Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, sur le rôle des chambres régionales des comptes dans la perspective du nouvel acte de décentralisation, au Sénat le 1er février 2013.

Prononcé le 1er février 2013

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque à l'occasion du 30e anniversaire des chambres régionales des comptes, au Sénat le 1er février 2013

Texte intégral

Monsieur le Premier Président,
Mesdames et messieurs les sénateurs
Monsieur le Procureur général,
Mesdames et Messieurs les présidents de chambres,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie, Monsieur le premier président, de votre invitation à ouvrir le colloque que vous avez organisé à l’occasion du 30ème anniversaire des chambres régionales des comptes.
Depuis quelques mois, le trentième anniversaire des premières lois de décentralisation est l’occasion d’évoquer la libre administration, les transferts de compétences, mais il ne nous faut pas oublier la création de vos juridictions.
Comme l’a dit le Président de la République à propos de la Cour des comptes, votre rôle est également d'assurer la transparence « sans laquelle la responsabilité n'existe pas ».
Votre mission est de vérifier en toute indépendance l'usage qui est fait de l'argent public au niveau local, c'est-à-dire des ressources des citoyens, de leurs biens, du produit de leur travail, de leurs efforts de solidarité. Cette mission est d’autant plus importante que la dépense publique locale représente aujourd’hui une part importante de nos dépenses publiques et que les collectivités réalisent les trois quarts de l’investissement public national.
Le contrôle organique est la mission première des juridictions financières.
L’examen de la gestion est ainsi aujourd’hui bien identifié dans le paysage institutionnel et politique.
Les règles de procédures, le principe de la collégialité, du contradictoire ou l’obligation d’appuyer toute affirmation sur l’examen rigoureux « sur pièce et sur place » y concourent.
Le jugement des comptes, procédure multiséculaire en France est quant à elle l’une des conséquences du principe de la séparation entre l’ordonnateur et le comptable. Ce contrôle juridictionnel, qui vous confère la qualité de magistrat, concourt à la fiabilité des comptes.
Le contrôle des actes budgétaires a quant à lui permis d’éviter des déboires à nombre de communes et de syndicats intercommunaux.
Enfin, les chambres contribuent aux nombreuses enquêtes thématiques et rapports publics de la Cour des comptes, parce que de plus en plus de politiques publiques sont non seulement territorialisées mais aussi partagées entre l’Etat et les collectivités locales. C’est un point essentiel : il nous faut pouvoir évaluer les politiques publiques partenariales menées par l’Etat et les différents niveaux de collectivités. Votre contribution à cet ensemble est indispensable et doit être pleinement reconnue.
Je crois en vos missions et à la pertinence de la présence de juridictions régionales ou interrégionales ayant en charge le contrôle de l’économie, de l’efficacité et de l’efficience de la gestion des collectivités locales ou des organismes dans lesquels elles interviennent financièrement, de juridictions ayant la possibilité de mener, en toute indépendance et dans le cadre de procédures contradictoires, des investigations permettant de contribuer à l’évaluation des politiques publiques, et enfin de juridictions rendant leurs rapports publics.
Certes, l’examen de la gestion reste aujourd’hui redouté par les collectivités locales alors même que le professionnalisme grandissant de leurs équipes n’est pas à contester.
Mais ce n’est pas un mauvais signe, d’autant plus que la valeur ajoutée de vos travaux n’est plus à prouver : l’analyse des zones de risques de la gestion d’une collectivité avec le recul que vous êtes capables de prendre est aujourd’hui très précieuse. C’est ainsi que les chambres ont fortement contribué à la mise en lumière des produits d’emprunts structurés, particulièrement toxiques, et ce dès 2009.
Les travaux des chambres mériteraient me semble-t-il d’être davantage valorisés, de même que leur capacité d’expertise pour le compte d’autres acteurs publics, je pense en particulier aux préfets.
Auxiliaires de démocratie, les chambres doivent être attentives au fait que leurs rapports, qui sont publics, soient effectivement lus, commentés, que leurs travaux soient utiles et utilisés.
Elles ont certes un rôle de contrôle, mais elles doivent aussi avoir l’ambition de faire progresser la qualité de la gestion publique, au travers de leurs recommandations, dont la bonne mise en application doit être suivie, et plus largement au travers de la diffusion des bonnes pratiques de gestion que vous pouvez faire, à l’échelle régionale et à l’échelle nationale.
Je ne peux que vous encourager à innover en ce sens, tout en précisant que ces évolutions devront s’articuler de façon cohérente avec le projet de loi que je prépare actuellement et qui ne doit que conforter votre rôle.
Ce trentième anniversaire intervient en effet à la veille d’une nouvelle étape de décentralisation. Permettez-moi de vous présenter les objectifs et de dessiner les contours du projet de loi qui sera prochainement soumis au Conseil des ministres.
Je veux au passage remercier les juridictions financières pour l’intérêt qu’elles lui ont porté, à travers les contributions, qu’elles soient institutionnelles ou syndicales.
Trente ans après, la décentralisation est toujours aussi nécessaire car, chacun le sent bien, c’est la mobilisation commune de l’Etat et des collectivités locales qui permettra le redressement de nos finances publiques et de notre économie. Soutien des PME, formation des jeunes, logement, enseignement supérieur, recherche, culture, environnement, écologie : c’est ensemble, Etat et collectivités, que nous arriverons à relever les défis que les Français attendent de nous.
Voilà pourquoi le Gouvernement a décidé d’engager sans attendre cette nouvelle étape de décentralisation.
Nous devons d’abord aller jusqu’au bout de la logique des blocs de compétences sur certains sujets. Le Président de la République lui-même en a dessiné les grands axes :
Aux régions les compétences économiques et de formation professionnelle.
