Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur l'aménagement numérique du territoire et les scénarios d'évolution pour le passage au très haut débit, à Paris le 19 octobre 2012.

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Circonstance : 8e édition du colloque de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (AVICCA) à Paris le 19 octobre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les élu(e)s,
Mesdames, Messieurs,
C’est un immense plaisir de m’adresser à vous, dans ce colloque organisé par l’AVICCA sur les réseaux d’initiative publique.
Les infrastructures de très haut débit constituent un élément déterminant de la capacité de la France à répondre aux enjeux de demain. Il s’agit d’un défi équivalent à celui de l’électrification de notre pays au début du 20ème siècle. Pas seulement parce qu’il emporte des conséquences importantes pour le modèle économique de grands opérateurs. Pas seulement parce que les réseaux sont un levier pour le développement économique de nos entreprises, et partant, de nos territoires. Mais bien parce que les usages du numérique, et on l’a entendu dans les interventions qui viennent de se terminer, sont en train de bouleverser en profondeur notre société.
Songeons quelques instants aux usages connus qui sont en train de se développer, qui s’accroissent tellement vite qu’on oublie à quel point ils ont changé notre vie : des réseaux intelligents qui permettent la maîtrise des consommations d’eau ou d’énergie, le développement de nouvelles mobilités et l’essor du télétravail qui révolutionnent les transports et bouleversent notre rapport à l’espace tout simplement, l’émergence de l’e-santé, la généralisation de l’accès au savoir, au travers de projets de circulation des idées comme l’université numérique, le bouleversement en profondeur de l’accès à la culture, tous ces nouveaux usages chamboulent nos façons de consommer, de produire, d’habiter, d’échanger, dans des proportions que nous n’avons sans doute pas encore bien identifiées.
Songeons aussi à ces nouvelles formes de citoyenneté, de participation, voire de solidarité que porte la communauté des internautes et les réseaux sociaux qui abolissent les frontières et les distances, ou qui créent aussi de nouvelles relations et de nouvelles capacités à nouer des relations. Ils portent avec le logiciel libre, l’open data, les formats ouverts, un modèle de société revivifié, auquel je suis particulièrement attentive.
Le numérique, c’est une certitude, est en train de révolutionner, sans le vouloir vraiment et sans que l’on s’en rende compte, nos vies. Ce progrès doit être partagé par tous. Cette évidence n’en est pas une, vous le savez ici mieux que d’autres. C’est un combat. Il est si facile de réserver le bénéfice du progrès aux territoires les plus denses que les opérateurs équipent spontanément.
C’est difficile qu’elles couvrent aussi les autres territoires parce que sans doute l’abandon de l’idée d’aménagement du territoire a laissé croire que des pôles d’attractivité plus importants aller tirer les territoires plus en difficulté, voire que des mesures de compensation seraient suffisantes.
Alors même que je pense que doit être au coeur de nos missions, au coeur de la responsabilité de l’Etat, celle de l’Egalité des territoires, Une lutte résolue contre la fracture numérique. Je veux que toutes les Françaises, que tous les Français, conformément à l’engagement du président de la République, puissent avoir accès au très haut débit d’ici dix ans. Et donc aux services que je viens d’évoquer. Ca n’est pas un sujet technique, c’est un sujet de vie en collectivité, c’est un sujet de société tout simplement, c’est un sujet d’égalité au sens noble du terme. Nous devons absolument faire sortir ce débat : l’aménagement numérique n’est pas qu’un sujet technique, un sujet d’opérateurs ou de quelques élus spécialisés, c’est un des sujets majeurs de la question de l’aménagement du territoire, c’est un des sujet cruciaux en matière d’égalité, puisque ces nouveaux usages peuvent très vite aggraver la fracture numérique, puisqu’ils nécessitent des besoins en débit de plus en plus importants, et donc l’écart entre territoires pourrait se creuser très rapidement et entacher ces nouveaux usages notamment en terme d’utilisation de l’espace, de parcours de vie, de capacités professionnelles des uns et des autres.
