Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur la position de la France concernant le recours à l'usage de l'arme chimique en Syrie et l'absence de vote au Parlement sur une éventuelle intervention militaire, à l'Assemblée nationale le 4 septembre 2013.

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Circonstance : Conclusion du débat sur la situation en Syrie lors de la session extraordinaire du Parlement, à l'Assemblée nationale le 4 septembre 2013

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés.

D’abord je voudrais remercier les orateurs de tous les groupes que j’ai écoutés attentivement, ainsi que les présidentes des commissions de l’Assemblée nationale. Comme je m’y suis engagé, le gouvernement est à votre disposition pour vous informer en temps réel, soit à travers les travaux de vos commissions, mais aussi à Matignon autant que nécessaire, et bien sûr ici, en assemblée plénière dans l’hémicycle, autant de fois qu’il faudra.
Aujourd’hui, c’est un événement important qui vient de se produire. J’ai écouté attentivement -je le disais tout à l’heure. Et je dirai au président JACOB qu’on ne peut pas s’éloigner de la responsabilité qui est la nôtre en cherchant -même si je sais que la situation est difficile, et je sais que nos concitoyens s’interrogent-, une forme d’échappatoire qui ferait qu’au fond on renverrait à d’autres la responsabilité qui est celle de la France.
Je le dis au président JACOB, mais je le dis aussi à monsieur BORLOO. Vous dites : « Monsieur POUTINE attend des preuves ». Comme si vous vous ne vouliez pas les croire, les preuves, Monsieur BORLOO ! Est-ce que oui ou non, et je le dis aussi à monsieur CHASSAIGNE, est-ce que, oui ou non, nous sommes d’accord pour constater qu’il y a eu usage massif de l’arme chimique et que le régime de Bachar EL-ASSAD en a la responsabilité ? C’est à cette question qu’il faut répondre dans la clarté !
Partons de ce constat. Je crois que lundi nous avions donné suffisamment de preuves, d’informations qui se complètent chaque jour, que le ministre de la Défense vient encore de repréciser. Et Monsieur le Président Bruno LE ROUX, vous avez eu raison de rappeler que la France a ses propres moyens d’enquête, de recherche d’informations, à travers ses services -et madame la présidente de la commission de la défense a eu raison de remercier les services des renseignements extérieurs- mais aussi à travers ceux du ministère de la Défense. Et vous disiez, Monsieur le Président LE ROUX, que c’étaient les mêmes qui avaient informé le président CHIRAC, et donc nous-mêmes aussi, que lorsque certains affirmaient qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak et que cela justifiait une intervention au nom de l’intérêt général et de l’intérêt majeur de la paix, nous avions la conviction que ces informations n’étaient pas vraies. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas voulu, parmi d’autres raisons, nous engager dans la fuite en avant en suivant George BUSH. Et nous avons, tous, sans état d’âme et sans hésitation, soutenu la position du président CHIRAC.
Mesdames et Messieurs les Députés, puisque vous l’avez rappelé, Monsieur JACOB, vous avez parlé d’autres moments importants. Je pense à la Libye. Oui à la Libye ! Nous n’avons pas hésité à considérer que ce qu’avait engagé le président SARKOZY était juste, même si on peut toujours rediscuter de la suite des conséquences, de la maîtrise du processus qui a suivi. Mais il n’empêche que j’assume, au nom de mon groupe : je l’ai soutenu, et tous les députés socialistes ou quasiment tous au moment où cette intervention durait, puisqu’elle avait commencé avec la déclaration de François FILLON devant l'Assemblée nationale en mars 2011. Cette intervention a été plus longue que prévu, et en juillet 2011 elle n’était pas terminée. Le gouvernement avait alors demandé, conformément à l’article 35 de la Constitution, l’autorisation de prolonger cet engagement. Nous l’avons votée quasiment tous, nous les députés de l’opposition d’alors, parce que nous étions face à une responsabilité.
Et je voudrais vous le demander du fond du cœur, parce que la chose est suffisamment grave, parce que la menace vient de Bachar EL-ASSAD et notamment cette interview qui nous est parvenue en pleine réunion lundi est tellement forte, tellement violente d’abord contre son peuple puisqu’il parle de « liquider son opposition ». « Liquider » ! Les mots raisonnent.. Au moment où le président François HOLLANDE et le président Joachim GAUCK parlent ensemble des paroles fortes sur l’autre passé commun il est important de se rappeler que liquider une opposition, liquider des adversaires, liquider des civils, ce mot est tellement violent que cela devrait nous réunir tous ensemble pour condamner le régime de Bachar EL-ASSAD !
