Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "France Inter" le 20 août 2013, sur le séminaire gouvernemental et les suites à lui donner, la fin de la récession économique et les choix budgétaires du gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

BRUNO DUVIC
Pierre MOSCOVICI, ministre de l'Economie et des Finances, est ce matin l’invité de FRANCE INTER. Bonjour Monsieur.
PIERRE MOSCOVICI
Bonjour.
BRUNO DUVIC
Quelles suites concrètes vont être données au séminaire d’hier sur la France de 2025 ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, d’abord je crois que c’était un séminaire extrêmement utile, et même nécessaire, un pouvoir politique, en France, doit bien sûr traiter les urgences, et les urgences on les connaît, j’imagine qu’on en parlera, c’est le budget qui vient, c’est la réforme des retraites, c’est la reprise qu’il faut consolider, mais il faut aussi dessiner une ambition nationale, un projet collectif, restaurer la confiance, et restaurer la confiance ça passe par le sentiment d’un avenir commun, et par le fait que nous affrontions ensemble un certain nombre de défis. Je pense au défi de la souveraineté de la France, souveraineté dans la mondialisation, souveraineté budgétaire, souveraineté économique. L’excellence, comment nous pouvons être une nation qui porte un message et qui a aussi une utilité économique dans un univers qui change, puisque dans 10 ans, en 2025, il y aura 3 milliards d’individus qui représentent une classe moyenne dans le monde, et puis enfin l’unité de la France. Et concrètement…
BRUNO DUVIC
Ça c’est les trois mots clés du président de la République.
PIERRE MOSCOVICI
Oui, mais ce sont des mots qui sont des mots forts. Vous savez, j’ai vu qu’il y avait, comme ça, des sarcasmes, il y a toujours des sarcasmes en France…
BRUNO DUVIC
Justement pour y répondre, donnez-nous du concret, quels types de réformes est-ce que ça peut inspirer ce séminaire et ces mots clés que vous venez de citer ?
PIERRE MOSCOVICI
D’abord, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il n’y a pas de discontinuité entre 2025 et maintenant, ce n’est pas – j’ai lu que nous étions en train de dessiner la France en rose – pas du tout. Nous sommes en train de montrer, c’est ce que j’ai par exemple dans ma copie, comme on dit, ce que sont les risques d’aujourd’hui, le risque d’une Europe qui s’immobilise, le risque d’une France qui vieillit sans tirer les opportunités de ce vieillissement, le risque aussi d’une stratégie macroéconomique qui soit mal calibrée, mais c’est comment nous portons ce que nous faisons aujourd’hui, les réformes du moment, la compétitivité, la réforme du marché du travail, l’assainissement budgétaire, la réforme de l’Education nationale, l’investissement…
BRUNO DUVIC
Donc c’est prolonger ce qui existe déjà, ce n’est pas forcément inspirer des réformes nouvelles ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, il y a une trajectoire, il y a un but, il y a un objectif, c’est de faire une France plus forte, c’est d’avoir un récit national, tous les grands pays ont un récit national. Prenez la Chine, elle veut accroître sa production, prenez la Russie, elle veut accroître son espace et retrouver une logique d’empire, prenez l’Allemagne il y a 10 ans, c’était ce qu’on appelait le « stentor deutschland », un site Allemagne. Moi j’ai proposé par exemple le plein emploi pour dans 10 ans…
BRUNO DUVIC
C’est réaliste ?
PIERRE MOSCOVICI
C’est à la fois réaliste et nécessaire. Ce n’est pas gagné, c’est un combat, c’est une bataille, c’est une construction…
BRUNO DUVIC
Parce que pour les gens qui nous écoutent ce matin, parler de plein emploi aujourd’hui, et même à l’horizon 2025, ça semble surréaliste.
PIERRE MOSCOVICI
Je comprends, mais il ne faut pas que la France s’enferme dans une espèce de délectation morose, ou d’auto-flagellation, la France est un grand pays, la France elle est sans doute aujourd’hui dans le doute, elle est dans le pessimisme, mais elle doit avoir confiance dans ses forces. Et je reprends l’exemple de l’Allemagne, il y a 10 ans on disait l’Allemagne est le malade de l’Europe, aujourd’hui il y a comme ça un doute sur la France, mais regardez ce que nous sommes. Par exemple en matière de croissance, au deuxième trimestre de cette année…
BRUNO DUVIC
On va y venir.
