Interviews de M. Alain Richard, ministre de la défense, à "La Chaine parlementaire" et à Europe 1 le 12 juillet 2001, sur le remplacement des appelés par des engagés, les missions civilo-militaires de l'armée, les perspectives du budget 2002 pour la défense, la réduction du temps de travail du personnel civil de la défense, l'allègement du temps d'obligation du personnel militaire et l'utilisation des fonds secrets de la DGSE.

Prononcé le

Média : Europe 1 - La Chaîne parlementaire

Texte intégral

Interview à "La Chaine parlementaire" :
Dominique BURG
La France conserve sa traditionnelle parade militaire du 14 juillet : 4600 hommes, des avions, des hélicoptères, des blindés, et puis des chevaux dont ceux de la Garde Royale espagnole qui est l'invitée cette année du défilé. Un grand jour pour l'armée et donc pour son ministre, le ministre de la Défense, que nous avons le plaisir d'accueillir. Alain RICHARD, bonjour. Est-ce que vous appréciez le défilé du 14 juillet ?
Alain RICHARD
Bonjour. Oui, ce serait surprenant dans mes fonctions que je ne l'apprécie pas. C'est surtout un moment, comme vous le disiez à l'instant, où 6 à 7 millions de Français regardent ce déploiement et pensent un instant, en écoutant les commentaires - qui sont d'ailleurs très bien faits - au système de défense de leur pays. C'est une bonne occasion de parler avec eux.
Dominique BURG
Cette année, 21 appelés seulement, au lieu de 400 l'année dernière, vont participer à ce défilé sur les Champs-Elysées. La conscription s'achève, elle s'est même achevée plus tôt que prévu : la France a désormais une armée professionnelle. C'est une réforme qui avait été initiée en 96 par Jacques CHIRAC et que vous avez mise en uvre. Que ressentez-vous aujourd'hui, de la nostalgie, du soulagement ?
Alain RICHARD
C'était une tâche à accomplir et la mission est accomplie. C'est une page historique qui est tournée depuis bien longtemps en fait, car la décision a certes été prise par le président de la République en 1996, mais quand on relit le " Livre Blanc sur la Défense " qui définissait nos nouvelles perspectives de défense et qui était à l'initiative de François MITTERRAND en 1994, elle était déjà en germe. Au fond, la satisfaction que j'en retire, c'est que la France - dont il est de bon ton de dire qu'elle est généralement toujours un peu en retard sur les évolutions - a été le premier pays européen à repenser son système de défense dans le contexte de l'après guerre froide et des nouvelles crises. Et aujourd'hui, plusieurs de nos amis européens sont finalement en train de suivre le même parcours. C'est donc une grande réforme, qui impliquait les 500 000 personnels de la Défense - et notamment les 200 000 appelés du départ et puis tous ceux qui se sont succédés - et qui a été menée avec une grande efficacité.
Dominique BURG
Sans trop de traumatisme pour les militaires ?
Alain RICHARD
Il est vrai que nous avons été aidés par un climat de croissance. Nous avons en effet supprimé des emplois, en tout cas des présences dans de nombreux sites en France. Il y a quand même beaucoup de villes, de bassins d'emplois à qui on a retiré une présence. Et je dirais que cela a été absorbé dans un climat général : les 1 600 000 emplois qui se sont créés pendant ce temps-là, on les retrouve.
Dominique BURG
Il a fallu remplacer les appelés, il faudra encore les remplacer à certains postes assez spécifiques ; je pense par exemple aux médecins. Cela se fait-il bien ou est-ce difficile ?
Alain RICHARD
Vous avez choisi le nerf qui fait mal puisque je crois que dans l'ensemble, à de très rares exceptions près, le remplacement des appelés dans leurs divers savoir-faire par des professionnels est achevé maintenant. Disons que les milliers de recrutements qui sont en cours sont sans surprises. Mais dans le service de santé, les appelés représentaient 35 % de la main d'uvre médicale et à peu près autant des paramédicaux, des infirmiers. Et le problème des médecins est comme vous le savez que "la longueur du tuyau" pour en produire un est légèrement supérieure au temps de la réforme, parce que les garçons et les filles qui sont dans ce service s'engagent à 18 ans et en sortent à peu près à 27 ans. On a donc une pression importante sur le service de santé, qui est liée à cela ainsi qu'à la situation du marché du travail. Dans les domaines des spécialités, la particularité de la Défense professionnelle c'est d'être au contact du marché du travail ; et celui-ci peut être en faveur des salariés, parce qu'il y a insuffisamment de professionnels dans un domaine.