Oui, c’est vrai que c’est difficile, j’en conviens. Mais je le dis à monsieur JACOB, je le dis à monsieur BORLOO et je remercie monsieur LE ROUX et les autres orateurs comme François de RUGY et Paul GIACOBBI de nous avoir soutenus, d’avoir soutenu le gouvernement tout en apportant des précisions. Je voudrais dire à monsieur GIACOBBI que j’ai un désaccord avec vous quand vous dites que ce que nous proposons, c’est la guerre. Non, ce n’est pas la guerre que nous proposons ! Ce que nous proposons de faire depuis le premier jour où le président de la République s’est exprimé après l’information que nous avons eue, information confirmée que le régime de Bachar EL-ASSAD avait utilisé massivement l’arme chimique, c’était un acte ponctuel, un acte ciblé, un acte de dissuasion pour dire « plus jamais l‘arme chimique ! ». Ce n’est pas la guerre !
C’est un avertissement indispensable, un coup d’arrêt qu’il faut porter ! Et pour autant, je vous dis : nous ne sommes pas engagés et nous ne voulons pas nous engager dans une guerre. Et je le dis à monsieur CHASSAIGNE qui a peut-être involontairement -je ne veux pas lui en faire le procès- créé une forme de confusion. Vous laissez entendre, c’est ce que j’ai cru comprendre à travers vos propos, que nous voulons nous engager dans la voie de la guerre et vous dites « il ne faudrait pas ajouter la guerre à la guerre » mais il ne s’agit pas d’ajouter la guerre à la guerre ! Il s’agit -et c’est notre responsabilité- de savoir si nous voulons mettre un coup d’arrêt à l’usage des armes de destruction massive, des armes chimiques. Demain ce sera peut-être l’Iran. Si nous cédons maintenant, est-ce que nous céderons demain ? C’est la question qui vous est posée, à vous comme aux autres membres de la représentation nationale.
Oui, j’ai conscience que cette question est grave et que certains pensent que nous serions à la remorque d’autres. Je l’ai entendu à travers plusieurs propos, monsieur CHASSAIGNE. J’ai entendu monsieur JACOB, monsieur BORLOO. Mais en quoi sommes-nous suivistes ?
Le président de la République a dit très clairement ce que je viens de rappeler il y a là maintenant quelques instants et encore maintenant : il faut mettre un coup d’arrêt. Et cette action à laquelle la France est prête, c’est une action que la France ne peut pas mener seule, Mesdames et Messieurs les Députés. Nous voulons une coalition dès le début. Une coalition militaire mais aussi une coalition politique. Le président de la République y travaille depuis le premier jour et il y travaille encore, il va profiter de la réunion du G20, où les dirigeants européens seront évidemment réunis spécialement ensemble. Jeudi soir il en sera évidemment question, et nous espérons que les lignes vont bouger, que la conscience des responsables politiques, y compris la Russie, sera au niveau des responsabilités qui sont les nôtres.
En tout état de cause, je tiens à le dire : la France ne voulant pas agir seule, elle doit créer les conditions d’une coalition. Et quand on dit « on va suivre les Etats-Unis », mais en quoi suivons-nous les Etats-Unis ? Notre position est claire. Le président OBAMA veut consulter son Congrès. C’est son droit. Nous n’avons pas à commenter, mais ce n’est pas la décision des Etats-Unis que nous suivrons, c’est la nôtre que nous pourrons enfin mettre en œuvre parce qu’il y a effectivement nécessité d’être clair et ferme et vite !
Alors vous parlez de vote. Les uns et les autres ont très précisément expliqué qu’elle était notre Constitution, et il est bon de l’avoir rappelé parce qu’effectivement notre Constitution a évolué. Je me souviens, et ça a été rappelé, que plusieurs orateurs, j’en étais, demandaient qu’à certaines étapes, lorsque les forces de la France étaient engagées, le Parlement puisse se prononcer. Et je reconnais que la réforme constitutionnelle qui a introduit l’article 35 et l’article 51 a apporté des modifications et des progrès.
S’agissant par exemple du Mali, le président de la République a pris ses responsabilités et engagé les forces françaises. L’action des forces françaises a été plus longue que prévu puisqu’elle a dépassé quatre mois, vous vous êtes prononcés, et c’est important de le rappeler parce que ça n’existait pas dans le passé et nous ne pouvons que nous en féliciter. C’est un progrès, donc inscrivons-nous dans ce contexte !
