Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, lors de votre visite en Slovénie, il y a deux ans, vous aviez déclaré que notre pays était parmi les Etats candidats à l'adhésion à l'Union européenne les mieux préparés. Etes-vous toujours du même avis et y a-t-il des choses qui ont, depuis, changé concernant notre adhésion à l'Union européenne ?
R - Depuis deux ans, la Slovénie a continué à se préparer activement à son entrée dans l'Union européenne. Elle n'a pas relâché ses efforts, pour moderniser son économie, comme pour reprendre et mettre en oeuvre l'acquis communautaire. Il est donc logique qu'elle en récolte les fruits, en demeurant, avec vingt et un chapitres provisoirement clos sur vingt neuf, parmi les pays dont les négociations d'adhésion ont enregistré les progrès les plus rapides. Je n'ai donc aucune raison de m'écarter du jugement que j'avais porté en 1999.
A ce rythme, tout porte à croire que la Slovénie sera en mesure de conclure les négociations, à la fin de l'année prochaine, conformément au calendrier retenu par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union, au Conseil européen de Göteborg. La perspective d'un aboutissement du processus d'adhésion est d'autant plus proche, que l'Union européenne s'est mise en mesure, sous Présidence française, d'accueillir les pays candidats, en réformant ses institutions grâce au Traité de Nice. Il s'agissait d'une étape fondamentale, qui n'avait pas été franchie il y a deux ans. C'est là un changement majeur, même s'il convient désormais de faire entrer en vigueur ce Traité.
Q - La date d'adhésion pour les pays les mieux préparés à l'adhésion est fixée entre la fin de 2002 et 2004, date à laquelle certains nouveaux membres devraient déjà participer aux élections au Parlement européen. La Slovénie s'est fixée, comme but, l'adhésion au début de l'année 2003. D'après vous, quelle date est la plus probable et pourquoi l'Union européenne reporte-t-elle si longtemps sa décision finale sur le scénario d'élargissement ?
R - Sur la base des conclusions du Conseil européen de Nice, les chefs d'Etat et de gouvernement ont estimé, à Göteborg, que le maintien du rythme des négociations d'adhésion devrait permettre de les clôturer d'ici la fin 2002, pour les pays candidats qui seront prêts. Ils ont également réaffirmé l'objectif d'une participation de ces pays aux élections au Parlement européen, en 2004, en tant que membres. Je ne vois, dans ces décisions, aucune volonté de l'Union d'échapper à ses responsabilités.
Il convient, par ailleurs, de lever un malentendu. L'adhésion à l'Union européenne n'est pas un acte anodin, qui peut faire l'objet d'une décision, dont le moment relève exclusivement d'une appréciation en opportunité. Elle implique au contraire un effort considérable de la part des pays candidats et des négociations substantielles sur les différents chapitres, qui ne sauraient être considérées comme une formalité. La Slovénie le sait bien. En conséquence, chaque candidature est jugée selon ses propres mérites. C'est bien là tout le sens du principe de différenciation.
Si ce principe n'était pas respecté, l'adhésion de pays incapables de reprendre l'intégralité de l'acquis communautaire entraînerait la multiplication des dérogations et des périodes transitoires. Se créerait de fait une Union élargie à deux vitesses. Ce n'est certainement pas l'idée que je me fais d'une Europe enfin réunifiée !
Q - Quel scénario d'élargissement préfère la France : l'adhésion commune de, par exemple, dix Etats-candidats à la fois ou l'adhésion des pays candidats un par un ?
R - A l'approche du terme d'un long processus, je comprends parfaitement la tentation de vouloir brûler les étapes. Parce que je considère que l'élargissement est une démarche historique d'une importance capitale pour l'avenir de notre continent, je n'y céderai pas.
Une "feuille de route" a été arrêtée sous Présidence française et doit être mise en oeuvre, comme prévu, pour permettre l'achèvement le plus rapide possible des négociations pour les pays qui seront prêts. C'est aujourd'hui la première priorité. Des chapitres particulièrement complexes restent à négocier. Consacrons-nous d'abord à cette tâche !
Q - Même si l'Union européenne prétend traiter les pays candidats à l'adhésion individuellement et selon des critères objectifs, on sent que, parmi les pays candidats, il y a des doutes à cet égard. La question qui se pose est de savoir si l'élargissement est réalisable sans l'adhésion de certains pays, la Pologne par exemple. D'après vous, quelle est l'origine de ces doutes ? Sont-ils justifiées ?
R - En ce qui me concerne, je ne partage pas ces doutes. Je le répète, les négociations d'adhésion sont fondées sur le principe de la différenciation, en vertu duquel chaque candidature progresse selon son rythme et selon ses mérites. L'Union européenne est bien entendu disposée à faire preuve de souplesse pour trouver les solutions adaptées à la situation de chacun. Je ne saurais cependant que trop mettre en garde ceux qui viendraient à s'imaginer qu'il est possible de faire l'économie des efforts nécessaires à la transposition et à la mise en oeuvre de l'acquis communautaire.
