Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "RMC" le 3 juin 2013, sur les relations de l'Etat avec les entreprises en difficulté, sur l'absence de croissance économique en Europe.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Les accès de l’usine GOODYEAR à Amiens Nord bloqués par les salariés. Vous seriez salarié de GOODYEAR, vous bloqueriez le site ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Je ne suis pas salarié de GOODYEAR…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais…
ARNAUD MONTEBOURG
Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait un dialogue entre les partenaires sociaux et que GOODYEAR aide le gouvernement et le territoire amiénois…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire que GOODYEAR n’aide pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Aide le gouvernement à trouver un repreneur. Il y a eu un certain nombre d’opérations depuis plusieurs mois visant à chercher la reprise de ce site, qui est un site qui emploie plus de 1.000 salariés, sur un territoire où déjà des reprises ont eu lieu. Le site d’Amiens… une partie du site a été reprise par DUNLOP il y a quelques années et ça a fonctionné, nous pourrions faire cette même opération. Donc j’ai besoin et je demande à GOODYEAR de nous aider à assouplir les conditions dans lesquelles, il est prêt à organiser la reprise. Ça suppose par exemple, quand un repreneur se présente, qu’on donne la possibilité d’user du réseau de distribution des pneus en France…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des repreneurs qui se présentent ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous en avons eu 4 qui sont repartis, c'est-à-dire qui ont discuté… moi- même, je suis entré dans les discussions avec GOODYEAR, mais les conditions strictes qui ont été faites par GOODYEAR étaient trop exigeantes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous demandez donc à la direction de GOODYEAR d’assouplir sa position ?
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, je l’ai déjà dit d’ailleurs au PDG de GOODYEAR France, je crois que ce serait une méthode intelligente pour sortir de la situation de blocage dans laquelle nous sommes depuis des années. Ça fait 6 ans que ce conflit dure, il y a eu déjà plusieurs annulations de plan social, pourquoi ? Parce que les salariés aujourd’hui considèrent que ce site est viable. Et d’ailleurs si des repreneurs se sont présentés, c’est parce qu’ils considéraient…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est viable.
ARNAUD MONTEBOURG
C’est parce qu’ils considéraient qu’il y avait quelque chose à faire avec.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est viable Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Il faut en discuter, il y a des choses qui sont mortes, on peut le considérer. Par exemple toute l’activité de pneus de tourisme, mais le pneu agricole, il y a encore des outils de travail en état de marche.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors il y a un plan de sauvegarde de l’emploi, on le sait, le tribunal va se prononcer : cette procédure est totalement illégale et entachée d’irrégularités, disent les syndicats.
ARNAUD MONTEBOURG
Ils vont plaider devant le tribunal, le tribunal tranchera…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous en pensez quoi vous ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Le gouvernement laisse la justice se prononcer et les parties débattre. Ce que nous souhaitons, c’est que nous avancions dans ce dossier de façon constructive.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous êtes critiqué par le maire d’Amiens qui est socialiste…
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, bon ! On peut toujours… on peut toujours…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Réaction prématurée d’Arnaud MONTEBOURG, il a dit qu’il fallait proposer des mesures exemplaires d’accompagnement, visant à permettre aux salariés qui seraient licenciés de retrouver au plus vite un travail, inacceptable pour le maire d’Amiens qui dit que vous avez enterré l’usine trop tôt.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, enfin bon ! Ecoutez, les…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est vrai ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Inspecteurs des travaux finis c’est très bien, mais ce que je sais c’est que je ne peux pas moi, après l’échec des propositions de reprise qui sont présentées devant GOODYEAR, raconter n’importe quoi aux salariés, leur faire croire n’importe quoi. Il n’y a pas de repreneur aujourd’hui, s’il s’en présente un – et nous continuons à nous battre pour qu’il y en ait – nous ferons le travail. Mais s’il n’y a pas de repreneur et qu’on est devant un plan social, il vaut mieux se préparer dès maintenant à un reclassement des salariés. Donc ça, c’est être d’une certaine manière assez raisonnable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
SPANGHERO, mercredi les salariés seront pour SPANGHERO, l’Etat aidera-t-il financièrement les salariés qui veulent reprendre l’entreprise ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois que Benoît HAMON, qui connaît bien ce dossier, y travaille activement. Nous avons dans de nombreux dossiers – SPANGHERO en fait partie mais il y en a beaucoup d’autres, y compris dans cette région – des propositions de Scop, c'est-à-dire de coopérative ouvrière, c'est-à-dire où les cadres, les ingénieurs, les salariés, les commerciaux de l’entreprise décident de prendre l’outil de travail et de le faire fonctionner. Quand il y a des besoins de capitalisation, la Banque publique d’investissement sera au rendez-vous pour essayer d’aider les salariés…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la BPI aidera !
