Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, à "France Info" le 15 octobre 2013, sur les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2014.

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Média : France Info

Texte intégral

JEAN LEYMARIE
Le débat sur le budget commence donc tout à l’heure à l’Assemblée nationale, pour les ménages les impôts vont augmenter encore l’an prochain. Des députés de gauche vous demandent des gestes en faveur du pouvoir d’achat, de nouveaux gestes, des gestes supplémentaires, êtes-vous prêt à bouger ?
BERNARD CAZENEUVE
D’abord la seule mesure de portée générale que nous prenons en matière fiscale pour les ménages c’est la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu, c’est près de 900 millions d’euros que nous restituons aux ménages. Nous l’accompagnons d’une décote, nous l’accompagnons d’une augmentation du plafond du revenu fiscal de référence, pour qu’un certain nombre de Français qui sont entrés injustement dans l’impôt, qui paient la CSG, qui paient la taxe d’habitation, qui paient la redevance audiovisuelle, puissent sortir du barème.
JEAN LEYMARIE
Combien seront-ils à sortir l’an prochain
BERNARD CAZENEUVE
Les mesures que nous avons prises sont des mesures, notamment l’augmentation du revenu du plafond fiscal de référence, qui permettront à 8,5 millions de Français de bénéficier de mesures de pouvoir d’achat. Mais je comprends que les parlementaires, et nous avons travaillé avec eux, sont soucieux que ce budget matérialise une volonté en faveur du pouvoir d’achat, et il y a, par-delà les éléments fiscaux, dans ce budget, beaucoup d’éléments pour le pouvoir d’achat. Lorsque nous décidons de mobiliser 3 milliards pour financer des contrats d’avenir, des contrats de génération, des emplois aidés, pour ceux qui n’ont pas accès à l’emploi puissent y avoir accès, par conséquent avoir accès à la consommation et au pouvoir d’achat, nous sommes dans la préoccupation du pouvoir d’achat. Lorsque nous mettons en place les tarifs sociaux de l’électricité, 400 millions d’euros, qui permettent à 2 millions de Français de voir les factures d’énergie ne pas peser aussi lourdement sur leur budget, ce sont des mesures de pouvoir d’achat. Lorsque nous augmentons de 2% le RSA au-dessus de l’inflation, c’est 600 millions de dépenses, ce sont des mesures de pouvoir d’achat. Lorsque nous décidons de financer 55 000 bourses pour les enfants des Français qui n’auraient pas les moyens, sans ces bourses, de faire des études, ce sont des mesures de pouvoir d’achat. Et je pourrai passer toute l’émission à faire la liste de ces mesures.
JEAN LEYMARIE
D’autres gestes au cours du débat au Parlement, c’est ce que vous demande une partie de la gauche.
BERNARD CAZENEUVE
Mais nous avons travaillé avec le groupe parlementaire, nous n’arrivons pas…
JEAN LEYMARIE
Donc pour vous c’est fini, le sujet est clos ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais non, ce n’est pas fini, je vous dis que nous avons travaillé, qu’il y a des amendements qui seront présentés, que nous examinerons avec intérêt, que nous prendrons, je pense au taux réduit de TVA sur la rénovation thermique qui permet, là encore, de faire en sorte que la facture d’énergie ne pèse pas sur le pouvoir d’achat des ménages, il y a l’amendement, dont je vous parlais, sur l’augmentation du plafond du revenu fiscal de référence, nous le prendrons. Il y a un amendement sur les niches scolarité, nous en discuterons. Donc, le gouvernement arrive avec cette idée qu’un budget est un exercice où le gouvernement propose et où le Parlement amende, avec la volonté de faire en sorte que le meilleur budget sorte de la discussion parlementaire. Et ce budget, pour nous, il poursuit un objectif simple, l’inversion de la courbe du chômage, la préoccupation du pouvoir d’achat des Français, et le redressement de nos comptes, ce sont ces trois éléments-là que nous allons essayer d’atteindre.