S'agissant de la Pologne, j'ai pu constater, lors de ma visite à Varsovie en juin dernier, un engagement unanime en faveur du processus d'élargissement. J'ai confiance dans la capacité de ce pays à progresser rapidement dans les négociations d'adhésion.
Q - La politique agricole commune de l'Union européenne est une des questions les plus délicates pour la France. Vous n'avez sans doute pas envie d'entamer le débat sur ce thème à l'approche des élections françaises de l'année prochaine. La discussion sur la réforme éventuelle de cette politique pourrait sans doute ralentir l'élargissement. Les pays candidats ne souhaitent pas un tel débat. Quand, à votre avis, pourrait-on s'attaquer au problème de la politique agricole ?
R - Les négociations d'adhésion ont toujours été menées sur la base de l'acquis communautaire existant. A ma connaissance, personne ne remet en cause ce principe. Lorsqu'elle définira sa position commune pour la négociation du chapitre agricole, en principe sous Présidence espagnole, au premier semestre 2002, il ne s'agira pas pour l'Union européenne de convenir d'une réforme de la PAC, dont les grandes lignes ont été fixées à Berlin jusqu'en 2006. Une revue à mi-parcours de la Politique agricole commune est certes prévue. Elle n'interviendra cependant, qu'au second semestre 2002. Toute interférence entre ces deux dossiers ne ferait que compliquer les choses. Comme les pays candidats, la France n'y est pas favorable.
En revanche, l'affirmation, selon laquelle la France serait fermée à toute évolution de cette politique, ne correspond pas à la réalité. Le ministre français de l'Agriculture, Jean Glavany, a d'ailleurs publié, le 30 juillet dernier, dans les colonnes du quotidien "Le Monde", une tribune commune avec son homologue allemande, Renate Kunast, appelant à une réforme en continu de la politique agricole. Je ne peux que vous inciter à vous y référer. Vous verrez que notre philosophie peut se résumer de la manière suivante : oui à une réorientation de la PAC, non à une refonte complète prématurée.
Q - La politique régionale et de cohésion est également une question délicate. Que pensez-vous du souhait slovène de ne pas, pendant les premières années, être contributeur net au budget de l'Union européenne ?
R - L'appartenance à l'Union européenne va de pair avec l'exercice d'une solidarité entre Etats membres. Il est donc légitime que les pays candidats, qui ont dû faire des efforts pour transposer l'acquis communautaire, veuillent bénéficier, à leur adhésion, de certains avantages. La Slovénie n'est pas la seule à demander des modalités qui lui permettraient de ne pas devenir contributeur net, dès l'adhésion. Dans le passé, des mécanismes ont pu être trouvés pour en tenir compte. Il conviendra, dans le respect du calendrier prévu par la feuille de route, c'est-à-dire sous Présidence espagnole, d'examiner dans quelle mesure ces demandes peuvent être satisfaites.
Q - Les sondages de l'Euro-baromètre montrent que le public français se trouve parmi les moins favorables à l'élargissement. Quelles sont les principales craintes du public français et est-ce que, éventuellement, votre Etat envisage des projets d'action pour informer le public sur les avantages de l'élargissement ?
R - Deux tiers des Français considèrent que l'élargissement est important car il unifie notre continent. Ils se situent donc au-dessus de la moyenne de l'opinion européenne. En revanche, il est incontestable que les citoyens de l'Union ne se sentent pas impliqués dans le débat sur l'élargissement et estiment, en France comme dans les autres Etats membres, que le projet européen manque de lisibilité. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, à Nice, de lancer un large débat sur l'avenir de l'Europe, dont le principal enjeu consiste à favoriser l'émergence d'un espace démocratique à l'échelle de l'Union.
La France s'y est engagée avec détermination, en organisant notamment des forums réunissant tous les milieux de la société civile, dans chacune de ses vingt six régions. J'ai été chargé par le président de la République et le Premier ministre d'animer ce débat. A ce titre, je ne rate pas une occasion d'insister sur l'importance historique de l'élargissement et de mettre l'accent sur tous les avantages concrets qui en découleront pour tous les citoyens de l'Union. Je veille, par ailleurs, à ce que des personnalités des pays candidats soient systématiquement présentes, lors de ces rencontres.
A ce stade, j'ai le sentiment que le message passe plutôt bien.
Q - Selon les mêmes sondages, la Slovénie est l'un des pays candidats les moins populaires pour l'adhésion. En France aussi. A votre avis, quelle en est la raison ?
R - Votre remarque ne fait que renforcer ma conviction qu'une réelle pédagogie de l'Europe doit être mise en place. Je m'y suis employé, depuis ma nomination comme ministre chargé des Affaires européennes, en 1997.
Il est probable que votre pays est encore parfois injustement assimilé à un espace qui n'est pas encore sorti d'une crise que l'Europe ne peut plus tolérer au XXIème siècle. Dans le cadre du processus de stabilisation et d'association dans les Balkans occidentaux, auquel le Sommet de Zagreb de novembre 2000 a donné une impulsion décisive, il nous appartient tous d'oeuvrer à ce que cette sombre page soit prochainement tournée. Je suis sûr que la Slovénie continuera à y contribuer.
