Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à France-Inter le 6 mai 1999, sur la mise en examen du préfet de Corse, M. Bernard Bonnet après l'incendie d'une "paillote" en Corse.

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Média : France Inter

Texte intégral

Alain LE GOUGUEC
Le Préfet Bonnet, on l'a dit ce matin dans les différentes éditions de France Inter, a été mis en examen le 5 mai au soir et écroué à la prison de la Santé. Son directeur de Cabinet, Gérard Pardini, a connu le même sort. C'est une situation absolument inédite, sous la Vème République.
Alain RICHARD
Oui.
Alain LE GOUGUEC
Vous avez été reçu, hier soir, par le Premier ministre : peut-on savoir ce que vous vous êtes dit ?
Alain RICHARD
On a fait le point des éléments du travail que j'ai à faire pour étudier l'origine des dysfonctionnements ou, en tous cas, les conditions d'organisation qui les ont rendu possibles pour prévoir les sanctions individuelles et disciplinaires qui seront à prendre dans mon champ de responsabilités à l'intérieur de la gendarmerie, s'il y a des fautes personnelles, ce qui est très probable. Nous avons aussi parlé des mesures d'amélioration des contrôles dans la gendarmerie qui seront à prévoir.
Alain LE GOUGUEC
En tant que ministre de la Défense, vous êtes responsable des gendarmes : vous avez donc une responsabilité politique sur le fonctionnement de la gendarmerie.
Alain RICHARD
Exactement.
Alain LE GOUGUEC
On a parlé de vous comme d'un fusible : avez-vous envisagé, à un certain moment, de démissionner pour protéger le Premier ministre, Lionel Jospin, ou envisagez-vous de le faire ? A moins qu'il ne vous l'ai déjà demandé ?
Alain RICHARD
Je ne pense pas à ma situation personnelle dans une difficulté comme celle-là, autrement que comme une partie d'une équipe qui travaille et qui a un objectif dont il ne faut pas s'éloigner : donner à l'Etat tous les moyens d'appliquer loyalement et méthodiquement la légalité en Corse.
Alain LE GOUGUEC
Lionel JOSPIN disait le 5 mai au soir, sur TF1, que dans un état de droit, chacun avait le devoir de refuser un ordre s'il était absurde ou illégal. Cette phrase n'est pas innocente mais finalement incompatible avec l'instauration d'un état d'exception. Or, en Corse, la situation est d'exception, d'où l'installation du GPS.
Alain RICHARD
Vous affirmez quelque chose qui est doublement faux. C'est une obligation statutaire, pour tout agent de l'Etat, et donc pour un militaire de la gendarmerie, de refuser un acte illégal, partout et toujours.
Alain LE GOUGUEC
C'est-à-dire que le colonel Mazères aurait pu refuser l'ordre qui lui aurait été donné par le Préfet Bonnet ?
Alain RICHARD
Il en avait l'obligation si un tel ordre lui en a été donné, et un de ses subordonnés avait également cette obligation. D'autre part, vous allez beaucoup trop loin en parlant d'Etat d'exception. Il faut se rappeler qu'en Corse, il y a une activité délinquante, et notamment des menaces à la sécurité des personnes qui sont beaucoup plus nombreuses qu'ailleurs. Je citais hier, à l'Assemblée Nationale, des chiffres : 400 attentats dans l'année 1996 ! Il y a beaucoup plus de forces de sécurité qu'ailleurs. Elles sont organisées, pour l'essentiel, suivant les règles du droit commun, c'est-à-dire qu'il y a un groupement de gendarmerie en Corse du Sud et un autre en Haute Corse. Il a été décidé, dans le contexte faisant suite à l'assassinat du Préfet Erignac et à un certain nombre d'enquêtes qui n'avançaient pas assez vite, d'ajouter des moyens. On a repris une partie des moyens humains d'un escadron de gendarmerie mobile en adaptant des équipes à des missions. Pensez-vous qu'une de ces mission est à supprimer ? Pensez-vous qu'il n'y a pas un certain nombre de responsables de l'Etat qui doivent être protégés physiquement en Corse ?
Alain LE GOUGUEC
Le GPS n'existe pas partout. Il avait évidemment des missions de protection de personnalités.
Alain RICHARD
Parce que je viens de vous expliquer qu'il y a des missions qui pèsent sur l'Etat pour arriver au rétablissement de la légalité en Corse. Nous avons dissout le GPS parce qu'il pouvait y avoir une ambiguïté sur la façon dont certaines de ces personnes avaient pu être préparées à ces missions. Mais ces missions sont indispensables.
Alain LE GOUGUEC
Oublions le mot " exception " : comment l'action d'un corps d'élite, comme le GPS, peut-il échapper à ses responsables, notamment vous qui êtes ministre de la Défense ?
Alain RICHARD
Non. L'action est d'abord sous la responsabilité de ceux qui la dirige, c'est-à-dire le commandant du groupe et ensuite le commandant de la Légion. Il est maintenant avéré que le commandant du groupe et le commandant de la Légion font partie d'un groupe étroit d'hommes qui se sont concertés pour organiser un acte illégal. Il s'agit donc d'une organisation au sein d'un groupe concerté qui, par définition, échappe à tous les contrôles : ils ne rendent compte de rien, se dissimulent et agissent en dehors des lieux et des heures de service. Notre travail est de veiller à ce que les contrôles soient encore améliorés, et rendus plus stricts. C'est donc un groupe étroit qui se concerte pour commettre une action illégale.
