Texte intégral
MARC VOINCHET
Surveiller, punir et après ? Aujourd'hui, France Culture passe donc derrière les barreaux et se penche pendant vingt-quatre heures sur la prison. Nous avons tous en tête les images choquantes de la prison des Baumettes à Marseille : surpopulation, insalubrité, les prisons françaises souffrent. Pour venir à leur chevet, Antoine LAZARUS a pris récemment la présidence de lObservatoire international des prisons. Il sera linvité des Matins en deuxième partie, à 8 heures 15. Après le succès du mariage pour tous, la ministre désormais superstar Christiane TAUBIRA sattaque à un nouveau chantier, et quel chantier de taille ! : réformer la justice pénale et éviter la récidive. Cest donc tout naturellement avec la Garde des Sceaux et ministre de la Justice que nous ouvrons cette matinée pour comprendre, au fond, quelle prison le gouvernement veut pour demain. Pour ce faire, hier et aujourd'hui se tient à la Maison de la Chimie à Paris la conférence de consensus sur la prévention et la récidive. C'est là que nous avons rencontré la ministre Christiane TAUBIRA avec Laure DE VULPIAN et Christophe PAYET, notamment aux journées qui préparent dailleurs le socle dune future loi pénale pour juin 2013. Mais dabord, ce mot « consensus ». Consensus, vous avez dit consensus, madame la Ministre ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Ça veut dire dabord que lobjectif cest de travailler à prévenir la récidive, c'est-à- dire de faire en sorte quune personne qui a été condamnée, si elle a subi une peine dincarcération, quelle sorte de létablissement pénitentiaire dans des conditions telles quelle ne soit pas amenée à réitérer, à récidiver lacte délictueux ou criminel.
MARC VOINCHET
Pourquoi la récidive ? Récemment la prison est revenue dans lactualité en France pour des questions dhygiène, de salubrité, de mauvais état au fond des prisons et on aurait pu penser que cétait peut-être ça dabord lurgence : soccuper de létat des prisons. Finalement, ça nest pas cela. Pourquoi cest la récidive en premier ?
CHRISTIANE TAUBIRA
De toute façon, tout cela est lié. Simplement parce que la récidive se déconnecte dune certaine façon de la surpopulation carcérale. La surpopulation carcérale, les conditions dindignité de détention, les conditions extrêmement difficiles de travail des personnels, de suivi qui sont effectuées, tout cela évidemment interpelle un peu plus mais, à la limite, même sil ny avait pas de surpopulation carcérale, une société démocratique doit sinterroger sur le sens de la prison, sur son efficacité. Si lincarcération nest pas efficace et si la récidive est importante, ce qui est encore le cas, cela fait de nouvelles victimes. C'est-à-dire que si on ne réfléchit pas à prévenir la récidive, on contribue à linsécurité des Français ?
MARC VOINCHET
Tout de même, vous dites que cest une réflexion qui nest pas partisane. Daucuns disent : « Voilà ! Cest du TAUBIRA, cest de la gauche au pouvoir. Encore une question au fond qui sera liée plus au laxisme et à lidée que, puisquil faut mettre moins de gens dans les prisons, et que les prisons sont trop pleines, il faut trouver des astuces pour simplement mettre moins de gens en prison. » Que répondez-vous à cela Christiane TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Je crois quon nassèchera jamais la mauvaise foi et quon ne va jamais tarir les mauvaises querelles. Il suffit de regarder la composition du comité dorganisation. Il y avait un maire UMP, il y avait un maire PS, il y avait un commissaire de police, il y avait un colonel de gendarmerie, il y a des personnalités de sensibilités, de métiers, de parcours extrêmement différents. Vous regardez le jury dorganisation, cest la même chose. Vous avez un député honoraire, monsieur Étienne PINTE, qui est un député UMP. Vous avez encore un commissaire divisionnaire, un colonel de gendarmerie ; il y a des personnes de sensibilités et de parcours différents. Alors si on considère que sur un comité dorganisation indépendant, plus sur un jury de consensus indépendant, dont la composition est ce quelle est pour chacune de ces structures. « TAUBIRA manipule » : je répète, on ne pourra jamais tarir les mauvaises querelles.
