendent un projet pour l'Europe qui les réconcilie avec elle.
Par-delà la souffrance qui leur est imposée, la crise économique, financière et monétaire qui ronge l'Europe depuis 2008 nous envoie une deuxième question, celle de la capacité de l'Europe, qui a toujours globalement suscité de l'adhésion depuis qu'elle a été posée sur les fonts baptismaux par ses pères fondateurs, à continuer à emporter cette adhésion.
Si nous ajoutons une couche de crise politique à la crise économique, financière, monétaire, dès lors que nous voyons par ailleurs que ceux qui manifestent leur hostilité à l'égard de l'Europe expriment aussi parfois de l'hostilité à l'égard des valeurs de la démocratie, on court le risque de ne pas voir l'Europe répondre rapidement concrètement au défi auquel elle est confrontée.
Je veux insister sur la volonté absolue du gouvernement de réconcilier les peuples d'Europe avec l'ambition européenne. Il faut faire en sorte que, face à la crise, il puisse rapidement apporter des réponses concrètes au défi auquel l'Europe se trouve confrontée. Grâce à la solidarité, à un projet pour l'Europe, à des modalités d'intervention sur les marchés différentes, grâce à un effort de croissance, il faut faire en sorte que nous puissions apporter dans l'urgence les réponses dont l'Europe a besoin.
Sur les bancs de l'opposition, on nous a souvent demandé si nous étions favorables à d'avantage d'union politique et comment nous comptions répondre aux propositions formulées notamment par nos partenaires allemands. Je profiterai de ce débat pour y répondre. Nous sommes à l'avant-garde sur bien des sujets, nous souhaitons davantage d'intégration et de solidarité. Nous sommes convaincus que nous pourrons trouver un accord avec notre partenaire allemand sur toutes ces questions, précisément parce que nous sommes à l'avant-garde. Cet accord, ce compromis utile pour la solidarité pour l'autre Europe, est un combat.
Je voudrais esquisser quelques-uns des sujets qui permettent de montrer que nous sommes engagés dans cette autre Europe, qu'elle est possible et répondre à la question de savoir si le traité dont nous débattons nous empêchera de la construire ensemble. Enfin, je conclurai mon propos en évoquant les étapes qu'il nous reste à franchir.
Cette autre Europe, cette ambition, cette perspective pour l'Europe, quelle est-elle concrètement ? Comment la faire vivre, comment la mettre en perspective ?
D'abord, je veux revenir, comme l'a évoqué à l'instant le ministre des affaires étrangères, sur l'ambition de croissance. Ce qui a présidé à la politique de l'Union européenne voulue par le président de la République et par le gouvernement et appuyée, j'en suis convaincu, par une large majorité de députés, c'est la préoccupation qui est la nôtre de voir la croissance remise au coeur des politiques de l'Union européenne.
Nous avons trouvé une situation où la France était affaiblie, la compétitivité dégradée, le déficit du commerce extérieur historique, le déficit du budget incommensurable, où les dettes avaient explosé. La France était affaiblie dans sa relation avec l'Allemagne au point que cette relation était déséquilibrée. La difficulté, pour nous, est de sortir de ces logiques qui veulent que le rétablissement des comptes publics dans sa dimension la plus punitive, condamnant l'Europe et la France à l'austérité à perte de vue, ne soit plus considéré comme l'horizon indépassable de la politique de l'Union européenne.
Nous avons voulu remettre la croissance au coeur de l'Union européenne, à travers le plan de croissance - 55 milliards d'euros de fonds structurels seront mobilisés pour des investissements structurants demain - et la recapitalisation de la BEI qui permettra d'accorder 60 milliards d'euros de prêts qui déclencheront 120 milliards d'euros d'investissements privés.
Je pourrais évoquer aussi les 230 millions d'euros de garantie mobilisés par la Commission pour déclencher 4 milliards d'euros d'obligations de projets, pour financer les investissements structurants de développement durable, de la transition énergétique, de la mise en place des mécanismes d'interconnexion de transports en Europe, tous ces investissements qui feront la compétitivité de demain et dont nous avons besoin.