Alain LE GOUGUEC
En somme, vous estimez que c'est une affaire de responsabilité personnelle, et non une affaire d'Etat ?
Alain RICHARD
C'est une affaire qui concerne plusieurs membres d'une organisation, dont la charge est le respect de la loi, qui ont décidé d'engager une action illégale : c'est exceptionnel. Nous devons en tirer toutes les conséquences dans l'organisation. Il s'agit bien d'actes individuels. Il n'y a aucune cohérence entre cet acte et l'ensemble de la politique et des instructions qui ont été données par le gouvernement en matière de rétablissement de la légalité en Corse : au contraire, il s'agit d'une aberration.
Alain LE GOUGUEC
En nommant le Préfet Bonnet en Corse et le colonel Mazères à la tête de la légion de la gendarmerie de Corse, y a-t-il eu des erreurs de choix ?
Alain RICHARD
A mon avis non, car l'ensemble des agissements de ces deux hommes dans leur poste antérieur, ne laissait absolument pas suspecter qu'il s'agissait de personnes qui, et ce n'est pas démontré, se seraient engagées dans une action illégale concertée, directement contraire à leur devoir professionnel.
Alain LE GOUGUEC
Ils auraient " pété les plombs " pour parler vulgairement ?
Alain RICHARD
Je n'en suis pas à spéculer : il est tout à fait normal que des hypothèses sur ce qu'ont pu être leurs motivations, circulent, quitte à être démenties le lendemain. Ce que je sais, c'est qu'ils se sont engagés dans un acte grave qui est une aberration par rapport à leur rôle de base, qui est le respect de la loi.
Alain LE GOUGUEC
Excès de zèle ou pas, on commence à dire qu'avant l'incendie de la paillote " chez Francis ", il y aurait eu d'autres actions délictueuses et illégales commises par le GPS : d'autres actions de ce type lui seraient-elles imputables ?
Alain RICHARD
Nous sommes en train de vérifier si un groupe étroit d'hommes s'est concerté pour commettre un acte illégal.
Alain LE GOUGUEC
Un acte ?
Alain RICHARD
Peut-être, puisqu'il y a eu concertation et organisation secrète entre un petit groupe d'hommes pour déclencher une action de ce type pour des motifs qui sont, de toute façon, totalement contraires à leur devoir. Peut-être a-t-il pu y en avoir un autre : c'est l'enquête qui va le dire. Vous notez que le gouvernement a mis tout en oeuvre pour que la justice puisse avancer dans son enquête de façon totalement efficace, sans être arrêtée en rien.
Alain LE GOUGUEC
Le général d'armée, Yves Capdepont, vous remettra demain son rapport sur le fonctionnement du GPS : si vous n'en connaissez pas encore le détail, en connaissez-vous au moins la conclusion ?
Alain RICHARD
Oui. Elle correspond à ce dont je vous ai parlé à l'instant, c'est-à-dire quelles peuvent être les responsabilités disciplinaires individuelles qui sont engagées, en dehors des personnes qui sont, par ailleurs, mises en examen. Deuxièmement, comment ont fonctionné les contrôles hiérarchiques, ou les contrôles fonctionnels normaux, sur le personnel du GPS et le reste du personnel en Corse, parce que le colonel Mazères, lui, n'est pas du GPS - il occupe en Corse une fonction totalement banale, qui est celle de commandant de Légion ? Y a-t-il des contrôles qui demandent à être améliorés ? Troisièmement, c'est le point sur lequel je lui ai demandé de réfléchir le plus parce que c'est celui qui concerne l'avenir, comment s'assurer que les affectations sur des postes particulièrement sensibles et exposés, et les formations du personnel que l'on y adresse, sont les mieux adaptées à des postes indispensables lorsqu'il y a un haut niveau de délinquance, face à laquelle il faut agir.
Alain LE GOUGUEC
En ce qui concerne le Kosovo, la situation est assez bizarre en ce moment.
Alain RICHARD
Il ne faut pas dire que c'est bizarre : c'est un conflit armé. Cela révèle des choses auxquelles on ne pensait plus.
Alain LE GOUGUEC
En voit-on l'issue ?
Alain RICHARD
On en verra l'issue si nous maintenons notre détermination. Pour l'instant, je suis satisfait de voir que nos démocraties, malgré leur pluralisme et la vivacité des débats, font preuve de détermination autour d'un objectif simple, unique, et qui n'a pas changé : permettre à tous les Kosovars de vivre en sécurité dans cette province. Nous sommes tous d'accord pour atteindre cet objectif, et nous en prenons les moyens. Nous avons prouvé que, face au régime serbe, la faiblesse ne permettait pas d'aboutir à un règlement juste. L'emploi de la force maîtrisée que nous poursuivons va permettre d'y aboutir.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 20 mai 1999)