Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, à "France 2" le 13 mai 2013, sur la stratégie gouvernementale engagée pour réduire les déficits et diminuer les dépenses publiques.

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Média : France 2

Texte intégral

GILLES BORNSTEIN
Alors la France a obtenu de Bruxelles un délai pour réduire son déficit, évidemment tout cela n’est pas gratuit et ce matin on apprend qu’il va y avoir une accélération du calendrier de la réforme des retraites. Alors est-ce qu’il faut y voir une conséquence ? Est-ce que c’est le premier prix à payer pour le délai qu’on a obtenu ?
BERNARD CAZENEUVE
Non, nous ne sommes pas dans ce type de négociation. Le délai que nous avons obtenu de Bruxelles n’est pas un délai pour une stratégie de défausse pour emprunter des chemins de traverse et échapper à ce que nous nous sommes fixés à nous-mêmes comme objectif, c’est-à-dire le rétablissement des comptes publics et la mise en oeuvre d’un certain nombre de réformes dont le pays a besoin pour sauver ses services publics, pour sauver sa protection sociale. Pour ce qui concerne tout d’abord le rétablissement des comptes, nous nous sommes engagés dans la réduction du déficit structurel et la diminution des dépenses publiques et des dépenses de l’Etat parce que c’est une nécessité si nous voulons retrouver le chemin de la croissance. En 2012 le déficit structurel diminue de 1,2 point, en 2013 il diminuera de 1,8 point, en 2014 nous sommes en train de préparer la loi de finance pour une diminution de 1% du déficit structurel, c’est-à-dire que nous sommes dans une stratégie très différente de celle de nos prédécesseurs qui avaient engagé le doublement de la dette. Le déficit structurel avait augmenté de deux points entre 2007 et 2012 et les dépenses publiques avaient augmenté en moyenne de 2% par an là où elles n’augmentent plus que de 0,5%. Et en 2012, la dépense de l’Etat a diminué de 300 millions. Nous voulons sauver notre système de protection sociale, nous voulons moderniser notre économie, c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place le crédit d’impôt compétitivité emploi, c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place la sécurisation des parcours professionnels et il faut pour demain que nous puissions sauver notre système de retraite et sauver notre protection familiale, c’est la raison pour laquelle nous allons poursuivre les réformes.
GILLES BORNSTEIN
Oui mais en attendant, l’actualité du jour c’est la réforme des retraites puisque le Premier ministre reçoit les partenaires sociaux à Matignon, franchement ce n’est pas très différent de ce que faisait Nicolas SARKOZY.
BERNARD CAZENEUVE
Si parce que ce qu’a fait Nicolas SARKOZY de façon très injuste, c’est de revoir l’âge de départ à la retraite…
GILLES BORNSTEIN
Et vous, vous allez augmenter la durée de cotisation.
BERNARD CAZENEUVE
Non ! D’abord vous ne savez pas encore ce que nous allons faire, nous avons défini une méthode, le comité d’orientation des retraites a rendu un rapport avec des chiffres qui montrent quelle est l’équation. Yannick MOREAU a une mission qui l’a conduit à consulter pour voir quelles sont les orientations que nous pourrions mettre en oeuvre et ensuite il va y avoir à travers la conférence sociale, une large concertation qui va permettre de discuter des modalités de cette réforme. Est-ce que c’est l’allongement de la durée de cotisation, est-ce que c’est l’augmentation des cotisations, comment prend-on en compte la pénibilité de manière à faire en sorte que cette réforme soit juste et comment fait-on tout cela dans la concertation. Parce que nous voulons, le Premier ministre et le président de la République l’ont à plusieurs reprises rappelé, c’est réformer en profondeur la société française, mais le faire en concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux.
GILLES BORNSTEIN
Oui mais la réforme c’est l’Etat qui décide, c’est quand même le gouvernement qui décide.
BERNARD CAZENEUVE
Oui mais au terme d’un processus de discussions qui doit permettre de faire en sorte que dans ce pays, contrairement à ce qui s’est passé depuis des décennies, nous puissions avoir de bons compromis sociaux parce que nous ne sortirons pas de la crise si nous ne créons pas les conditions de compromis qui permettent aux partenaires sociaux ensemble, de décider d’orientations qui engagent l’avenir. Ça ne veut pas dire qu’on met en place des dispositifs de cogestion, ça veut dire que pour sauver nos entreprises, pour créer les conditions de l’emploi, pour créer les conditions de la croissance, nous montrons notre capacité à faire des compromis solides, gagnants-gagnants.
GILLES BORNSTEIN
Alors parlons chiffres puisque vous avez parlé chiffres, cette année 2013 la Commission de Bruxelles prévoit un déficit de 3,9% du PIB, des hypothèses beaucoup plus alarmistes circulent, est-ce que vous, ministre du Budget, vous pouvez m’affirmer qu’on ne dépassera pas 4% cette année de déficit ?
BERNARD CAZENEUVE
Ce qui impacte le déficit budgétaire, c’est la situation de la croissance et les conditions dans lesquelles on réalise les recettes prévues. Je serai donc d’une particulière vigilance parce que nous sommes dans une situation de croissance atone, parce que nous devons regarder…
GILLES BORNSTEIN
Donc on ne peut pas exclure de faire plus de 4% ?
BERNARD CAZENEUVE
Non ce n’est pas ce que je dis, ce que je dis simplement c’est que le ministre du Budget est celui qui doit témoigner d’une grande vigilance face à des risques de dérapages budgétaires et c’est la raison pour laquelle il y a des mises en réserve de crédits, qu’il y a des gels de crédits et moi je veillerai à ce qu’on ne débloque pas ces gels aussi longtemps qu’on ne sera pas garantis que les objectifs seront atteints.