Vous savez très bien, On n’achète plus un logement si aucun accès au numérique n’est possible. L’accès à la connexion est devenue, vous le savez tous, une question politique majeure. Considérons le comme un droit social comme les autres, qui permet tous les autres : le droit à l’éducation, à la culture, l’accès à des services chaque jour plus variés.
C’est pourquoi je cultive un intérêt quotidien pour la question de l’aménagement numérique du territoire. J’entends en effet mettre sur le secteur qui est le mien mais de manière déterminée tout mon poids politique à résoudre les problèmes qui sont ceux des habitants et ceux des collectivités territoriales, en ne rentrant pas dans un débat technique entre les opérateurs, vous le savez Fleur Pellerin, qui je le crois était présente hier, est pleinement en charge de cette question. Néanmoins je vous le dis, cette question d’aménagement numérique n’est pas une question de tuyaux, mais une question d’égalité entre les habitants, d’égalité citoyenne tout simplement.
Depuis dix ans, l’État a souvent été le grand absent de la couverture numérique du territoire. Les collectivités, et parfois celles qui étaient le plus en difficulté, ont été laissées seules face à l’urgence des zones blanches téléphoniques.
Aujourd’hui, elles demeurent les moteurs des cent projets qui fleurissent un peu partout pour répondre aux besoins des usagers.
Depuis mon arrivée en fonction, je consulte beaucoup, j’écoute beaucoup. Les avis sont nombreux. Ils sont divers. Ils cachent parfois, sous les dehors de l’intérêt général, l’intérêt particulier, voire l’intérêt bien compris. Mais je crois qu’il faut en être conscient, ce n’est pas grave, c’est même en général les règles de l’existence en société, mais l’Etat doit prendre dans ce cadre toutes ses responsabilités.
Je crois qu’il est temps en cette fin d’octobre d’esquisser devant vous les scénarios entre lesquels l’Etat devra choisir. Je distingue, pour ma part, au travers des échanges que j’ai eus avec les uns et les autres, cinq scénarios sur lesquels je n’ai pas d’opinion préconçue, j’ai un avis c’est certain mais je souhaite que le scénario qui soit mis en oeuvre soit celui qui permette d’avancer le plus rapidement possible et d’atteindre les objectifs que je viens d’énoncer.
Le premier scénario est bien-sûr celui du fil de l’eau et de la poursuite à l’identique de la politique du précédent gouvernement. Soyons clair, cette politique ne marche pas. Les problèmes ne sont pas réglés. Si chacun d’entre vous a une idée pour faire évoluer le système, c’est que le statu quo n’est pas acceptable.
Le deuxième scénario est celui d’un opérateur privé unique. Je n’y crois guère. Ce n’est pas ma conception de la politique au service des Français que de favoriser les logiques de cartel. Et je ne suis pas sûre que ce scénario garantisse l’accès de tous au très haut débit dans les zones qui ont besoin d’initiative publique.
Le troisième scénario est celui de la mise en place d’un opérateur public unique pour déployer l’infrastructure, en laissant l’accès ouvert aux opérateurs. C’est le scénario qui a existé, j’ai parlé de l’électrification tout à l’heure, et c’est sans doute la référence à laquelle on a envie de s’attacher. Peut-être, si nous étions quelques années en arrière, ce scénario aurait sans doute été l’idéal. Il pose aujourd’hui des questions nouvelles. Que faire des infrastructures existantes ? Faut-il exproprier les opérateurs ? Dans quel délai pouvons-nous basculer vers cette solution alors que la fracture numérique gagne et que le temps est compté ? Lorsque le gouvernement précédent a décidé de ne pas créer cet opérateur, les Français ont sans doute été spoliés d’un service public universel essentiel et de revenus pour l’entretien de la puissance publique. Mais je crois qu’il faut pouvoir dire que ce moment-là est passé. Nous en discuterons mais nous devrons bien composer, d’une manière ou d’une autre, avec les occasions perdues, et la réalité qui est la notre aujourd’hui.
Le quatrième scénario consiste à essayer de lever des fonds privés vers des opérateurs de gros organisés par la puissance publique, par plaque territoriale, en priorité sur les territoires qui ne sont pas équipés et où l’initiative privée est défaillante, mais peut-être au-delà, nous verrons.
