Texte intégral
La place de lenfant et le rapport entre enfant et adulte ont toujours été complexes dans nos sociétés. Comme la fort bien exprimé Philippe Ariès, « Une longue évolution a été nécessaire pour que sancre réellement le sentiment de lenfance dans les mentalités ». Noublions pas que Saint-Augustin en son temps a pu écrire « Non Seigneur, il ny a pas dinnocence enfantine », que Montaigne a pu expliquer quil a « perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regret mais sans fâcherie ». Et ce nest que très récemment que le 20ème siècle a mis lenfant au coeur de lunivers familial. On peut alors parler de nos jours dune longue révolution silencieuse où, avec la maîtrise de la contraception, le choix de la maternité ou non, les devoirs ont été accrus envers lenfant que lon choisit de faire naître.
Les événements tragiques qui conduisent à la mort denfants nous sont insupportables parce quils nous renvoient à la réalité que tout parent nest pas toujours en capacité de donner le meilleur à son enfant, quil lui inflige parfois des violences psychologiques et physiques telles quelles peuvent le conduire à la mort. Vous lavez dit Madame Trierweiler, les familles ne sont pas toujours toutes bienveillantes à légard de leurs enfants. Et effectivement, pourquoi tant de silence, pourquoi tant de discrétion voire de déni sur cette réalité de la maltraitance ? Nest-ce pas, parce que cela nous renvoie à cette idée fort dérangeante que lhomme peut être le plus grand destructeur pour lhomme, et ceci est dautant plus insupportable lorsquil sattaque aux plus jeunes ?
Cest pourquoi je vous remercie, vous organisateurs et organisatrices, les participants, de mettre sous les feux des projecteurs, avec autant de détermination, la nécessité impérieuse dapporter des réponses concrètes et efficaces à cette question des violences faites aux enfants.
Avant-même daborder les pistes sur lesquelles mon ministère et moi-même entendons travailler, je souhaiterais rappeler létat desprit dans lequel nous abordons cette question et rappeler quelques éléments de constat de la protection de lenfance aujourdhui.
I- Etat desprit et constat
A- Quelques remarques sur la protection de lenfance aujourdhui
La protection de lenfance, cest faire face à la diversité des situations. 300 000 mineurs sont concernés par une mesure daide sociale à lenfance (ASE). Ces mineurs se ventilent en deux groupes distincts : 50% dentre eux bénéficient dune aide éducative en milieu ouvert, 50% sont pris en charge physiquement au titre de lASE et font lobjet de placement soit à court terme soit à long terme.
Sur les enfants placés, 20% le sont pour de la maltraitance physique, 20% pour de la maltraitance psychologique, les autres pour un déficit déducation, dentretien ou de moralité. A la diversité des situations, il faut apporter une diversité de réponses. Et je pose la question : les réponses aujourdhui existantes sont-elles suffisantes et adéquates ?
Deuxième remarque : ¾ des enfants confiés à lASE le sont par mesure judiciaire et ¼ par mesure administrative. On sait combien dautres pays ont un rapport totalement inverse entre ces deux types de mesure. Je pose la question : le maintien de cette forte judiciarisation est-elle souhaitable et nécessaire ?
Troisième remarque : les enfants placés connaissent pour un grand nombre dentre eux au minimum deux placements et pour certains plus de quatre placements. Je pose la question : Est-ce que cette succession de ruptures est le meilleur gage de reconstruction de ces enfants ?
Mais la protection de lenfance, ce nest pas simplement une vision défensive, même si elle est indispensable : on protègerait lenfant « contre ». Il faut aussi avoir une vision active, positive de la protection pour permettre aux enfants de construire leur histoire. Car il ne sagit pas seulement de parer à un danger immédiat. Il sagit de préparer lavenir et de rechercher avec et pour les enfants les conditions de leur bon développement.
Il faut sattacher à la réalité de ce que vivent les enfants et se garder, vous lavez dit André Vallini, se garder des tentations simplificatrices et des dogmes rigides : le tout administratif ou le tout justice, le tout famille ou le tout enfant. Mais il faut aussi savoir lever des tabous.