ARNAUD MONTEBOURG
Mais il faut que la loi soit modifiée et Benoît HAMON est au travail, voilà, est au côté de ce processus. Il y a déjà eu des Scop…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la BPI peut aider éventuellement…
ARNAUD MONTEBOURG
Monsieur BOURDIN, il y a déjà des Scop qui ont été…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais, je sais…
ARNAUD MONTEBOURG
Et qui marchent. Et d’ailleurs, nous avons obtenu les compliments d’un certain nombre d’élus – vous voyez, ça arrive – qui ont dit : oui, le redressement productif ça fonctionne, y compris avec des solutions de coopératives, c'est-à-dire où finalement tout le monde se met autour de la table et trouve des solutions pour garder l’outil industriel.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les auto-entrepreneurs, ça vous concerne aussi, le redressement productif passe peut-être par les auto-entrepreneurs, ce statut. Faut-il limiter dans le temps le statut d’un auto-entrepreneur, si c’est son activité principale ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! On a besoin des auto-entrepreneurs, et le gouvernement n’a jamais eu dans l‘idée de supprimer ce statut. Il a simplement souhaité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il a dans l’idée de le réformer.
ARNAUD MONTEBOURG
Souhaité l’encadrer là où il y avait des risques de dérive. Nous avons aujourd’hui la… j’allais dire la première entreprise de France, UPA, l’Union Professionnelle Artisanale, 1 million d’artisans en France, donc ce n’est pas rien, qui dit : écoutez ! Nous, on est victimes sur le terrain, dans notre vie quotidienne de concurrence déloyale…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et c’est vrai ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est ce qu’ils disent…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non mais d’accord…
ARNAUD MONTEBOURG
Ce sont des gens sérieux qui le disent. Donc il faut…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc c’est vrai à vos yeux ?
ARNAUD MONTEBOURG
J’ai entendu le débat, il y a ceux qui disent « ce n’est pas vrai », il y en a qui disent « c’est vrai », ce que nous voyons c’est qu’il y a des dérives, il y a même du salariat déguisé derrière l’auto-entrepreneuriat.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quelle est la dérive à vos yeux ?
ARNAUD MONTEBOURG
La dérive, par exemple il y a un certain nombre d’auto-entrepreneurs qui n’acquitte pas les assurances. Donc quand vous faites un travail… par exemple je ne sais pas moi, de zinguerie, de charpente, vous vous mettez à votre compte, vous ne payez pas votre assurance et puis un jour, il y a un sinistre et la personne qui a un problème avec le toit ne peut pas se retourner contre l’artisan parce que ce n’est pas un artisan, c’est quelque chose… il y a des dérives sur le…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il faut limiter dans le temps !
ARNAUD MONTEBOURG
La question n’est pas celle-là…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour pousser l’auto-entrepreneur à devenir…
ARNAUD MONTEBOURG
La question… la question…
JEAN-JACQUES BOURDIN
A devenir artisan, non ?
ARNAUD MONTEBOURG
Monsieur BOURDIN, la question n’est pas celle-là…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon !
ARNAUD MONTEBOURG
D’abord elle sera tranchée…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si, c’est celle-là.
ARNAUD MONTEBOURG
Elle sera tranchée par le Premier ministre lui-même avec la ministre de l’Artisanat qu’est madame PINEL. Donc vous me permettrez de vous dire : c’est le Premier ministre qui décidera, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, d’accord, oui. Mais donc…
ARNAUD MONTEBOURG
Et donc, on trouvera un point d’équilibre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous trouverez un point d’équilibre.
