Texte intégral
Conférence de presse conjointe à Madrid le 1er octobre :
() Oui, je suis, moi aussi, très heureux d'être ici, à l'invitation de Ramon. Nous nous connaissons bien, depuis longtemps, puisque nous sommes les deux plus anciens ministres des Affaires européennes en charge dans l'Union. Je crois que cela fait plus de cinq ans pour toi maintenant, et plus de quatre ans pour moi. Donc, nous avons à la fois une habitude de travail, de l'amitié, beaucoup de franchise, ce qui aide dans ces rapports.
J'ai tenu à venir ici à l'invitation de Ramon, à la veille d'un Sommet franco-espagnol à Perpignan dans quelques jours, et à trois mois de la présidence espagnole, à la fois pour préparer ce sommet et pour faire le point sur les dossiers de la présidence espagnole. Ce que je peux dire, c'est que l'état des relations bilatérales franco-espagnoles est exceptionnel ; qu'il n'y a entre nous plus aucune ombre, je crois, et que nous avons des conceptions extrêmement proches de ce que doit être l'Union européenne.
Nous parlions il y a quelques instants des priorités de la présidence espagnole, afin de réaliser plus d'Europe, c'est notre souhait commun. Nous avons une vision commune également de ce que doit être l'avenir de l'Union européenne, et nous allons le manifester pendant la présidence espagnole, qui est extrêmement importante. Elle est importante parce que, comme vous le savez, l'Union européenne, depuis Nice, s'est fixé pour objectif que l'année 2002 soit celle de la préparation de l'élargissement. Qu'à la fin de l'année 2002, il y ait des pays candidats qui aient achevé leurs négociations dans la mesure où ils le peuvent. Et, pour cela, il est tout à fait décisif que la présidence espagnole réussisse, qu'elle permette d'avancer d'une façon décisive sur les problèmes d'élargissement, et nous avons par rapport à cela des préoccupations communes, des approches communes, des volontés communes.
Je dois arrêter moi aussi pour laisser place à vos questions. Ce que je veux dire c'est que la présidence espagnole, la future présidence espagnole, doit savoir qu'elle peut compter sur nous autant que nous avons compté sur l'Espagne pendant notre propre présidence. Certains d'entre vous étaient peut-être au Conseil européen de Nice, un Conseil européen difficile. Je peux témoigner que, pendant ce Conseil européen comme pendant toute notre présidence, il y a eu un accord, un travail commun, extrêmement proche entre nos deux délégations. Il en ira de même pendant la présidence espagnole pour des raisons qui sont à la fois des raisons d'amitié, des raisons de loyauté, et aussi mais surtout parce que nos vues sont extrêmement proches, parce que nous partageons cette même vision. Donc, nous allons continuer à travailler pour avancer dans ce sens là, mais je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes, surtout sur les sujets que nous avons déjà traités ce matin : l'élargissement notamment, et aussi les problèmes financiers de l'Union.
Q - Je voudrais demander au ministre de Miguel si les événements qui sont survenus aux Etats-Unis le 11 septembre vont bouleverser en quoi que ce soit la présidence espagnole. Est-ce que des dossiers vont en souffrir par rapport à de nouvelles priorités ?
()
R - Si tu me permets d'ajouter deux mots sur cette question qui ne m'a pas été posée, simplement pour abonder dans ton sens et dire que les événements du 11 septembre, je crois plus que jamais, nous incitent à accélérer la construction européenne, à la renforcer, à aller vers plus d'Europe.
En France, par exemple, certaines voix s'élèvent pour dire qu'il faudrait différer l'euro. Nous pensons exactement le contraire ; nous pensons que l'euro est un élément de stabilité formidable, un élément de résistance à la spéculation ; que la force d'un espace régional, c'est aussi la force de sa monnaie - les Etats-Unis le prouvent d'ailleurs. Et donc, qu'il faut au contraire renforcer la coordination des politiques économiques, aller plus loin, insister sur le rôle de l'eurogroupe, dans lequel nos deux pays jouent un rôle très important. Donc, la nécessité de l'euro est encore accrue par cela. L'euro, comme un élément de force pour l'Europe qui doit être capable de résister aussi aux menaces ; moi je ne crois pas à la récession mais au ralentissement économique qui nous atteint.