B- Lever le tabou des violences faites aux enfants
- Tabou : Quand pour 80% de nos concitoyens, la famille est le premier lieu de confiance, il est difficile dadmettre que des drames se produisent dans les familles.
- Tabou que traduit bien labsence de véritables statistiques non seulement quantitatives mais aussi qualitatives. Il faut rompre avec la difficulté que nous avons à suivre dune part les cohortes denfants qui font lobjet dune mesure ASE, et la difficulté que nous avons à intégrer que les violences faites aux enfants ne sont pas lapanage dun milieu social. Plus le milieu social est élevé, plus il crée des astuces pour échapper au contrôle de la société.
- Tabou parce quil faut reconnaître le travail difficile des professionnels et quil que nous faut leur reconnaître que du contact avec les enfants maltraités nul ne sort indemne : nos certitudes en sont parfois bouleversées, notre confiance en lefficacité de notre action parfois ébranlée, nos propres souffrances personnelles parfois ravivées.
Lever le tabou des dommages que cause la maltraitance :
- Tabou à lever sur la répétition générationnelle de la maltraitance. Les enfants maltraités ne deviendront pas fatalement des parents maltraitants mais il est de fait que nombre de parents maltraitants ont été des enfants maltraités.
- Tabou de ces chiffres terribles : le nombre de jeunes destinataires du RSA ou le nombre de jeunes à la rue issus de parcours ASE est supérieur à la moyenne nationale des jeunes au RSA ou SDF.
Lever le tabou de la maltraitance sociale :
Mesdames et messieurs vous avez parlé de la violence physique, vous avez parlé de la violence psychologique, il y a aussi la violence sociale. Et je ne peux oublier que la pauvreté, la précarité, le surendettement, les vies assaillies de toutes parts par la difficulté sont, pour les enfants qui les vivent et leurs parents une maltraitance sociale.
Et je pose la question : tous les placements sont-ils tous justifiés ? Sont-ils tous la meilleure des solutions ? Il faudra bien répondre aux interrogations des associations qui travaillent sur la grande pauvreté et qui dénoncent des placements parfois trop fréquents.
Alors, face à ce constat, que je pense nous pouvons partager : quelles pistes de réflexion et quelles réponses ?
II- Pistes
A- Replacer lenfant au coeur de la protection
Je le dis très clairement, cest un changement de mentalité. Lenfant nest pas suffisamment entendu. Lenfant nest pas suffisamment considéré comme une personne à part entière. Placer lenfant au coeur de la protection, cest affirmer que les enfants ne sont pas des objets passifs de protection mais quils sont des sujets de protection. Ils ont leur mot à dire.
Nous devons réfléchir : comment imposer que dans les procédures de placement la parole de lenfant soit véritablement entendue et soit prise en compte, ce quelle nest pas suffisamment aujourdhui.
Si une mission sénatoriale se met en place, je souhaite quelle puisse auditionner les enfants placés et les adultes sortis de lASE car la parole de ces enfants ou de ces adultes est aussi une parole dexpert.
Oui comme Philippe Bas, je pense que lEtat est et doit rester garant de la protection de lenfance, ne serait-ce que pour sassurer de sa mise en oeuvre équitable géographiquement. Car une politique efficace de protection de lenfance ne peut pas se résumer à des outils. Cest aussi interroger la part de la filiation, la part de léducation, cest oser dire que dans des circonstances bien précises, des familles, des parents, ne sont pas toujours des parents bons pour leurs enfants, ou si vous préférez, bientraitants pour leurs enfants.
La reconnaissance de lenfant à part entière est un gage davenir car il apparaît que le mode dentrée dans le dispositif de protection de lenfance influe fortement sur la perception par les enfants de leurs possibilités ultérieures de développement. On sait très bien que les enfants qui disent avoir pris deux-mêmes linitiative de recourir aux services sociaux ont limpression de garder par la suite la maîtrise de leur parcours tout au long de la prise en charge. Ils se perçoivent comme acteurs du processus dévaluation, de leur propre situation et ont pu sapproprier les aides ultérieures reçues.