MARC VOINCHET
Oui, mais enfin on dit tout de même que cette conférence, cest une conférence contre Sarkozystes qui souhaitent aboutir à des conclusions qui iront contre plusieurs lois et plusieurs dispositions mises en place sous Nicolas SARKOZY, comme les peines-planchers que vous naimez pas, comme le tribunal correctionnel pour mineurs, comme des tas de choses comme ça.
CHRISTIANE TAUBIRA
Dabord, je ne veux pas passer du temps à expliquer les contres et les querelles, pardonnez-moi. Les peines-planchers, ce nest pas une question de les aimer ou de ne pas les aimer. Vous regardez le fonctionnement des juridictions, vous regardez lutilisation des peines-planchers, vous voyez que les peines-planchers ont servi surtout à graver des peines très désocialisantes, à graver des peines sur des délits mineurs alors que les peines-planchers nont eu aucune utilité sur les crimes. Par contre, les peines-planchers qui est un dispositif automatique réduit la capacité dappréciation des juges, donc réduit lapport de la justice dans lindividualisation de la procédure, de la peine et du suivi. Voilà. Ce sont donc des constats objectifs qui ont été faits avant même que la gauche narrive aux responsabilités. Ce sont des constats qui sont validés par les magistrats eux-mêmes et par tous ceux qui contribuent à loeuvre de justice. Moi, peu importe ce quon peut dire. Vous avez pour la première fois un rassemblement de compétences, de personnalités. C'est sans précédent ce rassemblement sur la prévention de la récidive. Cest absolument sans précédent. Alors si on considère que cest de la manipulation, que cest de lanti-sarkozysme, peu importe. Moi, je ne vais jamais interdire cela mais, pardonnez-moi, je ne vais pas non plus y consacrer un gramme de mon énergie. Ce qui est important, cest de savoir ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons, comment nous le faisons. Et ce que nous faisons est quand même extraordinaire, c'est-à-dire que ce pari de lintelligence collective, ce pari de la liberté de pensée, ce pari de la capacité de mobilisation de personnes de sensibilités extrêmement diverses, ce pari nous sommes en train de le gagner. Et ce nest pas TAUBIRA qui le gagne, ce nest même pas seulement la gauche qui le gagne parce que dès linstallation du comité dorganisation, il y avait des sénateurs UMP. Les députés UMP invités ont préféré ne pas venir, mais les sénateurs UMP invités sont venus. Donc ce nest pas nous qui gagnons, c'est la société qui est en train de gagner. Cest lintelligence collective qui est en train de gagner. Ce sont ces personnes qui depuis des années travaillent au quotidien sur ces sujets-là. Ils réfléchissent, produisent des travaux, des réflexions, traduisent des travaux étrangers. Ce sont ces personnes-là qui sont en train de gagner et, en définitive, cest la société qui est en train de gagner parce que si nous gagnons la bataille contre la récidive, nous réduisons le nombre de victimes.
MARC VOINCHET
Dun mot je vous passe la parole, Laure DE VULPIAN dun mot la récidive il faut rappeler que, voilà, cinq ans après leur libération, cinquante-neuf pour cents des détenus sont à nouveau condamnés. Il faut dire que la part des détenus qui sont condamnés pour crime est petite ; elle correspond à 0,5 %. Laure DE VULPIAN ?
LAURE DE VULPIAN
Oui. Madame TAUBIRA, hier matin dans votre discours introductif, vous avez parlé de la lutte contre la récidive mais vous avez une ambition encore plus grande, cest donc prévenir la récidive. Néanmoins, consacrer ces deux jours plus des mois de travail à la récidive, cest quand même un constat déchec.
