Texte intégral
Permettez-moi tout d'abord de vous exprimer la satisfaction de mon pays après votre élection à la présidence de cette 52ème session de l'Assemblée générale des Nations unies. Je souhaite également dire au Secrétaire général que la France est heureuse de l'action qu'il a déjà menée et l'assurer de son soutien confiant.
I - Mesdames et Messieurs, j'ouvrirais mon intervention par une conviction que j'exprime au nom de mon pays : le monde a plus que jamais besoin de l'Organisation des Nations unies. Non, les Nations unies n'ont pas perdu leur raison d'être avec la fin de la guerre froide, de la course aux armements entre les deux blocs et du choc frontal des idéologies adverses.
Au contraire, jamais la nécessité d'une instance de régulation universelle n'est apparue aussi évidente. Les raisons, vous les connaissez. Nous sommes sortis, sans regret, de l'ère de l'affrontement bipolaire pour entrer, depuis 1991, dans un monde nouveau, global, évolutif, où 185 Etats coopèrent, s'allient ou se concurrencent dans des combinaisons durables ou, au contraire instables. Dans ce monde, les Etats ne sont plus les seuls acteurs. Les très grandes entreprises, les marchés financiers, les médias, les groupes d'opinion, les ONG, jouent un rôle accru. D'où un impérieux besoin de règles du jeu claires, équitables, prévisibles qui fournissent un cadre au règlement des conflits ou des simples différends. Car il n'y a plus de problème sérieux qu'un pays, même le plus puissant, puisse régler totalement seul.
Et, si nous n'y prenons garde, si nous ne parvenons pas à bâtir un monde où l'Etat de droit règne entre les Etats, un monde équilibré entre ses principaux pôles, ce sont d'autres scénarios qui l'emporteront : l'absence de contre-poids favorisera la prédominance d'une seule puissance et inévitablement pour celle-ci, la tentation de l'unilatéralisme ; faute d'ensembles régionaux organisés, la globalisation exacerbera la lutte économique, et parfois politique, de chacun contre tous ; les Etats s'en trouveront encore affaiblis ; certains imploseront sous les coups de nationalismes agressifs souvent contagieux. L'âpreté des compétitions rendra quasi impossibles la préservation de l'environnement, pourtant si urgente, si vitale au sens propre du terme, ainsi que la lutte contre la drogue et la criminalité ; l'amélioration du respect des Droits de l'Homme sera compromise.
Notre tâche commune doit être de prévenir de tels risques et en même temps de consolider ensemble les acquis des dernières années. Pour cela, des regroupements régionaux sont une des meilleures bases possibles. Depuis un demi-siècle, l'Europe, qui avait été le foyer de tant de guerres, a montré la voie. Mais ailleurs aussi, les taux de croissance atteints par de nombreux pays d'Asie, d'Amérique latine et maintenant d'Afrique, annoncent l'émergence de nouveaux pôles de puissance et de prospérité. Des ensembles politiques ou économiques s'organisent et s'institutionnalisent : l'Asie du Sud-Est se réunit dans l'ASEAN, l'Amérique latine voit se développer le Mercosur, l'Afrique, la SADEC ou la CEDEAO. D'une certaine façon, on peut citer aussi des ensembles politiques et culturels comme le Commonwealth ou la Francophonie. C'est une des façons judicieuses de s'adapter à la mondialisation.
Mais au niveau global, nous avons besoin d'une Organisation des Nations unies cohérente, efficace, dotée des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions. Il lui revient d'aider à la bonne organisation des relations internationales et de fixer des règles de droit universellement reconnues. Il existe certes des organisations sectorielles qui ont des compétences propres, très importantes. Mais aucune ne peut se substituer à l'ONU pour donner au monde de demain ses règles d'ensemble. Fidèle à sa tradition, la France soutiendra tous les efforts de l'Organisation dans ce sens.
II - J'en viens à l'objet principal de la session qui s'ouvre. Pour remplir ce rôle majeur que nous attendons d'elle, l'ONU doit conserver ou retrouver des moyens de décider et d'agir.
Nous avons, pour cela, à résoudre deux problèmes : celui de la réforme des Nations unies, et celui du financement de l'Organisation. Des solutions que nous trouverons dépendra la capacité d'action des Nations unies dans les années à venir.