ARNAUD MONTEBOURG
Mais ce n’est pas moi qui vais vous dire ce qu’on va faire parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez les limiter dans le temps !
ARNAUD MONTEBOURG
Je ne peux pas vous confirmer ce point-là, donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous verrons, nous verrons.
ARNAUD MONTEBOURG
Je ne peux pas vous le confirmer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les Allocations familiales, vous ne confirmez rien du tout non plus !
ARNAUD MONTEBOURG
Non plus, pour une raison simple…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu’on va toucher au quotient familial ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est au Premier ministre de l’annoncer, il le fera dans la journée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous y êtes favorable ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je pense… je vais vous dire la situation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sincèrement, je ne vais pas vous demander la décision, je ne vais pas vous demander la décision…
ARNAUD MONTEBOURG
Non mais je vais vous donner…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez un avis.
ARNAUD MONTEBOURG
Je vais vous donner une analyse, un constat qu’on peut partager. Vous avez des femmes seules, c’est ce qu’on appelle les familles monoparentales, elles ont perdu leur conjoint pour X, Y, Z raison, elles élèvent seule un enfant, elles sont parfois payées en dessous du Smic parce qu’elles sont à temps partiel contraint, elles ont un enfant, elles n’ont pas d’Allocations familiales, elles se débrouillent toute seules.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Exact, exact.
ARNAUD MONTEBOURG
Caissière dans un supermarché pour arrondir les fins de mois, difficulté de vivre, 800 € par mois, 25 heures par mois, voilà, ça c’est la vie quotidienne d’un grand nombre de femmes. Et puis vous avez des familles aisées qui ont des bons salaires, qui paient des bons loyers, qui ont la chance de pouvoir payer des bonnes études à leurs enfants, qui ont des Allocations familiales. Est-ce que vous croyez que c’est raisonnable ? Je ne le crois pas. Est-ce qu’on ne pourrait pas trouver une formule plus juste ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors j’ai compris la formule, je l’ai comprise, c'est-à-dire qu’on touche au quotient familiale, ce qui va toucher les familles les plus aisées, et parallèlement on va verser des Allocations familiales aux familles les plus modestes qui n’ont qu’un enfant.
ARNAUD MONTEBOURG
En tout cas, je crois que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est cela Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois que l’esprit de justice…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est la piste ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je n’ai pas de décision à vous annoncer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais moi je vous la donne, je vous...
ARNAUD MONTEBOURG
Non mais monsieur BOURDIN…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je me trompe ou pas.
ARNAUD MONTEBOURG
Vous remplacez le Premier ministre, je vous félicite, vous avez une bonne tête…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais je me trompe ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Vous avez une bonne tête de Premier ministre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je me trompe ou pas ? Jamais, jamais au grand jamais…
ARNAUD MONTEBOURG
Je ne sais pas. Je vais vous dire monsieur BOURDIN, je ne suis pas là pour vous faire des annonces d’un dossier qui ne me concerne qu’indirectement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Enfin vous trouveriez que ce serait justice !
ARNAUD MONTEBOURG
Je pense que le gouvernement travaille dans l’esprit de justice, et c’est dans cet état d’esprit qu’il travail et le Premier ministre prendra la décision… et vous informera monsieur BOURDIN, j’espère même qu’il vous téléphonera.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, non, je n’ai pas besoin. L’Europe n’est pour rien dans la crise actuelle Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! La multiplication des plans d’austérité dans toute l’Europe, accumulation de mesures qui finalement nous conduisent à avoir dans le monde entier la croissance, sauf en Europe, c’est la seule région du monde où la croissance ne repart pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ?
ARNAUD MONTEBOURG
Elle est sous nos pieds.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pourquoi ?
ARNAUD MONTEBOURG
Pour une raison simple, c’est que nous avons une forme de dogmatisme européen qui aujourd’hui… qui d’ailleurs est critiqué par le monde entier, le Prix Nobel Paul KRUGMAN signe un article : l’austérité tue…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, je l’ai lu.
