Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, à "BFM TV" le 19 août 2013, sur les mesures gouvernementales prises depuis un an pour le financement des entreprises.

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Média : BFM TV

Texte intégral

STEPHANE SOUMIER
On rentre avec Fleur PELLERIN, bonjour Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
STEPHANE SOUMIER
Je suis absolument ravi de vous recevoir.
FLEUR PELLERIN
Merci.
STEPHANE SOUMIER
Vous portez en fait les deux vrais grands sujets qui sont les sujets de nos auditeurs téléspectateurs. On va démarrer, on va parler ensemble des PME, et puis il y a quand même la prospective, alors il y a un rendez-vous très particulier, là aujourd’hui, pour le gouvernement, mais globalement la prospective et l’économie numérique c’est votre sujet. Mais on démarre avec les PME, est-ce que c’est une nouvelle rentrée dans l’incertitude économique pour les PME, Madame PELLERIN ?
FLEUR PELLERIN
Je crois qu’il ne faut pas parler d’incertitude. Nous avons mis en place – et je regardais justement, je faisais mon travail juste avant de venir dans votre émission – je regardais toutes les mesures que nous avons mises en place au cours de l’année passée en faveur des PME, qu’il s’agisse de la trésorerie, de favoriser l’investissement, de favoriser l’emploi, et en réalité nous avons posés des jalons au cours de l’année passée, et je compte bien, moi, qu’elles produisent leurs effets dans l’année qui vient. Je comprends très bien l’incertitude de nos concitoyens et en particulier des chefs d’entreprise, qui se disent « mais la croissance sera-t-elle là, puis-je embaucher, puis-je investir ? », je crois que nous avons fait en sorte de profiter au maximum des instruments dont nous disposions pour créer le meilleur environnement possible pour les PME. Et donc, je comprends à la fois ce climat un petit peu d’incertitude que peuvent ressentir les entrepreneurs, mais je leur dis, nous avons mis en place les instruments qui vont vous permettre d’investir, d’avoir confiance en l’avenir, d’aller conquérir de nouveaux marchés, et je pense que ces instruments vont produire leurs effets cette année.
STEPHANE SOUMIER
Le problème, Madame, alors il y a un double problème, il y a un problème macroéconomique, dont on va parler ensemble, mais il y a un problème gouvernemental, c’est des signaux contradictoires. C'est-à-dire qu’on sort des Assises – et alors pour le coup c’est toujours très compliqué de vous recevoir parce que, vous, globalement, on sent bien que vous essayez de toutes vos forces de porter l'entrepreneuriat, mais face à cela on a par exemple, boom, la loi HAMON qui tombe, économie sociale et solidaire, je pense que vous avez suivi ça cet été, c'est-à-dire l’idée de prévenir les salariés en cas de cession d’entreprise – qui tombe, et qui – on ne va pas parler ensemble de la loi HAMON, ce n’est pas votre sujet – mais qui envoie un signe, qui est un signe qui pourrait faire penser aux chefs d’entreprise que non, finalement, ce gouvernement n’a toujours pas compris comment marchait une entreprise.
FLEUR PELLERIN
Je ne crois pas qu’il faille prendre les choses de cette façon. Nous sommes un gouvernement de gauche, mais qui est ouvert à, à la fois l'entrepreneuriat, qui veut créer les conditions, de la croissance, de l’investissement, de l’emploi dans les entreprises, et donc nous favorisons les équilibres. Je pense qu’on peut avoir une politique qui est favorable aux entreprises, mais qui en même temps essaye de créer de nouvelles garanties pour les salariés, essaye de créer un équilibre entre les intérêts des chefs d’entreprise et les intérêts des salariés, je crois que c’est ça le sens de la politique que nous menons, ce ne sont pas des signaux contradictoires, c’est la recherche d’un équilibre qui favorise à la fois les droits sociaux des salariés et qui permette en même temps aux entrepreneurs d’évoluer dans un environnement qui soit favorable à la création d’emplois et à l’investissement. Donc je pense que vraiment il ne faut pas l’aborder d’une manière qui soit toujours conflictuelle.