JEAN LEYMARIE
Le pouvoir d’achat des Français il va en prendre un coup là quand même, Bernard CAZENEUVE, les prélèvements augmentent de plus de 10 milliards l’an prochain, si on regarde notamment, et si on prend en compte la hausse de la TVA le 1er janvier. Hier soir François FILLON a appelé à faire des élections municipales un référendum contre ce qu’il appelle « l’assommoir fiscal. »
BERNARD CAZENEUVE
Oui, François FILLON, qui prétend… notre responsabilité, devrait avoir de la mémoire, car il se fait le théoricien de l’assommoir, lui qui pendant longtemps a tenu la matraque. Je veux rappeler quand même qu’en 2011 le gouvernement de François FILLON a prélevé 20 milliards d’euros sur les Français, en 2012 il a prélevé 13, c'est-à-dire 33, et au moment où il faisait ces prélèvements, c’est ce gouvernement qui mettait en place la fin de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, c’est le gouvernement de François FILLON qui remettait en cause la demi-part des veuves, et si des milliers de Français sont entrés dans l’impôt sur le revenu, qui n’avaient pas vocation à y entrer, c’est précisément parce que ces mesures ont été prises, et ces mesures nous les corrigeons. Nous avons corrigé la fin de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu l’an dernier en mettant en place une décote, cette année nous réindexons le barème, nous reprenons une décote, nous augmentons le plafond du revenu fiscal de référence, c'est-à-dire que nous sommes en train de corriger les injustices du gouvernement précédent, donc s’il doit y avoir une sanction, pour des raisons d’assommoir, cette sanction doit s’appliquer à ceux qui nous ont laissé la France dans la situation que l’on sait.
JEAN LEYMARIE
Quand on regarde la colonne des plus et la colonne des moins, Bernard CAZENEUVE, on voit quand même que pour les ménages ça augmente, je l’ai dit, et que pour les entreprises ça va baisser. Pour elles les prélèvements vont diminuer l’an prochain de 10 milliards d’euros, plus de 10 milliards d’euros même.
BERNARD CAZENEUVE
Un peu plus de 10 milliards d’euros, par l’effet du crédit d’impôt compétitivité emploi.
JEAN LEYMARIE
Pourquoi est-ce que vous favorisez les entreprises, pourquoi ce choix-là ?
BERNARD CAZENEUVE
Tout simplement parce qu’il nous faut restaurer la compétitivité de notre appareil productif. si nous ne sommes pas en situation de corriger le décrochage de notre appareil productif constaté au cours des dernières années, alors nous verrons notre déficit du commerce extérieur s’accroître, nous verrons notre appareil productif s’affaiblir, nous verrons le chômage gagner, nous verrons les Français se désespérer davantage, et nous verrons un certain nombre de formations politiques, dont le discours est très loin des valeurs que nous portons, prospérer, et nous voulons nous battre contre cela. Donc oui, il faut restaurer notre appareil productif, oui il faut faire un effort pour la compétitivité, oui il faut l’assumer, et par ailleurs je veux rappeler que ce que nous faisons est très différent de ce que proposait la précédente majorité, et de ce qu’elle propose encore aujourd’hui. Parce que finalement le crédit d’impôt compétitivité emploi c’est 20 milliards d’allègement net de charges sur les entreprises, qui sont financés, à hauteur de 6 milliards, par de la TVA, mais qui sont financés pour moitié par des économies en dépenses, qui sont financés aussi par la montée en puissance de la fiscalité écologiques. Je vous rappelle…
JEAN LEYMARIE
Mais c’est aux ménages de financer les baisses de prélèvements des entreprises ?
BERNARD CAZENEUVE
Je vous rappelle que lorsque nous sommes arrivés en situation de responsabilités la TVA était à 21,2%, nous l’avons ramenée à 20.
JEAN LEYMARIE
C’est ce qui était programmé.
BERNARD CAZENEUVE
Ce qui était programmé.
JEAN LEYMARIE
C’est la hausse qui était programmée, elle n’était pas encore en vigueur.
BERNARD CAZENEUVE
Et l’opposition actuelle, monsieur COPE, propose par ordonnance, et j’ai cru comprendre que monsieur FILLON aussi, de transférer 20 milliards de coût du travail directement sur les ménages par une augmentation de la TVA, ce qui représenterait 4 points d’augmentation de la TVA. Nous ne faisons pas cela.