Quant à la Justice et aux affaires intérieures, là-dessus, je n'en dirai qu'un mot. Je suis persuadé que dans les six mois qui viennent, nous allons faire plus de progrès en la matière que nous n'en avons faits pendant les dix dernières sous la pression des événements, qui nous montrent une chose qui est très claire : nous sommes confrontés à des menaces internationales, à des organisations qui fonctionnent comme des multinationales ; on ne peut pas répondre à cela par des réponses purement nationales. Donc, il y a là une évidence, qui est que maintenant, là-dessus, nous devons aller vers l'harmonisation et, autant que possible, vers la mise en commun. Et la présidence espagnole, là-dessus, a un rôle très important à jouer, puisque j'ai parlé des six prochains mois, pour voir où cela nous amène.
Q - C'est une question pour M. Moscovici. Je voulais savoir quel est en ce moment exactement la position française face au concept d'Euromandat comme on l'appelle d'une certaine manière ; un concept que les Espagnols ont particulièrement à cur, et qui permettrait de faire l'économie de formalités d'extradition pour la remise de certains délinquants dont les terroristes.
R - Oui, même nous n'appelons pas ça Euromandat : on dit plutôt chez nous "mandat d'arrêt européen". Nous y sommes favorables ; nous y sommes résolument favorables. Vous savez qu'il existe aujourd'hui dans l'Europe des procédures d'extradition, qui sont longues, complexes, qui résultent des divergences assez logiques, finalement entre les législations des différents pays membres, et dont nous souffrons. Je rappelle par exemple qu'il y a en Grande-Bretagne un terroriste qui est suspecté depuis 1995 d'être un des principaux responsables des attentats qui ont frappé la France et, depuis lors, il n'a toujours pas été extradé.
Donc, nous pensons que ces choses là ont pris aujourd'hui une ampleur telle qu'il faut être capable d'harmoniser les législations, et là, en l'occurrence, il s'agit de réaliser une législation commune qui permette un mandat d'arrêt européen dans le cadre des procédures judiciaires, quel que soit le pays de l'Union européenne concerné, qui permettrait non seulement d'accélérer les délais que représentent les procédures actuelles, mais de les remplacer en réalité. Et de ce point de vue là, les conclusions du Conseil européen sont extrêmement claires : nous attendons, comme l'a dit Ramon de Miguel, que la Commission fasse son travail de proposition afin de pouvoir avancer le plus vite possible dans cette direction. Donc, le gouvernement français y est tout à fait favorable et il l'a manifesté aussi bien dans le récent Conseil de justice et affaires intérieures par la voix de M. Vaillant, ministre de l'Intérieur, et de Mme Lebranchu, Garde des Sceaux, qu'au Conseil européen de Bruxelles il y a maintenant dix jours.
Nous soutiendrons tout ce que fera la présidence espagnole pour accélérer la réalisation de cette réforme importante.
Q - La demande hollandaise de changer radicalement le système de fonds structurels peut ouvrir un débat sur la renationalisation des aides régionales et, deuxièmement, croyez-vous que les Etats membres devraient tous financer sur la même base l'élargissement, indépendamment de leur PIB.
R - Nous partageons complètement la façon dont la présidence espagnole entend aborder les négociations de l'élargissement sur le chapitre financier, que ce soit la politique régionale, que ce soit la politique agricole commune, que ce soit le bouclage d'ensemble, et ça, c'est un sujet tout à fait déterminant pour nous.
Quelle est notre position ? Premièrement, il faut que les propositions de la Commission soient faites rapidement, afin que chaque chapitre puisse être négocié durant la présidence espagnole. C'est quelque chose d'absolument décisif, si nous voulons remplir notre feuille de route, c'est-à-dire faire en sorte que les pays candidats puissent avoir achevé leur négociation à la fin 2002. Donc, la séquence normale ce sont des propositions rapides de la Commission, une négociation sous présidence espagnole, et nous faisons totalement confiance à la présidence espagnole pour ce faire, et nous pensons qu'elle est bien placée à la fois dans le temps et par ses talents.