ARNAUD MONTEBOURG
Le Fonds monétaire international qui dit : on ne peut pas continuer comme ça. Vous avez le gouvernement américain qui est venu faire une tournée en Europe, il y a quelques semaines, disant : il faut desserrer l’étau. La France mène la bataille pour la croissance, d’ailleurs qui mène la bataille pour la croissance ? La gauche européenne, la gauche allemande contre madame MERKEL mène la bataille pour l’augmentation des salaires dans son pays…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais enfin François HOLLANDE dit que…
ARNAUD MONTEBOURG
Quand…
JEAN-JACQUES BOURDIN
L’Allemagne conduit une très bonne politique.
ARNAUD MONTEBOURG
Il n’a pas dit ça, il est allé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oh ! Presque ça…
ARNAUD MONTEBOURG
Il n’a pas dit ça, il n’a pas dit ça, je ne le crois pas. Je crois qu’il faut que vous travailliez vos dossiers monsieur BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, mais oui Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
La gauche…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a double discours, donc c’est difficile de travailler les dossiers.
ARNAUD MONTEBOURG
La gauche… la gauche se bat pour la croissance en Allemagne comme en France. Qui demande l’augmentation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais…
ARNAUD MONTEBOURG
Qui demande la création d’un Smic en Allemagne ? La gauche allemande, qui demande la diminution du Smic en France ? L’Union européenne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n’est pas la gauche allemande qui est au pouvoir.
ARNAUD MONTEBOURG
L’Union européenne, c'est-à-dire la Commission européenne qui n’a aucune légitimité démocratique d’ailleurs. Donc vous voyez bien qu’il y a une conflictualité entre…
JEAN-JACQUES BOURDIN
…Totalement inactive, non ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est la Banque centrale européenne qui aurait dû… et d’ailleurs…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui est inactive ?
ARNAUD MONTEBOURG
Remarquablement inactive, je l’ai déjà dit 3 fois, je peux le dire une 4ème à votre micro, s’agissant du taux de l’euro qui, aujourd’hui, est un handicap pour nos exportations. Nous avons besoin d’un euro un peu plus faible par rapport à ce qu’est notre économie par rapport au reste du monde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Arnaud MONTEBOURG, puisqu’on parle d’Europe, Nicolas SARKOZY veut donner une conférence sur l’Europe, invité, payé par la banque américaine GOLDMAN SACHS. Ça vous choque ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ce n’est pas que ça me choque, c’est que ça démontre où sont les amitiés, les connivences, les solidarités, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Connivences ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ben oui ! Quand vous êtes payé par GOLDMAN SACHS, comment vous faites pour critiquer GOLDMAN SACHS après ? Vous ne pouvez plus s’il vous paie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, ça veut dire quoi ça ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ça veut dire que… voilà, c’est la finance…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est une forme de corruption ?
ARNAUD MONTEBOURG
Non, ce n’est pas de la corruption, c’est que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est quoi ?
ARNAUD MONTEBOURG
C’est un homme qui travaille pour GOLDMAN SACHS, voilà, c’est tout simplement ça, voilà. Moi personnellement, je ne l’accepterai pas, vous voyez, si j’étais à la retraite…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne le feriez pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Dans mes fonctions, certainement pas, c’est interdit dans mes fonctions mais si j’étais libre de… je ne le ferai pas, pour une raison simple, ça veut dire que dans une conférence où vous êtes payé par GOLDMAN SACHS, vous ne pouvez pas critiquer GOLDMAN SACHS qui, pourtant, est hautement critiquable, je le rappelle, c’est tout…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, c’est à cause en partie de GOLDMAN SACHS…
ARNAUD MONTEBOURG
Ça ne va pas plus loin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Que la Grèce est dans la situation où elle se trouve.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, ils ont participé à ça oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Dites-moi, j’écoutais – c’était en août dernier – le Premier ministre Jean-Marc AYRAULT qui disait : je me félicite d’avoir 12 % d’effectif en moins par rapport à la période précédente dans les cabinets ministériels, et donc de coûter moins cher. Et je m’aperçois que… ben oui ! Que vous dans votre cabinet, vous êtes finalement combien, 19 conseillers au lieu des 15 exigés par le Premier ministre. Que se passe-t-il ?
ARNAUD MONTEBOURG
Simplement, j’ai…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous coûtez plus cher que les autres !
