Interview de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, à Europe 1 le 21 mai 2013, sur les priorités du conseil européen consacré à l'énergie, l'importation de panneaux solaires en provenance de Chine et le débat concernant l'exploitation des gaz et huiles de schiste.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
A Oklahoma une tornade d'ampleur exceptionnelle ravage tout sur son passage, fait 100 morts, et endeuille l'Amérique, la faute à qui, à l'homme ou à la nature ?
DELPHINE BATHO
Vous savez, on ne peut jamais relier un événement climatique aussi dramatique avec les bouleversements du climat liés au réchauffement climatique, mais ce qui est sûr…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il est sans cause ?
DELPHINE BATHO
On ne peut pas dire cet événement-là il est lié au réchauffement climatique, mais ce qui est sûr c'est que la multiplication des événements climatiques extrêmes, elle, elle est liée au réchauffement climatique, et d'ailleurs la semaine dernière, Jean-Pierre ELKABBACH, on a franchi historique de concentration de CO2 dans l'atmosphère.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce matin vous avez une pensée pour les Américains ?
DELPHINE BATHO
Je pense, oui, aux familles, et aux enfants, en particulier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les écoles, les enfants qui ont été touchés…
DELPHINE BATHO
Oui, tout est détruit, j'entendais les informations…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Plus modestement, en France, le froid, la pluie, même la neige au mois de mai, tout se dérègle, est-ce que vous savez pourquoi ?
DELPHINE BATHO
Je vous ferai la même réponse, c'est-à-dire les météorologues ne diront jamais, le fait qu'il y ait un printemps aussi pluvieux c'est lié au réchauffement climatique, mais la tendance de long terme, d'élévation des températures sur la planète, peut conduire à des épisodes de froid, à des épisodes pluvieux, et on est sur tendance où le réchauffement climatique, Jean-Pierre CHEVENEMENT (sic), ce n'est plus une prévision, c'est désormais un fait avéré dans de nombreux pays…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est qui Jean-Pierre CHEVENEMENT ?
DELPHINE BATHO
Jean-Pierre ELKABBACH, je suis désolée, je suis vraiment navrée, mes excuses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci. Avec de fâcheuses conséquences pour les producteurs et les consommateurs, est-ce que vous envisagez de les aider ?
DELPHINE BATHO
Par rapport…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aux conséquences.
DELPHINE BATHO
Sur les inondations par exemple ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sur les inondations, sur ce qui est en train de se produire, parce que…
DELPHINE BATHO
Pour le tourisme…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a des dérèglements sur les produits, les fraises, les cerises, tous les fruits qui devaient arriver, qui n'arrivent pas, s'il y a des problèmes sociaux, est-ce que vous les aidez, enfin le gouvernement ?
DELPHINE BATHO
Aujourd'hui ce n'est pas envisagé d'avoir un plan d'indemnisation par rapport à la mauvaise météo, le gouvernement n'a pas encore prévu ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je n'ai pas parlé d'un plan d'indemnisations, mais un certain soutien.
DELPHINE BATHO
Non, mais c'est ce que ça signifie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un certain soutien. C'est une question, et pas une devinette, Delphine BATHO, est-ce que vous savez quelle est chaque jour la facture de l'Union Européenne pour ses importations de pétrole ?
DELPHINE BATHO
Oui, et je peux vous donner celle de la France aussi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. L'Union Européenne ?
DELPHINE BATHO
L'année dernière pour la France c'était 69 milliards d'euros de déficit de la balance commerciale lié aux importations de pétrole et de gaz, donc il y a effectivement un enjeu majeur aujourd'hui, à conquérir…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais par jour, par jour, pour l'Union Européenne, pour qu'on ait une idée.
DELPHINE BATHO
C'est 1 milliard, je crois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
1 milliard, 365 milliards, par an (sic).
DELPHINE BATHO
Voilà, vous êtes plus précis.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'Europe devient le seul continent - c'est une citation - au monde, à dépendre de tant d'énergies importées, dans 20 ans notre dépendance sera supérieure à 80%, elle aura des conséquences pour la compétitivité des entreprises et l'emploi, ce n'est pas moi qui le dit, c'est le président du Conseil Europ??en Van ROMPUY. Il a raison ?