Ce plan pour la croissance n'est pas un solde de tout compte et nous avons encore beaucoup de combats à mener, qui sont autant de perspectives.
Le premier combat est en cours, il se négocie autour de la table des Vingt-sept. Il s'agit du budget de la Commission de l'Union européenne pour la période 2014-2020. Plus de 1 000 milliards d'euros d'investissements pour l'agriculture répartis entre les aides directes du premier pilier de la politique agricole commune, celles qui doivent permettre le développement rural, deuxième pilier de cette politique, et les fonds de cohésion, avec la nécessité de doter les régions intermédiaires françaises des moyens dont elles ont besoin pour investir dans les infrastructures, dans le développement de demain. Nous avons la volonté de faire contribuer le budget de la recherche, près de 80 milliards, à l'accompagnement des innovations structurantes de demain afin d'en faire des outils de la politique industrielle de l'Europe pour ses filières d'excellence. Nous avons engagé un groupe de travail pour l'électromobilité, qui doit permettre d'avoir une politique industrielle dynamique en Europe, dont le levier sera l'innovation.
De ce point de vue, nous avons une approche très différente de celle du précédent gouvernement, qui proposait d'amputer le budget de l'Union européenne. Aucune démarche n'avait été engagée pour que la taxe sur les transactions financières, en coopération renforcée, puisse être affectée au budget de l'Union européenne comme ressource propre.
Aujourd'hui encore, d'ailleurs, ce combat doit être mené, car, parmi les pays qui accepteraient de signer la lettre sur les transactions financières, tous ne sont pas d'accord sur une telle affectation de cette taxe. De la même façon, la taxe carbone pourrait être, demain, une ressource de l'Union européenne. Le budget de l'Union, nous le voulons dynamique, nous le voulons doté de ressources propres parce qu'il reste encore des initiatives à prendre pour la croissance, qui pourraient prolonger le plan de croissance de 120 milliards d'euros.
Ce débat sur le budget de l'Union européenne se mène comme un combat dans lequel il nous faut parfois affronter certains de nos partenaires, y compris ceux qui proposent d'aller plus loin dans l'Union mais qui, dès lors qu'il s'agit de poser des actes concrets, en matière de budget ou de croissance par exemple, nous laissent volontiers en avant-garde. Cela dit, toujours, nous finissons par trouver avec eux le bon compromis qui permet de faire la bonne croissance et l'Europe de demain.
Outre le budget de l'Union européenne, nous avons d'autres perspectives. Je pense à la politique industrielle, à la nécessité de mettre en place en Europe le juste échange. Il n'y a aucune raison, en effet, que des pays qui n'ouvrent pas leurs marchés publics à nos industries voient ceux de l'Union européenne ouverts aux leurs.
Le juste échange, ce n'est pas le refus du libre-échange, c'est la régulation des échanges commerciaux pour faire en sorte que leur développement apporte la croissance partout en Europe. Nous sommes favorables au développement du juste échange, à la possibilité pour l'industrie européenne de se protéger. C'est ce que nous défendrons pour tous les accords à venir, que nous ne signerons pas aussi longtemps que nous ne serons pas assurés qu'ils garantissent un équilibre des relations commerciales dans la concurrence, qui favorise autant le développement de nos industries que celui des industries des autres pays.
On pourrait parler aussi de l'harmonisation sociale et fiscale, de la nécessité de faire en sorte que l'impôt sur les sociétés soit harmonisé au sein de l'Union européenne, de même que les assiettes fiscales, notamment la fiscalité de l'épargne, pour faire du marché intérieur aussi un outil de croissance, de développement, d'industrialisation, là où l'Europe, à l'exception de quelques pays, se désindustrialise au profit de pays qui n'ont pas les mêmes clauses sociales et environnementales que nous.
Voilà les combats de demain pour l'Europe, voilà les perspectives qui se présentent à nous. Il serait illusoire de considérer que, dans le concert des conservatismes de l'Europe, tout cela s'obtiendra sans soutien, sans énergie, sans que combat soit mené. Pour remporter ce combat, nous avons besoin de la force de ceux qui, dans cet hémicycle, nous soutiennent, et de leurs forces rassemblées. Voilà pour ce qui est de l'enjeu de la croissance.
