Interview de M. Vincent Lurel, ministre des outre-mer, dans "Remaides Caraïbes" n° 82 de l'automne 2012, sur l'action du gouvernement dans la lutte contre l'épidémie du VIH sida et les préjugés liés à la maladie dans les Outre-mer, notamment dans la zone Caraïbes et l'Océan indien.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

- La région Caraïbe est la deuxième région au monde la plus concernée par le VIH/sida. Comment l’expliquez-vous et quel rôle votre ministère entend jouer face à ce défi ?
Les départements français d’Amérique sont hélas les régions de France les plus touchées par l’Infection à VIH. Les deux départements comptant le plus de découvertes de séropositivité sont la Guyane (1 146 cas/million d’habitants) et la Guadeloupe (425 cas/million d’habitants) contre 31 à 83 en métropole) Le gouvernement actuel entend poursuivre la lutte contre le VIH qui doit transcender les clivages politiques. Le ministère des Outre-mer est largement intervenu en 2010 et en 2011 dans l’élaboration du volet outre-mer du plan national français de lutte contre le VIH/SIDA/IST 2010-2014 qui s’appuie sur les recommandations des experts du Conseil national du sida de 2008 pour la Guyane et pour les Antilles. Le ministère est bien sûr également impliqué dans la mise en œuvre du plan national, en particulier sur la prévention de la maladie et sur la recherche. Nous finançons notamment des programmes innovants d’études ou de soutien aux associations locales, aux cotés du directeur général de la Santé. La lutte contre le VIH s’articule pour les outre-mer autour de six axes principaux : la prévention, le dépistage, la prise en charge des malades et la lutte contre les discriminations, la recherche et la coopération sanitaire. Il est indispensable que ce combat aux Antilles soit mené en adaptant les actions aux caractéristiques et aux modes de vie des populations cibles. Celles-ci doivent être par ailleurs pleinement intégrées dans les stratégies régionales de santé. La lutte contre les discriminations et le renforcement de l’égalité pour l’accès aux droits, à la prévention et aux soins guident aussi particulièrement notre action. L’objectif est de réduire sur 5 ans de 50 % l’incidence des infections par le VIH dans les Antilles/Guyane et de réduire de 50 % la proportion de personnes découvrant leur séropositivité VIH au stade sida.
- La région caraïbe est confrontée à une homophobie assez forte, Pour l’ensemble des acteurs régionaux de la lutte contre le VIH/sida, cette situation, peu dénoncée et parfois entretenue par les politiques locaux, est un frein à la lutte contre le VIH, Partagez-vous cette analyse ? Et si oui, quelles solutions préconisez-vous ?
Pour les personnes porteuses du VIH la discrimination a de nombreuses facettes. Elle est due à la séropositivité, mais elle peut provenir également de la condition sociale. Les forts taux d’immigration viennent parfois accentuer encore ces phénomènes de discriminations. Il faut savoir que la transmission du VIH aux Antilles/Guyane est à dominante hétérosexuelle et il faut le répéter à nos concitoyens. Par conséquent, des messages clairs de prévention doivent être dirigés en direction de la population hétérosexuelle. Pour lutter contre les discriminations et améliorer l’intégration des personnes vivant avec le VIH, il est prévu de favoriser les prises en charge précoces et continues et d’améliorer les conditions d’hébergement et de logement. L’accès ou le maintien dans l’emploi et l’insertion professionnelle des personnes atteintes sont également prioritaires. Cependant, la mise en œuvre d’actions permettant de lutter contre les discriminations et de mieux intégrer les personnes vivant avec le VIH dans la société doit reposer sur les associations communautaires qui ont la meilleure connaissance de la population concernée et qui peuvent assurer des actions très ciblées. Les associations sont encore insuffisamment structurées aux Antilles. Il est donc très important qu’elles puissent être soutenues financièrement et c’est ce que nous nous employons à faire avec les Agences régionales de santé.
- Même si la santé ne dépend pas, stricto sensu, de vos prérogatives ministérielles, quelles actions entendez-vous mener ou soutenir en matière de lutte contre le VIH/sida et les hépatites ?
