Texte intégral
PATRICK COHEN
Première édition de nos « MATINALES GRAND FORMAT », chaque mois un politique face à un intellectuel, l'action et la réflexion. L'action c'est vous Manuel VALLS, ministre de l'Intérieur, avec nous jusqu'à 9 h ; face à vous, le philosophie Pierre-Henri TAVOILLOT, bonjour
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Bonjour !
PATRICK COHEN
Maître de conférence à La Sorbonne, vous présidez le collège de philosophie, vous avez signé il y a un peu plus d'un an chez GRASSET « QUI DOIT GOUVERNER : une brève histoire de l'autorité » Crise d'autorité au sein de l'autorité française, disais-je, besoin ou demande d'autorité exprimée dans plusieurs sondages. On va d'abord parler, préciser de quoi on parle. Pierre-Henri TAVOILLOT ! L'autorité ce n'est pas l'ordre, ni le pouvoir ?
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Oui ! Je crois qu'il faut bien distinguer l'autorité et le pouvoir, ne serait-ce que parce qu'il peut y avoir de l'autorité sans pouvoir et du pouvoir sans autorité. L'autorité sans pouvoir, c'est d'une certaine façon le vieux chef auprès de qui on va demander conseil
PATRICK COHEN
Le sage !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Le sage ! Et puis, le pouvoir sans autorité, c'est ce qu'on appelle le petit chef. Alors l'étymologie du mot est intéressante parce qu'autorité vient de auguere en latin, ce qui signifie augmenter, donc c'est une opération un peu mystérieuse l'autorité, une forme de dopage, d'une certaine façon on augmente artificiellement un pouvoir ou un argument par une opération qu'il faut essayer de décrypter et notamment par une référence, à une espèce d'entité un peu supérieure qui permet de gonfler en quelque sorte ce pouvoir ou cet argument, puisque l'argument d'autorité est censé avoir plus de valeur.
PATRICK COHEN
Qui est lié à la confiance, c'est fondamentalement la confiance qui s'opère, d'où l'argument, un argument ou quelqu'un qui fait autorité ?
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
C'est ça !
PATRICK COHEN
L'expression est là ?
MANUEL VALLS
Quelqu'un qui fait autorité et qui se réclame, du coup, qui en quelque sorte est inspiré par une espèce d'entité supérieure. Alors il peut y en avoir dans l'histoire, il y en a eus pas mal, il y avait le passé (qui permettait d'augmenter un pouvoir ou un argument), le rapport à une nature (ce qu'on appelait les Grecs l'appellent cosmos) ou alors le rapport à Dieu bien sûr, donc c'était les 3 grandes formes anciennes et, à l'âge démocratique, la crise commence.
PATRICK COHEN
Manuel VALLS ! Comment lisez-vous ces enquêtes récentes, qui ont montré à la fois une demande d'autorité et puis une défiance générale assez exacerbée à l'égard des hommes politiques, mais aussi on en parlait tout à l'heure avec Thomas LEGRAND des médias ?
MANUEL VALLS
Eh bien parce que c'est une tendance de fond de la modernité qui avait déjà été décrite par..., donc on assiste à un effondrement plus ou moins général de toutes les formes d'autorités, et d'ailleurs ça vient d'être dit la suppression de toute une série de contraintes traditionnelles, qui façonnait, qui organisait les sociétés, a rendu sans doute les hommes plus libres mais pas forcément plus heureux et tout ce qui permettait d'organiser la société, qui s'est progressivement dissout, n'a pas laissé place à de nouvelles formes d'organisation, sinon la seule qui existe : la démocratie. Mais TOCQUEVILLE - que vous citez longuement Pierre-Henri TAVOILLOT - avait déjà prévu, au fond, que la démocratie en elle-même laissait entendre cette contestation de toutes les formes d'autorité et donc il faut recréer de l'autorité, je crois que l'autorité est émancipatrice, je crois que l'autorité est pour ce qui me concerne de gauche, mais en même temps il faut voir de quoi on parle et comment on organise cette autorité qui aujourd'hui est contestée, qu'il s'agisse (je le disais tout à l'heure répondant aux questions de Pascale CLARK), qu'il s'agisse du policier, qu'il s'agisse du gendarme, de l'enseignement, mais à commencer par le parent, par les parents, et donc c'est sans doute cette réflexion philosophique nécessaire mais qui doit nous conduire, nous hommes et femmes de pouvoir, à trouver la bonne réponse.