La France a approuvé la démarche du nouveau Secrétaire général qui a poursuivi, dès le début de son mandat, la réflexion lancée par son prédécesseur, M. Boutros Boutros-Ghali. Les axes de travail que M. Kofi Annan nous a proposés, et l'impulsion qu'il a donnée au processus de rénovation de notre Organisation, ont rencontré, de la part de la France, un entier soutien, soutien partagé par les partenaires de la France au sein de l'Union européenne. Les propos tenus à cette tribune par son président en exercice, le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, en sont l'illustration. J'évoquerai plus précisément trois points : le Conseil de sécurité, la réforme financière, la restructuration.
1. Conseil de sécurité
La composition actuelle du Conseil de sécurité ne reflète plus qu'imparfaitement la géographie politique du monde actuel. Il est clair qu'il doit être réformé, c'est-à-dire, élargi, pour devenir plus représentatif.
A ce sujet, nous devons tenir compte du rôle indispensable du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et donc élire des pays à même de contribuer à cette tâche, qu'ils soient du Nord ou du Sud.
Mon pays s'est ainsi montré favorable à l'accès de l'Allemagne, du Japon, mais aussi de trois pays du Sud à des sièges permanents et à la création de nouveaux sièges non-permanents. Car un Conseil de sécurité uniquement composé de grands
pays du Nord ne serait pas représentatif. N'oublions pas non plus qu'une fois élargi, et donc plus représentatif, le Conseil devra demeurer efficace. C'est essentiel.
Les propositions qui nous sont faites devraient nous permettre d'avancer. Nous savons tous que le consensus n'est pas encore établi et que les débats sur ce sujet seront difficiles. Les intérêts des nations et les préoccupations des groupes régionaux doivent être dûment pris en considération. Je salue en tout cas l'opiniâtreté dont le président Razali a fait preuve tout au long de la 51ème Assemblée générale des Nations unies qui a permis d'élaborer une solide base de travail.
2. Réforme financière
La réforme du financement des Nations unies est particulièrement complexe. Il est choquant que l'ONU vive sous le régime de la précarité, et donc de la dépendance financière et budgétaire à l'égard de ses débiteurs. Je crois que nous pourrons progresser vers une solution sur la base de trois principes : ce qui est dû à l'ONU doit être payé en totalité, doit être payé à temps et doit être payé sans condition.
Enfin, le paiement des contributions ne saurait constituer un élément de pression sur le Secrétaire général et sur les autres Etats membres.
A partir de ces principes, élémentaires, la France est ouverte à la discussion sur tous les aspects de ce problème : Il nous faudra décider de la clé de répartition entre tous les Etats. Aucune n'est parfaite, mais il y en a de moins mauvaises que d'autres. La capacité de paiement de chaque Etat, qui fait l'objet d'un consensus depuis l'origine, nous apparaît encore aujourd'hui simple, logique et équitable. C'est sur cette base que peut être définie une solution prenant en compte les besoins et les intérêts de chacun. La France fera tout son possible pour faciliter le règlement de la crise financière. Nous saurons être à la fois imaginatifs et conciliants, comme l'est déjà le plan de l'Union européenne. Mais notre effort ne débouchera que s'il respecte les règles que je viens de rappeler et qui sont l'expression de l'impartialité et de la crédibilité de notre Organisation. Si celle-ci devait être contrainte de se soumettre aux exigences unilatérales d'un seul d'entre nous, tant pour son financement que pour son fonctionnement, comment pourrait-elle demain convaincre de son impartialité, de sa fidélité au principe de l'égalité de tous devant la Charte et obtenir le respect de ses propres décisions ?
3. La restructuration
Le Secrétaire général a entrepris de restructurer et de regrouper les institutions de l'Organisation. La France apprécie la logique de cette approche. Elle accueille ainsi favorablement la création d'un pôle consacré, à Vienne, à la lutte contre les nouvelles menaces transnationales telles que la criminalité organisée, le trafic des drogues et le terrorisme, contre lesquelles nous devons redoubler d'efforts.
Elle est également très favorable au regroupement du Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme et du Centre des Droits de l'Homme en une seule entité à Genève où se trouvent déjà les grands acteurs de l'aide humanitaire. Dans le même esprit, elle souhaite aussi que les questions essentielles touchant au désarmement continuent d'être traitées à Genève.