Nous participons au financement du plan de lutte contre le VIH outre-mer. Ces crédits sont particulièrement nécessaires aux associations qui mettent en œuvre les actions de terrain. Je vous confirme donc notre engagement qui a permis de sanctuariser et de pérenniser les financements outre-mer sur toute la durée du plan entre 2011 et 2013. Nous avons ainsi déjà contribué financièrement à deux types d’enquête, d’une part, pour les Antilles/Guyane et La Réunion, l’enquête KABP destinée à renforcer les connaissances sur l’évolution des comportements sexuels et donc à mieux cibler les actions de prévention, d’autre part, l’enquête VESPA destinée à recueillir des données sur les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH dans les DOM et à Mayotte.
- De par vos connaissances des cultures de la région Caraïbe et votre expérience d’élu de terrain, Que dites-vous de la vie des personnes vivant avec le VIH ?
La vie est, je crois, difficile pour tout malade du sida. Il est du devoir de l’Etat de faciliter les soins et l’existence des malades sur n’importe quel point du territoire français. Peu de données sont en fait disponibles sur les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH aux Antilles Guyane. C’est pourquoi nous nous efforçons de palier ce manque d’information grâce aux enquêtes de terrain que j’ai mentionnées.
- Vous avez comme parlementaire depuis 2002 puis comme président du Conseil régional exercé d’importantes responsabilités en Guadeloupe, Quel bilan faites-vous de votre action sur la question du VIH/sida en Guadeloupe, département français qui a longtemps été le deuxième de France le plus touché par l’épidémie et Qui reste le dernier en termes de recours au dépistage tardif ?
Les régions ont peu de compétences directes en ce domaine. En revanche, l’action que j’ai conduite en matière de soutien aux établissements de santé, publics comme privés, a contribué à renforcer l’offre de soins globale en Guadeloupe et surtout à mieux la répartir sur le territoire, dans un contexte particulièrement difficile. Par ailleurs, j’ai toujours été à l’écoute des associations qui, localement, œuvrent courageusement en matière de prévention et nous les avons accompagnées chaque fois que cela a été possible.
- Des experts s’accordent à dire qu’un investissement de 500 millions d’euros par an à l’échelle de la Caraïbe permettrait d’atteindre l’objectif d’une réduction très forte de l’épidémie de VIH/sida voire sa fin dans cette région. Comment financer cela ? Et comptez-vous porter cette question ?
Un axe spécifique du plan VIH pour les populations des outre-mer vise au développement de la coopération régionale avec les autres pays de la zone Caraïbes ou de l’Océan indien. A partir de la Guyane et en collaboration avec le Brésil, le Guyana, le Suriname, nous souhaitons mutualiser les connaissances et les stratégies régionales d’action par le soutien de projets inter-associatifs. L’Agence régionale de santé de Guyane a déjà renforcé la coopération avec les pays frontaliers et soutient des associations de prévention auprès des personnes prostituées à Oïapoque au Brésil. Par exemple, des formations et des échanges avec les professionnels de santé brésiliens et français lors des journées caribéennes sur le dépistage se sont déroulés en juin 2012. Des échanges hospitaliers et enquêtes sur le terrain ont pu démarrer avec le projet INTERREG/PANCAP (Partenariat Pan-Caraïbe contre le VIH/sida).
La collaboration avec Haïti est aussi importante et, là aussi, des projets inter-associatifs et inter-hospitaliers sont en cours. Au-delà du soutien aux associations de terrain, nous avons également l’ambition de développer des réseaux de soins et de dépistage au niveau de la zone Caraïbes entre les pays limitrophes grâce au soutien du projet INTERREG/PANCAP. En Guyane, la collaboration avec le Brésil devrait améliorer la prise en charge des personnes vivant avec le VIH circulant entre le Guyana, le Suriname, le Brésil et la Guyane. Enfin, un observatoire caribéen du VIH verra le jour, grâce à INTERREG IV, au CHU de Pointe-à-Pitre afin de réduire l’impact de l’infection au VIH/SIDA aux Antilles et en Guyane, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy et sur l’ensemble de la Caraïbe.
- La Commission européenne a investi dans le cadre du programme INTERREG IV Caraïbes 3,5 millions d’euros. Le projet s’achève en décembre 2012. A ce jour, aucune suite concrète n’est envisagée pour que ce projet soit traduit en actions de terrain concrètes. Que comptez-vous faire à ce propos ?
Il me semble important que tous les fonds soient mobilisés pour combattre le VIH/sida et je m’emploierai à convaincre d’aller dans ce sens à tous les niveaux pertinents.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 30 novembre 2012