DELPHINE BATHO
Oui, il a raison, et c'est la raison pour laquelle nous voulons construire une Communauté Européenne de l'Energie. Il y a urgence à réagir, par rapport aux enjeux du prix de l'énergie, notamment pour le secteur industriel, par rapport au problème du réchauffement climatique, on l'évoquait à l'instant, et à la nécessité de reconquérir l'autonomie énergétique de l'Europe, de la conquérir tout court, en faisant de l'Europe le continent de la transition énergétique, c'est-à-dire qui investit massivement dans les technologies du futur, les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans les mots c'est très bien, c'est très beau, mais on veut voir le concret.
DELPHINE BATHO
Non, c'est un projet industriel.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Demain, le Sommet européen devrait encourager des coopérations et rappeler, ce qui se fait, que chaque Etat est souverain pour composer son bouquet numérique (sic). Dans ces conditions, comment une politique commune peut être créée quand chacun agit à sa guise ?
DELPHINE BATHO
C'est vrai que chaque peuple est souverain sur son bouquet énergétique, mais il y a des choses qu'on peut faire en commun tout de suite. On peut investir ensemble dans les infrastructures qui sont nécessaires pour la sécurité d'approvisionnement, on peut investir ensemble dans l'efficacité énergétique, c'est-à-dire le moyen de réduire la facture des ménages ou des entreprises. Vous savez, par exemple en France, on peut réduire de 43%, c'est énorme, la consommation d'énergie de l'industrie. On peut aussi s'allier en matière de projets industriels, et là il y a un enjeu pour la compétitivité de l'Europe qui est absolument décisif, sur la question des énergies renouvelables, parce qu'il y a aujourd'hui une compétition mondiale sur les énergies renouvelables, on le voit avec cette question des panneaux photovoltaïques, c'est-à-dire qu'il y a une compétition aujourd'hui, féroce, sur cette question des énergies renouvelables.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Entre les pays, les Européens, et les Chinois, l'Europe est en train de se protéger des panneaux solaires chinois qui inondent le marché européen et qu'ils détruisent, comment on fait quand on ne veut pas non plus provoquer la Chine, avec des représailles possibles ?
DELPHINE BATHO
Il y a des règles dans le commerce mondial, la Chine a souhaité rejoindre l'OMC, et donc ça veut dire qu'il y a des règles et qu'on ne peut pas accepter des pratiques de concurrence déloyale. Vous savez, cette réaction de la Commission Européenne, elle est bienvenue, elle est tardive – je rappelle qu'en France on a déjà perdu 14 000 emplois dans le secteur de l'industrie photovoltaïque.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors on va voir ce que font chacun des pays. La chancelière MERKEL a fermé 8 réacteurs pour se passer du nucléaire en 2022, n'est-ce pas, 130 centrales au charbon produisent de l'électricité, même il paraît qu'elles en ont exporté vers la France cet hiver, c'est-à-dire avec du charbon allemand on fabrique aussi de l'électricité française, et on peut imaginer qu'avec du nucléaire français, on produit de l'électricité allemande, et européenne. Mais il y a quand même 80% des Allemands qui sont favorables, chez eux, à une stratégie anti charbon.
DELPHINE BATHO
Oui, et ils ont raison. D'ailleurs…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que le charbon n'est pas la solution.
DELPHINE BATHO
Mon collègue, le ministre allemand de l'Environnement, Peter ALTMAIER, avec lequel j'ai signé une tribune la semaine dernière, en est parfaitement conscient, et donc, oui, ce n'est pas le sens de l'histoire ce qui est en train de se passer aujourd'hui partout en Europe où on voit la part du charbon augmenter dans la production d'électricité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec la pollution également, qui augmente.
DELPHINE BATHO
Oui, et on peut agir. Le moyen d'agir c'est de redresser le marché du CO2 européen qui permettrait que le charbon ne soit pas dans cette situation.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le commissaire de Bruxelles à l'Energie Günther OETTINGER confie aux ECHOS ce matin : « l'Europe devra explorer la piste du gaz de schiste. »
DELPHINE BATHO
Vous savez quelle est la position de la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, la vôtre.