PATRICK COHEN
Recréer de l'autorité, avez-vous dit, la recréer ou la réinventer sous des formes différentes ?
MANUEL VALLS
Je crois qu'elle est émancipatrice ! On a besoin de la créer. Pourquoi je crois beaucoup à cette autorité, que je ne confonds pas forcément avec l'ordre ou avec la sécurité en effet ? Parce que sans autorité c'est le désordre qui s'installe partout et ce sont les plus faibles, les plus modestes, les plus démunis, ceux qui n'ont pas accès aux savoirs, ceux qui vivent dans des conditions économiques et sociales particulièrement difficiles, qui accumulent à la fois le chômage, l'échec scolaire, la vie dans des quartiers difficiles, qui, en plus, subissent ce désordre et qui en appellent à l'autorité - d'où les enquêtes d'opinions que vous évoquiez et laisser le thème de l'autorité à la seule réponse qui serait celle de la droite extrême ou de l'extrême droite serait une erreur profonde, donc ça veut dire qu'il faut inventer la République, donc il faut revenir à ARISTOTE, à la raison qui implique l'autorité.
PATRICK COHEN
Pierre-Henri TAVOILLOT !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Oui ! Moi ce qui me frappe c'est que le diagnostic de la crise de l'autorité est étonnement partagé dans notre société, il fait même la Une des magazines où on voit très souvent des débats sur la crise de l'autorité ; on voit d'ailleurs aussi que dans les valeurs revendiquées par les jeunes, ça désespère d'ailleurs les soixante-huitards, l'autorité arrive en très bonne tête Formidable ! Moi j'aurais voulu Manuel VALLS avoir votre sentiment sur 3 thèses en fait, qu'on entend au fond sur la question de l'autorité : une première thèse, qui consiste à dire : « Il faut restaurer l'autorité », donc thèse que j'appellerais le mot n'est pas très joli mais réactionnaire ; une deuxième thèse, qui consiste à dire : « Il faut maintenir l'autorité », face à un monde un peu angoissant et anxiogène, notamment la mondialisation, maintenons notre autorité française, républicaine ; et puis une troisième thèse, qui serait : « Réinventons l'autorité », dans une perspective non pas de disparition mais au contraire un peu de volontarisme optimiste, de recréation de l'autorité. J'aurais voulu avoir votre sentiment sur dans quelle option vous vous situeriez ?
PATRICK COHEN
Alors
MANUEL VALLS
Assez logiquement
PATRICK COHEN
Il vous reste à cocher les cases !
MANUEL VALLS
Non ! Alors assez logiquement là troisième, pour revenir .
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Mais dans vos discours, en même temps, vous dites assez souvent : « Il faut restaurer l'autorité de l'Etat, il faut préserver l'autorité de l'Etat
MANUEL VALLS
Oui ! Parce que l'autorité c'est une force qui doit produire de la confiance et un cadre sécurisant et sécurisé pour les gens. Mais je crois comme vous qu'on ne peut pas revenir en arrière, qu'on ne veut pas réinventer l'autorité de sociétés traditionnelles où la famille, le chef, l'église, Dieu jouaient un rôle particulier...
PATRICK COHEN
Les enseignants ! On pourra peut-être en parler tout à l'heure ?
MANUEL VALLS
Alors c'est sans doute là, à l'école, qu'il faut réinventer cette autorité et qu'il faut sans doute que le maître qui n'enseigne pas de la même manière qu'il y a 30 ou 40 ans, il y a une massification en plus de l'école qui a vu beaucoup plus d'élèves réussir malgré l'échec scolaire que nous connaissons aujourd'hui, donc ça veut bien dire qu'il faut quand même réinventer l'autorité. On dit souvent : « Il faut mettre l'élève au coeur de l'Education nationale », oui bien évidemment, c'est la finalité, mais moi je crois qu'il faut remettre aussi l'enseignement, l'enseignant, le professeur, le maître, celui qui transmet à la fois des savoirs mais aussi des valeurs, et donc c'est là aussi où il faut restaurer cette autorité, ça ne veut pas dire revenir à la manière dont on enseignait il y a 30 ou 40 ans mais, aujourd'hui, il faut sans doute réinventer une forme d'autorité.