Deuxième élément : comme nos amis espagnols, nous pensons que la seule base de négociation possible pour ce chapitre, c'est l'agenda 2000. J'ai été avec Ramon un des négociateurs de l'agenda 2000 ; j'étais présent au Conseil européen de Berlin et je sais qu'elle a été notre très grande difficulté à parvenir à un accord, avec notamment les préoccupations espagnoles. C'est au moment où elles ont été prises en compte que le Sommet s'est arrêté, avec la prise en compte des préoccupations françaises aussi, des préoccupations allemandes, des préoccupations britanniques, des préoccupations de tout le monde. Je déconseille à quiconque de recommencer prématurément à refaire cet exercice. Je crois que cela ne pourrait pas donner des résultats intéressants. Donc, comme toujours, le prochain élargissement doit être négocié sur la base de l'acquis, et l'acquis en la matière c'est Berlin, tout Berlin, rien que Berlin.
Troisième élément : bien sûr, cela ne préjuge pas des réformes, que ce soient des réformes de la politique régionale, comme on vient de parler, ou que ce soient des réformes de la politique agricole commune. Mais dans une philosophie qui est la philosophie de l'Union européenne depuis le départ : à savoir que ces politiques sont les grandes politiques communes de l'Union européenne, qu'on ne peut pas accepter leur démantèlement, que nous sommes opposés, par exemple - je parle plus pour la France, mais je sais que c'est aussi la position espagnole - au co-financement en matière agricole ; nous l'avons été à Berlin et nous le sommes encore aujourd'hui.
Quatrième élément que je veux souligner : nous attachons aussi une très grande importance à la politique régionale, notamment à la politique de cohésion. Nous comprenons qu'elle a contribué et qu'elle contribue au rattrapage des pays qui sont entrés dans l'Union européenne avec un degré de développement économique inférieur, qui sont légèrement en retard par rapport à ceux des pays qui sont membres de l'Union européenne depuis l'origine.
Voilà, si vous voulez, quatre éléments qui font opposition. Je crois que cela peut permettre de dessiner entre nous des convergences très larges, et nous sommes particulièrement satisfaits que ce soit l'Espagne qui ait à négocier cela. Et je pense que nous aurons l'occasion de discuter de tout cela à Perpignan, dans un état d'esprit très commun.
Q - En parlant de l'Europe, il y a aussi un point relativement important aujourd'hui, c'est l'eau, c'est le Plan hydrologique national qu'est en train de mettre en place l'Espagne. Alors on sait que l'Espagne n'a pas posé la question directement à la France pour faire passer cette eau, il y a un gros problème ici. Qu'est-ce que l'Europe a l'intention de faire, ou est-ce qu'il y aurait à un moment ou à un autre un échange entre l'Europe, la France, l'Espagne sur le PHN ? C'est une question à tous les deux.
R - Je n'ai pas de commentaire à faire sur le Plan hydrologique espagnol. La seule chose que je peux dire est que nous sommes tout à fait disponibles pour parler dans le cadre des liaisons transfrontières de ce type de problème, notamment de l'eau du Rhône. Ce n'est pas un problème qui a commencé hier car je me souviens que lorsque j'étais élève de l'ENA, en 1982, et que je faisais mon stage à Montpellier, on en parlait déjà. Nous sommes disponibles et je crois que nous pourrons travailler, le moment venu, quand les Espagnols le souhaiteront, dans un état d'esprit positif.
Q - Par rapport à la présidence espagnole de l'Union européenne, j'aimerais savoir si un message a été transmis aujourd'hui au sujet de la politique espagnole de libéraliser au sein de l'Union, s'il existait une certaine pression ou un message d'embarras de la part de l'Espagne envers la France et, d'un autre côté, j'aimerais savoir si vous avez concrétisé un programme pour la prochaine réunion de Perpignan.