Dominique BURG
Donc là, c'est un peu l'inverse
Alain RICHARD
Le milieu de l'hospitalisation publique civile a relevé les rémunérations dans un certain nombre de cas pour des raisons de gestion de ses équilibres professionnels. Nous sommes en train de faire des revalorisations de carrière des médecins du service de santé pour les garder.
Dominique BURG
L'armée change, ses missions peut-être aussi. Le ministère de la Défense a lancé cette semaine une campagne d'image sur cette armée, des images que nous voyons d'ailleurs derrière nous. Tout de même, n'est-ce pas - pardonnez-moi - un peu hypocrite d'insister sur le fait que l'armée sert à faire face aux tempêtes, aux inondations, à sauver les gens ? L'armée est tout de même d'abord faite pour la guerre, non ?
Alain RICHARD
Oui, les Français le savent et ils l'assument. Cela m'a beaucoup frappé et d'ailleurs positivement impressionné pendant le conflit du Kosovo. On a expliqué très vite qu'on ne pouvait pas obtenir la fin de ce conflit et de ces persécutions insupportables par une politique de faiblesse, et très vite on a vu qu'une grande majorité de nos compatriotes était d'accord avec cela. Nous ne sommes donc pas dans un pays où il faudrait réhabituer les citoyens au fait que les armées ont besoin d'employer la force. Les gens le savent, l'assument et le comprennent bien. Cela étant, notre problème maintenant, c'est que les gens approuvent l'idée de la défense professionnelle, la comprennent dans les principes, mais ne voient pas forcément bien comment elle est organisée. Cette campagne vise donc en réalité à familiariser les Français : les photos sont belles et elles expliquent quelque chose, mais nous avons aussi fait attention au texte qui les accompagne pour faire comprendre à nos concitoyens, de façon plus précise, plus professionnelle, comment ça marche.
Dominique BURG
Il y a un rapport parlementaire qui vient d'être publié, écrit par le député socialiste Robert GAIA, sur ce qu'on appelle les actions civilo-militaires. Il donne un coup de chapeau à l'armée en disant qu'elle fait bien son travail en matière de reconstruction, d'aide humanitaire etc. Mais le civil a du mal à suivre, notamment à prendre la relève après. C'est également votre avis ?
Alain RICHARD
Oui. Robert GAIA dit des choses avec lesquelles, dans l'ensemble, je suis d'accord et qui correspondent à la réflexion de ce gouvernement. Il faut bien voir que c'est quelque chose qu'on a créé il y a moins de dix ans. Auparavant, on ne se posait pas la question. Cela fait partie de tous ces savoir-faire des nouveaux conflits, qui sont des conflits d'interruption de violence mais également, ensuite, de reconstruction et parfois de construction. Car l'état de droit au Kosovo, il n'a pas de passé, il n'a jamais existé tout simplement.
Dominique BURG
Oui, il est vrai que quand on parle de reconstruction de la démocratie, c'est peut-être la démocratie tout court.