PATRICK COHEN
Pierre-Henri TAVOILLOT !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Si on fait un bref inventaire de ce qui fait autorité dans le monde démocratique, c'est-à-dire dans un contexte où effectivement comme le disait Thomas LEGRAND tout à l'heure - il y a une contestation incessante, il y a des incertitudes quant au fondement. Si on fait un bref inventaire, il me semble qu'il y a 3 formes principales d'autorité aujourd'hui mais qui sont très critiquables chacune : il y a l'autorité de la compétence, mais en même temps on ne veut pas trop d'expertise ; il y a l'autorité dans ce qu'on appelle le charisme, le leadership, il faut malgré tout en société démocratique on aurait pu penser en être immunisé - mais il faut quand même quelqu'un qui nous entraîne, en même temps dès qu'on traduit le mot leader en allemand ça donne führer et ça devient tout de suite beaucoup moins sympathique. Donc, là aussi, une ambivalence ; Et puis une troisième forme d'autorité, j'aurais aimé avoir votre sentiment sur cette question, qui est l'autorité compassionnelle, aux 2 sens du terme en même temps, c'est-à-dire l'idée que la victime fait autorité, qu'il faut se préoccuper de ceux qui souffrent, de la vulnérabilité, mais avec tout ce que ça risque d'engager comme politique compassionnelle, comme dégoulinant de bons sentiments si je puis dire. Vous voyez ! Donc, 3 formes d'autorité mais aucune d'entre elles ne nous convainc complètement. Comment trouver la bonne synthèse ?
MANUEL VALLS
Oui ! Mais le politique doit
PATRICK COHEN
Manuel VALLS !
MANUEL VALLS
Incarner, au fond, ces 3 phases : il doit être un expert, il doit savoir, ça ne s'invente pas de diriger une grande ville ou un grand ministère ; il doit entraîner aussi, donc il doit être un leader dans la société médiatique où tout est égal aujourd'hui, la parole du politique doit être réhabilitée, à lui d'assumer d'abord ses propres responsabilités
PATRICK COHEN
Eh bien vous avez le mode d'emploi pour ça, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Oui ! La clarté dans la proposition, la vérité face à la situation
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
La transparence !
MANUEL VALLS
La transparence bien évidemment !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Mais jusqu'où ? Parce que
MANUEL VALLS
La proposition, c'est un sujet qui peut me concerner quand il s'agit par exemple de l'action de nos services de renseignements, mais ça peut être encadré aussi par la loi ; et puis la compassion, en tout cas un rapport direct avec les citoyens, alors on voit bien les limites vous les avez décrites il y a un instant mais ces 3 phases sont essentielles si on veut réhabiliter la parole politique, la parole publique et donc l'action publique, parce que, si on conteste l'autorité du politique, de l'enseignement, de l'enseignant, du policier ou du juge, ça veut dire que la démocratie elle laisse place à quoi ? Au populisme, mot d'ailleurs qu'il faut lui-même redéfinir, à une démocratie qui ne serait que directe, que participative, sans démocratie représentative - ce que vous défendez à juste titre je crois dans votre livre donc ça veut dire qu'il faut réhabiliter tous les échelons de la démocratie.
PATRICK COHEN
Bon ! On va voir dans la deuxième partie de cette interview comment faire précisément avec quelques champs, quelques exemples sur lesquels les auditeurs de FRANCE INTER souhaitent intervenir, ils nous appellent au 01.45.24.7000. Manuel VALLS face au philosophe Pierre-Henri TAVOILLOT, ça continue dans quelques minutes après la revue de presse de FRANCE INTER. Il est 8 h 31 !
source : Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2013
Première édition de nos « MATINALES GRAND FORMAT », chaque mois un politique face à un intellectuel, l'action et la réflexion. L'action c'est vous Manuel VALLS, ministre de l'Intérieur, avec nous jusqu'à 9 h ; face à vous, le philosophie Pierre-Henri TAVOILLOT, bonjour
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Bonjour !