Q - Les Français et les Allemands ont déjà présenté, séparément, plusieurs visions de l'avenir de l'Union européenne. Apparemment, les Français sont pour une Union beaucoup plus flexible que les Allemands. Que pouvez-vous dire des opinions qui s'expriment dans d'autres pays membres sur le futur modèle de l'Union européenne ?
R - Comme je l'indiquais précédemment, les chefs d'Etat et de gouvernement ont voulu, à Nice, lancer le débat le plus large et le plus approfondi possible sur l'avenir de l'Union européenne. Il s'agit d'un processus de longue haleine, auquel l'association des pays candidats est prévue et qui doit conduire à l'organisation d'une nouvelle Conférence intergouvernementale, en 2004. Nous n'en sommes qu'au début de ce processus, dans la phase nationale de ce débat qui devra se poursuivre, au niveau européen, sur la base des modalités que définira le Conseil européen de Bruxelles/Laeken, en décembre prochain.
Les premières contributions ont reçu une certaine publicité. Tel a été le cas de l'intervention de Lionel Jospin, qui s'est exprimé le 28 mai dernier, en tant que responsable politique et non en sa qualité de Premier ministre français. A cette occasion, il a dessiné une vision ambitieuse de l'Union élargie, dans laquelle le contenu du projet européen précède l'architecture institutionnelle, qui doit être conçue pour le servir. J'ai été frappé de voir combien les pays candidats avaient apprécié son approche.
Je sais que ses propositions, notamment celle d'une "Fédération d'Etats-nations", sont parfois présentées par opposition à une prétendue conception allemande. Il n'y a pourtant, à ce stade, pas plus de position allemande qu'il n'y a de position française. Au contraire, je vois dans les propositions de Lionel Jospin et dans celles du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, une grande convergence de vues.
Là encore, ne brûlons pas les étapes, en nous perdant dans des discussions théologiques qui risquent d'empêcher tout débat, et laissons le temps aux idées de s'épanouir. C'est de leur saine confrontation que sortira la meilleure solution d'avenir pour notre continent, j'en suis convaincu.
Q - Lors de votre dernière visite en Slovénie, vous étiez accompagné d'une importante délégation économique. Est-ce le même cas cette fois-ci ? A part la coopération déjà traditionnelle dans le domaine de l'industrie automobile, voyez-vous d'autres possibilités d'augmenter le commerce entre la France et la Slovénie ?
R - Depuis deux ans, les acteurs économiques français ont considérablement renforcé leur présence en Slovénie. Je rencontrerai donc, dans la matinée, les hommes d'affaires déjà présents sur place, après m'être entretenu avec votre ministre de l'Economie, Mme Tea Petrin, des perspectives de développement de nos échanges et des investissements.
La France est aujourd'hui le deuxième investisseur en Slovénie et son troisième fournisseur. Nous n'avons pas à rougir de ce bilan. Les opportunités de le consolider et de l'améliorer ne manquent pas. Je songe notamment aux secteurs des télécommunications, des transports, du BTP, du ciment et de l'eau. Il convient également de relever que la France est désormais implantée en Slovénie dans la distribution, au plus grand bénéfice de ses consommateurs et de ses entreprises.
Q - La France est parmi les plus importants investisseurs étrangers en Slovénie. Comment évaluez-vous l'ouverture de la Slovénie vis-à-vis des investisseurs étrangers ? D'après les expériences françaises, y a-t-il moins de difficultés concernant les investissements étrangers en Slovénie ?
R - La place de deuxième investisseur étranger en Slovénie qui revient à la France témoigne du jugement favorable porté par nos entreprises sur les conditions qui prévalent dans votre pays. L'entrée en vigueur, en mars 1999, de l'accord bilatéral de protection réciproque des investissements, que nous avions signé en février 1998, est sans doute aussi pour quelque chose dans cette performance.
L'accélération prévue des privatisations devrait créer de nouvelles opportunités et renforcer l'investissement direct étranger dans votre pays, qui demeure relativement faible. J'espère que les entreprises françaises répondront à l'appel et que ma visite y aura contribué.
Q - Lors de votre conférence de presse donnée au moment de votre dernière visite en Slovénie, il y a deux ans, vous aviez montré que vous êtes un excellent connaisseur du sport. Vous aviez plaisanté en disant qu'avec vos interlocuteurs slovènes vous aviez discuté de tout, sauf du match de basket France-Slovénie. Votre visite aujourd'hui coïncide, de nouveau, avec l'actualité sportive. La France et la Slovénie pourraient se rencontrer en championnat d'Europe de basket. A quelle équipe accorderiez-vous le plus de chances ?
Que le meilleur gagne ! Les deux équipes ont des atouts incontestables. Je pense notamment aux internationaux Gorenc, Decirovic ou Alibegovic, ainsi qu'à Rigaudeau, Weisz ou Julian.
L'esprit sportif consiste surtout à accepter que la victoire et la défaite n'entament pas les liens forts d'amitié et de fraternité, créés par la passion du sport. C'est un modèle dont il faudrait s'inspirer dans bien d'autres domaines./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 septembre 2001)