PIERRE MOSCOVICI
Nous sommes les leaders en Europe, nous avons des capacités, nous sommes la cinquième économie du monde, nous sommes la deuxième en Europe, nous sommes une nation qui siège dans toutes les grandes institutions internationales, au Conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre permanent, nous avons l’arme atomique, nous sommes une nation écoutée. Alors, quand je dis plein emploi, ce que je dis c’est que, si nous mobilisons nos forces, si nous sommes capables de dessiner une stratégie macroéconomique efficace, dont j’ai donné les ressorts, encore une fois la compétitivité, l’innovation, l’investissement, et aussi la souveraineté budgétaire, le désendettement…
BRUNO DUVIC
Mais ça ne veut pas dire qu’on sera à moins de 5% de chômage en 2025.
PIERRE MOSCOVICI
Ça veut dire que si nous le faisons, oui, et je crois que nous le pouvons. Prenons l’exemple du facteur démographique que j’évoquais…
BRUNO DUVIC
Et après il faudra qu’on passe aux autres sujets.
PIERRE MOSCOVICI
Il y aura un tiers de Français qui auront plus de 60 ans, c’est après 2035 que le nombre des actifs recommencera à croître, la France, elle, peut créer des emplois, va créer des emplois, mais ça, encore une fois, ce n’est pas donné, c’est construit, et c’est pour ça qu’il y a la trajectoire, 2025, et il y a le lancement, c’est ce que nous sommes en train de faire.
BRUNO DUVIC
Vous avez été choqué par la contribution de Manuel VALLS, la question du regroupement familial pourrait être revue, il faudra démontrer que l’islam est compatible avec la démocratie ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, je n’ai pas été choqué, je trouve qu’on fait parfois de mauvais procès et qu’on se fait des mauvais procès. Vous savez, quand on est dans un séminaire comme ça, chacun s’exprime librement et donne sa vérité, ses idées, on peut les partager ou non. Mais quand par exemple je lis que certains disent que Manuel VALLS aurait laissé planer un doute sur le fait que l’islam soit compatible avec la République, pas du tout, ce qu’il a dit c’est exactement le contraire. Il a dit « nous allons montrer, nous sommes en train de montrer », il y a une volonté, « que l’islam est compatible avec la République. » Alors, nous ne faisons pas de faux procès. Et quand nous sommes entre nous, soyons capables aussi d’émettre des idées, ça s’appelle un débat, on peut les partager ou ne pas les partager, mais non, Manuel VALLS a été extrêmement clair, c’était une volonté et pas un doute.
BRUNO DUVIC
+0,5% de croissance au printemps, vous l’avez dit, du coup sur quelle hypothèse travaillez-vous en ce qui concerne la croissance 2013 et 2014 ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, on m’a fait dire cet été des choses assez invraisemblables, comme quoi j’aurais modifié les prévisions de croissance…
BRUNO DUVIC
C’est l’occasion de rétablir.
PIERRE MOSCOVICI
Eh bien je rétablis. Les prévisions de croissance on les établie au moment où on présente des projets finances, des projets de loi de finances. La loi de finances pour 2014 sera établie en septembre, donc je la présenterai…
BRUNO DUVIC
Vous avez une petite idée quand même.
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, je vais d’abord partir de deux choses. Un, le chiffre du deuxième trimestre 2013, que dit-il ? Il dit que la France est sortie de la récession, ça c’est très clair. La récession c’est quoi ? C’est deux trimestres…
BRUNO DUVIC
Sortie durablement ?
PIERRE MOSCOVICI
J’y viens – deux trimestres consécutifs de croissance négatifs. Nous avons eu ça, -0,2 et -0,2, à la fin 2012 et au début 2013. Là nous avons +0,5, donc sortie de récession. J’ajoute que la sortie de récession elle n’est pas seulement française, elle est aussi européenne, puisque la zone euro, enfin, ça faisait six trimestres consécutifs qu’elle était, elle, en croissance négative, a connu 0,3. La France est leader de ce mouvement…
BRUNO DUVIC
L’Allemagne est à 0,7, non ?
PIERRE MOSCOVICI
De ce mouvement avec l’Allemagne, qui est à 0,7. Et ça, ça signifie quoi ? Un, que nous avons su stabiliser la zone euro, ce sont des efforts considérables, moi j’y ai passé un temps fou depuis que je suis ministre de l'Economie et des Finances, mais je peux dire aujourd’hui que c’est vrai, nous sommes sortis de la crise de la zone euro, même s’il reste de la crise économique, de l’économie réelle, dans la zone euro. Et puis il y a le rebond en France, consommation +0,4, production industrielle +0,9, reconstitution des socles, et tout ça, ça atteste d’une confiance qui renaît. Alors, vous me demandez si ça va vers une reprise durable ? Oui, à condition que nous soyons capables collectivement, et là on refait le lien avec 2025, de développer cette confiance, de partager cette confiance.
