Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" les 8, 14, 22, 30 mai et 9 juin 2001, sur la mobilisation des salariés, grèves et manifestations, face aux licenciements collectifs dans plusieurs grandes entreprises affichant des bénéfices en hausse et sur le projet de loi de modernisation sociale.

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Circonstance : Présentation en 2ème lecture du projet de loi de modernisation sociale à l'Assemblée nationale le 22 mai. Journées d'action et manifestations à l'appel de la CGT, du PCF et de LO, à Paris les 22 mai et 9 juin 2001 contre les licenciements

Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

IL N'EST PLUS TEMPS DE PLEURER, IL FAUT LEUR FAIRE PEUR
Le 8 mai 2001
On n'en finirait plus d'énumérer les annonces de licenciements collectifs, de fermetures d'entreprises, qui se succèdent. Et rien ne dit que cela s'arrêtera là. Aujourd'hui, tout travailleur est un licencié en puissance car les actionnaires veulent toujours plus de bénéfices. Non seulement des bénéfices en augmentation, mais des bénéfices supérieurs à ceux de leurs concurrents. Sinon ils vendent leurs actions pour acheter celles qui montent.
On le voit, le meilleur moyen qu'ont ces messieurs du capital pour faire monter leurs actions, c'est de programmer de plus en plus de licenciements, car plus ils produisent avec moins de travailleurs, plus ils empochent. D'où l'augmentation des cadences, l'intensification du travail, même dans les emplois de bureau ou administratifs.
L'automobile est le seul secteur qui paraît protégé, à l'heure actuelle, contre les licenciements. Mais pas contre la chasse aux temps morts, la suppression des pauses, l'intensification du travail et l'augmentation des accidents. Pourtant, que demain la bourse fléchisse, et les milliers d'intérimaires employés dans l'automobile seront licenciés, à moins que leurs patrons préfèrent garder les plus jeunes et balancer les travailleurs de plus de 50 ans. Tout le monde sait qu'ils en sont capables. Les propriétaires, les actionnaires, les dirigeants de ces entreprises sont des salauds sans coeur et sans entrailles.
Nous ne devons pas nous laisser faire. Et ne pas se laisser faire, c'est interdire les licenciements. C'est réquisitionner les entreprises qui font des profits et qui osent licencier quand même. Il faut réquisitionner les profits, car pour ne citer que Danone, rien qu'avec un an de ses profits on pourrait payer les 1 500 travailleurs menacés de licenciement jusqu'à leur retraite.
Jospin dit qu'il est impossible d'interdire les licenciements et propose seulement un peu de pommade sur le désespoir de ceux qui sont jetés à la rue.
Le Parti Communiste proteste un peu contre l'attitude du gouvernement, mais il ne cherche pas à le contraindre. Il dit qu'il ne peut pas quitter le gouvernement. Mais qui parle de cela ? Sans l'appui des députés communistes, Jospin n'aurait pas de majorité. Alors, ce serait à lui de choisir s'il préfère passer le pouvoir à la droite, ou se ranger dans le camp des travailleurs.
Mais croire Jospin capable de ce dernier choix, c'est croire à des contes pour enfants, car il est dans le camp des actionnaires contre les travailleurs.
De premières réactions du monde du travail sont envisagées. Le mardi 22 mai la CGT appelle à une journée nationale d'actions tous les travailleurs, quelle que soit leur branche, qu'ils soient menacés ou pas de licenciement dans l'immédiat. Elle appelle à des grèves limitées ou de 24 heures, à des manifestations partout en France. Il faut que les travailleurs répondent à cet appel, et condamnent les syndicats qui ne s'y rendraient pas. Pour sa part Lutte Ouvrière y appelle sans réserve.
Cette journée ne restera pas sans lendemain. Le samedi 9 juin plusieurs organisations politiques, dont le Parti Communiste, Lutte Ouvrière, ainsi que des organisations syndicales, dont les sections syndicales de Danone, d'AOM et de Marks et Spencer, appellent à une manifestation nationale à Paris. Ce doit être la deuxième étape d'une mobilisation générale du monde du travail. Une étape qui doit préparer une suite encore plus forte, car il faut menacer le patronat et le gouvernement. Comme il faut menacer les hommes politiques de droite, à l'affût des défaillances de la gauche, mais qui ne feraient rien pour les travailleurs, car ils sont inféodés au patronat, quand ils ne sont pas actionnaires eux-mêmes.