R - Je suis très satisfait de cet état d'esprit de la présidence espagnole qui, je crois, est tout à fait juste. Depuis plusieurs années, depuis Amsterdam en réalité, nous essayons d'enrichir la construction européenne. Nous essayons de faire en sorte que, dans le domaine économique, elle ne se limite pas à la réalisation de la monnaie unique et à l'approfondissement du marché intérieur, mais qu'elle s'enrichisse. Nous avons fait cela à Luxembourg, avec l'ajout de l'objectif emploi ; nous avons fait cela à Cardiff, avec la perspective de réformes de structures; nous avons fait cela à Lisbonne, avec la volonté d'enrichir le processus européen, par exemple pour tout ce qui concerne la société de la connaissance, la société de l'information, l'innovation technologique. Nous voulons faire en sorte que l'Europe soit une terre dans laquelle on va vers le plein emploi, en insistant sur sa dimension structurelle. Donc, le processus de Lisbonne qui, maintenant, est devenu le sujet d'un sommet annuel, un des deux sommets de la présidence semestrielle, comme l'a dit Ramon, est beaucoup plus riche, beaucoup plus élargi et son agenda est beaucoup plus fourni que de parler simplement de problèmes de libéralisation.
Je crois que la façon dont la présidence espagnole compte l'aborder, de façon pragmatique, non idéologique, de façon large, est la bonne. Par exemple, on sait bien quelle est la position de la France sur ces sujets. Nous sommes favorables au marché intérieur et au marché unique ; nous le sommes depuis l'acte unique, donc nous voulons son approfondissement et son achèvement. Nous souhaitons en même temps que l'on ne soulève pas trop vite certaines questions ; qu'on nous donne les moyens et le temps d'aller vers la réalisation des réformes nécessaires. Voilà ce que nous voulons, donc il ne faut pas que ce soit un sujet de confrontation, et dans l'état d'esprit que vient de définir Ramon, il ne le sera pas. C'est tout à fait fondamental à l'avancée et à l'achèvement de ses causes et aussi à la réussite de la présidence espagnole à laquelle nous voulons tout à fait concourir.
Je crois effectivement, comme tu l'as dit, que ce qui a été réalisé récemment entre nous dans le domaine énergétique, avec les très bonnes avancées en termes d'interconnexions électriques, c'est le modèle de la façon dont nous devons travailler. Je suis sûr qu'en travaillant ainsi, la France et l'Espagne ensemble, nous concourrons au succès du Sommet de Barcelone.
Q - Depuis plusieurs années, les sommets de l'Union sont le théâtre de manifestations très importantes, de mouvements sociaux et de syndicats. Qu'est-ce que l'Espagne compte faire durant sa présidence pour amplifier le domaine des normes sociales en Europe, qui sont aujourd'hui très critiquées par leur absence. Et, après les déclarations du président Aznar au lendemain de Gènes, qui avait menacé de fermer Schengen lors du prochain Sommet de Barcelone, l'Espagne va-t-elle mettre en application cette menace et la France acceptera-t-elle que sa frontière soit fermée au moment de ces manifestations ?
R - Je vais laisser Ramon répondre mais je veux faire une petite observation : depuis Gènes, il y a eu quelques petits événements qui ont forgé l'approche de cette question de la mondialisation. Le mot "petits" est bien sûr avec des guillemets.
Q - M. Moscovici vient de manifester, si j'ai bien compris, que l'Espagne doit faire face au processus de Lisbonne de manière pragmatique et non idéologique. Pourriez-vous, comme membre du gouvernement espagnol, le souligner ?