PATRICK COHEN
Maître de conférence à La Sorbonne, vous présidez le collège de philosophie, vous avez signé il y a un peu plus d'un an chez GRASSET « QUI DOIT GOUVERNER : une brève histoire de l'autorité » Crise d'autorité au sein de l'autorité française, disais-je, besoin ou demande d'autorité exprimée dans plusieurs sondages. On va d'abord parler, préciser de quoi on parle. Pierre-Henri TAVOILLOT ! L'autorité ce n'est pas l'ordre, ni le pouvoir ?
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Oui ! Je crois qu'il faut bien distinguer l'autorité et le pouvoir, ne serait-ce que parce qu'il peut y avoir de l'autorité sans pouvoir et du pouvoir sans autorité. L'autorité sans pouvoir, c'est d'une certaine façon le vieux chef auprès de qui on va demander conseil
PATRICK COHEN
Le sage !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Le sage ! Et puis, le pouvoir sans autorité, c'est ce qu'on appelle le petit chef. Alors l'étymologie du mot est intéressante parce qu'autorité vient de auguere en latin, ce qui signifie augmenter, donc c'est une opération un peu mystérieuse l'autorité, une forme de dopage, d'une certaine façon on augmente artificiellement un pouvoir ou un argument par une opération qu'il faut essayer de décrypter et notamment par une référence, à une espèce d'entité un peu supérieure qui permet de gonfler en quelque sorte ce pouvoir ou cet argument, puisque l'argument d'autorité est censé avoir plus de valeur.
PATRICK COHEN
Qui est lié à la confiance, c'est fondamentalement la confiance qui s'opère, d'où l'argument, un argument ou quelqu'un qui fait autorité ?
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
C'est ça !
PATRICK COHEN
L'expression est là ?
MANUEL VALLS
Quelqu'un qui fait autorité et qui se réclame, du coup, qui en quelque sorte est inspiré par une espèce d'entité supérieure. Alors il peut y en avoir dans l'histoire, il y en a eus pas mal, il y avait le passé (qui permettait d'augmenter un pouvoir ou un argument), le rapport à une nature (ce qu'on appelait les Grecs l'appellent cosmos) ou alors le rapport à Dieu bien sûr, donc c'était les 3 grandes formes anciennes et, à l'âge démocratique, la crise commence.
PATRICK COHEN
Manuel VALLS ! Comment lisez-vous ces enquêtes récentes, qui ont montré à la fois une demande d'autorité et puis une défiance générale assez exacerbée à l'égard des hommes politiques, mais aussi on en parlait tout à l'heure avec Thomas LEGRAND des médias ?
MANUEL VALLS
Eh bien parce que c'est une tendance de fond de la modernité qui avait déjà été décrite par..., donc on assiste à un effondrement plus ou moins général de toutes les formes d'autorités, et d'ailleurs ça vient d'être dit la suppression de toute une série de contraintes traditionnelles, qui façonnait, qui organisait les sociétés, a rendu sans doute les hommes plus libres mais pas forcément plus heureux et tout ce qui permettait d'organiser la société, qui s'est progressivement dissout, n'a pas laissé place à de nouvelles formes d'organisation, sinon la seule qui existe : la démocratie. Mais TOCQUEVILLE - que vous citez longuement Pierre-Henri TAVOILLOT - avait déjà prévu, au fond, que la démocratie en elle-même laissait entendre cette contestation de toutes les formes d'autorité et donc il faut recréer de l'autorité, je crois que l'autorité est émancipatrice, je crois que l'autorité est pour ce qui me concerne de gauche, mais en même temps il faut voir de quoi on parle et comment on organise cette autorité qui aujourd'hui est contestée, qu'il s'agisse (je le disais tout à l'heure répondant aux questions de Pascale CLARK), qu'il s'agisse du policier, qu'il s'agisse du gendarme, de l'enseignement, mais à commencer par le parent, par les parents, et donc c'est sans doute cette réflexion philosophique nécessaire mais qui doit nous conduire, nous hommes et femmes de pouvoir, à trouver la bonne réponse.