Seules des mobilisations successives, de plus en plus puissantes, de tous les travailleurs, feront suffisamment peur à tous ces gens-là pour qu'ils sacrifient un peu de leurs profits, et que ce soit leurs plans de licenciement qu'ils mettent dans leurs poches.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 15 mai 2001)
FAISONS DU 22 MAI ET DU 9 JUIN UNE RIPOSTE GENERALE
DES TRAVAILLEURS A L'OFFENSIVE PATRONALE
Le 14 mai 2001
Le 22 mai, à l'occasion de l'ouverture à l'Assemblée nationale du débat sur ce que le MEDEF appelle la "refondation sociale", la direction de la CGT appelle les travailleurs à manifester, par des arrêts de travail et des manifestations, leur opposition à la politique patronale. En effet, il faut absolument mettre un coup d'arrêt aux fermetures d'entreprises, aux vagues de licenciements que l'on nous annonce chaque jour depuis plusieurs semaines, dans des entreprises par ailleurs florissantes.
En plus il est prévu le 9 juin une manifestation centrale à Paris appelée par les organisations syndicales des entreprises directement concernées et diverses organisations politiques, dont le Parti Communiste et Lutte Ouvrière.
Il est à espérer que le principal souci des dirigeants de la CGT, en appelant à la journée du 22 mai, ne soit pas d'organiser leur propre mouvement, pour se différencier de la manifestation antérieurement proposée par le Parti Communiste. Il est donc à espérer que la CGT mette toutes ses forces dans cette journée, et cela dans l'intérêt même des travailleurs de LU, d'AOM, de Marks et Spencer, et bien d'autres. Il faut que cette journée du 22 mai soit un succès, et cela dépend de tous les militants de la CGT, mais aussi des autres syndicats et des organisations politiques de la classe ouvrière. Comme il faut que la manifestation centrale du 9 juin soit aussi un succès.
Il ne suffira certes pas d'arrêts de travail réussis le 22 mai, ni d'une participation imposante à la manifestation du 9 juin, pour faire reculer le patronat. Cela montrera certes l'ampleur du mécontentement du monde du travail mais, notre mécontentement, les patrons n'en ont que faire. Par contre, si le 22 mai et le 9 juin sont des succès, cela redonnera confiance aux travailleurs, y compris aux éléments plus ou moins démoralisés de la classe ouvrière, dans leur force et dans leur capacité à poursuivre la lutte jusqu'à la victoire.
Depuis maintenant plus de vingt-cinq ans, les patrons ont profité de la montée du chômage et de la crainte que cela inspirait aux travailleurs, pour augmenter leurs bénéfices, en réduisant les effectifs et en faisant faire la même production, voire une production accrue, par moins de têtes et de bras. Ils en ont profité aussi pour bloquer les salaires de ceux qui gardaient leur emploi et pour généraliser la flexibilité, la précarité. Malgré le ralentissement de la croissance, leurs profits se sont envolés. Et la petite reprise économique que le monde occidental connaît depuis deux ou trois ans ne les a pas fait changer d'attitude. Ils osent crûment nous dire aujourd'hui que c'est quand les affaires vont bien qu'il faut réduire les effectifs, car ils ont alors plus d'argent pour payer des indemnités de licenciement !
Ils hésitent d'autant moins à s'attaquer aux conditions de travail et de vie de la classe ouvrière qu'ils savent que le gouvernement, même s'il se dit "de gauche", est de leur côté.
Ces gens-là ont un portefeuille à la place du coeur. On ne peut pas les toucher aux sentiments. Mais on peut leur faire peur, en menaçant justement ce à quoi ils tiennent le plus, leurs profits !
Ce n'est pas une vue de l'esprit, en 1936, comme en 1968, ils ont cédé sur des revendications qu'ils déclaraient impossibles à satisfaire quelques jours plus tôt, parce qu'ils ont eu peur d'un mouvement social que ni eux, ni le gouvernement, n'auraient été capables de contrôler.
Eh bien, si nous voulons imposer l'interdiction des licenciements dans toutes les entreprises, à commencer par celles qui font du profit, sous peine de réquisition, c'est un tel mouvement social qu'il faut préparer. Le 22 mai, comme le 9 juin, peuvent être, doivent être, les premières étapes de la mobilisation du monde du travail qui y conduira. C'est pourquoi les militants de Lutte Ouvrière feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que ces journées soient couronnées de succès.