R - Je suis sûr que nous saurons éviter à Barcelone, une mise en scène pensée d'avance par une opposition supposée. Nous allons travailler dans un état d'esprit commun, qui est bien celui que vient de décrire Ramon de Miguel, c'est-à-dire de parvenir à un compromis ; un compromis entre des intérêts nationaux, qui peuvent parfois diverger, des visions politiques qui peuvent ne pas être les mêmes. Et je crois que si tout le monde travaillait dans cet esprit là, et bien l'Europe avancerait davantage encore. Encore une fois, si je parle de pragmatisme, c'est en réponse à ce que disait M. de Miguel, c'est donc ce que nous attendons de l'Espagne avec une grande confiance
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)
Remise de décorations le 2 octobre :
Chère Maria-Isabel Florès,
Chère Geneviève Saint-Hubert,
Cher Laurent Cohen-Tanugi,
Monsieur le Président,
Madame la Présidente,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis particulièrement heureux de vous recevoir ce soir, au ministère des Affaires étrangères, pour cet hommage que la République rend à nos trois amis.
Je prends toujours beaucoup de plaisir à ces cérémonies collectives, pour honorer des serviteurs de la cause européenne. Certes, elles imposent que l'éloge traditionnel de chacun soit relativement bref. Je le regrette et espère que vous ne m'en voudrez pas. J'ai voulu aussi privilégier, de cette façon, le côté convivial de cette rencontre, à laquelle vous avez convié les êtres qui vous sont chers.
Mais cet exercice de portrait de groupe permet aussi de prendre toute la mesure de la force de l'engagement pour l'Europe. Des femmes et des hommes qui viennent d'horizons divers, suivent un itinéraire singulier, et se retrouvent un jour, autour de mêmes valeurs, engagés au service de cet idéal européen qui nous mobilise tant. Des convergences et des intersections, n'est-ce pas là, résumée, la démarche de la construction européenne ?
Nous en avons, aujourd'hui encore, l'illustration exemplaire.
Je me tourne d'abord vers Maria-Isabel Florès.
Vous êtes actuellement attachée culturelle à l'Office culturel de l'Ambassade d'Espagne à Paris. Cette étiquette, somme toute classique, en tout cas pour la maison dans laquelle nous nous trouvons, dissimule un parcours atypique. J'ose à peine dire, pour reprendre le langage diplomatique, que vous êtes en poste chez nous depuis 1974, tant vous êtes des nôtres. Et j'intercède immédiatement auprès de l'ambassadeur Javier Elorza, ici présent, pour qu'il ne vous soumette pas, à l'issue de cette cérémonie, à l'obligation de mobilité qui s'impose normalement aux diplomates.
Votre itinéraire témoigne, en tout cas, d'un engagement actif et inlassable dans de multiples champs de responsabilités, avec toujours le même souci de l'autre.
Après des études de droit et de psychologie sociale, vous vous êtes très vite impliquée dans la sphère publique. Il y a évidemment votre activité pour promouvoir la culture espagnole, favoriser les échanges avec notre pays. A ce titre, vous avez su mettre, il y a quelques années, "Paris à l'heure espagnole". Mais vous êtes aussi une militante passionnée, - je sais combien ce terme est fort en espagnol -, de nombreuses causes. Il y a l'action syndicale où vous vous affirmez comme une interlocutrice de grande qualité, en tant que présidente de la fédération des services publics de l'UGT. Vous êtes aussi très impliquée dans des associations féminines, ainsi qu'une figure de la communauté espagnole en France
C'est donc à cette personnalité complète, qui incarne à mes yeux le plein épanouissement d'une citoyenne européenne, que j'ai voulu rendre hommage aujourd'hui.
Notre itinéraire européen nous conduit maintenant de l'Espagne vers le nord des Pyrénées, plus précisément à Toulouse, terre de mission de Geneviève Saint-Hubert. Voilà trois ans que vous avez été portée à la présidence de la fédération française des Maisons de l'Europe. Cette responsabilité récompense fort justement votre activité à la tête de la Maison de l'Europe de Toulouse, sans doute la plus dynamique en France.
Mais, devant vous, ce soir, comment ne pas penser d'abord aux victimes de la terrible catastrophe qui a frappé votre ville magnifique ? Nous devions nous y retrouver, le lundi 24 septembre, pour le forum régional Midi-Pyrénées, organisé dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'Europe lancé au Conseil européen de Nice. Cette rencontre a été évidemment reportée. Je sais combien vous aviez activement contribué à sa préparation. Une fois encore, vous vous étiez impliquée pour faire que cette Europe lointaine, pas toujours intelligible, soit un peu plus familière à nos concitoyens.
