Déclaration de Mme Dominique Bertinotti, ministre de la famille, sur les violences et maltraitances faites aux enfants et la protection des mineurs, Paris le 14 juin 2013.

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Circonstance : Colloque sur les violences faites aux enfants à Paris le 14 juin 2013

Texte intégral


La place de l’enfant et le rapport entre enfant et adulte ont toujours été complexes dans nos sociétés. Comme l’a fort bien exprimé Philippe Ariès, « Une longue évolution a été nécessaire pour que s’ancre réellement le sentiment de l’enfance dans les mentalités ». N’oublions pas que Saint-Augustin en son temps a pu écrire « Non Seigneur, il n’y a pas d’innocence enfantine », que Montaigne a pu expliquer qu’il a « perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regret mais sans fâcherie ». Et ce n’est que très récemment que le 20ème siècle a mis l’enfant au coeur de l’univers familial. On peut alors parler de nos jours d’une longue révolution silencieuse où, avec la maîtrise de la contraception, le choix de la maternité ou non, les devoirs ont été accrus envers l’enfant que l’on choisit de faire naître.
Les événements tragiques qui conduisent à la mort d’enfants nous sont insupportables parce qu’ils nous renvoient à la réalité que tout parent n’est pas toujours en capacité de donner le meilleur à son enfant, qu’il lui inflige parfois des violences psychologiques et physiques telles qu’elles peuvent le conduire à la mort. Vous l’avez dit Madame Trierweiler, les familles ne sont pas toujours toutes bienveillantes à l’égard de leurs enfants. Et effectivement, pourquoi tant de silence, pourquoi tant de discrétion voire de déni sur cette réalité de la maltraitance ? N’est-ce pas, parce que cela nous renvoie à cette idée fort dérangeante que l’homme peut être le plus grand destructeur pour l’homme, et ceci est d’autant plus insupportable lorsqu’il s’attaque aux plus jeunes ?
C’est pourquoi je vous remercie, vous organisateurs et organisatrices, les participants, de mettre sous les feux des projecteurs, avec autant de détermination, la nécessité impérieuse d’apporter des réponses concrètes et efficaces à cette question des violences faites aux enfants.
Avant-même d’aborder les pistes sur lesquelles mon ministère et moi-même entendons travailler, je souhaiterais rappeler l’état d’esprit dans lequel nous abordons cette question et rappeler quelques éléments de constat de la protection de l’enfance aujourd’hui.
I- Etat d’esprit et constat
A- Quelques remarques sur la protection de l’enfance aujourd’hui
La protection de l’enfance, c’est faire face à la diversité des situations. 300 000 mineurs sont concernés par une mesure d’aide sociale à l’enfance (ASE). Ces mineurs se ventilent en deux groupes distincts : 50% d’entre eux bénéficient d’une aide éducative en milieu ouvert, 50% sont pris en charge physiquement au titre de l’ASE et font l’objet de placement soit à court terme soit à long terme.
Sur les enfants placés, 20% le sont pour de la maltraitance physique, 20% pour de la maltraitance psychologique, les autres pour un déficit d’éducation, d’entretien ou de moralité. A la diversité des situations, il faut apporter une diversité de réponses. Et je pose la question : les réponses aujourd’hui existantes sont-elles suffisantes et adéquates ?
Deuxième remarque : ¾ des enfants confiés à l’ASE le sont par mesure judiciaire et ¼ par mesure administrative. On sait combien d’autres pays ont un rapport totalement inverse entre ces deux types de mesure. Je pose la question : le maintien de cette forte judiciarisation est-elle souhaitable et nécessaire ?
Troisième remarque : les enfants placés connaissent pour un grand nombre d’entre eux au minimum deux placements et pour certains plus de quatre placements. Je pose la question : Est-ce que cette succession de ruptures est le meilleur gage de reconstruction de ces enfants ?
Mais la protection de l’enfance, ce n’est pas simplement une vision défensive, même si elle est indispensable : on protègerait l’enfant « contre ». Il faut aussi avoir une vision active, positive de la protection pour permettre aux enfants de construire leur histoire. Car il ne s’agit pas seulement de parer à un danger immédiat. Il s’agit de préparer l’avenir et de rechercher avec et pour les enfants les conditions de leur bon développement.