Tous ensemble, nous pouvons faire reculer le patronat !
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 16 mai 2001)
ET APRES : DONNER UN COUP D'ARRET A L'OFFENSIVE PATRONALE
22 MAI, 9 JUIN 2001
Au moment où, à l'Assemblée nationale, s'ouvrait le débat sur la politique sociale du gouvernement, la journée d'action du 22 mai à l'appel de la CGT offrait aux travailleurs une occasion d'exprimer leur hostilité à la politique patronale. Il est de l'intérêt de tous les travailleurs que les manifestations et les arrêts de travail proposés marchent. Car il est évident que rien ne sortira des débats à l'Assemblée, tout au plus quelques mesures symboliques, emplâtres sur une jambe de bois qui n'empêcheront pas un seul patron de licencier. Les licenciements collectifs, il ne s'agit pas de les réglementer. Il faut les interdire.
Quelle qu'ait été la mobilisation de cette journée, elle ne peut pas, ne doit pas s'arrêter là. Il faut une suite. Le 9 juin, aura lieu une autre manifestation à l'appel de syndicats de plusieurs entreprises menacées comme Danone, Marks et Spencer ou AOM, ainsi que d'un certain nombre de partis et d'organisations politiques, dont le PCF et LO.
Il est à souhaiter que la direction de la CGT ne considère pas qu'elle aura fait ce qu'elle devait faire le 22 mai. Le 22 mai comme le 9 juin ne pèseront que pour autant qu'ils redonnent confiance et deviennent des étapes d'une mobilisation ouvrière assez forte pour faire vraiment peur au patronat.
Nous ne pouvons plus accepter ces plans sociaux qui tombent comme des couperets et qui font que, du jour au lendemain, après 10, 20 ans de travail ou plus dans une entreprise, on se retrouve à l'ANPE. La variété même des entreprises qui licencient et la diversité des victimes, des ouvriers spécialisés de Moulinex aux pilotes ou au personnel d'encadrement d'AOM-Air Liberté, en passant par les vendeuses de Marks et Spencer, montrent qu'aucun travailleur n'est à l'abri. On est arrivé à une situation où non seulement des entreprises florissantes, encaissant des milliards de profits, licencient quand même, mais elles persistent et signent en affirmant que c'est précisément quand les affaires vont bien qu'il faut licencier !
Ces licenciements concernent d'autant plus tous les travailleurs que la réduction des effectifs d'une entreprise signifie pour ceux qui restent qu'il faut qu'ils fassent le travail de ceux qui partent en plus du leur. Plus de travail pour les uns pendant que les autres sont jetés à la rue : ce n'est pas la conséquence des licenciements, c'est leur raison d'être. Depuis plusieurs années, y compris les années de marasme économique, le patronat parvient à réaliser des profits en croissance. Ces profits viennent de l'exploitation accrue des travailleurs, du blocage des salaires, de la généralisation du travail précaire mal payé, des cadences, de la flexibilité des horaires de travail. Faire faire plus de travail à moins d'ouvriers, plus mal payés, voilà le secret des bénéfices élevés des entreprises, des envolées boursières et de l'enrichissement des actionnaires.
Le patronat impose cette aggravation de la condition ouvrière avec la bénédiction et l'aide des gouvernements successifs, de tous bords politiques.
Il faut arrêter cela. Il faut que les travailleurs retrouvent confiance en eux-mêmes et la conscience qu'ils ont la force d'imposer des mesures qui les protègent, dont l'interdiction des licenciements aux entreprises, à commencer par celles qui font des bénéfices, sous peine de réquisition.
Réquisitionner les entreprises, c'est réquisitionner leurs profits. Cela signifie imposer qu'une partie au moins des profits passés et présents serve à financer le maintien de tous les emplois menacés.
Cela est possible. Mais une journée de grève ou une manifestation, si elles restent sans lendemain, ne suffiront pas pour l'imposer au patronat. Le patronat n'a jamais rien donné aux travailleurs de plein gré. Il faut un nouveau Juin 36, un nouveau Mai 68. Il faut surtout que le patronat craigne des mouvements sociaux amples et incontrôlables, venus de la masse des travailleurs qui en ont assez de payer pour que quelques-uns s'enrichissent. Cela ne se décrète pas mais chaque manifestation, chaque grève réussies doivent devenir autant d'étapes qui y mènent.