Là aussi, votre parcours reflète à la fois beaucoup de cohérence et de persévérance. Après des études supérieures de langues, surveillante de collège au début des années 80, puis chargée des relations internationales de l'université de Toulouse, des voyages en Amérique et en Allemagne ont joué un grand rôle dans vos choix futurs. C'est, je crois, au retour de Berlin, en 1982, que vous avez eu l'idée de ce concept de Maison de l'Europe, à l'époque très innovant. Il a fallu ensuite batailler jusqu'en 1986, pour créer la maison de l'Europe de Toulouse que vous dirigez toujours. Vous êtes, à ce titre, un véritable partenaire de l'action que mène le ministère des Affaires européennes, avec le soutien des institutions de l'Union, pour rendre l'Europe populaire. J'ai pu l'apprécier de manière très concrète dans la fonction que j'occupe notamment à l'occasion de la mise en place d'un réseau de relais d'information sur l'Europe dans les régions et les départements.
Vous ne ménagez ni vos efforts, ni votre enthousiasme, face aux défis actuels qui ne manquent pas. Je pense d'abord à l'introduction des pièces et des billets en euros, le 1erjanvier prochain. Vous avez conduit, m'a-t-on rapporté, une action exemplaire destinée aux personnes âgés. Il y a aussi le débat sur l'avenir de l'Europe que j'évoquais à l'instant. Pour parvenir à impliquer des acteurs de la société civile, au-delà des cercles habituels, comme nous le souhaitons, votre concours est précieux.
J'en viens maintenant à Laurent Cohen-Tanugi. Vous êtes aujourd'hui un avocat international de renom, inscrit aux barreaux de Paris et de New York, spécialiste reconnu du droit des industries de la communication. Mais cette activité ne résume pas votre parcours ou plutôt elle structure une pensée qui s'épanouit également dans la science politique et le militantisme européen, comme membre du bureau national du Mouvement européen. Ces quelques traits traduisent bien, me semble-t-il, votre souci permanent de penser en praticien, et d'agir en penseur.
Au risque d'être réducteur, il me semble que le fil à dérouler pour vous suivre serait américain. Il commence avec vos études à l'université Harvard, au début des années 80, après l'Ecole normale supérieure, deux hauts lieux de la connaissance. Bien avant que la mondialisation n'imprègne la réalité et le discours, vous êtes allé puiser aux meilleures sources. C'est à la Harvard law school, sur les bancs d'un cours de droit de la concurrence, que vous rencontrerez Jodie, qui deviendra votre épouse. Bien évidemment, votre professeur était éminent à tel point qu'il faillit être nommé juge à la Cour suprême. Mais reconnaître qu'il avait fumé dans sa jeunesse ce que l'on appelle, je crois, de l'herbe, lui fut fatal. Vous nous direz s'il réunissait, chez lui le soir, ses meilleurs étudiants pour approfondir la jurisprudence de la fair trade commission. Ce séjour à Boston sera déterminant pour la suite. Je pense d'abord au plus prégnant, c'est-à-dire la formation d'une pensée, exposée dans votre premier essai "le droit sans l'Etat", qui fera date en 1985. A juste titre, certains commentateurs ont perçu des accents tocquevilliens dans vos réflexions sur la représentation politique et les institutions en France et aux Etats-Unis. Cette matrice de votre pensée s'est ensuite développée dans de multiples ouvrages, principalement consacrés à la construction européenne. Je me souviens que vous aviez proclamé "l'Europe en danger" au lendemain du traité de Maastricht, anticipant bien les défis existentiels que nous avons aujourd'hui à relever.