BRUNO DUVIC
Et ça fait, en quoi, en 2013 une croissance à 0,1 et en 2014 une croissance autour de 1% ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, je vais vous donner… premier chiffre c’était 0,5, deuxième chiffre c’est 0,1, qu’est-ce que c’est 0,1 ? C’est ce qu’on appelle…
BRUNO DUVIC
0,1 pour cette année ?
PIERRE MOSCOVICI
Non non, c’est l’acquis de croissance. L’acquis de croissance c’est le chiffre qui résulte déjà des deux premiers trimestres, et ce serait 0,1 si les deux derniers trimestres de l’année étaient à une croissance nulle. Donc disons que, voilà ce qu’est la base sur laquelle seront établies les prévisions, elles peuvent être meilleures, nous verrons ça. mais si vous voulez, moi ce que je veux souligner surtout, c’est que, oui c’est vrai, il y a eu ce rebond très important de l’activité et que, oui c’est vrai, la France est en train d’amorcer la marche vers une reprise durable, et c’est ce message-là que je veux moi diffuser. Ayons confiance dans notre pays, il le mérite, c’est un grand pays, et ne soyons pas sans arrêt en train de douter ou de nous moquer de nous-mêmes. Nous sommes une force dans la mondialisation.
BRUNO DUVIC
Budget en Conseil des ministres le 25 septembre, 14 milliards d’économies, 10 à 12 milliards d’impôts, dont 6 véritablement nouveaux. Y aura-t-il un gel du barème de l’impôt sur le revenu, Monsieur le ministre ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, non, je ne vais pas faire ça aujourd’hui parce que les arbitrages fiscaux sont en train d’être finalisés, parce que la loi de finances sera présentée en septembre 2013.
BRUNO DUVIC
C’est une piste de réflexion sérieuse ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, moi je ne veux pas me livrer à ce concours-là, ce que je veux dire c’est que, d’abord nous voulons faire un budget qui continue à se redresser, parce qu’il est important, je disais que la France retrouve sa souveraineté budgétaire, donc elle se désendette. Deuxièmement, nous voulons un budget qui se redresse à un rythme, et avec des modalités qui soient compatibles avec le retour de la croissance. Quand nous avons obtenu de la Commission Européenne qu’elle nous donne un délai de 2 ans pour revenir en deçà de 3% des déficits en termes de PIB, c’est cela, c’est la compatibilité avec la croissance, nous voulons un budget, du coup, qui soutienne la croissance. Et nous voulons un budget qui ait deux caractéristiques. Un, que l’effort de redressement porte d’abord sur des économies des dépenses publiques, je dis bien d’abord, et nous avons inversé la proportion par rapport au budget 2013, nous allons inverser la proportion par rapport au budget 2013, en 2013 c’était deux tiers de fiscalité, un tiers d’économies, cette fois-ci ce sera au moins deux tiers d’économies, et un tiers, au maximum, de prélèvements. Et deuxième chose…
BRUNO DUVIC
Economies sur le traitement des fonctionnaires et les effectifs de fonctionnaires ?
PIERRE MOSCOVICI
Deuxième chose, ce que je souhaite, c’est que nous poursuivions la marche qui est la nôtre, vers la stabilisation des prélèvements obligatoires. Les prélèvements obligatoires ils ont crû de manière extrêmement forte pendant les cinq années où Nicolas SARKOZY était président, nous avons nous-mêmes dû faire un ajustement important en 2013, parce que nous étions en fort déficit, en 2014 nous décèlerons et en 2015 ce sera la stabilité des prélèvements obligatoires.
BRUNO DUVIC
Vous parliez de concours, à propos de ce budget, les personnes qui nous écoutent ont envie, quand même, d’avoir des détails nécessairement, c’est aussi des informations et non pas un concours. Au-delà du gel du barème de l’impôt sur le revenu, puisque vous parliez d’économies, elles porteront…
PIERRE MOSCOVICI
Non non, je vous précise que je n’ai rien confirmé.
BRUNO DUVIC
J’ai bien compris, oui oui.