Alain RICHARD
Cela démarre souvent. Au Timor, c'était encore autre chose : ce n'est pas compliqué, il n'y avait rien ! Il y a toute cette question de savoir jusqu'où on se substitue, quel est le rôle des armées qui sont en même temps en train d'agir pour assurer la sécurité, pour combattre les dernières résurgences de violence. Est-ce que leur travail consiste en même temps à faire des adductions d'eau et à remettre en place un système de poste ? C'est tout un travail un peu tâtonnant, dans lequel nous sommes d'ailleurs au coude à coude avec les ONG et avec des autorités politiques. Mais les militaires - on ne peut pas leur retirer cela - savent se projeter comme on dit, c'est-à-dire se déployer sur un terrain où rien n'était prêt. Par exemple, on le voit au Kosovo, les policiers ne se projettent pas comme des militaires, d'où la décision prise l'année dernière par l'Union européenne de créer une unité de police projetable. On est en train de collaborer, de dialoguer entre les Quinze pour savoir qui va contribuer à quoi, comment on va l'organiser. Le civilo-militaire est une chose passionnante. Dans le rapport de Robert GAIA, il y a quelques phrases critiques et naturellement c'est celles-là qui sont reprises dans la presse. Ce que j'en retire pour ma part, c'est simplement que la barre est plus haute qu'avant. Il y a 15 ou 20 ans, ces questions ne se posaient même pas. Maintenant, on travaille pour essayer d'aboutir à la solution d'une crise qui soit une solution durable et équitable. On a encore quelques difficultés à le faire à 100 %.
Dominique BURG
Cela nécessite en tout cas des moyens. Les différents budgets sont en train d'être bouclés, le vôtre donne lieu à débat puisque Jacques CHIRAC a souhaité qu'il soit en augmentation dès cette année, au moins en ce qui concerne les crédits d'équipement. A Bercy, le ministère de l'Economie, on se fait tirer l'oreille.
Alain RICHARD
Jusque-là c'est sans surprise.
Dominique BURG
C'est en effet un grand classique. A votre avis, comment va se conclure ce débat ?
Alain RICHARD
Pour la cinquième année de ce gouvernement que marque cette loi de finances 2002, nous avons inscrit les crédits qui permettaient de créer tous les postes et de rémunérer l'ensemble des militaires professionnels correspondant au nouvel organigramme. Cela a été fait et va continuer. Nous avons inscrit pour les dépenses en capital, c'est-à-dire pour les acquisitions ou les reconstructions des matériels et des infrastructures des armées, des crédits qui suivaient la programmation établie en 1996, révisée par nous en 1998. J'ai fait le calcul : nous allons probablement dépasser - même si je retire un ou deux crédits qui ont été discutés - 95 % des crédits qui auront été programmés sur les six ans. Cela ne s'est jamais produit. Alors, comme c'est bien normal, je continue à discuter million de francs par million de francs dans cette discussion budgétaire, mais la ligne politique de ce gouvernement est d'assumer ses responsabilités en matière de défense. Et pendant quatre ans il n'y a pas eu un désaccord avec le chef de l'Etat. Ensuite, il peut y avoir l'écume des jours avec tel ou tel partenaire politique qui dit : "ah il aurait fallu que". Moi ce que je vois, ce sont les faits.
Dominique BURG
Pour la loi de programmation militaire, on était parti de l'idée, autant que je sache, de 87,5 milliards de francs par an, au lieu de 83,5 milliards cette année. A l'heure d'aujourd'hui, est-ce légitime d'augmenter les crédits de l'armée ?
Alain RICHARD
On ne les augmente pas, mais on les maintient en pouvoir d'achat puisque la référence de programmation d'aujourd'hui - c'est pour cela que je dis qu'on ne l'a réalisée qu'à 95 % - c'est 85 milliards de francs en valeur 1998. On est passé à 87,5 milliards en valeur 2000.
Dominique BURG
Donc, un maintien en état
Alain RICHARD
Cela veut dire qu'on donne à la fonction de défense de ce pays de quoi équiper, transformer, préparer aux nouveaux conflits nos forces, avec environ 500 milliards de francs (80 milliards d'euros) sur six ans. Et avec une visibilité et une possibilité de faire des choix cohérents. Nous avons un porte-avions, nous allons mettre dessus les Rafale qui correspondent au potentiel de projection de forces de ce porte-avions. Nous faisons l'Europe de la Défense, nous allons donc mettre les crédits pour avoir des systèmes d'observation et de renseignement et des systèmes de coordination des commandements qui permettent aux Européens soient de mener une opération type Kosovo par eux-mêmes, si la décision politique est prise. Nous avons des crédits pour améliorer les capacités "de frappe dans la profondeur", c'est-à-dire de mener une guerre avec des points d'application précis, sans détruire le pays avec lequel on est en conflit. Ce sont toute une série de décisions qui correspondent à de la vraie politique.
