Tribune de M. Hervé de Charette, président délégué de l'UDF et ancien ministre de la défense, dans "Le Figaro" du 29 septembre 2001, sur le projet de loi de finances et le budget militaire pour 2002, intitulée "La Défense sacrifiée".

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Autant le dire clairement : les moyens que la France consacre à sa défense sont insuffisants. Ni le projet de loi de programmation militaire pour la période 2003-2008 ni le projet de loi de finances pour 2002 qui vient d'être présenté par le gouvernement ne sont à la hauteur des enjeux. La crise mondiale qui vient d'éclater rend plus criante encore la faiblesse de nos engagements.
En premier lieu, les moyens que le projet de loi de programmation prévoit de consacrer à l'équipement des Armées sur la période 2003-2008 soit l'équivalent de 87,5 mds de FF par an (valeur 2000) s'inscrivent sensiblement en deçà de ce que suppose l'objectif affiché, c'est-à-dire ce qu'il est convenu d'appeler le " modèle 2015 ", dont la validité a, récemment encore, été confirmée sans la moindre ambiguïté. Chacun sait, au travers des études qui ont été menées par les états-majors et des analyses conduites par ceux qui travaillent sur les questions de défense, au Parlement notamment, que le modèle 2015 exige que l'enveloppe consacrée chaque année à l'équipement des Armées sur la période 2003-2008 approche les 100 mds de FF (valeur 2000). Nous en sommes loin. Dès lors, à qui fera-t-on croire qu'il est possible d'atteindre l'objectif prévu alors qu'il va manquer au total près de 80 mds de FF sur les six années couvertes par la prochaine loi de programmation militaire ?
Ces insuffisances sont d'autant plus préoccupantes que les objectifs qui avaient été fixés en matière d'équipement des forces par la programmation actuelle, votée en 1996, n'ont pas été respectés et que l'équipement de nos armées a pris, pendant cette période, un retard important. Faute que le gouvernement ait su garder le cap, les crédits inscrits en loi de finances et, plus encore, l'exécution budgétaire ont été à ce point inférieurs à ce que la programmation avait prévu qu'une partie importante des commandes qui devaient être passées soit au titre de développement, soit au titre de la fabrication, ont dû être abandonnées, révisées à la baisse ou sensiblement décalées dans le temps. Le cas du Rafale qui entrera en service dans l'Armée de l'air près de vingt ans après avoir été lancé est symptomatique à cet égard.
Calculé sur la période 1997-2001 et hors transfert au budget civil de la recherche-développement (lequel n'est qu'une taxation imposée au ministère de la Défense pour abonder le budget du ministère de la Recherche), l'écart entre les enveloppes prévues par la loi de programmation et les crédits réellement utilisés ont représenté près de 45 Mds de FF sur la période comprise entre 1997 et 2000. Tous les éléments d'information disponibles confirment que ce chiffre va encore augmenter en 2001 et 2002.
Il y a plus grave encore : les arbitrages rendus par le premier ministre sur le budget du ministère de la Défense pour 2002 montrent qu'avant même d'être votée, la prochaine loi de programmation militaire est d'ores et déjà caduque. L'accord passé entre les deux têtes de l'exécutif relève plus de la " gesticulation médiatique " que d'une réflexion réelle et consensuelle sur les principes qui doivent fonder notre politique de défense.
Même si le gouvernement cherche à le cacher en utilisant l'artifice des reports de crédits disponibles, la réalité du budget 2002, c'est que les crédits consacrés à l'équipement des Armées seront de 8,14 mds de FF, en baisse de 2 mds par rapport à 2001. Ils seront donc inférieurs de 12 mds de FF à l'enveloppe prévue pour 2002 dans la loi de programmation ! Et du coup, on voit bien qu'il n'y a aucune cohérence, aucune compatibilité entre le budget 2002 et la programmation militaire des années à venir. Il s'agit bel et bien d'une nouvelle et profonde " encoche " par rapport aux engagements pris. En utilisant les crédits d'équipement militaire pour solder les errements qu'il n'a cessé d'accumuler sur le plan budgétaire, le premier ministre porte un coup supplémentaire et grave à notre politique de défense. Il le fait paradoxalement dans un contexte où l'Europe de la défense est en passe de devenir une réalité où nos partenaires britanniques continuent d'augmenter le montant des crédits qu'ils consacrent chaque année à l'équipement de leurs forces.
L'enjeu est clair. Il s'agit de la capacité de notre pays à se prémunir contre les menaces qui loin de diminuer augmentent. Il s'agit également de la fiabilité de notre engagement dans des opérations extérieures en fonction de nos intérêts. Bref, la France sacrifie l'équipement de ses armées. L'impéritie du gouvernement menace purement et simplement notre rang de 3ème puissance mondiale et avec lui notre capacité à peser sur les affaires d'un monde nouveau, né ce mardi 11 septembre 2001.
(Source http://www.udf.org, le 4 octobre 2001)