CHRISTIANE TAUBIRA
Ce nest certainement pas un constat déchec sur mon bilan, madame, mais ça aussi cest sans importance. Sans importance. Il est sans importance pour moi de mesurer statistique par statistique les erreurs. Nous constatons une chose : cest quil y a une accumulation de dispositifs législatifs réglementaires, que cette accumulation de dispositifs a consisté essentiellement à durcir les peines, à rallonger les peines, à accélérer un certain nombre de procédures, à introduire des automatismes et des mécanismes et on constate les résultats. Parmi les résultats, il y a quand même un certain nombre de constats quil faut signaler : cest que par exemple, les personnes qui bénéficient dune libération conditionnelle récidivent presque deux fois moins que des personnes qui sont maintenues en incarcération. Voilà. Et ça, même ça cest un élément positif. Je ne le prends pas à mon compte. Je constate, jessaye dobjectiver. C'est-à-dire que ce qui est important cest de quoi nous disposons, quest-ce que nous savons, quest-ce que nous avons pu mesurer, quelles sont les conséquences de certains choix ? sur des choix de procédures, des choix de peines, les choix de modalités dexécution des peines, les choix de pratiques à lintérieur des établissements, les choix aussi en milieu ouvert. Quest-ce quon sait ? Quest-ce quon sait ici en France ? Quest-ce quon sait ailleurs ? Quest-ce quon a mesuré ? Quest-ce quon a vérifié ? Sur ça, on fait un premier consensus. Et la deuxième ambition, cest darriver à faire un autre consensus sur le sens de la peine, le sens de la peine en milieu ouvert, le sens de la peine en détention, limportance de laccompagnement et puis surtout ce qui est important, cest la politique gouvernementale interministérielle. Vous savez que par exemple, je me suis battue et le Premier ministre en était tellement daccord que nous avons obtenu de bons résultats, pour que dans toutes les grandes politiques publiques du gouvernement, il y ait la prise en compte des personnes sous main de justice. Ça veut dire que dans la politique de logement cest le cas ; dans la politique de lemploi et notamment des contrats davenir, cest le cas ; dans la politique de la formation, cest le cas. Nous allons expérimenter un certain nombre de dispositifs dans quelques départements. Voilà. Donc tout ça est pris en compte parce que, effectivement, lutter contre la récidive, prévenir la récidive, cest aussi faire en sorte que les personnes sous écrou ou sous main de justice, lorsquelles sont dans la vie courante, elles puissent entrer dans les dispositifs sociaux, dans les dispositifs daccompagnement dans les dispositifs demploi.
MARC VOINCHET
Lidée, tout de même cest quand même de savoir comment on va sy prendre au fond pour lutter contre ce quon appelle la surpopulation carcérale tout de même et la condamnation un peu rapide.
CHRISTIANE TAUBIRA
Moi je ne parlerais pas de condamnation rapide, parce que jai du respect pour les magistrats, ce que jessaie de faire cest de leur redonner la marge dappréciation, et cest ça la suppression des automatismes, cest pas aimer ou ne pas aimer les peines plancher, ce sont des automatismes qui réduisent la marge dappréciation. Or on voit bien que les résultats sont meilleurs lorsquil y a une véritable individualisation. Si le juge ne peut pas individualiser les résultats seront mauvais. Ensuite, il faut arrêter de gaspiller des ressources humaines et des moyens. On a bien vu que lorsque laménagement des peines est décidé tardivement, il y a une mobilisation du magistrat, du juge dapplication des peines, du conseiller dinsertion, du surveillant etc, ça cest un gaspillage deffectifs, cest un gaspillage de moyens aussi. Donc voilà, nous essayons dobtenir des résultats. Oui, il faut lutter contre la surpopulation carcérale parce quil est inefficace et quelle est dangereuse ; oui il faut lutter contre la surpopulation carcérale parce que ça na pas de sens de retenir des gens dans des conditions dindignité ; mais lobjectif ce nest pas lutter contre la surpopulation carcérale, lobjectif cest prévenir la récidive, cest réduire la délinquance, cest multiplier donc les politiques publiques, ou plutôt croiser, harmoniser les politiques publiques, lutte contre la délinquance, lutte contre lexclusion, lutte contre la pauvreté, lutte pour linsertion sociale. Cest ce quil y a à faire.