Le deuxième enjeu est la remise en ordre de la finance. Nous avons souhaité l'union bancaire et avons mis sur le métier la supervision bancaire. Celle-ci a été décidée au sommet européen de juin comme la condition et le préalable à la mise en place de la recapitalisation des banques par le mécanisme européen de stabilité au profit des banques espagnoles, mais aussi de toutes les autres qui sont en difficulté.
La supervision des banques est importante également pour garantir la stabilisation de la finance à terme. Si nous l'avons voulue, c'est parce que, avec la résolution des crises bancaires et la garantie des dépôts, elle est l'instrument de la remise en ordre de la finance. Et elle est la garantie, pour nous, que les errements spéculatifs d'hier ne pourront pas se reproduire demain. Nous avions donc absolument besoin de ces outils.
La décision a été prise mais le combat se poursuit. En effet, certains, en Europe, considèrent que la supervision ne devrait pas concerner toutes les banques ou qu'elle ne devrait pas nécessairement être assurée par la Banque centrale européenne. Nous, nous voulons la supervision de toutes les banques par la Banque centrale européenne parce que nous considérons que c'est la garantie de la remise en ordre durable de la finance. Nous agissons avec la volonté de faire en sorte - là aussi, parce que nous sommes à l'avant-garde, le fer de lance de ce combat en Europe -, de rassembler autour de nous d'autres partenaires, notamment nos amis de l'Europe du Nord et nos amis allemands.
Pourquoi, Chers Amis du groupe GDR, poser comme préalable la supervision bancaire ? Parce que, sans elle et sans la possibilité pour les mécanismes de solidarité d'intervenir sur les marchés en substitution des États lorsqu'il faut recapitaliser les banques qui ont, on peut le regretter mais c'est ainsi, des actifs toxiques dans leurs comptes, ce sont les États qui devront le faire, en se finançant sur les marchés aux taux que l'on connaît, les fameux spread, qui sont encore très élevés. Ces spread très élevés sur les marchés ruinent les efforts accomplis par les États, qui ont pourtant tout mis en oeuvre pour rétablir leurs comptes. Si les mécanismes de solidarité que nous avons souhaités n'interviennent pas sur les marchés pour éviter aux États d'avoir à le faire pour recapitaliser leurs banques, alors les États continueront à subir des taux d'intérêt très élevés pour remettre en ordre leur système financier. Ils répercuteront le coût de ces taux sur les peuples qui souffrent de l'austérité. On ne peut pas vouloir lutter contre l'austérité et ne pas accepter la mise en place des dispositifs de solidarité qui, par leur intervention, permettent d'épargner à ces peuples l'effort supplémentaire que le financement des États sur les marchés engendre nécessairement.
C'est là une affaire de cohérence. Si l'on veut lutter contre l'austérité, si l'on veut l'épargner aux peuples, il faut engager l'intervention des mécanismes de solidarité. C'est parce que nous l'avons fait, alors que certains ne le voulaient pas, que nous avons pu obtenir de la Banque centrale européenne, dans le cadre de son mandat de défense de la monnaie et de la stabilité des prix, qu'elle intervienne sur les marchés pour lutter contre la spéculation. Nous avons donc là des pare-feu efficaces qui nous permettront demain, si le dispositif se développe, de lutter durablement contre la spéculation.