JEAN LEYMARIE
Mais on parle là de votre politique, Bernard CAZENEUVE.
BERNARD CAZENEUVE
Oui, mais notre politique ça consiste à financer 20 milliards d’allégement net de charges pour restaurer la compétitivité, par un effort sur la TVA c’est vrai, mais pour moitié par des économies en dépenses, et les autres prélèvements sur les Français sont là pour rétablir nos comptes sociaux, sauver le modèle social français, et faire en sorte que le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas, c'est-à-dire les services publics, et la protection sociale, soit durablement pérennisé et modernisé.
JEAN LEYMARIE
Mais vos choix, encore une fois, font grincer des dents, y compris dans la majorité, vous avez peut-être entendu Thomas THEVENOUD, ce député socialiste, la semaine dernière dans LIBERATION, qui déclarait « on n’a pas été élus par le CAC40. » Etes-vous le gouvernement des entreprises du CAC40 ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais moi je suis très désireux de restaurer la compétitivité de notre économie, très désireux de le faire en assumant ce que nous faisons, mais au nom d’une vision d’intérêt général, pas parce que telle ou telle organisation patronale le demanderait, et un gouvernement doit avoir une vision. La vision que nous avons elle est assez simple et assez claire, et elle implique de la persévérance, de la cohérence et de la ténacité. Nous devons redresser notre appareil productif parce qu’il a décroché, et si nous ne sommes pas capables, avec nos entreprises, de créer de la richesse, de faire monter en gamme nos produits, de restaurer la compétitivité de notre appareil productif, alors il y aura moins d’emplois et les Français souffriront. Et par ailleurs, nous devons le faire avec l’objectif de la justice sociale. C’est vrai que nous appelons les Français aux efforts, nous appelons les Français aux efforts d’autant plus facilement qu’ils sont plus riches pour épargner ceux qui sont confrontés à des difficultés, et nous le faisons pourquoi, parce que le redressement de nos comptes est la raison de notre souveraineté, nous devons absolument aujourd’hui faire en sorte que le redressement de nos comptes nous permettent d’affirmer nos choix de façon souveraine, et deuxièmement nous devons, encore une fois, sauver le modèle social français, faire monter en gamme nos services publics, c’est cela la France, les Français y sont attachés, ils veulent que leur pays se redresse, et nous devons le faire avec une exigence de vérité.
JEAN LEYMARIE
Vous citez la pression du patronat, il vous a demandé de retirer votre projet de taxe, d’impôt sur l’excédent brut d’exploitation, et vous avez reculé.
BERNARD CAZENEUVE
Pas du tout, ce n’est pas comme ça que les choses se sont passées.
JEAN LEYMARIE
On a entendu monsieur GATTAZ, le président du MEDEF, protester, et vous avez reculé derrière.
BERNARD CAZENEUVE
Oui, mais aujourd’hui c’est moi qui suis votre invité, donc je vais vous raconter, si vous voulez, ce qui s’est passé. Nous avons tout l’été travaillé à une réforme de la fiscalité des entreprises parce que nous voulons que la fiscalité ne pèse pas sur le chiffre d’affaires avant que le résultat des groupes n’ait été constaté, mais davantage sur le résultat des groupes. Pourquoi ? Parce qu’il y a un certain nombre de groupes qui optimisent, et avoir l’impôt sur le résultat c’est être garanti que nous aurons un moyen de lutter contre l’optimisation fiscale des grands groupes, c’est aussi un facteur de compétitivité. Les entreprises ont souhaité que nous prenions le temps, dans le cadre des Assises, de discuter de cela avec elles, j’espère que les parlementaires seront aussi associés à cette réflexion…
JEAN LEYMARIE
Ils le veulent.
BERNARD CAZENEUVE
Ils le veulent et ils ont raison de le vouloir, et je le veux avec eux ; il vaut mieux un bon compromis qu’un mauvais conflit lorsqu’il s’agit de redresser un pays parce que, lorsque nous sommes confrontés à autant de défis, le rassemblement de nos forces vaut mieux que leur dispersion.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 octobre 2013