Aux départements, une mission renforcée de garant de la solidarité et de la cohésion sociale et territoriale.
Au bloc communal et intercommunal, la responsabilité de mettre en oeuvre la transition énergétique avec le logement, l’urbanisme et les mobilités, avec la reconnaissance d’un statut particulier de métropole pour les grandes aires urbaines.
Pour aller jusqu’au bout de la logique de 1982, il ne s’agit pas seulement de transférer et de décentraliser, y compris au profit de nouvelles entités. Il s’agit d’abord de tirer toutes les conséquences de 30 ans de libertés locales qui ont conduit les collectivités à développer leurs capacités au service du développement des territoires.
A cet égard, le texte que le Gouvernement prépare n’est pas à proprement parler un énième acte de décentralisation. Il n’est pas le prolongement de l’acte II de 2004. Il en diffère par ses objectifs et son esprit. Car il est avant tout l’acte premier de la modernisation de l’action publique que le gouvernement s’est engagé à conduire.
Il ne s’agit pas de décentraliser pour décentraliser, mais de construire un cadre pérenne et durable d’évolution de l’action publique dans son ensemble.
C’est tout le sens du Ministère dont j’ai la charge : mettre en cohérence les missions de l’Etat avec les compétences des collectivités locales. Et garantir que la réforme de l’Etat et la décentralisation avancent à un même rythme sur des lignes convergentes. C’est un exercice par nature complexe, que nous avons appelé la modernisation de l’action publique, et qui consiste à rechercher l’amélioration de l’efficacité collective des acteurs publics.
Ce grand chantier revêt de nombreux aspects et je ne vais vous citer que les principaux : la clarification des missions et la mise en cohérence de l’action des acteurs publics, la simplification des normes et des procédures, une attention accrue aux besoins des usagers et aux attentes des citoyens, et, point fondamental, l’association étroite des agents à ce mouvement de modernisation de l’action publique.
La clarification des missions et des compétences vise avant tout à améliorer l’efficacité du service rendu : une action publique plus lisible, plus accessible et plus simple pour l’usager car davantage intégrée dans sa mise en oeuvre. Elle vise aussi à améliorer son efficience, car la complexité et la multiplicité des intervenants sont bien souvent source de surcoûts.
Cet ensemble repose sur le principe de la confiance et sur la nécessité d’un dialogue renforcé, entre l’Etat et les collectivités mais aussi entre les collectivités elles-mêmes.
Le cadre retenu par le Président de la République pour ce nouveau dialogue, c’est d’abord, au niveau national, le Haut Conseil des territoires. Cette instance visera à assurer la cohérence des différentes politiques publiques partenariales. Instance de dialogue, d’expertise, force de proposition, le Haut Conseil des territoires doit donner aux responsables élus des territoires, représentés au niveau national, un lieu de discussion et d’échange avec l’Etat sur la gestion des territoires et des politiques publiques mises en oeuvre conjointement.
Cette concertation doit aussi se décliner au niveau local. Elle s’exercera à l’échelle régionale au sein des conférences territoriales de l’action publique : les communes, les régions, les départements mais aussi les intercommunalités y seront représentées, en présence du représentant de l’Etat, pour déterminer l’organisation des compétences la plus appropriée à la réalité de nos territoires.
Le texte que je m’apprête à présenter au Conseil des ministres prévoit en effet que les collectivités locales, entre elles, et avec l’Etat puissent déterminer librement les modalités d’exercice de leurs compétences au travers d’un pacte de gouvernance territoriale.
C’est le choix de la responsabilité et de la maturité que nous faisons, parce que, contrairement à d’autres, nous avons la conviction que les élus locaux en sont capables.
Ces conférences sont le coeur de notre projet. Il s’agit de permettre aux collectivités et à l’Etat de discuter compétence par compétence des modalités concrètes de leur exercice, dans le respect du principe de non tutelle d’une collectivité sur l’autre.
Le travail effectué au sein des conférences territoriales doit permettre également faire progresser la mutualisation des moyens, investissement de moyen terme de nos organisations publiques. Au moment où la maîtrise de la dépense est un impératif, nous devons prouver qu’existent des leviers pour dégager des marges de manoeuvre.
Ainsi, vous l’aurez compris, le principal levier de ce projet de loi n’est pas le transfert, mais la confiance – et donc le rétablissement de la clause générale de compétence pour les régions et les départements, dont la contrepartie est la mise en place d’un contrat.
De la même façon que les Chambres régionales ont accompagné les précédentes étapes de la décentralisation, elles seront associées à cette nouvelle étape. S’agissant de l’implication des juridictions financières, vous avez apporté une contribution utile à cette réflexion et je vous en remercie. Certaines de vos propositions ont été retenues.
Je souhaite ainsi que soit proposé une modification du code des juridictions financières, afin que dans un délai maximal de 3 ans après la clôture d’un examen de la gestion, la chambre régionale des comptes établisse un rapport de suivi de ses observations.
Il est aussi proposé que les décisions prises en matière d’orientation budgétaire soient documentées plus précisément. Ainsi, il serait demandé aux collectivités d’une certaine taille de publier dans le cadre du débat d’orientations budgétaires des éléments sur la dette, les dépenses de personnel et les principaux autres postes de dépenses. Une série de mesures vise en outre à améliorer la transparence et à rendre plus accessible aux citoyens les informations financières.
Je suis convaincue d’une chose et ce sera ma conclusion : la confiance est un facteur essentiel à la réussite de la décentralisation, de la modernisation de l’action publique et du redressement de notre pays.
Je compte sur l’expérience de vos juridictions comme sur votre hauteur de vue pour y contribuer utilement. Je vous remercie.
Source www.ccomptes.fr, le 21 février 2013