Il faut s’attacher à la réalité de ce que vivent les enfants et se garder, vous l’avez dit André Vallini, se garder des tentations simplificatrices et des dogmes rigides : le tout administratif ou le tout justice, le tout famille ou le tout enfant. Mais il faut aussi savoir lever des tabous.
B- Lever le tabou des violences faites aux enfants
- Tabou : Quand pour 80% de nos concitoyens, la famille est le premier lieu de confiance, il est difficile d’admettre que des drames se produisent dans les familles.
- Tabou que traduit bien l’absence de véritables statistiques non seulement quantitatives mais aussi qualitatives. Il faut rompre avec la difficulté que nous avons à suivre d’une part les cohortes d’enfants qui font l’objet d’une mesure ASE, et la difficulté que nous avons à intégrer que les violences faites aux enfants ne sont pas l’apanage d’un milieu social. Plus le milieu social est élevé, plus il crée des astuces pour échapper au contrôle de la société.
- Tabou parce qu’il faut reconnaître le travail difficile des professionnels et qu’il que nous faut leur reconnaître que du contact avec les enfants maltraités nul ne sort indemne : nos certitudes en sont parfois bouleversées, notre confiance en l’efficacité de notre action parfois ébranlée, nos propres souffrances personnelles parfois ravivées.
Lever le tabou des dommages que cause la maltraitance :
- Tabou à lever sur la répétition générationnelle de la maltraitance. Les enfants maltraités ne deviendront pas fatalement des parents maltraitants mais il est de fait que nombre de parents maltraitants ont été des enfants maltraités.
- Tabou de ces chiffres terribles : le nombre de jeunes destinataires du RSA ou le nombre de jeunes à la rue issus de parcours ASE est supérieur à la moyenne nationale des jeunes au RSA ou SDF.
Lever le tabou de la maltraitance sociale :
Mesdames et messieurs vous avez parlé de la violence physique, vous avez parlé de la violence psychologique, il y a aussi la violence sociale. Et je ne peux oublier que la pauvreté, la précarité, le surendettement, les vies assaillies de toutes parts par la difficulté sont, pour les enfants qui les vivent et leurs parents une maltraitance sociale.
Et je pose la question : tous les placements sont-ils tous justifiés ? Sont-ils tous la meilleure des solutions ? Il faudra bien répondre aux interrogations des associations qui travaillent sur la grande pauvreté et qui dénoncent des placements parfois trop fréquents.
Alors, face à ce constat, que je pense nous pouvons partager : quelles pistes de réflexion et quelles réponses ?
II- Pistes
A- Replacer l’enfant au coeur de la protection
Je le dis très clairement, c’est un changement de mentalité. L’enfant n’est pas suffisamment entendu. L’enfant n’est pas suffisamment considéré comme une personne à part entière. Placer l’enfant au coeur de la protection, c’est affirmer que les enfants ne sont pas des objets passifs de protection mais qu’ils sont des sujets de protection. Ils ont leur mot à dire.
Nous devons réfléchir : comment imposer que dans les procédures de placement la parole de l’enfant soit véritablement entendue et soit prise en compte, ce qu’elle n’est pas suffisamment aujourd’hui.
Si une mission sénatoriale se met en place, je souhaite qu’elle puisse auditionner les enfants placés et les adultes sortis de l’ASE car la parole de ces enfants ou de ces adultes est aussi une parole d’expert.
Oui comme Philippe Bas, je pense que l’Etat est et doit rester garant de la protection de l’enfance, ne serait-ce que pour s’assurer de sa mise en oeuvre équitable géographiquement. Car une politique efficace de protection de l’enfance ne peut pas se résumer à des outils. C’est aussi interroger la part de la filiation, la part de l’éducation, c’est oser dire que dans des circonstances bien précises, des familles, des parents, ne sont pas toujours des parents bons pour leurs enfants, ou si vous préférez, bientraitants pour leurs enfants.
La reconnaissance de l’enfant à part entière est un gage d’avenir car il apparaît que le mode d’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance influe fortement sur la perception par les enfants de leurs possibilités ultérieures de développement. On sait très bien que les enfants qui disent avoir pris d’eux-mêmes l’initiative de recourir aux services sociaux ont l’impression de garder par la suite la maîtrise de leur parcours tout au long de la prise en charge. Ils se perçoivent comme acteurs du processus d’évaluation, de leur propre situation et ont pu s’approprier les aides ultérieures reçues.