MARC VOINCHET
Est-ce que vous pensez que ce combat va être compliqué, plus compliqué à mener que celui du mariage pour tous dont on lit çà et là quil a été mené par vous brillamment, Christiane TAUBIRA, avec tout de même, alors là le tabou majeur, qui est le tabou de la prison, le sujet quon ne veut pas regarder encore moins peut-être quune question de mariage de gens entre même sexe. Est-ce que vous pensez que cela va être compliqué justement ce combat-là Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui, il sera difficile. Il est difficile. Mais nous avons déjà passé des étapes extrêmement importantes, cest pour ça que jai fait le pari du consensus ; cest un vrai pari, cest un pari extrêmement risqué que jai fait. Et je lai fait, risqué, à trois étapes. La première étape cétait le comité dorganisation. Il a fallu le mettre en place, le laisser travailler de façon autonome, et il y avait des risques sur sa composition. Il a travaillé du feu de Dieu. Ensuite, il y a eu le jury de consensus qui été mis en place par le comité dorganisation. Et le jury lui-même est aussi indépendant du comité dorganisation. Ça veut dire jentre dans une deuxième phase de risque que jai acceptée. Et puis il y a la troisième phase, cest deux journées en débat plénière, où il y a effectivement aussi des risques. Voilà. Jaurais pu faire plus facile, jaurais pu diligenter
MARC VOINCHET
Et les risques sont majeurs Christiane TAUBIRA, parce que regardez vous avez entendu hier matin Jean-Marie DELARUE qui est le contrôleur justement général des lieux de privation de liberté, qui a dit des choses qui vont être très compliquées sans doute ensuite pour continuer davancer sur le débat : « La prison doit être ouverte et fermée, ou doit être fermée et ouverte », a-t-il dit. Jusquoù doit-elle souvrir ? Il a parlé douverture et il a ensuite dit « au fond le détenu, la personne qui est condamnée, la personne qui est sous écrou cest quelquun quil faut entendre, et il faut revenir à du face à face ». Tout le monde ne sera pas sur ces bases-là.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais bien entendu, mais enfin on ne va pas résoudre tout, on ne va pas éliminer toute controverse dans la société. Ce quil y a cest quon vise le consensus. Je rappelle sur ce quon sait et sur ce quon doit faire, ça nempêche pas la controverse. Mais dailleurs on avance aussi dans la controverse. Donc moi ça ne me dérange pas. Ça peut être dérangeant, ça peut être ingrats dune certaine façon, mais ça ne me dérange pas parce que je crois que cest le prix à payer pour que la prison dans une démocratie soit digne et quelle soit efficace. Et puis pour le reste évidemment cest un sujet très sensible et même explosif, la prison. IL suffit dun fait divers pour que lopinion publique se transforme en humeur publique, et quon pense dune façon majoritaire quil faut enfermer tout le monde. Mais la prison ouverte et fermée ça existe déjà. Il y a notamment dans les établissements de longues peines, il y a des lieux où les portes sont ouvertes dans la journée, où il y a des activités à lintérieur. Donc la prison ouverte et fermée Vous avez par exemple la prison de Casabianda en Corse cest un établissement ouvert avec des activités économiques, donc voilà. Il y a des choses simplement, évaluons les rigoureusement, voyons ce quelles valent, voyons ce quil faut corriger, voyons ce quil faut étendre, voyons ce qui doit rester singulier, cest un travail que nous faisons ensemble.
MARC VOINCHET
La dernière question Christiane TAUBIRA, désormais partout où vous voulez passer vous êtes accueillie plus comme une rock star que comme une ministre après le succès du mariage pour tous. Vous avez déjà votre champ lexicographique au point pour défendre la loi que vous défendrez au printemps prochain. Alors il y aura quoi pour la prison, par coeur comme ça, du Jean GENET, du DOSTOÏEVSKI, du SADE, du Victor HUGO ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Finalement ce sont les débats qui inspirent lauteur qui convient au moment et aux propos que jentends. Ce que je peux vous dire cest que ce sera un combat difficile mais passionnant, indiscutablement, mais jai de nombreux chantiers passionnants, cest une chance même si ça demande beaucoup de travail la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et mes autres réformes constitutionnelles sont passionnantes. Même quelque chose qui peut paraitre moins sexy comme la justice commerciale est tellement compliquée à mettre en place que cest en train de devenir très très intéressant. Donc voilà. Mais ça dépendra de la tonalité, ça dépendra de lambiance, ça dépendra de la qualité des interventions, et cest ce qui va déterminer si cest René CHAR, si cest André GIDE, si cest Aimé CESAIRE, si cest DAMAS, si cest il y a des tas dautres auteurs, Pablo NERUDA, Nicolas GUILLEN, Vargas LLOSA ; il y en a plein, plein, plein.
MARC VOINCHET
Vous êtes heureuse, vous vous attendiez à cette popularité, alors quau début on disait « oh TAUBIRA, elle nest pas vraiment à sa place, elle nest même pas socialiste ».