Nous devons aller plus loin encore, nous avons mille combats à mener, telle l'émission concomitante d'obligations par les États qui pourrait constituer une première étape de mutualisation des dettes. Nous avons aussi la volonté de rendre totalement possible, demain, la mutualisation des dettes à travers la mise en place des eurobonds. Certains pays nous disent, et on les comprend, qu'on ne peut pas mutualiser les dettes si les politiques budgétaires ne convergent pas, si l'on n'organise pas une discipline budgétaire. Nous-mêmes, nous prenons nos responsabilités pour rétablir nos comptes parce que le sérieux budgétaire n'est pas négociable et qu'il constitue un de nos engagements de campagne, et parce que nous savons aussi que la monnaie unique ne peut pas être sauvée sans convergence des politiques économiques et budgétaires. Dans le même temps, nous disons également que, dès lors que cette convergence est organisée et que les politiques respectent le sérieux budgétaire, parce que nous ne voulons pas laisser aux générations futures une dette qui empêcherait la croissance, alors il n'y a pas de raison de ne pas aller plus loin dans la solidarité, dans la mutualisation pour avoir une Europe intégrée et unie. Dans cette perspective d'intégration et d'unité, l'Europe deviendrait plus forte et, plutôt qu'un problème, elle serait une solution aux difficultés économiques, de croissance et de récession, auxquelles les pays européens se trouvent aujourd'hui confrontés.
Dès lors que les efforts de convergence des politiques et de sérieux budgétaire conduisent à plus de solidarité, dès lors qu'encore plus de solidarité est reconnue comme souhaitable demain, nous acceptons que cette solidarité fasse l'objet d'un processus d'intégration supplémentaire. C'est ce que le président de la République a appelé l'intégration solidaire.
Je prends l'exemple de l'union bancaire. Si, demain, nous voulons aller plus loin dans la mise en place d'un système de résolution des crises bancaires ou d'une garantie des dépôts, il faudra peut-être aller au-delà des traités actuels. Nous ne sommes pas contre si tout ce qui peut être fait pour assurer la solidarité et le redressement dans le cadre des traités d'aujourd'hui est effectivement fait. Nous ne sommes pas contre aller au-delà des traités actuels si ce qui se fait de plus va dans le sens de la solidarité, de la cohésion, de l'Europe sociale que nous voulons, de l'Europe où les pays se tendent la main les uns les autres lorsque certains sont confrontés à des difficultés inextricables qui les conduisent à imposer à leurs peuples une austérité dont ils ne peuvent plus. Voilà ce que nous voulons faire, voilà quel est notre projet !
J'entends certains acteurs des médias ou de la politique s'interroger sur le souhait de la France de davantage d'intégration et d'union, sur sa volonté de prendre la main que l'Allemagne lui tend sur l'union politique. Cette question appelle une réponse claire.
D'abord, nous aussi, nous tendons la main sur bien des sujets, tous ceux que je viens d'évoquer. C'est l'intégration concrète, la réponse immédiate aux problèmes qui se posent, la volonté de faire en sorte que, dans l'urgence, face à la crise, nous puissions apporter des réponses que justifient la gravité de la situation et l'austérité qui organise partout la désespérance dans les peuples. Nous considérons que tout ce qui peut être fait aujourd'hui doit l'être, ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas prêts à aller plus loin demain, si plus de solidarité justifie davantage d'intégration.
Je ne pense pas que les peuples qui manifestent à Lisbonne, à Madrid ou à Athènes attendent comme réponse : «Vous souffrez de l'austérité et, pour nous, l'urgence est de faire une convention et un référendum». Ils sont prêts à cela, à condition que, préalablement, nous ayons apporté la démonstration que, dans l'urgence, nous sommes capables de répondre aux questions qu'ils se posent.
Faisons en sorte que, dans le cadre des traités existants, tout ce qui peut être fait pour renforcer la solidarité, renforcer l'intégration et sortir de la crise le soit. Si davantage de solidarité justifie davantage d'intégration, faisons-le, nous y sommes prêts. D'ailleurs, nous le faisons jour après jour avec tous nos partenaires, notamment avec l'Allemagne, avec laquelle nous nous apprêtons à signer le cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée. Nous nous parlons dans le cadre d'une relation rééquilibrée, car la relation franco-allemande n'est jamais aussi forte que lorsqu'Allemands et Français sont capables de se dire les choses clairement. On ne construit pas une solidarité forte avec l'Allemagne sur l'ambiguïté. La célèbre formule du cardinal de Retz qu'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ne peut pas s'appliquer à cette relation franco-allemande, où il faut se dire les choses pour construire des compromis solides.