PATRICK COHEN
Recréer de l'autorité, avez-vous dit, la recréer ou la réinventer sous des formes différentes ?
MANUEL VALLS
Je crois qu'elle est émancipatrice ! On a besoin de la créer. Pourquoi je crois beaucoup à cette autorité, que je ne confonds pas forcément avec l'ordre ou avec la sécurité en effet ? Parce que sans autorité c'est le désordre qui s'installe partout et ce sont les plus faibles, les plus modestes, les plus démunis, ceux qui n'ont pas accès aux savoirs, ceux qui vivent dans des conditions économiques et sociales particulièrement difficiles, qui accumulent à la fois le chômage, l'échec scolaire, la vie dans des quartiers difficiles, qui, en plus, subissent ce désordre et qui en appellent à l'autorité - d'où les enquêtes d'opinions que vous évoquiez et laisser le thème de l'autorité à la seule réponse qui serait celle de la droite extrême ou de l'extrême droite serait une erreur profonde, donc ça veut dire qu'il faut inventer la République, donc il faut revenir à ARISTOTE, à la raison qui implique l'autorité.
PATRICK COHEN
Pierre-Henri TAVOILLOT !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Oui ! Moi ce qui me frappe c'est que le diagnostic de la crise de l'autorité est étonnement partagé dans notre société, il fait même la Une des magazines où on voit très souvent des débats sur la crise de l'autorité ; on voit d'ailleurs aussi que dans les valeurs revendiquées par les jeunes, ça désespère d'ailleurs les soixante-huitards, l'autorité arrive en très bonne tête Formidable ! Moi j'aurais voulu Manuel VALLS avoir votre sentiment sur 3 thèses en fait, qu'on entend au fond sur la question de l'autorité : une première thèse, qui consiste à dire : « Il faut restaurer l'autorité », donc thèse que j'appellerais le mot n'est pas très joli mais réactionnaire ; une deuxième thèse, qui consiste à dire : « Il faut maintenir l'autorité », face à un monde un peu angoissant et anxiogène, notamment la mondialisation, maintenons notre autorité française, républicaine ; et puis une troisième thèse, qui serait : « Réinventons l'autorité », dans une perspective non pas de disparition mais au contraire un peu de volontarisme optimiste, de recréation de l'autorité. J'aurais voulu avoir votre sentiment sur dans quelle option vous vous situeriez ?
PATRICK COHEN
Alors
MANUEL VALLS
Assez logiquement
PATRICK COHEN
Il vous reste à cocher les cases !
MANUEL VALLS
Non ! Alors assez logiquement là troisième, pour revenir .
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Mais dans vos discours, en même temps, vous dites assez souvent : « Il faut restaurer l'autorité de l'Etat, il faut préserver l'autorité de l'Etat
MANUEL VALLS
Oui ! Parce que l'autorité c'est une force qui doit produire de la confiance et un cadre sécurisant et sécurisé pour les gens. Mais je crois comme vous qu'on ne peut pas revenir en arrière, qu'on ne veut pas réinventer l'autorité de sociétés traditionnelles où la famille, le chef, l'église, Dieu jouaient un rôle particulier...
PATRICK COHEN
Les enseignants ! On pourra peut-être en parler tout à l'heure ?
MANUEL VALLS
Alors c'est sans doute là, à l'école, qu'il faut réinventer cette autorité et qu'il faut sans doute que le maître qui n'enseigne pas de la même manière qu'il y a 30 ou 40 ans, il y a une massification en plus de l'école qui a vu beaucoup plus d'élèves réussir malgré l'échec scolaire que nous connaissons aujourd'hui, donc ça veut bien dire qu'il faut quand même réinventer l'autorité. On dit souvent : « Il faut mettre l'élève au coeur de l'Education nationale », oui bien évidemment, c'est la finalité, mais moi je crois qu'il faut remettre aussi l'enseignement, l'enseignant, le professeur, le maître, celui qui transmet à la fois des savoirs mais aussi des valeurs, et donc c'est là aussi où il faut restaurer cette autorité, ça ne veut pas dire revenir à la manière dont on enseignait il y a 30 ou 40 ans mais, aujourd'hui, il faut sans doute réinventer une forme d'autorité.