CHRISTIANE TAUBIRA
Etant donné que je nai pas été malheureuse des critiques, le reste... je nai pas à recueillir du bonheur parce que je nai pas souffert, je nai pas vécu du malheur.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 février 2013
Surveiller, punir et après ? Aujourd'hui, France Culture passe donc derrière les barreaux et se penche pendant vingt-quatre heures sur la prison. Nous avons tous en tête les images choquantes de la prison des Baumettes à Marseille : surpopulation, insalubrité, les prisons françaises souffrent. Pour venir à leur chevet, Antoine LAZARUS a pris récemment la présidence de lObservatoire international des prisons. Il sera linvité des Matins en deuxième partie, à 8 heures 15. Après le succès du mariage pour tous, la ministre désormais superstar Christiane TAUBIRA sattaque à un nouveau chantier, et quel chantier de taille ! : réformer la justice pénale et éviter la récidive. Cest donc tout naturellement avec la Garde des Sceaux et ministre de la Justice que nous ouvrons cette matinée pour comprendre, au fond, quelle prison le gouvernement veut pour demain. Pour ce faire, hier et aujourd'hui se tient à la Maison de la Chimie à Paris la conférence de consensus sur la prévention et la récidive. C'est là que nous avons rencontré la ministre Christiane TAUBIRA avec Laure DE VULPIAN et Christophe PAYET, notamment aux journées qui préparent dailleurs le socle dune future loi pénale pour juin 2013. Mais dabord, ce mot « consensus ». Consensus, vous avez dit consensus, madame la Ministre ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Ça veut dire dabord que lobjectif cest de travailler à prévenir la récidive, c'est-à- dire de faire en sorte quune personne qui a été condamnée, si elle a subi une peine dincarcération, quelle sorte de létablissement pénitentiaire dans des conditions telles quelle ne soit pas amenée à réitérer, à récidiver lacte délictueux ou criminel.
MARC VOINCHET
Pourquoi la récidive ? Récemment la prison est revenue dans lactualité en France pour des questions dhygiène, de salubrité, de mauvais état au fond des prisons et on aurait pu penser que cétait peut-être ça dabord lurgence : soccuper de létat des prisons. Finalement, ça nest pas cela. Pourquoi cest la récidive en premier ?
CHRISTIANE TAUBIRA
De toute façon, tout cela est lié. Simplement parce que la récidive se déconnecte dune certaine façon de la surpopulation carcérale. La surpopulation carcérale, les conditions dindignité de détention, les conditions extrêmement difficiles de travail des personnels, de suivi qui sont effectuées, tout cela évidemment interpelle un peu plus mais, à la limite, même sil ny avait pas de surpopulation carcérale, une société démocratique doit sinterroger sur le sens de la prison, sur son efficacité. Si lincarcération nest pas efficace et si la récidive est importante, ce qui est encore le cas, cela fait de nouvelles victimes. C'est-à-dire que si on ne réfléchit pas à prévenir la récidive, on contribue à linsécurité des Français ?
MARC VOINCHET
Tout de même, vous dites que cest une réflexion qui nest pas partisane. Daucuns disent : « Voilà ! Cest du TAUBIRA, cest de la gauche au pouvoir. Encore une question au fond qui sera liée plus au laxisme et à lidée que, puisquil faut mettre moins de gens dans les prisons, et que les prisons sont trop pleines, il faut trouver des astuces pour simplement mettre moins de gens en prison. » Que répondez-vous à cela Christiane TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Je crois quon nassèchera jamais la mauvaise foi et quon ne va jamais tarir les mauvaises querelles. Il suffit de regarder la composition du comité dorganisation. Il y avait un maire UMP, il y avait un maire PS, il y avait un commissaire de police, il y avait un colonel de gendarmerie, il y a des personnalités de sensibilités, de métiers, de parcours extrêmement différents. Vous regardez le jury dorganisation, cest la même chose. Vous avez un député honoraire, monsieur Étienne PINTE, qui est un député UMP. Vous avez encore un commissaire divisionnaire, un colonel de gendarmerie ; il y a des personnes de sensibilités et de parcours différents. Alors si on considère que sur un comité dorganisation indépendant, plus sur un jury de consensus indépendant, dont la composition est ce quelle est pour chacune de ces structures. « TAUBIRA manipule » : je répète, on ne pourra jamais tarir les mauvaises querelles.
