Texte intégral
Lors de notre réunion informelle de Dublin, les 17 et 18 avril derniers, je vous avais alerté ainsi que le Commissaire au commerce sur le risque que faisait porter le refus d'exclure clairement les services audiovisuels du champ de l'accord de partenariat transatlantique sur le lancement même de la possible négociation.
Ce serait une rupture avec la politique constante de l'Union depuis que les négociations commerciales se sont étendues au domaine des services, il y a maintenant vingt-cinq ans, avec la signature de l'accord général sur le commerce des services (AGCS). Cette tentative est d'autant plus singulière qu'elle est proposée à un pays qui n'a pas ratifié la convention de l'Unesco de 2005 pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, contrairement à l'Union européenne et la quasi-totalité de ses États membres. Je veux donc à la fois confirmer la détermination française mais aussi préciser la portée de notre engagement en soulignant deux éléments majeurs pour notre débat.
Le premier porte sur la dimension européenne de la promotion de la diversité culturelle, partie intégrante de notre modèle et de nos valeurs, reconnue comme telle par le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Il ne s'agit pas donc d'une position à portée nationale, limitée à la France. J'ai rappelé notre signature commune de la convention de l'Unesco. Je souligne qu'une majorité de nos collègues en charge de la culture se sont associés pour refuser la mise en cause de l'exception culturelle par le biais du projet d'accord transatlantique, comme le fait que la «pétition des cinéastes européens» opposée au projet de mandat tel qu'il nous est soumis, a été signée par des professionnels du monde du cinéma et de la culture venant de l'ensemble des États membres. Bien plus, des producteurs et réalisateurs américains, canadiens et australiens se sont joints à la pétition, démontrant que l'Europe est encore capable de rassembler autour d'un message universel.
Le deuxième a trait au principe de liberté qui nous guide dans notre engagement pour l'exception culturelle. Cette liberté, nous la voulons pour l'Union et ses politiques de soutien à la création, celles d'aujourd'hui comme celles de demain dont nous ne connaissons nécessairement les formes, pas plus que les canaux technologiques qu'elles emprunteront.
Nous la voulons aussi pour nos concitoyens. Contrairement à ce que certains laissent faussement entendre, l'exception culturelle ne vise pas à restreindre leurs choix, pas plus qu'elle n'appelle je ne sais quelle fermeture de l'Europe. Je suis la première convaincue que la culture est vecteur d'échanges, rapproche au-delà des frontières et qu'elle a par essence une dimension universelle.
Notre objectif n'est donc pas de limiter l'offre de programmes proposée aux auditeurs et spectateurs européens mais au contraire de l'étendre en évitant les effets de monopole de produits standardisés et en permettant à des créations différentes de voir le jour et d'être proposées concomitamment à ces derniers. Comment prétendre le contraire alors que les productions américaines occupent une part très majoritaire de nos marchés, y compris en France, et qu'en permettant une production diversifiée, la demande - et les infrastructures destinées à la satisfaire - en sont stimulées, ce dont bénéficie in fine également l'industrie américaine.
Nous voulons aussi la liberté des États membres telle que définie par les directives communautaires : la France ne remet pas en cause les flexibilités autorisées dans le domaine de la culture. Même non «consolidées» dans un accord commercial, elles subsisteront. Et si demain, notre liberté d'agir appelle d'autres formes d'interventions, nous en définirons ensemble les modalités.
Je veux enfin revenir sur deux arguments parfois avancés pour s'opposer à l'exclusion des services audiovisuels du mandat de négociation. Ils renvoient à la tactique de négociation et aux intérêts que nous avons à promouvoir nos productions dans le domaine audiovisuel aux États-Unis.
Mettre en avant dans le mandat donné à la Commission une exclusion ouvrirait en réaction la voie à des refus de négocier en série de la part de notre partenaire. Mais ici, nous devons faire preuve de réalisme et de cohérence. Si nous envisageons une négociation courte, il faut reconnaître que certains sujets doivent être laissés, d'un côté comme de l'autre, en dehors des négociations parce qu'ils résultent de choix collectifs forts, sauf à gaspiller inutilement de l'énergie dans la négociation et à perdre en légitimité vis-à-vis de nos opinions publiques. Nous voulons avoir des résultats. Mais, parce que l'Europe a reconnu dans un domaine un principe politique supérieur à celui de la libéralisation commerciale, ne prétendons pas que l'ensemble de la négociation se déliterait, perdant tout intérêt. L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a exclu de son champ l'ensemble des industries culturelles, sans pour autant perdre son caractère ambitieux.
Quant à nos intérêts offensifs dans ce secteur, vous savez comme moi que les États-Unis ont pris des engagements de libéralisation dans le cadre de l'AGCS. Si les productions européennes ont des réussites globalement limitées aux États-Unis il faut chercher ailleurs que dans un accord commercial des réponses à cette fermeture de fait du marché américain.
Alors on nous proposerait comme alternative à l'exclusion audiovisuelle, de laisser les États membres souhaitant préserver individuellement leurs dispositifs de soutien à la création culturelle, d'autres au contraire prenant des engagements contraignants. Et cette proposition viendrait de la Commission ? J'en serais d'autant plus surprise que celle-ci au lieu de garantir l'intérêt communautaire favoriserait ainsi l'éclatement du marché de l'Union dans un domaine où celle-ci dispose d'une compétence réaffirmée par le traité. La politique commerciale qui a été l'une des premières à participer de la construction communautaire, alimenterait donc le recul de cette dernière. Je ne peux donc réellement l'imaginer, comme je ne pourrais l'accepter.