Voilà ce que nous essayons de faire. J'entends dire qu'il y aurait une dégradation de cette relation et que nous ne serions pas capables de construire des compromis avec les Allemands pour demain. Nous les construisons à partir de ce que nous voulons pour l'Europe, en entendant ce que les Allemands veulent pour l'Europe, dans le respect mutuel. D'ailleurs, le ministre Laurent Fabius a souhaité que nous participions au travail de réflexion du ministre Westerwelle en apportant notre contribution alors que, jusqu'à notre arrivée, nous n'étions représentés que par des ambassadeurs dans ce groupe.
Nous sommes prêts à faire ce travail et nous le ferons. Croissance, solidarité, remise en ordre de la finance, volonté d'aller vers la mutualisation des outils de politique monétaire et financière pour soulager les peuples qui souffrent, voilà les perspectives pour l'Europe, voilà le projet que nous portons.
Ce traité nous empêche-t-il de le faire ? La politique que nous voulons mettre en oeuvre est largement tributaire du passé : ce traité est un héritage.
Je répondrai à trois arguments. Peut-on, avec ce traité, mener des politiques contracycliques ? Laurent Fabius l'a rappelé tout à l'heure : le déficit structurel déduit du déficit public les dépenses mobilisées par les États pour faire face à des chocs conjoncturels. Cela signifie que, dans le cadre du semestre européen qui lie la France à la Commission européenne en matière d'équilibre budgétaire, la discussion est possible pour que nous tenions compte des moyens que nous aurons mobilisés autour des investissements structurants destinés à entretenir la croissance, sans remettre en cause l'objectif de sérieux budgétaire. Ainsi, la notion de déficit structurel permet de faire face à des chocs contracycliques.
Ensuite, y a-t-il un effet cumulatif entre la réduction de la dette et la réduction des déficits ? - M. Chassaigne m'a interpellé sur le sujet la semaine dernière. Non. La réduction de la dette d'un vingtième par an de la part supérieure à 60 % du PIB, est applicable trois ans après le rétablissement des comptes publics, trois ans après que la France en aura fini avec un déficit excessif. Il n'y a donc pas d'effet cumulatif entre la diminution de la dette et la diminution des déficits, qui soit susceptible d'entraîner une récession.
Enfin, le traité dessaisit-il le Parlement de sa souveraineté en établissant, au profit de la Commission ou au profit du juge européen des pouvoirs dont ils ne disposaient pas jusqu'à présent ? La Cour de justice de l'Union européenne aura en effet le pouvoir de se saisir de la non-transposition en droit national des clauses du traité. Or, dans quelques heures, ce traité sera transposé dans le droit français. Nous échapperons donc au risque de voir ladite Cour nous rappeler à notre devoir puisque nous l'aurons accompli. À aucun moment le traité ne précise que la Cour de justice de l'Union européenne pourra s'ériger en juge des équilibres budgétaires de la France. C'est dans le cadre du semestre européen, indépendamment, donc, de l'adoption du traité, que la Commission et les gouvernements veillent de conserve à ce que la trajectoire budgétaire des gouvernements soit bien conforme aux engagements pris par eux devant elle.
Le Conseil constitutionnel a constaté qu'il n'y avait pas de transferts de souveraineté. Les travaux conduits par Pierre Lequiller et Christophe Caresche, sous la présidence d'Élisabeth Guigou et de Danielle Auroi, ont bien montré qu'aux termes de l'article 13 du traité existait une possibilité pour le Parlement européen et les parlements nationaux de travailler ensemble pour faire en sorte que la dévolution démocratique des pouvoirs donnés aux parlementaires en matière de contrôle continue à s'exercer.
Il reste donc beaucoup à faire pour changer l'Europe. Nous ne changerons pas l'Europe en étant faibles dans nos rapports avec nos partenaires. Pour changer l'Europe, pour aller au bout du chemin évoqué par le ministre des affaires étrangères, nous avons besoin de la force qui a ici son creuset : la majorité présidentielle. Et je forme le voeu que tous les parlementaires se rassemblent afin que le président de la République et le Gouvernement disposent de la force dont ils ont besoin pour changer résolument le visage de l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2012