STEPHANE SOUMIER
Mais non, et vous le savez d’ailleurs, c’est compliqué pour vous, je le répète, mais c’est un point fondamental. Je comprends tout ce que vous dites Madame PELLERIN, et je pense que beaucoup de chefs d’entreprise sont prêts à écouter ce que vous dites, sauf que du jour au lendemain on a l’impression que vous êtes en capacité de changer des éléments, mais qui sont des éléments fondamentaux dans la conduite de long terme des entreprises.
FLEUR PELLERIN
Je crois que nous faisons, nous avons envoyé des signaux encore, vous l’avez rappelé tout à l’heure, très récemment, lors des Assises de l'entrepreneuriat, qui ont été conclues par le président de la République.
STEPHANE SOUMIER
C’est vrai.
FLEUR PELLERIN
Nous avons envoyé un certain nombre de signaux depuis l’année dernière, il y a eu le Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi, il y a eu l’accord national interprofessionnel, par lequel nous avons créé les conditions d’une flexibilisation du marché du travail, il faut bien l’appeler comme ça, et donc ça ce n’était pas évident pour un gouvernement de gauche de le faire, nous l’avons fait néanmoins.
STEPHANE SOUMIER
Tout à fait.
FLEUR PELLERIN
Nous avons créé la Banque Publique d’Investissement, nous en faisions le bilan juste avant les vacances, la Banque Publique d’Investissement a commencé à investir massivement. Nous créons des fonds d’investissement grâce à cet instrument, à cette Banque Publique, qui va permettre de réinjecter du financement, de l’argent, issu de l’épargne, notamment de nos concitoyens, dans l’économie, cet argent qui fait défaut parce que les banques aujourd’hui sont contraintes par de nouvelles formes de régulation prudentielle. Donc, aujourd’hui, nous avons mis en place ces instruments-là, il y a eu les Assises de l'entrepreneuriat par lesquelles nous avons pris un certain nombre de mesures qui sont très favorables, qui sont des signaux très positifs, et qui ont été perçus comme tels par les entrepreneurs. Maintenant je pense que la plus grande crainte des entrepreneurs elle est liée au contexte macroéconomique, et je pense que tous les signaux que nous avons envoyés, et pas seulement les signaux d’ailleurs, les actions que nous avons mises en oeuvre, et qui continueront à être mises en oeuvre dans le cadre du projet de loi de finances pour l’année prochaine, puisqu’un certain nombre de promesses qui ont été faites seront actées dans le cadre de la loi de finances, eh bien ce sont des actes concrets qui montrent bien vers quelle orientation se dirige ce gouvernement.
STEPHANE SOUMIER
On va y venir, mais j’ai encore une question. Vous allez me dire c’est une question idiote, c’est une question classique… ni Jean-Marc AYRAULT, ni François HOLLANDE, ne vont à l’Université du MEDEF, l’Université d’été du MEDEF. Vous allez me dire, c’est idiot, mais simplement, ça fait partie de ces espèces de petits symboles où on se dit, mais est-ce qu’ils ne sont pas en train de jouer un jeu étrange, avec justement le patronat, avec justement les entreprises ? Vous comprenez Madame PELLERIN, le sens de la question ?
FLEUR PELLERIN
Oui, mais… François HOLLANDE, le président de la République, la semaine dernière, c’était il y a peu de temps, a fait un certain nombre de déplacements, il a rencontré des chefs d’entreprise, il est allé visiter des entreprises, ce n’est pas un signe de défiance. L’année dernière Jean-Marc AYRAULT était présent, il y avait six ou sept ministres qui étaient présents aux Universités d’été du MEDEF.
STEPHANE SOUMIER
Oui, pas cette année. Forcément on va dire il y a un bug, il y a un truc.
FLEUR PELLERIN
Cette année il y a un certain nombre de dossiers qui impliquent des consultations, la réforme des retraites, vous en avez parlé tout à l’heure, il y a beaucoup de dossiers qui impliquent de consulter à la fois les organisations syndicales, mais aussi les organisations patronales, donc ce n’est pas parce que le Premier ministre et le président de la République ne sont pas à Jouy-en-Josas la semaine prochaine, qu’ils ne voient pas de manière quasi-hebdomadaire les responsables des organisations patronales.