Vous me direz que tous ne sont pas en capacité de solliciter les services sociaux. Alors oui, je suis, comme vous le suggérez, pour reconnaître la violence faite aux enfants comme grande cause nationale.
B- Véritable campagne d’information
Et cette grande cause nationale devra commencer par une véritable campagne d’information. En Espagne, une campagne d’information destinée aux enfants, assez efficace, a déjà eu lieu. Une campagne d’information destinée à lutter contre les violences faites aux enfants n’est jamais simple car elle doit être efficace et pour être efficace, elle doit s’adresser d’abord aux enfants et pointer la responsabilité condamnable des parents maltraitants.
Mais la campagne d’information est un instrument de sensibilisation, il ne peut suffire au renforcement de l’efficacité de la protection de l’enfance.
C- Vers un nouveau statut de parent accueillant
C’est pourquoi je souhaite qu’une réflexion avec tous les professionnels soit menée sur une idée neuve et qui comme toute idée neuve peut de prime abord surprendre : un enfant, dont on sait pertinemment que le retour dans sa famille d’origine au quotidien sera impossible, doit-il aller de famille d’accueil en famille d’accueil ou de famille d’accueil en foyer ? C’est-à-dire le maintenir dans la persistance d’une histoire forcément douloureuse et forcément tragique ? Entre l’adoption que les adultes de l’administration comme de la justice ont du mal à prononcer, et les situations de placement, n’y a-t-il pas à inventer et à créer un nouveau statut ? Ce statut permettrait aux nombreuses familles prêtes à accueillir définitivement un enfant de donner une véritable seconde chance familiale à ces enfants. Ne pensez-vous pas que la réflexion doit être menée à son terme, quelle que soit la réponse qui y sera apportée ?
C’est tout simplement remettre de la stabilité dans une histoire instable. N’est-ce pas là le gage d’une transition vers l’avenir ?
C’est John Dos Passos qui écrivait : « Le seul élément qui puisse remplacer la dépendance à l’égard du passé est la dépendance à l’égard de l’avenir ». Car un des buts de la protection de l’enfance, un des buts de la lutte contre la violence faite aux enfants est notre capacité à créer à ces enfants un avenir. Et pour cela c’est aider l’enfant à se comprendre pour accéder à son passé, c’est aider l’enfant à s’ancrer en vivant dans le présent, c’est aider l’enfant à se construire pour qu’il puisse se projeter dans l’avenir.
Se comprendre, s’ancrer, se construire, c’est redonner à ces enfants ce qui doit exister pour chaque enfant : la capacité à dessiner sa propre trajectoire biographique.
Mon ministère, intitulé ministère de la famille, suppose, et tel est mon décret d’attribution, que l’enfance soit également une des priorités de mon action. J’espère, au travers des propos que je viens de vous tenir, vous avoir convaincus de mon total engagement, à développer l’efficacité de la protection de l’enfance, à l’élaboration d’un regard neuf sur l’enfant qui plus que jamais doit être pris dans sa globalité, ce qu’une sociologue appelle « la quête de l’unicité du moi ». Nous avons déjà entamé des actions concrètes. Le système institué par la loi du 5 mars 2007 a besoin d’être évalué et, selon les résultats de cette évaluation, perfectionné : Christiane Taubira l’a indiqué tout à l’heure, ce sera l’objet d’une mission d’évaluation qui se met actuellement en place. Dans ce même esprit d’évaluation, le Parlement pourra bientôt se saisir du rapport sur la mise en oeuvre de cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Dans peu de temps, nous publierons le décret nécessaire à la transmission systématique des informations préoccupantes entre départements en cas de déménagement. Nous avons commencé à travailler en recevant de nombreux partenaires, acteurs de la protection de l’enfance et experts. Nous allons continuer avec volontarisme et détermination. Mesdames et Messieurs les organisateurs, votre colloque constitue une étape importante pour mobiliser l’ensemble de nos concitoyens autour d’une lutte qui se doit d’être sans répit autour de la protection de l’enfant.
C’est un gage d’avenir pour tous nos enfants et c’est la réaffirmation de la confiance que nous devons mettre, à l’instar du Président de la République, dans la jeunesse.
Voilà autant de raisons d’agir plus juste, de façons de faire plus efficace, ensemble.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 19 juin 2013