DELPHINE BATHO
Non, c'est la position de la France, c'est qu'on ne peut pas résoudre les problèmes énergétiques d'aujourd'hui en alourdissant la dette environnementale qui va peser sur les générations futures, et donc non, les gaz de schiste ne sont pas une solution parce que la technique d'exploitation c'est la fracturation hydraulique…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi pas de projet pilote ?
DELPHINE BATHO
Et qu'elle engendre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi pas de projet pilote, pourquoi s'enfermer ?
DELPHINE BATHO
Mais si on faisait un projet pilote à côté de votre maison, Jean-Pierre CHEVENEMENT – Jean-Pierre ELKABBACH – je suis vraiment désolée – vous seriez très inquiet des risques de séisme, des risques de pollution des nappes phréatiques.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, Delphine TOURAINE, est-ce que vous pensez que la Pologne…
DELPHINE BATHO
C'est de bonne guerre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La Pologne, l'Espagne, le Royaume-Uni, même l'Allemagne, qui sont prêts à exploiter leur sous-sol, n'ont pas raison ? Pourquoi il y a ce tabou du gaz de schiste ? Même, d'ailleurs, le président de la République a ouvert quelques perspectives. Et puis regardez, les grands patrons de l'AFEP et du MEDEF, des ministres comme Arnaud MONTEBOURG, votre collègue, Louis GALLOIS en personne, vous le demandent, et des scientifiques aussi. Est-ce que votre refus n'est pas un refus, d'abord idéologique, parce qu'on a un peu peur des Verts, et un refus politique ?
DELPHINE BATHO
Non, c'est un refus d'abord politique, je l'assume, tout n'est pas sacrifiable…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est un refus politique, vous dites ?
DELPHINE BATHO
Tout n'est pas sacrifiable aux marchés, aux profits à court terme. Ensuite la France est le premier pays touristique du monde, donc il y a un enjeu économique à maintenir, à être la nation de l'excellence environnementale, et à ne pas tout sacrifier. Et je pense qu'on peut résoudre les problèmes de compétitivité autrement, c'est pourquoi j'ai proposé aux industriels un new deal écologique, c'est-à-dire une compromis social autour de la transition énergétique, qui doit jouer un rôle de relance, et je veux aussi, dans le débat national qui est en cours sur la transition énergétique, qu'on apporte une réponse à la demande des industriels concernant le coût de l'énergie pour un certain nombre de secteurs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Justement, Delphine PECRESSE, à combien vous évaluez le coût de la transition énergétique ?
DELPHINE BATHO
Ça fait l'objet du travail qui est en cours, et je n'ai pas encore de chiffre à vous donner, et je ne veux pas qu'on fasse peur avec des chiffres, parce qu'il y aura…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ah bon, parce qu'ils feraient peur ?
DELPHINE BATHO
Oui, ils vont être importants, il va y avoir des investissements à réaliser, qui seront très importants, mais qui sont, en même temps, des investissements porteurs de créations d'emplois et de réussite économique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quel est le prix à payer pour fermer Fessenheim ?
DELPHINE BATHO
Il y aura une discussion avec EDF, le moment venu, sur la base de la loi de transition énergétique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne voulez pas le dire. Vous le savez, vous ne voulez pas le dire.
DELPHINE BATHO
On n'en n'est pas à cette étape, et les chiffres qui ont circulé étaient très farfelus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On avait dit 5 à 8 milliards, vous dites non ?
DELPHINE BATHO
Je dis non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous êtes sûre qu'on fermera avant 2017, Fessenheim, alors que vous avez contre vous, en face de vous, la CGT, les salariés de Fessenheim, les élus communistes, les socialistes, là encore, est-ce que ce n'est pas un choix politique, Delphine BATHO ?
DELPHINE BATHO
Oui, c'est l'engagement qui a été pris, parce qu'en même temps que nous fermerons Fessenheim, l'EPR de Flamanville entrera en production, et donc la part du nucléaire dans l'électricité en France sera la même, au terme du quinquennat.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 mai 2013