La France est déterminée. Elle n'est pas isolée comme vient de le démontrer très majoritairement le Parlement européen. Elle prendra ses responsabilités. J'espère compter sur votre engagement à nos côtés.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, Cher Collègue, à l'assurance de ma meilleure considération.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2013
Ce serait une rupture avec la politique constante de l'Union depuis que les négociations commerciales se sont étendues au domaine des services, il y a maintenant vingt-cinq ans, avec la signature de l'accord général sur le commerce des services (AGCS). Cette tentative est d'autant plus singulière qu'elle est proposée à un pays qui n'a pas ratifié la convention de l'Unesco de 2005 pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, contrairement à l'Union européenne et la quasi-totalité de ses États membres. Je veux donc à la fois confirmer la détermination française mais aussi préciser la portée de notre engagement en soulignant deux éléments majeurs pour notre débat.
Le premier porte sur la dimension européenne de la promotion de la diversité culturelle, partie intégrante de notre modèle et de nos valeurs, reconnue comme telle par le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Il ne s'agit pas donc d'une position à portée nationale, limitée à la France. J'ai rappelé notre signature commune de la convention de l'Unesco. Je souligne qu'une majorité de nos collègues en charge de la culture se sont associés pour refuser la mise en cause de l'exception culturelle par le biais du projet d'accord transatlantique, comme le fait que la «pétition des cinéastes européens» opposée au projet de mandat tel qu'il nous est soumis, a été signée par des professionnels du monde du cinéma et de la culture venant de l'ensemble des États membres. Bien plus, des producteurs et réalisateurs américains, canadiens et australiens se sont joints à la pétition, démontrant que l'Europe est encore capable de rassembler autour d'un message universel.
Le deuxième a trait au principe de liberté qui nous guide dans notre engagement pour l'exception culturelle. Cette liberté, nous la voulons pour l'Union et ses politiques de soutien à la création, celles d'aujourd'hui comme celles de demain dont nous ne connaissons nécessairement les formes, pas plus que les canaux technologiques qu'elles emprunteront.
Nous la voulons aussi pour nos concitoyens. Contrairement à ce que certains laissent faussement entendre, l'exception culturelle ne vise pas à restreindre leurs choix, pas plus qu'elle n'appelle je ne sais quelle fermeture de l'Europe. Je suis la première convaincue que la culture est vecteur d'échanges, rapproche au-delà des frontières et qu'elle a par essence une dimension universelle.
Notre objectif n'est donc pas de limiter l'offre de programmes proposée aux auditeurs et spectateurs européens mais au contraire de l'étendre en évitant les effets de monopole de produits standardisés et en permettant à des créations différentes de voir le jour et d'être proposées concomitamment à ces derniers. Comment prétendre le contraire alors que les productions américaines occupent une part très majoritaire de nos marchés, y compris en France, et qu'en permettant une production diversifiée, la demande - et les infrastructures destinées à la satisfaire - en sont stimulées, ce dont bénéficie in fine également l'industrie américaine.
Nous voulons aussi la liberté des États membres telle que définie par les directives communautaires : la France ne remet pas en cause les flexibilités autorisées dans le domaine de la culture. Même non «consolidées» dans un accord commercial, elles subsisteront. Et si demain, notre liberté d'agir appelle d'autres formes d'interventions, nous en définirons ensemble les modalités.
Je veux enfin revenir sur deux arguments parfois avancés pour s'opposer à l'exclusion des services audiovisuels du mandat de négociation. Ils renvoient à la tactique de négociation et aux intérêts que nous avons à promouvoir nos productions dans le domaine audiovisuel aux États-Unis.
Mettre en avant dans le mandat donné à la Commission une exclusion ouvrirait en réaction la voie à des refus de négocier en série de la part de notre partenaire. Mais ici, nous devons faire preuve de réalisme et de cohérence. Si nous envisageons une négociation courte, il faut reconnaître que certains sujets doivent être laissés, d'un côté comme de l'autre, en dehors des négociations parce qu'ils résultent de choix collectifs forts, sauf à gaspiller inutilement de l'énergie dans la négociation et à perdre en légitimité vis-à-vis de nos opinions publiques. Nous voulons avoir des résultats. Mais, parce que l'Europe a reconnu dans un domaine un principe politique supérieur à celui de la libéralisation commerciale, ne prétendons pas que l'ensemble de la négociation se déliterait, perdant tout intérêt. L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a exclu de son champ l'ensemble des industries culturelles, sans pour autant perdre son caractère ambitieux.
Quant à nos intérêts offensifs dans ce secteur, vous savez comme moi que les États-Unis ont pris des engagements de libéralisation dans le cadre de l'AGCS. Si les productions européennes ont des réussites globalement limitées aux États-Unis il faut chercher ailleurs que dans un accord commercial des réponses à cette fermeture de fait du marché américain.
Alors on nous proposerait comme alternative à l'exclusion audiovisuelle, de laisser les États membres souhaitant préserver individuellement leurs dispositifs de soutien à la création culturelle, d'autres au contraire prenant des engagements contraignants. Et cette proposition viendrait de la Commission ? J'en serais d'autant plus surprise que celle-ci au lieu de garantir l'intérêt communautaire favoriserait ainsi l'éclatement du marché de l'Union dans un domaine où celle-ci dispose d'une compétence réaffirmée par le traité. La politique commerciale qui a été l'une des premières à participer de la construction communautaire, alimenterait donc le recul de cette dernière. Je ne peux donc réellement l'imaginer, comme je ne pourrais l'accepter.
La France est déterminée. Elle n'est pas isolée comme vient de le démontrer très majoritairement le Parlement européen. Elle prendra ses responsabilités. J'espère compter sur votre engagement à nos côtés.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, Cher Collègue, à l'assurance de ma meilleure considération.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2013