Je salue la nomination de Mme Mary Robinson au poste de Haut-Commissaire des Droits de l'Homme. Sa très forte personnalité est à la mesure des enjeux de sa mission. La commémoration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, à compter du 10 décembre de cette année, sera l'occasion de réaffirmer, face à des violations persistantes et des barbaries toujours renaissantes, l'universalité de ces droits.
Mais nous aurons aussi à nous demander, au-delà des déclarations toujours nécessaires, quelles sont les actions politiques et économiques qui font réellement progresser dans les situations concrètes, le respect des Droits de l'Homme et comment, de l'extérieur, on peut encourager l'émergence des démocraties.
III. - L'ONU doit rester, tout en s'adaptant, l'instrument privilégié d'intervention au service de la paix.
Aujourd'hui l'ONU est bien la seule organisation à pouvoir tenter d'ordonner une société internationale qui, simultanément, se fragmente et se mondialise. L'ONU est confrontée à la fois au retour de micro-nationalismes de toute nature et au renforcement d'ensembles régionaux. Une majorité de conflits se déroulent désormais non pas entre les Etats, mais à l'intérieur de ceux-ci. Or, face à ces défis nouveaux, l'ONU a déjà fait preuve de qualités d'adaptation et de souplesse. Mais il faut continuer.
Le règlement durable des conflits nécessite l'apaisement des consciences et que la justice passe afin de mettre un terme au cycle des vengeances sans fin. Les coupables des crimes les plus graves doivent être jugés dans des conditions d'impartialité, dans le respect des droits de la défense et après une instruction exemplaire permettant de faire toute la lumière sur les faits. C'est pourquoi la France soutient l'action des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda et souhaite le succès de la prochaine conférence sur la Cour criminelle internationale.
1. L'encouragement aux acteurs régionaux
Depuis le début de la décennie, l'action de l'Organisation en faveur de la paix et de la stabilité internationale a déjà profondément évolué. Le temps n'est plus des grandes opérations de maintien de la paix, qui, au Cambodge ou en ex-Yougoslavie par exemple, se déployaient sous l'unique drapeau bleu des Nations unies afin de relever seules des défis colossaux. Aujourd'hui les Nations unies interviennent de plus en plus souvent de concert avec d'autres organisations, ou en autorisant l'action d'acteurs régionaux. En Europe, les Nations unies joignent leurs efforts à ceux de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord sur les théâtres d'opérations délicats, voire à ceux de l'OSCE. En Afrique, pour la première fois, les Secrétaires généraux de l'ONU et de l'OUA ont, dans l'année écoulée, désigné un représentant spécial conjoint, en la personne de M. l'ambassadeur Sahnoun dans la région des Grands lacs. Il est bon que ces deux organisations travaillent ensemble.
Cette évolution doit être encouragée. Nous devons également aider les Etats et les instances africaines à renforcer leurs capacités propres dans le domaine du maintien de la paix. Dans ce but, les pays extérieurs au continent africain doivent joindre leurs efforts, et non multiplier les initiatives concurrentes et parfois redondantes.
Ainsi le gouvernement français, ceux du Royaume-Uni et des Etats-Unis sont récemment convenus d'agir en commun avec tous ceux qui le veulent, pour renforcer les capacités des pays africains dans le domaine du maintien de la paix, sous les auspices, naturellement des Nations unies et en liaison avec l'OUA.
Mais encourager l'Afrique à s'impliquer davantage dans la résolution des crises ne signifie en aucune façon pour la France que la communauté internationale doive se défaire de ses autres responsabilités à l'égard du continent africain. Ainsi, est-il impératif que l'ONU soit prête, dès que les conditions énoncées en seront réunies, à agir au Congo-Brazzaville. De même, les multiples tragédies récentes de la région des Grands lacs rendent indispensable une implication internationale durable. Cet engagement des Nations unies en faveur de la paix et du développement doit aussi servir la cause des Droits de l'Homme ; d'où l'importance que la mission d'investigation humanitaire en République démocratique du Congo puisse faire son travail. Mais j'ajouterais qu'à trop parler de crises en Afrique, on oublierait l'essentiel, à savoir que l'Afrique est un continent engagé dans un essor sans précédent. Mon pays y croit.