ARNAUD MONTEBOURG
Mais je pense que… d’abord j’ai obtenu une dérogation pour cela, je ne suis pas le seul, je ne suis même pas au sommet de ceux qui ont le plus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ! Ah bon !
ARNAUD MONTEBOURG
Mais pour une raison simple, c’est qu’on a à gérer une vague de plans sociaux, j’ai demandé d’ailleurs du soutien et de l’aide en plus. Je rappelle d’ailleurs que j’ai 2.000 dossiers sur mon bureau d’entreprises en difficulté, gérés par les commissaires au redressement productif dans les régions, que nous avons crée une cellule de restructuration. Et là, nous sommes en train de créer une cellule de relocalisation d’activité vers la France. Donc nous avons (je crois) beaucoup de difficultés sur le terrain, et nous avons des… la société nous demande de l’aide. Donc on ne va pas leur dire : écoutez ! On est désolés, on est à 15, rappelez le mois prochain. Donc on est un petit peu plus, c’est vrai, et on en a besoin pour pouvoir répondre aux demandes des élus, des syndicats, du patronat qui nous demande de l’aide aussi, et puis reconstruire le renouveau industriel dans notre pays.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu’il faut limiter par la loi les salaires des dirigeants des grands groupes ?
ARNAUD MONTEBOURG
La décision, je crois, a été prise de trouver des formules contractuelles, c'est-à-dire ce sont les assemblées générales…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ce n’est pas la loi qui va intervenir, pas de législation...
ARNAUD MONTEBOURG
Mais il y a d’autres formules qui permettent de le faire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous le regrettez ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je pense que les assemblées générales peuvent parfaitement d’elles-mêmes entrer dans un mouvement de limitation, c'est-à-dire que les actionnaires…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y croyez sincèrement ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ça a fonctionné dans certains pays, est-ce que ça a fonctionné en France ? Nous allons voir. Nous avons fait entrer les salariés dans les conseils d’administration, dans les groupes de plus de 5.000, avec voix délibérative. Il pourra se nouer des alliances dans ces conseils d’administration, y compris sur le salaire des dirigeants. Parce que l’écart s’accroît entre le plus petit salaire dans l’entreprise et le plus grand. Est-ce que ça suffira ? Si ça ne suffit pas, il faudra peut-être faire ce que les Suisses ont fait, c'est-à-dire prendre le taureau par les cornes, c'est-à-dire prendre une loi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y seriez favorable ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez ! Moi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Franchement…
ARNAUD MONTEBOURG
J’ai déposé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous quand même…
ARNAUD MONTEBOURG
J’ai déposé dans l’opposition il y a quelques années…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Voilà, vous êtes très concerné.
ARNAUD MONTEBOURG
Une proposition de loi, une proposition de loi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous la reprendriez aujourd’hui ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je pense qu’elle peut faire l’objet en tout cas d’une discussion au sein du gouvernement, donc… c’est une proposition de loi qui était d’ailleurs…. Qui donnait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous défendez ce point de vue au sein du gouvernement, si je comprends bien.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, exactement, qui donnait finalement le pouvoir aux assemblées générales et au conseil d’administration d’être obligé de se prononcer, mais qui ne fixait pas des plafonds, c’était une sorte d’obligation de réglementation par les assemblées générales. On peut trouver un équilibre de cette manière, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La transparence fiscale pour tous les grands groupes, indispensable…
ARNAUD MONTEBOURG
Nécessaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
MOSCOVICI en a parlé.
ARNAUD MONTEBOURG
Nécessaire, tous les Etats aujourd’hui sont confrontés à un phénomène d’évasion fiscale des plus fortunés, mais aussi des entreprises qui… ce qu’on appelle… organisent des prix de transfert, c'est-à-dire ils font migrer leurs profits dans des zones de basse pression fiscale, ce qu’on appelle les paradis fiscaux. Il est normal qu’il y ait des redressements dans toute l’Europe. Et tous les Etats – y compris le Royaume-Uni – qui a toujours été un peu libéral de tradition a décidé de sévir…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Exact.