Vous me direz que tous ne sont pas en capacité de solliciter les services sociaux. Alors oui, je suis, comme vous le suggérez, pour reconnaître la violence faite aux enfants comme grande cause nationale.
B- Véritable campagne dinformation
Et cette grande cause nationale devra commencer par une véritable campagne dinformation. En Espagne, une campagne dinformation destinée aux enfants, assez efficace, a déjà eu lieu. Une campagne dinformation destinée à lutter contre les violences faites aux enfants nest jamais simple car elle doit être efficace et pour être efficace, elle doit sadresser dabord aux enfants et pointer la responsabilité condamnable des parents maltraitants.
Mais la campagne dinformation est un instrument de sensibilisation, il ne peut suffire au renforcement de lefficacité de la protection de lenfance.
C- Vers un nouveau statut de parent accueillant
Cest pourquoi je souhaite quune réflexion avec tous les professionnels soit menée sur une idée neuve et qui comme toute idée neuve peut de prime abord surprendre : un enfant, dont on sait pertinemment que le retour dans sa famille dorigine au quotidien sera impossible, doit-il aller de famille daccueil en famille daccueil ou de famille daccueil en foyer ? Cest-à-dire le maintenir dans la persistance dune histoire forcément douloureuse et forcément tragique ? Entre ladoption que les adultes de ladministration comme de la justice ont du mal à prononcer, et les situations de placement, ny a-t-il pas à inventer et à créer un nouveau statut ? Ce statut permettrait aux nombreuses familles prêtes à accueillir définitivement un enfant de donner une véritable seconde chance familiale à ces enfants. Ne pensez-vous pas que la réflexion doit être menée à son terme, quelle que soit la réponse qui y sera apportée ?
Cest tout simplement remettre de la stabilité dans une histoire instable. Nest-ce pas là le gage dune transition vers lavenir ?
Cest John Dos Passos qui écrivait : « Le seul élément qui puisse remplacer la dépendance à légard du passé est la dépendance à légard de lavenir ». Car un des buts de la protection de lenfance, un des buts de la lutte contre la violence faite aux enfants est notre capacité à créer à ces enfants un avenir. Et pour cela cest aider lenfant à se comprendre pour accéder à son passé, cest aider lenfant à sancrer en vivant dans le présent, cest aider lenfant à se construire pour quil puisse se projeter dans lavenir.
Se comprendre, sancrer, se construire, cest redonner à ces enfants ce qui doit exister pour chaque enfant : la capacité à dessiner sa propre trajectoire biographique.
Mon ministère, intitulé ministère de la famille, suppose, et tel est mon décret dattribution, que lenfance soit également une des priorités de mon action. Jespère, au travers des propos que je viens de vous tenir, vous avoir convaincus de mon total engagement, à développer lefficacité de la protection de lenfance, à lélaboration dun regard neuf sur lenfant qui plus que jamais doit être pris dans sa globalité, ce quune sociologue appelle « la quête de lunicité du moi ». Nous avons déjà entamé des actions concrètes. Le système institué par la loi du 5 mars 2007 a besoin dêtre évalué et, selon les résultats de cette évaluation, perfectionné : Christiane Taubira la indiqué tout à lheure, ce sera lobjet dune mission dévaluation qui se met actuellement en place. Dans ce même esprit dévaluation, le Parlement pourra bientôt se saisir du rapport sur la mise en oeuvre de cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Dans peu de temps, nous publierons le décret nécessaire à la transmission systématique des informations préoccupantes entre départements en cas de déménagement. Nous avons commencé à travailler en recevant de nombreux partenaires, acteurs de la protection de lenfance et experts. Nous allons continuer avec volontarisme et détermination. Mesdames et Messieurs les organisateurs, votre colloque constitue une étape importante pour mobiliser lensemble de nos concitoyens autour dune lutte qui se doit dêtre sans répit autour de la protection de lenfant.
Cest un gage davenir pour tous nos enfants et cest la réaffirmation de la confiance que nous devons mettre, à linstar du Président de la République, dans la jeunesse.
Voilà autant de raisons dagir plus juste, de façons de faire plus efficace, ensemble.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 19 juin 2013