STEPHANE SOUMIER
Et en termes macroéconomique on a l’impression que le gouvernement se laisse faire, que vous vous laissez porter par le cycle finalement.
FLEUR PELLERIN
Ah non… je vous rappelais tout à l’heure un certain nombre de mesures que nous avons mises en oeuvre.
STEPHANE SOUMIER
Oui, les éléments de structure, je veux bien, mais…
FLEUR PELLERIN
Le Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi, avec le crédit impôt compétitivité emploi, c’est quand même un coût, en année pleine, de 20 milliards d’euros, on ne peut pas dire que ce soit…
STEPHANE SOUMIER
Oui, mais ce n’est pas pour maintenant.
FLEUR PELLERIN
Si, mais bien sûr que si.
STEPHANE SOUMIER
Non, ce n’est pas pour maintenant, parce qu’il n’est pas massivement adopté par les entreprises, qui justement, et c’est un signe de cette incertitude…
FLEUR PELLERIN
Je crois qu’il y a une confusion entre les gens qui font… les chefs d’entreprise qui optent pour le préfinancement du crédit impôt compétitivité emploi, c'est-à-dire qui demandent…
STEPHANE SOUMIER
Oui, c’est ça que vous espériez.
FLEUR PELLERIN
Mais ça représente déjà 6 ou 700 millions d’euros jusqu’à présent, c’est quand même beaucoup.
STEPHANE SOUMIER
Non…
FLEUR PELLERIN
700 millions d’euros c’est beaucoup, c’est seulement le préfinancement, mais à partir de cette année l’ensemble des entreprises, qui emploient des personnes qui sont payées en dessous de 2,5 fois le SMIC, seront bénéficiaires. Ce n’est pas une question d’opter ou de ne pas opter, elles seront de facto bénéficiaires.
STEPHANE SOUMIER
Mais ça c’est 2014 !
FLEUR PELLERIN
C’est 2013 et 2014, ça va commencer cette année, et donc je pense que cet instrument, effectivement il y a une petite confusion entre le préfinancement et le fait de pouvoir en bénéficier, toutes les entreprises pourront en bénéficier, donc ça représente une baisse du coût du travail qui est quand même très massive, qui représente pratiquement 10 milliards d’euros, enfin 14 milliards cette année et 20 milliards l’année prochaine, donc c’est une baisse massive du coût du travail pour les entreprises. Donc, vous ne pouvez pas dire que nous nous laissons porter…
STEPHANE SOUMIER
1,5%...
FLEUR PELLERIN
Il y a un certain nombre d’instruments qui ont été mis en place, pour aider les entreprises dans leurs difficultés, pour surmonter leurs difficultés de trésorerie par exemple, des nouveaux prêts pour accompagner l’innovation, pour accompagner les PME à l’export, beaucoup de choses ont été mises en oeuvre. Encore une fois, je regardais tout à l’heure la liste de toutes ces mesures qui ont été mises en oeuvre, on ne peut pas dire que nous soyons attentistes ou passifs, je crois que c’est vraiment tout le contraire.
STEPHANE SOUMIER
Et la reprise est là ou pas Madame PELLERIN, la reprise est là ? Ce que vous dites là, enfin j’imagine qu’il y a des batteries d’indicateurs à Bercy, qui moulinent en permanence.
FLEUR PELLERIN
C’est l’INSEE qui produit ces indicateurs et effectivement il y a des signaux, dans certains pays, pas seulement la France, au Portugal, en Allemagne, il y a des signaux de redémarrage, de sortie de récession, en tout cas au deuxième trimestre, qui sont encourageants. Maintenant c’est vrai qu’il faut consolider cette reprise et c’est bien la raison pour laquelle nous nous mettons en ordre de bataille, et nous sommes en ordre de bataille depuis 1 an, pour essayer de consolider cette reprise que nous attendions impatiemment, mais je crois que nous sommes en mesure d’aider nos entreprises à en profiter en tout cas, immédiatement.