2. Le rôle de l'ONU au Proche-Orient
Nous continuons à être tous mobilisés par la situation au Proche Orient. La mise en route du processus de paix à l'initiative d'hommes lucides et courageux de part et d'autre avait fait lever d'immenses espérances. On voit bien à quelles conséquences de plus en plus tragiques conduirait le blocage actuel s'il se perpétuait. Les peuples de cette région sont de nouveau enfermés dans l'impasse, l'humiliation, le ressentiment, la crainte du terrorisme. De nouveaux efforts sont donc nécessaires pour que ces deux peuples, israélien et palestinien, qui se font face dans l'insécurité et dans l'inquiétude du lendemain, trouvent ensemble la justice et la sécurité. La France a pleinement soutenu la démarche du secrétaire d'Etat américain qui s'est rendu récemment au Moyen-Orient. Car les Etats-Unis ont une responsabilité et des moyens particuliers pour tenter de redonner corps au processus de paix, et combattre efficacement les extrémismes meurtriers. La France et l'Europe sont disposées à participer à toute démarche constructive dans cette direction.
Que peuvent faire les Nations unies, qui ne sauraient se substituer aux parties concernées, responsables au premier chef ? Il leur revient de dire, ou de redire, le droit et de rappeler les principes sur lesquels doit se fonder la recherche de toute paix durable. Je fais ici allusion aux résolutions adoptées par le Conseil de sécurité sur le conflit du Proche-Orient, sans oublier la résolution 425 qui traite en particulier de l'intégrité du Liban
Monsieur le Président, bien d'autres situations de crises où les plaies ne sont pas cicatrisées pourraient être évoquées à cette tribune, tant l'action des Nations unies est diverse. Je pense notamment à la situation en Bosnie-Herzégovine où la sécurité est rétablie mais où la construction d'un Etat doté d'institutions démocratiques et viables reste encore incertaine ; à l'Albanie où la nouvelle stabilité, grâce à une action européenne résolue, autorisée par les Nations unies, fait naître de nouveaux espoirs. Je pense aussi aux efforts tenaces des Nations unies pour contenir ou résorber les crises à Haïti, à Chypre, en Géorgie, en Afghanistan, au Tadjikistan, ailleurs encore.
IV - Enfin, n'oublions pas, encore et toujours, la nécessaire aide au développement.
Bien sûr, l'insertion des économies émergentes, y compris d'anciennes économies sous-développées, dans l'économie mondiale, est une excellente chose et c'est la preuve du bien-fondé de beaucoup d'efforts dans le passé. Mais que cela ne soit pas un prétexte égoïste pour les pays riches à relâcher leur effort d'aide au développement qui demeure également et toujours nécessaire. Cet impératif est en tout cas très présent chez les responsables des Etats membres de la Francophonie. Le sommet de ces Etats en novembre à Hanoï témoignera de leur intérêt pour un développement plus équilibré et attestera aussi de leur attachement au respect de la multiplicité des cultures et des langues.
* * *
Je m'en tiendrais là néanmoins pour ne tirer qu'une seule conclusion. Si le monde a tant changé depuis cinquante ans, et encore plus depuis six ans, ses habitants expriment toujours les mêmes besoins. Sans relâche, l'Etat de droit doit être consolidé, l'idéal démocratique doit être mis en pratique face aux tentations d'oppression et de recours à la force qui trouvent sans arrêt de nouveaux prétextes à s'exprimer. Sur tous les continents, y compris en Europe, comment être sûrs que les facteurs de guerre ou de chaos sont à jamais proscrits ?
A l'heure de la réforme de notre Organisation, n'oublions pas les leçons de l'Histoire : seule la concertation internationale, la gestion en commun des crises, à commencer par leur prévention, la sage préservation des ressources de la planète, d'équité dans le développement, permettent de faire prévaloir la voix de la raison et de la paix et de refonder la confiance dans le progrès. L'Organisation des Nations unies est la seule enceinte légitime de cette concertation internationale, la seule où cette concertation soit universelle. Notre Organisation demeure donc un cadre irremplaçable et une nécessité vitale pour nous tous. Dans le passé, elle a déjà su souvent dissuader, traiter, résoudre, prévenir. Réformons-la, pour la rendre plus utile encore.