Dominique BURG
Il y a quelque chose en tout cas qui est réglé aujourd'hui, ce sont les 35 heures. Votre ministère est le premier a avoir signé, avec tous les syndicats, un accord de réduction du temps de travail pour 80 000 personnels civils du ministère de la Défense. Vous allez faire des jaloux chez les militaires !
Alain RICHARD
D'abord, je veux simplement dire que cela démontre que l'Etat peut évoluer. Je trouve irritant le thème de " la réforme de l'Etat ", qui est le titre employé par les gens qui ne travaillent pas sur le sujet. La vraie question, c'est la modernisation et l'efficacité des services publics. On peut faire des choses dans ce domaine. Quand on a fini d'en parler avec les partenaires, les représentants du personnel, on peut faire que les choses évoluent. Pour les militaires, je m'organise d'ailleurs avec des représentants des personnels militaires.
Dominique BURG
Parce que, par définition, ils n'ont pas d'heure ?
Alain RICHARD
Dans la pratique, si. Mais en effet, dans les principes, il n'y a pas de limite à la disponibilité des personnels militaires, notamment quand ils sont en opération. J'ai dialogué avec les représentants des personnels militaires - j'y consacre beaucoup de temps - et j'ai considéré qu'il valait mieux que l'évolution de l'activité les personnels militaires les maintienne en harmonie avec la société civile. Je pense qu'il faut maintenir, bien entendu, la spécificité et la préparation à l'action des militaires. Il ne faut pas les mettre pour autant sous une cloche qui les sépare de la société.
Dominique BURG
Ce qui signifie concrètement ?
Alain RICHARD
Dans les mois qui viennent, je prendrai des mesures pour alléger le temps d'obligation militaire des personnels militaires. Et je l'aurai fait en concertation, c'est un point auquel je tiens. Quand on ne sait pas très bien de quoi parler, de temps en temps chez vos confrères on dit : " tiens, le moral des militaires est comme ci ou comme ça ". C'est puéril. Les militaires sont un groupe professionnel de 400 000 personnes qui ont des représentants avec lesquels nous organisons un vrai dialogue social, qui présentent des problèmes, des revendications, des insatisfactions sur un certain nombre de sujet, et nous en parlons. Je ne vois donc pas pourquoi nous ne serions pas capables de traiter les questions de dialogue social et de satisfaction ou d'insatisfaction professionnelle des militaires, dans des termes adultes et modernes. En tout cas, j'essaie de le faire.
Dominique BURG
Un mot de politique, pour conclure. Vous êtes par nature, par fonction, vous le disiez tout à l'heure, un ministre de cohabitation. Au fond, vous devez être très content de vous trouver à la place où vous êtes pour les neuf mois qui viennent, et qui vont être difficiles politiquement.
Alain RICHARD
Oui, mais comme je vous le disais tout à l'heure, ce pays est une démocratie adulte dans laquelle le président de la République et le Premier ministre ont le sens de leurs responsabilités. Ils ont pris ainsi une quantité importante de décisions, soit sur l'organisation des forces armées, soit sur la gestion de telle ou telle crise, de manière convergente pendant quatre ans et deux mois.
Dominique BURG
Et il n'y a pas de raison que cela change ?
Alain RICHARD
Je serais surpris que cela ne soit pas le cas pendant cinq ans.
Dominique BURG
Alain RICHARD, merci, et puis je vous souhaite un bon 14 juillet et un bon défilé.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 30 juillet 2001)
J.-P. Elkabbach - En tant que ministre de la Défense, vous venez de réussir une première et à mon sens une prouesse : signer à la date prévue, hier, le passage aux 35 heures avec l'approbation de vos six syndicats qui y voient un "très bon accord" auprès de 80 000 personnes. Au moment où E. Guigou rêve de modernisation sociale et en matière de santé, comment vous faites ? Et s'il y a un remède, quel est-il ?