Enfin, le cinquième scénario consiste à partir des énergies locales, à définir nationalement un déploiement par défaut et à permettre à chaque collectivité d’accélérer son propre déploiement en bénéficiant de la solidarité nationale et à la condition qu’après la mise en service, le patrimoine soit transféré vers une unité de gestion plus grande pour l’exploiter à long terme.
Pour choisir entre ces scénarios, entre lesquels le Gouvernement n’a pas encore arrêté son choix, mais vous aurez peut-être entendu un avis légèrement éclairé sur les uns ou les autres, il faut néanmoins décider de critères. Je revendique que la décision entre ces scénarios soit une décision assumée, claire, posée, que tout n’est pas dans tout, que la situation est complexe et qu’il n’y a rien d’idéal dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il est utile de poser ces critères pour pouvoir prendre une décision la plus éclairée possible.
Le premier critère est celui de la vitesse. Je veux pouvoir répondre à temps aux impatiences légitimes de ceux qui aujourd’hui ne bénéficient pas de services nécessaires, aux besoins des agriculteurs qui ne peuvent remplir leurs formulaires pour la PAC, aux besoins des élèves qu’il faut accompagner vers la société numérique, aux besoins des habitants qui n’ont pas tous accès à une offre triple play. Plus nous attendons, plus la question de la vitesse et de la fracture est importante. Je veux donc que l’Etat agisse pour répondre à l’urgence qui est celle de la fracture numérique.
Le deuxième critère, ne nous cachons pas derrière nos difficultés, est celui du coût pour la puissance publique. La France affronte une crise majeure et les deniers publics sont comptés. L’objectif du Président de la République, qui est celui du redressement des finances publiques, est un facteur essentiel à prendre en compte. C’est notre responsabilité.
Le troisième critère est celui de l’efficacité de la décision publique, de son adéquation aux besoins de chacun des territoires, de chacun des habitants. Je crois aujourd’hui qu’une des urgences essentielles est de sécuriser les acteurs publics qui interviennent déjà. Les sécuriser à la fois d’un point de vue technique, en s’assurant que les solutions utilisées seront bien exploitables par les opérateurs, que les mutualisations entre acteurs publics seront possibles pour faire face au pouvoir de marché des opérateurs et les sécuriser d’un point de vue financier, en veillant à ce que le très haut débit demeure finançable et que la solidarité nationale fonctionne.
Enfin, la réflexion sur le rôle des opérateurs est essentielle. Ils doivent être des partenaires, dans un univers dans lequel ce droit à l’accès au très haut débit vaut d’autres droits. On ne peut pas rester dans une logique de marché classique. C’est un bien, si ce n’est de première nécessité, de nécessité très forte. Et il est normal que la puissance publique joue son rôle de régulateur dans ce domaine.
En février de l’année prochaine, aura lieu un séminaire gouvernemental sur le numérique. D’ici là, le Gouvernement aura répondu à notre question, celle de l’aménagement numérique des territoires, qui est une question d’abord d’égalité des territoires. Dans l’intervalle, j’engage mes services à se trouver à vos côtés pour répondre à vos demandes d’appui, je m’engage à travailler avec vous à trouver une solution rapide pour permettre l’accès au très haut débit. Il est désormais urgent de mettre en place toutes les mesures qui permettent de libérer les énergies des acteurs prêts à investir et à s’investir, sous peine de voir la fracture numérique s’accroître.
Voilà ce que je voulais vous dire ce matin. A la fois un objectif fort du Gouvernement, une volonté sans faille, une clarification des pros du débat, et contres aussi avec peut-être un certain nombre de désaccord avec les uns ou avec les autres, mais la nécessité et la volonté d’avancer vite, de manière déterminée et de manière pérenne pour répondre à ce qui sera considéré dans quelques années comme un droit fondamental de tous.
Je vous remercie chacune et chacun de votre engagement, de votre détermination. Vous pouvez réciproquement compter sur celle du Gouvernement. Merci.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 23 octobre 2012