PIERRE MOSCOVICI
Et que, encore une fois, les arbitrages seront rendus très prochainement.
BRUNO DUVIC
Le point d’indice des fonctionnaires ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, mais, encore une fois, il n’y a pas, aujourd’hui, d’information sur le budget 2014, ce budget il est en train d’être finalisé, nous y travaillons avec Bernard CAZENEUVE, sous l’autorité du président de la République et du Premier ministre, nous le faisons ardemment, nous le faisons aussi sereinement, et il y a un calendrier politique.
BRUNO DUVIC
Quelle réponse à ceux qui disent il y a trop d’impôts et qui sont très nombreux ? Ce n’est pas seulement une partie de la droite, on recevait l’autre jour sur FRANCE INTER deux économistes, un libéral, un économiste atterrés, qui tout deux tombaient d’accord sur ce constat, il y a trop d’impôts en France disaient-ils, singulièrement en période de croissance faible.
PIERRE MOSCOVICI
Moi je suis très sensible à ce ras-le-bol fiscal que je ressens de la part de nos concitoyens, qu’ils soient des ménages, des consommateurs, ou qu’ils soient des entreprises, et ça nous l’écoutons. C’est la raison pour laquelle, je le répète, dans le redressement nécessaire nous inverserons les proportions par rapport à 2013, entre les économies qui doivent être prioritaires et les prélèvements obligatoires qui doivent être aussi peu importants, aussi faibles que possible. Et puis, nous allons poursuivre cela, c’est d’ailleurs ce que nous avons dit dès notre arrivée aux responsabilités, dans la loi de programmation des finances publiques, nous l’avons redit dans le programme de stabilité, que nous avons fait voter, en direction de l’Union Européenne, les prélèvements obligatoires devront être stabilisés en 2015. Et donc…
BRUNO DUVIC
On a atteint le seuil où au-delà ce ne serait plus supportable, et pour les consommateurs, et pour les entreprises ?
PIERRE MOSCOVICI
Je pense qu’il faut poursuivre cette voie-ci, qu’elle est très importante, et qu’elle est celle aussi qui permet le retour de la confiance justement, durable, parce que ça donne de la lisibilité, de la prévisibilité. Et je précise que, bien sûr, notre stratégie fiscale elle sera arrêtée avec une préoccupation qui est toujours la nôtre, qui est celle de la justice. La justice fiscale, la justice sociale, la justice aussi entre les types d’entreprises.
BRUNO DUVIC
A propos d’entreprises, le régime des autoentrepreneurs, ça c’est demain en Conseil des ministres, il était question de baisser le seuil au-delà duquel, en deçà duquel ils bénéficient d’avantages fiscaux, le chiffre de 19 000 euros était cité, 19 000 euros de chiffre d’affaires pour le service et l’artisanat, ça a disparu, il n’y aura plus de seuil ?
PIERRE MOSCOVICI
Ma collègue, Sylvia PINEL, présentera ce projet demain, en Conseil des ministres, et donc c’est à elle de faire ce commentaire. Je dirais simplement que des décisions ont été rendues par le Premier ministre, c’était le 12 juin, qui confortent et réforment ce dispositif d’autoentrepreneur, qu’on en connaît exactement les mécanismes, c’est ça qui sera précisé demain, et j’ajoute que…
BRUNO DUVIC
Ce qui semble indiquer que la notion de seuil a disparu, comme le disait LES ECHOS la semaine dernière.
PIERRE MOSCOVICI
J’ajoute qu’une concertation sera menée par un député, monsieur Laurent GRANDGUILLAUME, justement pour permettre l’harmonisation, à la fois fiscale, sociale, juridique, des dispositifs qui touchent les entrepreneurs individuels.
BRUNO DUVIC
Quel bilan vous dressez de ce régime des autoentrepreneurs ? 900 000 entreprises créées de cette manière depuis qu’il a été créé, je crois que c’était en 2008. Quel bilan vous en tirez ?
PIERRE MOSCOVICI
C’est un bilan qui montre que c’est un régime nécessaire, qui a permis à beaucoup de poursuivre une activité, ou de se réinsérer sur le monde du travail, qui nécessitait aussi des réformes, une régulation, c’est ça l’esprit du gouvernement, ça n’a jamais été d’y mettre fin.
BRUNO DUVIC
Pierre MOSCOVICI, ministre de l'Economie, invité de FRANCE INTER jusqu’à 8H50, toutes vos questions 01.45.24.7000 et franceinter.fr.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 août 2013