Je vous remercie, Monsieur le Président./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2001)
I - Mesdames et Messieurs, j'ouvrirais mon intervention par une conviction que j'exprime au nom de mon pays : le monde a plus que jamais besoin de l'Organisation des Nations unies. Non, les Nations unies n'ont pas perdu leur raison d'être avec la fin de la guerre froide, de la course aux armements entre les deux blocs et du choc frontal des idéologies adverses.
Au contraire, jamais la nécessité d'une instance de régulation universelle n'est apparue aussi évidente. Les raisons, vous les connaissez. Nous sommes sortis, sans regret, de l'ère de l'affrontement bipolaire pour entrer, depuis 1991, dans un monde nouveau, global, évolutif, où 185 Etats coopèrent, s'allient ou se concurrencent dans des combinaisons durables ou, au contraire instables. Dans ce monde, les Etats ne sont plus les seuls acteurs. Les très grandes entreprises, les marchés financiers, les médias, les groupes d'opinion, les ONG, jouent un rôle accru. D'où un impérieux besoin de règles du jeu claires, équitables, prévisibles qui fournissent un cadre au règlement des conflits ou des simples différends. Car il n'y a plus de problème sérieux qu'un pays, même le plus puissant, puisse régler totalement seul.
Et, si nous n'y prenons garde, si nous ne parvenons pas à bâtir un monde où l'Etat de droit règne entre les Etats, un monde équilibré entre ses principaux pôles, ce sont d'autres scénarios qui l'emporteront : l'absence de contre-poids favorisera la prédominance d'une seule puissance et inévitablement pour celle-ci, la tentation de l'unilatéralisme ; faute d'ensembles régionaux organisés, la globalisation exacerbera la lutte économique, et parfois politique, de chacun contre tous ; les Etats s'en trouveront encore affaiblis ; certains imploseront sous les coups de nationalismes agressifs souvent contagieux. L'âpreté des compétitions rendra quasi impossibles la préservation de l'environnement, pourtant si urgente, si vitale au sens propre du terme, ainsi que la lutte contre la drogue et la criminalité ; l'amélioration du respect des Droits de l'Homme sera compromise.
Notre tâche commune doit être de prévenir de tels risques et en même temps de consolider ensemble les acquis des dernières années. Pour cela, des regroupements régionaux sont une des meilleures bases possibles. Depuis un demi-siècle, l'Europe, qui avait été le foyer de tant de guerres, a montré la voie. Mais ailleurs aussi, les taux de croissance atteints par de nombreux pays d'Asie, d'Amérique latine et maintenant d'Afrique, annoncent l'émergence de nouveaux pôles de puissance et de prospérité. Des ensembles politiques ou économiques s'organisent et s'institutionnalisent : l'Asie du Sud-Est se réunit dans l'ASEAN, l'Amérique latine voit se développer le Mercosur, l'Afrique, la SADEC ou la CEDEAO. D'une certaine façon, on peut citer aussi des ensembles politiques et culturels comme le Commonwealth ou la Francophonie. C'est une des façons judicieuses de s'adapter à la mondialisation.
Mais au niveau global, nous avons besoin d'une Organisation des Nations unies cohérente, efficace, dotée des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions. Il lui revient d'aider à la bonne organisation des relations internationales et de fixer des règles de droit universellement reconnues. Il existe certes des organisations sectorielles qui ont des compétences propres, très importantes. Mais aucune ne peut se substituer à l'ONU pour donner au monde de demain ses règles d'ensemble. Fidèle à sa tradition, la France soutiendra tous les efforts de l'Organisation dans ce sens.
II - J'en viens à l'objet principal de la session qui s'ouvre. Pour remplir ce rôle majeur que nous attendons d'elle, l'ONU doit conserver ou retrouver des moyens de décider et d'agir.
Nous avons, pour cela, à résoudre deux problèmes : celui de la réforme des Nations unies, et celui du financement de l'Organisation. Des solutions que nous trouverons dépendra la capacité d'action des Nations unies dans les années à venir.