MARC VOINCHET
Oui, mais enfin on dit tout de même que cette conférence, cest une conférence contre Sarkozystes qui souhaitent aboutir à des conclusions qui iront contre plusieurs lois et plusieurs dispositions mises en place sous Nicolas SARKOZY, comme les peines-planchers que vous naimez pas, comme le tribunal correctionnel pour mineurs, comme des tas de choses comme ça.
CHRISTIANE TAUBIRA
Dabord, je ne veux pas passer du temps à expliquer les contres et les querelles, pardonnez-moi. Les peines-planchers, ce nest pas une question de les aimer ou de ne pas les aimer. Vous regardez le fonctionnement des juridictions, vous regardez lutilisation des peines-planchers, vous voyez que les peines-planchers ont servi surtout à graver des peines très désocialisantes, à graver des peines sur des délits mineurs alors que les peines-planchers nont eu aucune utilité sur les crimes. Par contre, les peines-planchers qui est un dispositif automatique réduit la capacité dappréciation des juges, donc réduit lapport de la justice dans lindividualisation de la procédure, de la peine et du suivi. Voilà. Ce sont donc des constats objectifs qui ont été faits avant même que la gauche narrive aux responsabilités. Ce sont des constats qui sont validés par les magistrats eux-mêmes et par tous ceux qui contribuent à loeuvre de justice. Moi, peu importe ce quon peut dire. Vous avez pour la première fois un rassemblement de compétences, de personnalités. C'est sans précédent ce rassemblement sur la prévention de la récidive. Cest absolument sans précédent. Alors si on considère que cest de la manipulation, que cest de lanti-sarkozysme, peu importe. Moi, je ne vais jamais interdire cela mais, pardonnez-moi, je ne vais pas non plus y consacrer un gramme de mon énergie. Ce qui est important, cest de savoir ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons, comment nous le faisons. Et ce que nous faisons est quand même extraordinaire, c'est-à-dire que ce pari de lintelligence collective, ce pari de la liberté de pensée, ce pari de la capacité de mobilisation de personnes de sensibilités extrêmement diverses, ce pari nous sommes en train de le gagner. Et ce nest pas TAUBIRA qui le gagne, ce nest même pas seulement la gauche qui le gagne parce que dès linstallation du comité dorganisation, il y avait des sénateurs UMP. Les députés UMP invités ont préféré ne pas venir, mais les sénateurs UMP invités sont venus. Donc ce nest pas nous qui gagnons, c'est la société qui est en train de gagner. Cest lintelligence collective qui est en train de gagner. Ce sont ces personnes qui depuis des années travaillent au quotidien sur ces sujets-là. Ils réfléchissent, produisent des travaux, des réflexions, traduisent des travaux étrangers. Ce sont ces personnes-là qui sont en train de gagner et, en définitive, cest la société qui est en train de gagner parce que si nous gagnons la bataille contre la récidive, nous réduisons le nombre de victimes.
MARC VOINCHET
Dun mot je vous passe la parole, Laure DE VULPIAN dun mot la récidive il faut rappeler que, voilà, cinq ans après leur libération, cinquante-neuf pour cents des détenus sont à nouveau condamnés. Il faut dire que la part des détenus qui sont condamnés pour crime est petite ; elle correspond à 0,5 %. Laure DE VULPIAN ?
LAURE DE VULPIAN
Oui. Madame TAUBIRA, hier matin dans votre discours introductif, vous avez parlé de la lutte contre la récidive mais vous avez une ambition encore plus grande, cest donc prévenir la récidive. Néanmoins, consacrer ces deux jours plus des mois de travail à la récidive, cest quand même un constat déchec.