Mais je voudrais vous éclairer sur un point, Monsieur JACOB, et puis les autres, qui se sont interrogés vote ou pas vote. D’abord la première question ce n’est pas vote ou pas vote. C’est arme chimique, oui ou non ? Responsabilité de Bachar EL-ASSAD, oui ou non ? Il faut d’abord répondre à cette question dans la clarté parce que sinon on biaise avec la réalité du problème de fond.
Mais allons jusqu’au bout de la question du vote. Imaginons que nous ayons exigé par exemple qu’avant l’intervention au Mali il y ait eu un vote. Ceux qui comme moi, Jean-Yves LE DRIAN, Laurent FABIUS et Manuel VALLS, qui participent à tous les conseils de défense, savent très bien, c’est que lorsque le président de la République a été alerté, pas seulement par nos services, bien informés, mais aussi par l’appel au secours du président légitime du Mali, le président TRAORE, que les forces extrémistes, jihadistes étaient aux portes de Bamako et que ce n’était qu’une question d’heures, et que s’il n’y avait pas un coup d’arrêt qui était porté à l’avancée de ces forces, alors c’était tout le Mali qui était aux mains des extrémistes ! Et si nous avions eu l’obligation de prendre le temps de réunir l’Assemblée nationale plusieurs jours avant, il aurait été trop tard, donc il faut garder au président de la République la libre appréciation de décider, non pas comme un homme seul comme certains l’ont dit à tort, mais parce qu’il s’agit des intérêts de la France et de sa capacité à agir. Et ensuite le Parlement est informé et peut débattre. Et ensuite, si nécessaire, au-delà de quatre mois, il se prononce par un vote. C’est exactement ce qui s’est passé pour le Mali !
Alors puisqu’on va plus loin, j’irai jusqu’au bout. On me dit qu’il y a eu des précédents. Il y a eu des précédents, oui. Il y a eu un précédent, et je m’en souviens, car j’étais présent. Monsieur le président François MITTERRAND au moment de la guerre du Golfe a demandé à travers son Premier ministre, Michel ROCARD, à l’Assemblée nationale de se prononcer. Mesdames, Messieurs les députés, ce jour-là il n’y avait pas une forme d’affrontement de politique intérieure. Il y avait le sentiment des intérêts supérieurs de la Nation et qu’il fallait agir. Et là c’est la quasi-totalité de la représentation nationale qui s’est retrouvée sur cet objectif.
J’en appelle au rassemblement de la représentation nationale, Mesdames et Messieurs les Députés, et j’espère que face au régime de Bachar EL-ASSAD, pour redonner au processus politique indispensable toute sa force pour trouver la solution de paix durable et que soit arrêté enfin le massacre d’un peuple, il soit porté un coup d’arrêt à l’usage des armes chimique ! « Crime contre l’Humanité » ! Tel l’a qualifié le secrétaire général des Nations Unies.
Mesdames et Messieurs les Députés, c’est à cette réflexion que je vous appelle puisqu’aujourd’hui vous n’avez pas à vous prononcer. Mais pourquoi c’est à cela ? Beaucoup d’orateurs l’ont rappelé : la France a une responsabilité particulière. Et je crois qu’ici, les uns et les autres, nous nous inscrivons dans une certaine histoire, une grande histoire. Je lisais ce matin l’interview d’un de mes prédécesseurs, monsieur Edouard BALLADUR, qui se situait à ce niveau, s’inscrivant dans une grande tradition qui n’a rien de belliciste, qui n’a rien d’aventurière mais qui est que les valeurs que nous défendons soient défendues pas seulement par des paroles, pas seulement par des grandes envolées, mais lorsque c’est nécessaire, avec courage, avec honnêteté, avec la volonté aussi de convaincre le peuple français d’assumer ses responsabilités.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les Députés, nous sommes à ce moment, à ce moment d’assumer nos responsabilités et je ne doute pas -en tout cas je le souhaite- que le moment venu, au-delà des clivages politiques qui sont légitimes en démocratie, nous saurons nous rassembler parce que nous rassembler, c’est être plus fort. Etre plus fort pour que la voix de la France porte encore plus et qu’elle soit entendue et que le dictateur syrien entende la voix de la France, c’est notre responsabilité !

Source http:/:www.gouvernement.fr, le 5 septembre 2013