- "Honnêtement, j'ai de la chance parce que les organisations syndicales de ce ministère sont des responsables qui le connaissent bien, qui sont vraiment au contact des personnels civils et avec lesquels la négociation est réalisable. Nous avions pour objectif de réduire le temps de travail et ils souhaitaient le faire dans des conditions qui soient intéressantes pour les agents et en même temps ils connaissent bien les nécessités de service. On y est donc arrivé. C'est vrai que c'est quatre ans de travail, de dialogue sur tout un tas de sujets."
Il est vrai que vous n'avez pas encouragé l'indécision. J'ai vu que vous leur aviez dit : "ou bien vous signez le 11 juillet ou j'applique de toute façon les 35 heures." C'est un peu le style militaire !
- "Non, c'était simplement pour dire que moi j'attachais beaucoup de prix à un accord. Je leur ai dit : "s'il y a un accord, ce qui sera dedans ne sera pas l'équivalent que s'il n'y a pas d'accord." Ca c'est la vie."
Quel est le coût des 35 heures dans les armées même pour les personnels civils ?
- "Il n'y a pas de surcharge budgétaire puisque nous nous sommes mis d'accord pour que simplement, dans les marges budgétaires existantes, on fasse des embauches supplémentaires mais sans création nette de postes, à l'exception du service de santé."
Cela coûte combien ?
- "C'est dans la marge d'évolution du ministère qui est de l'ordre d'un milliard par an."
Le président de la République et le Premier ministre se sont donc entendus - et vous aussi - sur la réforme des armées et sur le niveau des dépenses annuelles d'équipement des armées dans la loi de programmation militaire à partir de 2003 ?
- "C'est la ligne d'évolution des crédits pour acheter le matériel des armées pendant la période début 2003, fin 2008. Vous avez raison d'insister sur ce point. C'est une décision qui a été prise en accord avec le président de la République. Là c'est une décision. Les commentaires sont une chose, les décisions sont une réalité."
Les commentaires vous voulez dire ? Parce qu'alors que les armées souhaitaient avoir 92 milliards et que Bercy ne voulait donner 10 milliards de moins, l'exécutif a tranché à 87,5 milliards. C'est ça ?
- "Oui."
Le coût annuel des 35 heures c'est 100 milliards.
- "C'est une estimation qui est très discutée parce que c'est le coût des réductions de cotisations sociales pour les bas salaires. Les réductions de cotisations sociales c'est une politique qui a d'ailleurs été suivie par deux gouvernements - un de droite et un de gauche - qui permet que l'économie française crée des emplois en net dès qu'on est à 2 % de croissance. Moi, j'ai connu une époque - il y a dix ou douze ans - où il fallait atteindre 2,8 % ou 3 % de croissance pour créer des emplois. Cela a un coût mais cela veut dire qu'il s'est créé aussi 1,6 million d'emplois depuis trois ans."
Je voulais donner l'ordre des proportions parce que, en même temps, ces dépenses d'équipement ont baissé de 30 % en 11 ans.
- "Pour être concret, en huit ans. Depuis trois ans, elles ne baissent plus."
Les dépenses consacrées à la recherche, de 50 % en 11 ans ?
- "Cela est discutable."
Pour la France qui est la voisine du Maghreb, du Proche-Orient, des Balkans et de la Russie avec la Tchétchénie, est-ce que la défense française reste crédible ?
- "Non seulement elle reste crédible mais quand vous discutez, comme je le faisais, lundi, avec nos alliés américains, on s'aperçoit que l'Europe de la défense qui est devenue un partenaire sérieux dans les questions de conflits et de crise vit d'abord avec quelques pays, parmi les plus peuplés, qui l'animent et qui prennent les responsabilités. Par exemple, nous, nous savons déployer une force, s'il y en a besoin, dans une zone de crise en dix jours et cela peut aller jusqu'à plusieurs milliers d'hommes mis sur le terrain."
Moi, j'ai dit la défense française mais vous me répondez par le défense européenne.
- "Nous faisons partie avec quelques autres pays européens de ceux qui entraînent la marche et qui mettent les moyens sur la table. Nous, nous avons stabilisé nos dépenses de défense - et les Français sont d'accord avec ça : on le vérifie régulièrement. On ne les baisse pas et on ne les ré-augmente pas non plus. On arrive à faire, je crois, du bon travail avec ces ressources-là. Notre problème est que certains pays européens même importants dépensent beaucoup moins que nous et qu'il faudrait aligner un peu."