GILLES BORNSTEIN
Alors pour l’année prochaine, l’année prochaine 2014, vous devrez faire sur le budget de l’Etat, 7,5 milliards d’économies, c’est énorme, comment allez-vous vous y prendre ? C’est une économie de baisse de dépenses publiques.
BERNARD CAZENEUVE
Oui nous allons même faire plus que 7 milliards puisque nous devons faire 20 milliards d’efforts, sur ces 20 milliards…
GILLES BORNSTEIN
Oui tout compris, je parlais que du budget de l’Etat.
BERNARD CAZENEUVE
Oui mais sur ces 20 milliards d’efforts, vous allez avoir 14 milliards d’économies et 6 milliards de recettes résultants de la lutte contre la fraude fiscale, de l’harmonisation d’un certain nombre de niches fiscales…
GILLES BORNSTEIN
Et l’augmentation de TVA…
BERNARD CAZENEUVE
L’augmentation de la TVA est déjà actée pour financer le CICE ; vous avez 10 milliards d’efforts pour financer le CICE, sur ces 10 milliards d’efforts pour financer le CICE qui correspondent à 10 milliards de baisse de charges pour les entreprises, vous avez 6 milliards de TVA, ce qui veut dire en réalité, que vous avez plutôt une diminution de la pression fiscale résultant de la mise en place du CICE qu’autre chose. Mais sur les 14 milliards d’efforts que nous allons faire, il y a effectivement 7 milliards d’efforts sur le train de vie de l’Etat, comment est-ce que nous allons faire cela ? Nous allons faire cela en travaillant, et c’est ce que je suis en train de faire, ministère par ministère pour regarder quelles sont les politiques que nous pouvons mettre en oeuvre, les réformes de structure que nous pouvons engager et nous allons utiliser à plein le levier de la modernisation de l’action publique pour engager des économies. Alors je vais prendre des exemples très concrets, parce qu’il y a toujours un débat sur le thème vous voulez faire des économies, mais où les faites-vous ? Par exemple, lorsque nous engageons avec Pierre MOSCOVICI, Arnaud MONTEBOURG, Nicole BRICQ, une réflexion sur l’accompagnement du secteur des entreprises, qui mobilise également le réseau consulaire, nous attendons de cela à peu près un milliard d’économie parce que si nous allons au mieux, les aides aux entreprises en essayant de faire en sorte qu’il y ait meilleure efficience de ces aides, nous pouvons être à la fois plus efficaces et faire des économies. Sur la branche famille, nous devons faire des efforts pour équilibrer la branche famille, c'est l’avenir du dispositif d’aide aux familles qui est en cause, on nous a laissé une situation où il y a 2 milliards d’impasse, nous allons donc, sur la base du rapport FRAGONARD prendre des dispositions pour faire en sorte que cette branche soit équilibrée. Nous avons l’an dernier, pris des mesures d’économies sur un certain nombre de sujets très concrets, nous allons poursuivre dans le même esprit. Sur l’audiovisuel nous avons fait, vous n’êtes pas sans le savoir, 200 millions d’économies. Sur un certain nombre de grands projets, nous les avons reformatés, le canal Sète nord a été revu dans son format et dans les modalités de son financement, sur le grand musée qui était prévu par Nicolas SARKOZY autour de l’histoire, qui était 150 millions d’euros d’investissements avec 15 millions…. 150 millions d’euros d’investissements avec 15 millions d’euros de frais de fonctionnement par an, nous avons revu tous ces projets d’investissements. Donc les économies nous les faisons à travers la modernisation de l’action publique, nous les faisons ministère par ministère dans le cadre d’une discussion très étroite avec chacun des ministres, ce sont les négociations que je suis en train de conduire actuellement et nous le faisons avec la volonté de sauver les services publics et la protection sociale, parce que le ministre du Budget est le ministre du patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Il est le ministre qui garantit que les services publics et la protection sociale qui sont le patrimoine le plus cher des Français, pourront être préservés par des mesures appropriées.
GILLES BORNSTEIN
Mais donc, l’an II de François HOLLANDE ce sont simplement des économies, on est loin de réenchanter le rêve français.
BERNARD CAZENEUVE
Mais pas du tout, l’an II de François HOLLANDE ce sont des efforts de redressement des comptes publics et vous comprendrez que le ministre du Budget vous en parle puisque c’est mon rôle. Deux, c’est la réorientation de l’Europe accélérée, nous le voyons sur la lutte contre la fraude fiscale, la lutte contre les paradis fiscaux, la remise en ordre de la finance avec l’achèvement…
GILLES BORNSTEIN
Ça va faire rêver vos électeurs tout ça ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais le fait que la finance soit contrôlée en Europe, c’est un sujet qui intéresse beaucoup les Français, les Français ont parfaitement conscience que si l’économie a dérapé et si l’économie réelle ne connait pas le niveau de croissance qu’on est en droit d’attendre, c’est parce que les institutions financières sont incapables de financer l’économie réelle. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des errements spéculatifs qui ont conduit aux difficultés que l’on sait. Donc le fait que l’on dise en Europe, la finance sera remise en ordre, ce n’est pas rien. Réconcilier les Français avec l’entreprise, mettre en place une politique industrielle autour de nos grandes filières c’est aussi l’an II et puis faire en sorte qu’enfin on puisse sauver nos services publics et la protection sociale parce que les Français y tiennent et que c'est encore une fois le patrimoine de ceux qui n’ont rien, ça c’est aussi un chantier considérable pour nous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2013