La France a approuvé la démarche du nouveau Secrétaire général qui a poursuivi, dès le début de son mandat, la réflexion lancée par son prédécesseur, M. Boutros Boutros-Ghali. Les axes de travail que M. Kofi Annan nous a proposés, et l'impulsion qu'il a donnée au processus de rénovation de notre Organisation, ont rencontré, de la part de la France, un entier soutien, soutien partagé par les partenaires de la France au sein de l'Union européenne. Les propos tenus à cette tribune par son président en exercice, le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, en sont l'illustration. J'évoquerai plus précisément trois points : le Conseil de sécurité, la réforme financière, la restructuration.
1. Conseil de sécurité
La composition actuelle du Conseil de sécurité ne reflète plus qu'imparfaitement la géographie politique du monde actuel. Il est clair qu'il doit être réformé, c'est-à-dire, élargi, pour devenir plus représentatif.
A ce sujet, nous devons tenir compte du rôle indispensable du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et donc élire des pays à même de contribuer à cette tâche, qu'ils soient du Nord ou du Sud.
Mon pays s'est ainsi montré favorable à l'accès de l'Allemagne, du Japon, mais aussi de trois pays du Sud à des sièges permanents et à la création de nouveaux sièges non-permanents. Car un Conseil de sécurité uniquement composé de grands
pays du Nord ne serait pas représentatif. N'oublions pas non plus qu'une fois élargi, et donc plus représentatif, le Conseil devra demeurer efficace. C'est essentiel.
Les propositions qui nous sont faites devraient nous permettre d'avancer. Nous savons tous que le consensus n'est pas encore établi et que les débats sur ce sujet seront difficiles. Les intérêts des nations et les préoccupations des groupes régionaux doivent être dûment pris en considération. Je salue en tout cas l'opiniâtreté dont le président Razali a fait preuve tout au long de la 51ème Assemblée générale des Nations unies qui a permis d'élaborer une solide base de travail.
2. Réforme financière
La réforme du financement des Nations unies est particulièrement complexe. Il est choquant que l'ONU vive sous le régime de la précarité, et donc de la dépendance financière et budgétaire à l'égard de ses débiteurs. Je crois que nous pourrons progresser vers une solution sur la base de trois principes : ce qui est dû à l'ONU doit être payé en totalité, doit être payé à temps et doit être payé sans condition.
Enfin, le paiement des contributions ne saurait constituer un élément de pression sur le Secrétaire général et sur les autres Etats membres.
A partir de ces principes, élémentaires, la France est ouverte à la discussion sur tous les aspects de ce problème : Il nous faudra décider de la clé de répartition entre tous les Etats. Aucune n'est parfaite, mais il y en a de moins mauvaises que d'autres. La capacité de paiement de chaque Etat, qui fait l'objet d'un consensus depuis l'origine, nous apparaît encore aujourd'hui simple, logique et équitable. C'est sur cette base que peut être définie une solution prenant en compte les besoins et les intérêts de chacun. La France fera tout son possible pour faciliter le règlement de la crise financière. Nous saurons être à la fois imaginatifs et conciliants, comme l'est déjà le plan de l'Union européenne. Mais notre effort ne débouchera que s'il respecte les règles que je viens de rappeler et qui sont l'expression de l'impartialité et de la crédibilité de notre Organisation. Si celle-ci devait être contrainte de se soumettre aux exigences unilatérales d'un seul d'entre nous, tant pour son financement que pour son fonctionnement, comment pourrait-elle demain convaincre de son impartialité, de sa fidélité au principe de l'égalité de tous devant la Charte et obtenir le respect de ses propres décisions ?
3. La restructuration
Le Secrétaire général a entrepris de restructurer et de regrouper les institutions de l'Organisation. La France apprécie la logique de cette approche. Elle accueille ainsi favorablement la création d'un pôle consacré, à Vienne, à la lutte contre les nouvelles menaces transnationales telles que la criminalité organisée, le trafic des drogues et le terrorisme, contre lesquelles nous devons redoubler d'efforts.
Elle est également très favorable au regroupement du Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme et du Centre des Droits de l'Homme en une seule entité à Genève où se trouvent déjà les grands acteurs de l'aide humanitaire. Dans le même esprit, elle souhaite aussi que les questions essentielles touchant au désarmement continuent d'être traitées à Genève.