Il faut tirer un coup de chapeau à l'armée française qui a connu en cinq années des réformes successives et on pourrait dire des chocs. Quand on vous dit que dans certains cas et dans certains endroits on n'a pas le morale dans l'armée qu'est-ce que vous répondez ?
- "Je réponds qu'il est toujours facile de dire ça. Je rencontre les militaires chaque semaine lors de mes déplacements et surtout je leur donne la parole, directement, par un système de concertation dont les résultats sont connus de tous. Il y a des conseils représentatifs des militaires qui se réunissent tous les six mois, armée par armée, puis en inter-armées et ils disent quels sont leurs soucis professionnels. Ces soucis existent. Mais ce que je constate c'est que maintenant j'ai rendu public les comptes-rendus de ces instances collectives ; j'ai prévu que les militaires, à partir du mois de septembre, éliront directement leurs représentants dans les organes de concertation locaux. C'est une réforme qui s'est faite et qui n'a pas fait de bruits. Je laisse un peu de côté les gens qui, de l'extérieur, en ayant consulté trois personnes dont deux retraités viennent dire : "le moral des armées est comme ci ou comme ça." C'est assez cocasse."
Après demain, les Français verront défiler, sur les Champs Elysées, pour la dernière fois des appelés. Je crois qu'il y en 21. Le service militaire obligatoire est fini cette année. Vous êtes le dernier ministre de la Défense avant l'armée de métiers. Je sais que vous ne faites pas de sentiment d'habitude mais qu'est-ce que vous ressentez d'être le dernier ministre de cette longue tradition républicaine ?
- "Je ne fais pas de sentiment en public."
Alors faites comme si nous n'étions pas en public.
- "Par contre j'ai des valeurs et je n'hésite pas à en parler. Dans une autre période historique, l'armée de la nation, les citoyens en armes c'était vital et c'était la condition de notre survie. Aujourd'hui - c'est une chance - les conflits auxquels on a à faire face, qui sont très importants pour nos responsabilités internationales, pour notre vision de la paix dans le monde, sont des conflits lointains pour lesquels il faut à la fois des matériels très perfectionnés et puis une très grande mobilité. La conscription, le contingent n'était plus nécessaire. Fallait-il le conserver par principe ? Je crois que cela n'aurait pas été compris. Et déjà dans les dernières années, beaucoup de jeunes et dans leurs familles aussi disaient : au fond, est-ce que c'est vraiment utile ce qu'ils font ?"
Plus de 60 % des fonds spéciaux - autour de 200 millions ou 220 millions - sont attribuées aux services secrets de la DGSE. Est-ce qu'ils vont directement de Matignon à la DGSE ou est-ce qu'ils passent par vous ?
- "Comme pour tous les fonds, c'est le ministère de la Défense qui en a l'attribution - par le cabinet du Premier ministre - et qui les transmet à la DGSE. C'est une formalité. Cela veut simplement dire qu'il y a un contrôle. C'est 100 % de ces fonds qui sont transmis à la DGSE."
Comment sont-ils utilisés ?
- "Ils servent à des opérations qui, pour l'essentiel, sont des opérations de surveillance. La DGSE, comme son nom l'indique, est faite pour prévenir les risques d'intrusion."
Par exemple, quels types de missions ?
- "Filatures, des périodes d'observation de tel ou tel agent à l'étranger."
Des missions à l'étranger ?
- "Oui, la DGSE n'agit qu'à l'étranger. Il faut donc louer par exemple une voiture, un appartement. Il faut parfois payer quelqu'un qui amène des renseignements. Vous comprenez bien que l'agent ne va pas faire ça avec sa carte de crédit. C'est pour nous une question de sécurité."
Comment est-ce contrôlé ?
- "Pour l'instant par une délégation de la Cour des comptes qui vérifie en fin d'année l'emploi des fonds sur un compte-rendu que lui fait la DGSE et qui peut faire des vérifications."
Les documents qui portent sur les opérations réalisées sont chaque année détruits ?