ARNAUD MONTEBOURG
Et la France fronce les sourcils comme les autres, et nous espérons obtenir des retours de recettes fiscales, ce qui épargnera la sueur des Français. Ce sont des impôts en moins pour les Français.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes… qui est le patron à Bercy ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ah ben ! A Bercy, vous avez 2 patrons, je vais vous expliquer pourquoi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, je dis ça parce que Laurent FABIUS ne cesse de demander un patron à Bercy, ça me surprend d’ailleurs cette demande permanente…
ARNAUD MONTEBOURG
Je vais vous dire une chose, à Bercy il y en a 2, pourquoi ? Parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a 2 patrons !
ARNAUD MONTEBOURG
Ben oui ! Qui s’entendent d’ailleurs, je vais vous expliquer pourquoi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui sont les 2 patrons ?
ARNAUD MONTEBOURG
Vous avez le ministre de l’Economie et des Finances qui s’occupe d’ailleurs de la croissance, de gérer nos relations avec l’Union européenne, il s’occupe du financement de l’économie, ce sont donc les grands enjeux macroéconomiques. Et puis vous avez un ministère de l’Industrie qui a été recrée, qui avait disparu depuis 20 ans. Qu’est-ce qu’on a dé… pourquoi on a décidé de créer ce ministère…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous avez Pierre MOSCOVICI d’un côté, Arnaud MONTEBOURG de l’autre ?
ARNAUD MONTEBOURG
Non, ce n’est pas de l’autre, c’est que ça marche ensemble, je vais vous expliquer pourquoi. C'est-à-dire que ce ministère de l’Industrie avait disparu, on ne parlait plus d’industrie, et finalement c’était le système financier qui organisait la politique industrielle, donc il n’y avait plus de politique industrielle. Donc on a fait le choix, avec le président de la République, Pierre MOSCOVICI par exemple de confier au nouveau ministre en charge de l’Industrie, moi-même, votre serviteur des moyens, par exemple le portefeuille des participations de l’Etat. Avant, les 50, les 60 milliards de participation de l’Etat, on les gérait en bon père de famille : combien de dividende ça rapporte, est-ce qu’on change de participation. Aujourd’hui on a une politique industrielle, c'est-à-dire qu’on dit aux entreprises où nous avons des actions, par exemple RENAULT 15 %, nous discutons avec le président de RENAULT-NISSAN, nous lui disons : monsieur Carlos GHOSN, nous souhaitons une politique de relocalisation vers la France. Nous avons 15 % dans le capital de RENAULT, mais nous discutons. Donc c’est devenu un outil et ça marche puisque nous sommes allés à Flins avec Carlos GHOSN, où il a annoncé qu’en contrepartie de l’accord de compétitivité, il y aurait 200.000 véhicules de plus produits en France, on passe de 500.000 à 700.000 d’ici 2016. C’est une politique de relocalisation industrielle. Et donc j’ai remercié… je pars d’ailleurs avec le président de la République au Japon remercier le directoire de NISSAN, pour leur dire : merci d’avoir soutenu l’économie industrielle française. Donc c’est pour cela que d’un côté, vous avez un ministère un peu colbertiste et un autre, un ministère d’esprit européen, et les deux fonctionnent ensemble, ce sont deux jambes pour avancer. Et d’ailleurs je vais vous dire, il n’y a pas de problème de ligne, nous travaillons ensemble et nous avons des positions qui sont parfaitement complémentaires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Fabriquer en France, vous vous engagez pour aller plus loin encore sur le fabriquer en France, nous aussi nous allons lancer une grande opération ici, à RMC. Vous êtes devenu un peu l’égérie du fabriquer en France…
ARNAUD MONTEBOURG
C’est une bataille culturelle, c'est-à-dire que dans la tête des Français, il faut qu’ils comprennent qu’on a des savoir-faire, des outils industriels…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui mais alors comment favoriser le fabriquer en France…
ARNAUD MONTEBOURG
Aider…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment ?