Arlette Laguiller
(Source http://wwww.lutte-ouvrière.org, le 29 mai 2001)
UN CHANGEMENT SOCIAL, CE N'EST PAS AU PARLEMENT,
MAIS DANS LA RUE QU'IL S'IMPOSE
Le 30 mai 2001
Les parlementaires doivent se prononcer cette semaine sur un projet de loi pompeusement baptisé "loi de modernisation sociale". Ce texte prétend être une réponse du gouvernement aux suppressions d'emplois annoncées par des entreprises qui affichent, pour la plupart, des bénéfices en hausse. Mais tout le monde sait déjà que ce n'est que poudre aux yeux. Le gouvernement se refuse à interdire les licenciements collectifs, y compris dans des entreprises qui sont largement bénéficiaires. Il ne se propose même pas de rendre ces licenciements plus chers pour les entreprises qui y recourent. Tout ce qu'il propose, c'est d'augmenter le montant des indemnités minima, bien inférieures à ce qui se pratique déjà dans les grandes entreprises. C'est-à-dire qu'en fait celles-ci pourront licencier comme elles le veulent, quand elles le veulent, comme par le passé.
Les patrons ont beau engranger toujours plus de bénéfices, ils n'en ont jamais assez. On a pu voir dimanche, à la télévision, le PDG de Vivendi, Jean-Marie Messier, justifier des salaires de 5 000 F par mois en prétextant qu'avec les charges sociales, cela coûtait 8 000 F aux entreprises. Et en ajoutant que si le gouvernement supprimait ces charges sociales, les entreprises pourraient faire mieux (sans même dire qu'elles augmenteraient leur personnel). Mais ces "charges sociales", c'est l'argent qui finance la Sécurité sociale, les retraites. C'est cet argent que les patrons voudraient récupérer. Et le gouvernement va justement dans le même sens, lui qui veut précisément faire financer par la Sécurité sociale les subventions qu'il donne au patronat pour supporter les 35 heures.
Le gouvernement continue la politique des faux-semblants. Mais en fait il continue de considérer qu'il n'y peut rien, comme au moment de l'annonce des suppressions d'emplois chez Michelin, il y a quelque temps. Et s'il n'y peut rien, c'est parce qu'il est au service du grand patronat. C'est qu'il ne veut pas s'en prendre aux profits capitalistes.
Mais il désire tout de même recueillir les voix des travailleurs aux élections de 2002. Et pour désarmer la critique, il ose présenter ceux qui contestent sa politique comme des gens qui feraient le jeu de la droite. Prenez-moi comme je suis, dit en substance Jospin aux travailleurs, sinon la droite va revenir au pouvoir, et ce sera encore bien pire pour vous. Comme si, pour les pigeons que nous sommes à ses yeux, il y avait une telle différence entre être mangés rôtis, ou en sauce.
Si lors des consultations électorales à venir les travailleurs se détournent du parti du Premier ministre, il n'aura à s'en prendre qu'à lui-même. Mais le monde du travail ne doit pas seulement montrer son rejet de la politique gouvernementale aux prochaines élections. Il doit dès à présent, dans les entreprises, dans la rue, exiger une autre politique, exiger que le gouvernement interdise tous les licenciements collectifs, en particulier dans les entreprises qui font des bénéfices, sous peine de réquisition.
C'est la raison pour laquelle Lutte Ouvrière appelle tous les travailleurs à manifester le 9 juin. Ce jour-là, à l'appel des organisations syndicales des entreprises touchées par cette vague de licenciements (comme Danone, Marks and Spencer, ou Air Liberté), et d'organisations politiques, dont le Parti Communiste et Lutte Ouvrière, il faut qu'il y ait le plus de manifestants possible pour réclamer un changement de politique, pour manifester contre une politique non de "modernisation", mais de régression sociale.
Bien sûr, même si elle est réussie, cette manifestation ne suffira pas à faire reculer le gouvernement et le patronat. Mais ce sera une réponse qui redonnera confiance aux hésitants et aux résignés et ce sera une étape dans la préparation de la contre-offensive de la classe ouvrière qui s'impose, face aux attaques incessantes dont elle est l'objet.
Jospin a peur pour son élection. Mais il nous faut aussi faire peur pour leur place à tous les dirigeants, de droite comme de gauche. Et, au-dessus d'eux, il faut que le patronat ait peur pour ses profits.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 30 mai 2001)