- "Oui, bien sûr. C'est une question de sécurité. Si le système évolue, parce que le Premier ministre a dit - pas spécialement à propos de cette partie-là d'ailleurs mais à propos des fonds qui vont aux rémunérations des collaborateurs des ministres - nous voulons que ce soit organisé autrement. Il est tout à fait imaginable d'avoir une organisation différente y compris avec des partenaires extérieurs à condition qu'ils partagent la règle de protection de l'information."
C'est-à-dire qu'il doit y avoir des fonds secrets pour la DGSE ? Ceux-là ne doivent pas être touchés ?
- "Je vous prends un autre cas. Cela fait plusieurs années - c'est une réforme du temps de M. Rocard - qu'il y a une commission qui décide si on peut écouter quelqu'un ou pas. Il y a dans cette commission un magistrat et un parlementaire. Depuis dix ans que cela existe, vous n'avez jamais eu de fuites sur qui avait été écouté et pourquoi. Un système de contrôle, avec des partenaires extérieurs dès l'instant où les gens ont une éthique, peut très bien marcher. La transparence n'exclut pas la prudence."
Qu'est-ce que vous suggérez pour réformer les fonds spéciaux ?
- "Je laisse pour l'instant le Gouvernement réfléchir et si j'ai des propositions à faire, je les ferai à l'intérieur du Gouvernement."
Mais vous dites qu'il faut maintenir des fonds spéciaux pour la DGSE et il faut qu'ils restent secrets ?
- "Oui."
Et vous que pensez-vous de la polémique autour de ces fonds spéciaux et de leur usage ?
- "Cette polémique est venue de l'opposition de droite à un moment où cela l'arrangeait tactiquement pour se dépêtrer d'autre chose. Vous savez très bien que depuis que je suis dans la vie politique, je ne me situe pas dans ce genre de bagarres. Je m'en suis très bien trouvé jusqu'à présent. Vous avez des tas de visiteurs du matin qui ont des tas de petites phrases à faire. Attendez demain."
Vous êtes en même un homme politique et quand vous entendez dire que la gauche à travers les juges mène campagne contre J. Chirac ?
- "C'est dérisoire."
Qu'est-ce qui est dérisoire ?
- "D'affirmer ça alors que ce gouvernement - c'est vérifiable pour quiconque et notamment par toute la presse libre et indépendante - n'a pas d'influence sur ce que décident les magistrats, que ce soit les magistrats du siège ou ceux du Parquet : il n'y a aucune intervention sur les affaires."
Comme H. Védrine, vous êtes le ministre de la cohabitation, c'est-à-dire l'interlocuteur constant des deux hommes et du Président de la République. Est-ce que vous sentez un durcissement ? Est-ce que c'est viable encore longtemps de cette façon et à ce niveau ? Est-ce que vous sentez un affaiblissement de la façon présidentielle ?
- "Sur la capacité de prendre de décisions, moi je suis témoin qu'aussi bien pour les crises qui se produisent - nous allons probablement avoir à envoyer des troupes en Macédoine pour gérer une crise ..."
Combien et quand ?
- "A peu près 500 et peut-être dans toutes les prochaines semaines. Et puis nous avons à prendre des décisions structurelles comme celle sur la loi de programmation. Je vois que l'Etat fonctionne et que le chef de l'Etat et le chef du gouvernement parviennent sans difficultés à des décisions communes. Nous les préparons, les collaborateurs du Président, les miens et ceux du Premier ministre. Nous arrivons, me semble-t-il, à ce que le système de défense français marche de façon crédible."
Dans les non-dit, dans les regards, dans le climat général ?
- "On en parlera dans dix ans."
En lisant peut-être le livre que vous ferez à ce moment-là. Vous rentrez des Etats-Unis. Les Américains vont lancer, le 14 juillet, le troisième missile antimissile. Est-ce qu'ils font forcer les Européens à entrer dan leur système de bouclier antimissile qui peut accroître l'insécurité et l'instabilité ?
- "Ils le souhaitent. Ils ont des arguments de leur côté. Les Européens estiment qu'ils ont le temps car les situations stratégiques peuvent changer. Donc c'est un débat ouvert entre alliés que nous ne dramatisons pas."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juillet 2001)