ARNAUD MONTEBOURG
D’abord première stratégie, dire que… valoriser nos succès, et il y en a partout, partout, des entreprises innovantes exportatrices, et même qui inventent ici les produits de demain. Donc déjà, valorisons-les, c’est ce que nous faisons. Deuxièmement, signalons-les aux consommateurs. Donc l’ensemble du système… les grands épiciers d’aujourd’hui, ce qu’on appelle la grande distribution sont en train d’adopter le marketing patriotique, c'est-à-dire mettre du bleu blanc rouge sur les produits pour indiquer l’origine. 95 % des marques distributeurs, il faut que les Français le sachent, c’est du « made in France », c’est fabriqué en France. Donc j’ai dit à LECLERC… ils sont d’accord, SYSTEME U, CASINO, mettez du bleu blanc rouge, ils disent d’accord. Et d’ailleurs c’est ce qui est en train de se multiplier, nous voyons chez INTERMARCHE le marketing patriotique puisqu’eux ont des usines de production en France de la marque distributeur, chez AUCHAN, vous avez même JOUECLUB, LA GRANDE RECREATION, eux-mêmes ont maintenant dans leur catalogue le marketing patriotique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors qu’est-ce qu’on peut faire d’autre encore ?
ARNAUD MONTEBOURG
Deuxièmement, il faut favoriser la relocalisation sur le territoire français d’un certain nombre d’activités.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors comment ?
ARNAUD MONTEBOURG
D’abord en amenant les entreprises à refaire leurs calculs. Les prix des salaires en Chine ont augmenté de 20 %, le prix de l’énergie est en train d’exploser, les taxes carbones se multiplient aux frontières…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce qu’on peut aider fiscalement ou est-ce qu’on peut… est-ce qu’on peut inciter, comment inciter ?
ARNAUD MONTEBOURG
D’abord nous le faisons, nous le faisons, à chaque fois qu’il y a une relocalisation nous soutenons l’entreprise dans son implantation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On peut aller plus loin, vous irez plus loin ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous irons plus loin, d’ailleurs d’ores et déjà je voudrais vous donner quelques exemples.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors allez-y.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons un certain nombre d’entreprises qui viennent de relocaliser, elles sont tout à fait étonnantes parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Cherchez-les là…
ARNAUD MONTEBOURG
Les skis ROSSIGNOL, les lunettes ATOL, la vaisselle GENEVIEVE LETHU, les carrés HERMES, CHAUDRONNERIE DIANE, les chariots CADDIE, les jouets SMOBY, RENAULT, j’en disais un mot tout à l’heure, MECCANO à Calais, 30 % de la production revient à Calais, BIOMERIEUX à Grenoble, LEROUX et LOTZ à Nantes, et combien… KINDY à Moliens dans l’Oise, et combien d’autres. Pourquoi ce mouvement de relocalisation ? D’abord parce qu’il y a le désir de rapprocher le consommateur du producteur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors je vais prendre un dernier exemple, ça sera ma dernière question Arnaud MONTEBOURG, comment se fait-il, comment se fait-il… je vais parler du soleil et je vais parler des panneaux solaires qui sont fabriqués en Chine moins chers, l’Europe veut mettre des droits de douane pour l’importation de ces panneaux solaires, l’Allemagne ne veut pas.
ARNAUD MONTEBOURG
Ah ! Mais je l’ai dit à mon collègue vice Chancelier, monsieur ROSLER, je lui ai dit : nous, nous souhaitons une stratégie ressemblant à celle des Etats-Unis d’Amérique…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc droit de douane oui.
ARNAUD MONTEBOURG
La France soutient la position de la Commission européenne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qui est vrai pour les panneaux solaires pourrait être vrai pour d’autres produits ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous l’avons déjà obtenu dans la céramique et la porcelaine, nous l’avons obtenu dans les aciers spéciaux et il y a une procédure d’enquête sur les équipements de télécoms chinois. Donc la France soutient le juste échange, c'est-à-dire ce que vous faites à nos produits, nous nous autorisons à le faire aux vôtres, de manière à ce que nous ayons une concurrence mondiale qui soit loyale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faudra s’accorder au niveau européen !
ARNAUD MONTEBOURG
Les Allemands ont une position qui est une position qui, malheureusement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Opportuniste…
ARNAUD MONTEBOURG
Qui malheureusement est une position…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Opportuniste ?
ARNAUD MONTEBOURG
Bilatérale avec la Chine au détriment de la cohésion européenne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Opportuniste.
ARNAUD MONTEBOURG
En ce qui nous concerne, nous préférons la cohésion européenne.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2013