PATRICK COHEN
Pierre-Henri TAVOILLOT !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Si on fait un bref inventaire de ce qui fait autorité dans le monde démocratique, c'est-à-dire dans un contexte où effectivement comme le disait Thomas LEGRAND tout à l'heure - il y a une contestation incessante, il y a des incertitudes quant au fondement. Si on fait un bref inventaire, il me semble qu'il y a 3 formes principales d'autorité aujourd'hui mais qui sont très critiquables chacune : il y a l'autorité de la compétence, mais en même temps on ne veut pas trop d'expertise ; il y a l'autorité dans ce qu'on appelle le charisme, le leadership, il faut malgré tout en société démocratique on aurait pu penser en être immunisé - mais il faut quand même quelqu'un qui nous entraîne, en même temps dès qu'on traduit le mot leader en allemand ça donne führer et ça devient tout de suite beaucoup moins sympathique. Donc, là aussi, une ambivalence ; Et puis une troisième forme d'autorité, j'aurais aimé avoir votre sentiment sur cette question, qui est l'autorité compassionnelle, aux 2 sens du terme en même temps, c'est-à-dire l'idée que la victime fait autorité, qu'il faut se préoccuper de ceux qui souffrent, de la vulnérabilité, mais avec tout ce que ça risque d'engager comme politique compassionnelle, comme dégoulinant de bons sentiments si je puis dire. Vous voyez ! Donc, 3 formes d'autorité mais aucune d'entre elles ne nous convainc complètement. Comment trouver la bonne synthèse ?
MANUEL VALLS
Oui ! Mais le politique doit
PATRICK COHEN
Manuel VALLS !
MANUEL VALLS
Incarner, au fond, ces 3 phases : il doit être un expert, il doit savoir, ça ne s'invente pas de diriger une grande ville ou un grand ministère ; il doit entraîner aussi, donc il doit être un leader dans la société médiatique où tout est égal aujourd'hui, la parole du politique doit être réhabilitée, à lui d'assumer d'abord ses propres responsabilités
PATRICK COHEN
Eh bien vous avez le mode d'emploi pour ça, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Oui ! La clarté dans la proposition, la vérité face à la situation
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
La transparence !
MANUEL VALLS
La transparence bien évidemment !
PIERRE-HENRI TAVOILLOT
Mais jusqu'où ? Parce que
MANUEL VALLS
La proposition, c'est un sujet qui peut me concerner quand il s'agit par exemple de l'action de nos services de renseignements, mais ça peut être encadré aussi par la loi ; et puis la compassion, en tout cas un rapport direct avec les citoyens, alors on voit bien les limites vous les avez décrites il y a un instant mais ces 3 phases sont essentielles si on veut réhabiliter la parole politique, la parole publique et donc l'action publique, parce que, si on conteste l'autorité du politique, de l'enseignement, de l'enseignant, du policier ou du juge, ça veut dire que la démocratie elle laisse place à quoi ? Au populisme, mot d'ailleurs qu'il faut lui-même redéfinir, à une démocratie qui ne serait que directe, que participative, sans démocratie représentative - ce que vous défendez à juste titre je crois dans votre livre donc ça veut dire qu'il faut réhabiliter tous les échelons de la démocratie.
PATRICK COHEN
Bon ! On va voir dans la deuxième partie de cette interview comment faire précisément avec quelques champs, quelques exemples sur lesquels les auditeurs de FRANCE INTER souhaitent intervenir, ils nous appellent au 01.45.24.7000. Manuel VALLS face au philosophe Pierre-Henri TAVOILLOT, ça continue dans quelques minutes après la revue de presse de FRANCE INTER. Il est 8 h 31 !
source : Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2013