Je salue la nomination de Mme Mary Robinson au poste de Haut-Commissaire des Droits de l'Homme. Sa très forte personnalité est à la mesure des enjeux de sa mission. La commémoration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, à compter du 10 décembre de cette année, sera l'occasion de réaffirmer, face à des violations persistantes et des barbaries toujours renaissantes, l'universalité de ces droits.
Mais nous aurons aussi à nous demander, au-delà des déclarations toujours nécessaires, quelles sont les actions politiques et économiques qui font réellement progresser dans les situations concrètes, le respect des Droits de l'Homme et comment, de l'extérieur, on peut encourager l'émergence des démocraties.
III. - L'ONU doit rester, tout en s'adaptant, l'instrument privilégié d'intervention au service de la paix.
Aujourd'hui l'ONU est bien la seule organisation à pouvoir tenter d'ordonner une société internationale qui, simultanément, se fragmente et se mondialise. L'ONU est confrontée à la fois au retour de micro-nationalismes de toute nature et au renforcement d'ensembles régionaux. Une majorité de conflits se déroulent désormais non pas entre les Etats, mais à l'intérieur de ceux-ci. Or, face à ces défis nouveaux, l'ONU a déjà fait preuve de qualités d'adaptation et de souplesse. Mais il faut continuer.
Le règlement durable des conflits nécessite l'apaisement des consciences et que la justice passe afin de mettre un terme au cycle des vengeances sans fin. Les coupables des crimes les plus graves doivent être jugés dans des conditions d'impartialité, dans le respect des droits de la défense et après une instruction exemplaire permettant de faire toute la lumière sur les faits. C'est pourquoi la France soutient l'action des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda et souhaite le succès de la prochaine conférence sur la Cour criminelle internationale.
1. L'encouragement aux acteurs régionaux
Depuis le début de la décennie, l'action de l'Organisation en faveur de la paix et de la stabilité internationale a déjà profondément évolué. Le temps n'est plus des grandes opérations de maintien de la paix, qui, au Cambodge ou en ex-Yougoslavie par exemple, se déployaient sous l'unique drapeau bleu des Nations unies afin de relever seules des défis colossaux. Aujourd'hui les Nations unies interviennent de plus en plus souvent de concert avec d'autres organisations, ou en autorisant l'action d'acteurs régionaux. En Europe, les Nations unies joignent leurs efforts à ceux de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord sur les théâtres d'opérations délicats, voire à ceux de l'OSCE. En Afrique, pour la première fois, les Secrétaires généraux de l'ONU et de l'OUA ont, dans l'année écoulée, désigné un représentant spécial conjoint, en la personne de M. l'ambassadeur Sahnoun dans la région des Grands lacs. Il est bon que ces deux organisations travaillent ensemble.
Cette évolution doit être encouragée. Nous devons également aider les Etats et les instances africaines à renforcer leurs capacités propres dans le domaine du maintien de la paix. Dans ce but, les pays extérieurs au continent africain doivent joindre leurs efforts, et non multiplier les initiatives concurrentes et parfois redondantes.
Ainsi le gouvernement français, ceux du Royaume-Uni et des Etats-Unis sont récemment convenus d'agir en commun avec tous ceux qui le veulent, pour renforcer les capacités des pays africains dans le domaine du maintien de la paix, sous les auspices, naturellement des Nations unies et en liaison avec l'OUA.
Mais encourager l'Afrique à s'impliquer davantage dans la résolution des crises ne signifie en aucune façon pour la France que la communauté internationale doive se défaire de ses autres responsabilités à l'égard du continent africain. Ainsi, est-il impératif que l'ONU soit prête, dès que les conditions énoncées en seront réunies, à agir au Congo-Brazzaville. De même, les multiples tragédies récentes de la région des Grands lacs rendent indispensable une implication internationale durable. Cet engagement des Nations unies en faveur de la paix et du développement doit aussi servir la cause des Droits de l'Homme ; d'où l'importance que la mission d'investigation humanitaire en République démocratique du Congo puisse faire son travail. Mais j'ajouterais qu'à trop parler de crises en Afrique, on oublierait l'essentiel, à savoir que l'Afrique est un continent engagé dans un essor sans précédent. Mon pays y croit.