CHRISTIANE TAUBIRA
Ce nest certainement pas un constat déchec sur mon bilan, madame, mais ça aussi cest sans importance. Sans importance. Il est sans importance pour moi de mesurer statistique par statistique les erreurs. Nous constatons une chose : cest quil y a une accumulation de dispositifs législatifs réglementaires, que cette accumulation de dispositifs a consisté essentiellement à durcir les peines, à rallonger les peines, à accélérer un certain nombre de procédures, à introduire des automatismes et des mécanismes et on constate les résultats. Parmi les résultats, il y a quand même un certain nombre de constats quil faut signaler : cest que par exemple, les personnes qui bénéficient dune libération conditionnelle récidivent presque deux fois moins que des personnes qui sont maintenues en incarcération. Voilà. Et ça, même ça cest un élément positif. Je ne le prends pas à mon compte. Je constate, jessaye dobjectiver. C'est-à-dire que ce qui est important cest de quoi nous disposons, quest-ce que nous savons, quest-ce que nous avons pu mesurer, quelles sont les conséquences de certains choix ? sur des choix de procédures, des choix de peines, les choix de modalités dexécution des peines, les choix de pratiques à lintérieur des établissements, les choix aussi en milieu ouvert. Quest-ce quon sait ? Quest-ce quon sait ici en France ? Quest-ce quon sait ailleurs ? Quest-ce quon a mesuré ? Quest-ce quon a vérifié ? Sur ça, on fait un premier consensus. Et la deuxième ambition, cest darriver à faire un autre consensus sur le sens de la peine, le sens de la peine en milieu ouvert, le sens de la peine en détention, limportance de laccompagnement et puis surtout ce qui est important, cest la politique gouvernementale interministérielle. Vous savez que par exemple, je me suis battue et le Premier ministre en était tellement daccord que nous avons obtenu de bons résultats, pour que dans toutes les grandes politiques publiques du gouvernement, il y ait la prise en compte des personnes sous main de justice. Ça veut dire que dans la politique de logement cest le cas ; dans la politique de lemploi et notamment des contrats davenir, cest le cas ; dans la politique de la formation, cest le cas. Nous allons expérimenter un certain nombre de dispositifs dans quelques départements. Voilà. Donc tout ça est pris en compte parce que, effectivement, lutter contre la récidive, prévenir la récidive, cest aussi faire en sorte que les personnes sous écrou ou sous main de justice, lorsquelles sont dans la vie courante, elles puissent entrer dans les dispositifs sociaux, dans les dispositifs daccompagnement dans les dispositifs demploi.
MARC VOINCHET
Lidée, tout de même cest quand même de savoir comment on va sy prendre au fond pour lutter contre ce quon appelle la surpopulation carcérale tout de même et la condamnation un peu rapide.
CHRISTIANE TAUBIRA
Moi je ne parlerais pas de condamnation rapide, parce que jai du respect pour les magistrats, ce que jessaie de faire cest de leur redonner la marge dappréciation, et cest ça la suppression des automatismes, cest pas aimer ou ne pas aimer les peines plancher, ce sont des automatismes qui réduisent la marge dappréciation. Or on voit bien que les résultats sont meilleurs lorsquil y a une véritable individualisation. Si le juge ne peut pas individualiser les résultats seront mauvais. Ensuite, il faut arrêter de gaspiller des ressources humaines et des moyens. On a bien vu que lorsque laménagement des peines est décidé tardivement, il y a une mobilisation du magistrat, du juge dapplication des peines, du conseiller dinsertion, du surveillant etc, ça cest un gaspillage deffectifs, cest un gaspillage de moyens aussi. Donc voilà, nous essayons dobtenir des résultats. Oui, il faut lutter contre la surpopulation carcérale parce quil est inefficace et quelle est dangereuse ; oui il faut lutter contre la surpopulation carcérale parce que ça na pas de sens de retenir des gens dans des conditions dindignité ; mais lobjectif ce nest pas lutter contre la surpopulation carcérale, lobjectif cest prévenir la récidive, cest réduire la délinquance, cest multiplier donc les politiques publiques, ou plutôt croiser, harmoniser les politiques publiques, lutte contre la délinquance, lutte contre lexclusion, lutte contre la pauvreté, lutte pour linsertion sociale. Cest ce quil y a à faire.