STEPHANE SOUMIER
Economie numérique, madame STANTON – alors je ne sais pas, elle est numéro 2, numéro 3 – vous l’aviez vue d’ailleurs quand vous aviez été…
FLEUR PELLERIN
Oui, oui, à plusieurs reprises.
STEPHANE SOUMIER
A San Francisco, c’était à la fin de l’hiver dernier, juste après l’affaire DAILYMOTION, elle débarque à Paris, une personnalité considérable au monde dans le monde de l’économie numérique américaine, on va le dire comme ça Madame PELLERIN, même si elle est numéro 2 ou numéro 3 du réseau social Twitter. Est-ce qu’elle arrive en terre hostile, en France ?
FLEUR PELLERIN
Non.
STEPHANE SOUMIER
On lui parle de plaintes, il y a de nouvelles plaintes déposées contre Twitter, ou on va exiger bientôt – alors Twitter ce n’est pas encore le sujet malheureusement pour eux – mais que les géants du web américain payent davantage d’impôts. Est-ce qu’elle arrive en terre hostile ?
FLEUR PELLERIN
Non, elle n’arrive pas du tout en terre hostile. C’est vrai qu’elle arrive à un moment où Twitter, mais aussi d’autres réseaux sociaux, ou d’autres plateformes qui opèrent sur Internet, sont soumises à un environnement qui change parce que les Etats se rendent compte qu’il faut réguler, il faut réguler, il ne faut pas brider l’innovation, il ne faut pas empêcher de nouveaux services de se développer, mais il faut réguler. Regardez, David CAMERON en Grande-Bretagne, on ne peut pas le soupçonner d’être liberticide etc., il s’est offusqué du fait que sur Twitter une femme a été la cible d’attaques sexistes parce que…
STEPHANE SOUMIER
C’est vrai.
FLEUR PELLERIN
Donc l’ensemble des pays européens, en réalité…
STEPHANE SOUMIER
Parce qu’elle voulait un visage de femme sur un billet de la Banque d’Angleterre.
FLEUR PELLERIN
Voilà, sur un billet, Jane AUSTEN, et pourtant c’était une bonne demande. Donc je crois qu’aujourd’hui nous voyons – encore cet été récemment – des messages à caractère raciste, homophobe, sexiste, d’un certain nombre de personnes qui se réfugient derrière l’anonymat que procurent ces réseaux sociaux pour se croire tout permis et insulter les uns et les autres, ou des groupes de personnes, à raison de leur religion, de leur orientation politique, sexuelle, etc. Donc c’est vrai qu’il faut trouver aujourd’hui un nouveau mode de régulation, parce que ce qui est permis dans l’espace public réel ne peut pas l’être dans l’espace public virtuel.
STEPHANE SOUMIER
Et ils sont volontaires pour ça les géants du web ?
FLEUR PELLERIN
Les géants du web se rendent bien compte qu’ils sont forcés aujourd’hui de s’adapter aux philosophies politiques, à la conception de l’Etat de droit qui existe dans les différents pays dans lesquels ils opèrent. Ils doivent bien composer avec ça, et je crois qu’ils le comprennent très bien. Ils ont connu un moment - Twitter est une jeune société, qui a à peine plus de 5 ans – ils ont connu un développement exponentiel en termes de nombre d’abonnées, de publics touchés au cours des cinq dernières années, aujourd’hui ils doivent s’institutionnaliser un petit peu et faire en sorte que leurs opérations dans les différents pays dans lesquels ils réalisent des bénéfices, ils opèrent, etc., soient adaptées aux cultures juridiques, politiques, et philosophiques, locales. Donc elle n’arrive pas du tout, bien au contraire, en terre hostile, mais je pense que le fait de vivre en France va lui permettre de mieux, aussi, appréhender notre culture, et moi j’en suis ravie.
STEPHANE SOUMIER
Merci d’être venue nous voir ce matin.
FLEUR PELLERIN
Merci à vous.
STEPHANE SOUMIER
Fleur PELLERIN, avec nous sur BFM BUSINESS
source : Service d'information du Gouvernement, le 20 août 2013