2. Le rôle de l'ONU au Proche-Orient
Nous continuons à être tous mobilisés par la situation au Proche Orient. La mise en route du processus de paix à l'initiative d'hommes lucides et courageux de part et d'autre avait fait lever d'immenses espérances. On voit bien à quelles conséquences de plus en plus tragiques conduirait le blocage actuel s'il se perpétuait. Les peuples de cette région sont de nouveau enfermés dans l'impasse, l'humiliation, le ressentiment, la crainte du terrorisme. De nouveaux efforts sont donc nécessaires pour que ces deux peuples, israélien et palestinien, qui se font face dans l'insécurité et dans l'inquiétude du lendemain, trouvent ensemble la justice et la sécurité. La France a pleinement soutenu la démarche du secrétaire d'Etat américain qui s'est rendu récemment au Moyen-Orient. Car les Etats-Unis ont une responsabilité et des moyens particuliers pour tenter de redonner corps au processus de paix, et combattre efficacement les extrémismes meurtriers. La France et l'Europe sont disposées à participer à toute démarche constructive dans cette direction.
Que peuvent faire les Nations unies, qui ne sauraient se substituer aux parties concernées, responsables au premier chef ? Il leur revient de dire, ou de redire, le droit et de rappeler les principes sur lesquels doit se fonder la recherche de toute paix durable. Je fais ici allusion aux résolutions adoptées par le Conseil de sécurité sur le conflit du Proche-Orient, sans oublier la résolution 425 qui traite en particulier de l'intégrité du Liban
Monsieur le Président, bien d'autres situations de crises où les plaies ne sont pas cicatrisées pourraient être évoquées à cette tribune, tant l'action des Nations unies est diverse. Je pense notamment à la situation en Bosnie-Herzégovine où la sécurité est rétablie mais où la construction d'un Etat doté d'institutions démocratiques et viables reste encore incertaine ; à l'Albanie où la nouvelle stabilité, grâce à une action européenne résolue, autorisée par les Nations unies, fait naître de nouveaux espoirs. Je pense aussi aux efforts tenaces des Nations unies pour contenir ou résorber les crises à Haïti, à Chypre, en Géorgie, en Afghanistan, au Tadjikistan, ailleurs encore.
IV - Enfin, n'oublions pas, encore et toujours, la nécessaire aide au développement.
Bien sûr, l'insertion des économies émergentes, y compris d'anciennes économies sous-développées, dans l'économie mondiale, est une excellente chose et c'est la preuve du bien-fondé de beaucoup d'efforts dans le passé. Mais que cela ne soit pas un prétexte égoïste pour les pays riches à relâcher leur effort d'aide au développement qui demeure également et toujours nécessaire. Cet impératif est en tout cas très présent chez les responsables des Etats membres de la Francophonie. Le sommet de ces Etats en novembre à Hanoï témoignera de leur intérêt pour un développement plus équilibré et attestera aussi de leur attachement au respect de la multiplicité des cultures et des langues.
* * *
Je m'en tiendrais là néanmoins pour ne tirer qu'une seule conclusion. Si le monde a tant changé depuis cinquante ans, et encore plus depuis six ans, ses habitants expriment toujours les mêmes besoins. Sans relâche, l'Etat de droit doit être consolidé, l'idéal démocratique doit être mis en pratique face aux tentations d'oppression et de recours à la force qui trouvent sans arrêt de nouveaux prétextes à s'exprimer. Sur tous les continents, y compris en Europe, comment être sûrs que les facteurs de guerre ou de chaos sont à jamais proscrits ?
A l'heure de la réforme de notre Organisation, n'oublions pas les leçons de l'Histoire : seule la concertation internationale, la gestion en commun des crises, à commencer par leur prévention, la sage préservation des ressources de la planète, d'équité dans le développement, permettent de faire prévaloir la voix de la raison et de la paix et de refonder la confiance dans le progrès. L'Organisation des Nations unies est la seule enceinte légitime de cette concertation internationale, la seule où cette concertation soit universelle. Notre Organisation demeure donc un cadre irremplaçable et une nécessité vitale pour nous tous. Dans le passé, elle a déjà su souvent dissuader, traiter, résoudre, prévenir. Réformons-la, pour la rendre plus utile encore.
Je vous remercie, Monsieur le Président./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2001)