MARC VOINCHET
Est-ce que vous pensez que ce combat va être compliqué, plus compliqué à mener que celui du mariage pour tous dont on lit çà et là quil a été mené par vous brillamment, Christiane TAUBIRA, avec tout de même, alors là le tabou majeur, qui est le tabou de la prison, le sujet quon ne veut pas regarder encore moins peut-être quune question de mariage de gens entre même sexe. Est-ce que vous pensez que cela va être compliqué justement ce combat-là Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui, il sera difficile. Il est difficile. Mais nous avons déjà passé des étapes extrêmement importantes, cest pour ça que jai fait le pari du consensus ; cest un vrai pari, cest un pari extrêmement risqué que jai fait. Et je lai fait, risqué, à trois étapes. La première étape cétait le comité dorganisation. Il a fallu le mettre en place, le laisser travailler de façon autonome, et il y avait des risques sur sa composition. Il a travaillé du feu de Dieu. Ensuite, il y a eu le jury de consensus qui été mis en place par le comité dorganisation. Et le jury lui-même est aussi indépendant du comité dorganisation. Ça veut dire jentre dans une deuxième phase de risque que jai acceptée. Et puis il y a la troisième phase, cest deux journées en débat plénière, où il y a effectivement aussi des risques. Voilà. Jaurais pu faire plus facile, jaurais pu diligenter
MARC VOINCHET
Et les risques sont majeurs Christiane TAUBIRA, parce que regardez vous avez entendu hier matin Jean-Marie DELARUE qui est le contrôleur justement général des lieux de privation de liberté, qui a dit des choses qui vont être très compliquées sans doute ensuite pour continuer davancer sur le débat : « La prison doit être ouverte et fermée, ou doit être fermée et ouverte », a-t-il dit. Jusquoù doit-elle souvrir ? Il a parlé douverture et il a ensuite dit « au fond le détenu, la personne qui est condamnée, la personne qui est sous écrou cest quelquun quil faut entendre, et il faut revenir à du face à face ». Tout le monde ne sera pas sur ces bases-là.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais bien entendu, mais enfin on ne va pas résoudre tout, on ne va pas éliminer toute controverse dans la société. Ce quil y a cest quon vise le consensus. Je rappelle sur ce quon sait et sur ce quon doit faire, ça nempêche pas la controverse. Mais dailleurs on avance aussi dans la controverse. Donc moi ça ne me dérange pas. Ça peut être dérangeant, ça peut être ingrats dune certaine façon, mais ça ne me dérange pas parce que je crois que cest le prix à payer pour que la prison dans une démocratie soit digne et quelle soit efficace. Et puis pour le reste évidemment cest un sujet très sensible et même explosif, la prison. IL suffit dun fait divers pour que lopinion publique se transforme en humeur publique, et quon pense dune façon majoritaire quil faut enfermer tout le monde. Mais la prison ouverte et fermée ça existe déjà. Il y a notamment dans les établissements de longues peines, il y a des lieux où les portes sont ouvertes dans la journée, où il y a des activités à lintérieur. Donc la prison ouverte et fermée Vous avez par exemple la prison de Casabianda en Corse cest un établissement ouvert avec des activités économiques, donc voilà. Il y a des choses simplement, évaluons les rigoureusement, voyons ce quelles valent, voyons ce quil faut corriger, voyons ce quil faut étendre, voyons ce qui doit rester singulier, cest un travail que nous faisons ensemble.
MARC VOINCHET
La dernière question Christiane TAUBIRA, désormais partout où vous voulez passer vous êtes accueillie plus comme une rock star que comme une ministre après le succès du mariage pour tous. Vous avez déjà votre champ lexicographique au point pour défendre la loi que vous défendrez au printemps prochain. Alors il y aura quoi pour la prison, par coeur comme ça, du Jean GENET, du DOSTOÏEVSKI, du SADE, du Victor HUGO ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Finalement ce sont les débats qui inspirent lauteur qui convient au moment et aux propos que jentends. Ce que je peux vous dire cest que ce sera un combat difficile mais passionnant, indiscutablement, mais jai de nombreux chantiers passionnants, cest une chance même si ça demande beaucoup de travail la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et mes autres réformes constitutionnelles sont passionnantes. Même quelque chose qui peut paraitre moins sexy comme la justice commerciale est tellement compliquée à mettre en place que cest en train de devenir très très intéressant. Donc voilà. Mais ça dépendra de la tonalité, ça dépendra de lambiance, ça dépendra de la qualité des interventions, et cest ce qui va déterminer si cest René CHAR, si cest André GIDE, si cest Aimé CESAIRE, si cest DAMAS, si cest il y a des tas dautres auteurs, Pablo NERUDA, Nicolas GUILLEN, Vargas LLOSA ; il y en a plein, plein, plein.
MARC VOINCHET
Vous êtes heureuse, vous vous attendiez à cette popularité, alors quau début on disait « oh TAUBIRA, elle nest pas vraiment à sa place, elle nest même pas socialiste ».
CHRISTIANE TAUBIRA
Etant donné que je nai pas été malheureuse des critiques, le reste... je nai pas à recueillir du bonheur parce que je nai pas souffert, je nai pas vécu du malheur.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 février 2013