Pour nuancer ce portrait très sérieux, j'évoquerai aussi les jardins secrets que vous arpentez entre deux fusions-acquisitions, tout particulièrement la guitare. Il m'est revenu qu'en marge de la négociation du rééchelonnement de la dette d'un grand pays africain ami de la France, vous aviez gagné un concours de rock and roll.
Avant de vous remettre votre distinction, je ne peux m'empêcher de penser que cette cérémonie n'est pas comme les autres. L'ombre du drame effroyable du 11 septembre dernier pèse sur nos curs et nos esprits, tout particulièrement compte tenu des liens qui unissent Laurent Cohen-Tanugi et sa famille à New York et aux Etats-Unis.
Beaucoup d'émotion, de solidarité et de détermination caractérisent la réaction de la communauté internationale. Dans le contexte nouveau issu de ces événements, l'Union européenne est mise brutalement face à ses responsabilités pour lutter contre le terrorisme, mais aussi pour promouvoir un nouvel ordre mondial, plus équitable. Ces défis mettent en pleine lumière, me semble-t-il, un besoin urgent d'Europe, la nécessité d'approfondir l'intégration dans certains domaines, d'accélérer la marche vers l'Europe politique. Nous ne sommes pas à convaincre, vous tous, nous tous ici dont le parcours est intimement lié à cette grande ambition européenne, le plus souvent par un engagement actif au sein du Mouvement européen. Mais les évolutions sont rarement spontanées et nous devrons donc redoubler d'efforts - votre énergie et votre imagination seront précieuses - pour bien faire comprendre à nos concitoyens le sens de cette entreprise, les grands choix devant nous. Vous le voyez, nous sommes au cur du débat sur l'avenir de l'Europe. L'Europe n'a vraisemblablement pas fini de nous étonner. C'est sur cette note optimiste, empruntée à Laurent Cohen-Tanugi, que je terminerai.
Maria-Isabel Florès, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalière dans l'Ordre national du Mérite.
Geneviève Saint-Hubert, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalière dans l'Ordre national du Mérite.
Laurent Cohen-Tanugi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans l'Ordre national du Mérite
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
() Oui, je suis, moi aussi, très heureux d'être ici, à l'invitation de Ramon. Nous nous connaissons bien, depuis longtemps, puisque nous sommes les deux plus anciens ministres des Affaires européennes en charge dans l'Union. Je crois que cela fait plus de cinq ans pour toi maintenant, et plus de quatre ans pour moi. Donc, nous avons à la fois une habitude de travail, de l'amitié, beaucoup de franchise, ce qui aide dans ces rapports.
J'ai tenu à venir ici à l'invitation de Ramon, à la veille d'un Sommet franco-espagnol à Perpignan dans quelques jours, et à trois mois de la présidence espagnole, à la fois pour préparer ce sommet et pour faire le point sur les dossiers de la présidence espagnole. Ce que je peux dire, c'est que l'état des relations bilatérales franco-espagnoles est exceptionnel ; qu'il n'y a entre nous plus aucune ombre, je crois, et que nous avons des conceptions extrêmement proches de ce que doit être l'Union européenne.
Nous parlions il y a quelques instants des priorités de la présidence espagnole, afin de réaliser plus d'Europe, c'est notre souhait commun. Nous avons une vision commune également de ce que doit être l'avenir de l'Union européenne, et nous allons le manifester pendant la présidence espagnole, qui est extrêmement importante. Elle est importante parce que, comme vous le savez, l'Union européenne, depuis Nice, s'est fixé pour objectif que l'année 2002 soit celle de la préparation de l'élargissement. Qu'à la fin de l'année 2002, il y ait des pays candidats qui aient achevé leurs négociations dans la mesure où ils le peuvent. Et, pour cela, il est tout à fait décisif que la présidence espagnole réussisse, qu'elle permette d'avancer d'une façon décisive sur les problèmes d'élargissement, et nous avons par rapport à cela des préoccupations communes, des approches communes, des volontés communes.
Je dois arrêter moi aussi pour laisser place à vos questions. Ce que je veux dire c'est que la présidence espagnole, la future présidence espagnole, doit savoir qu'elle peut compter sur nous autant que nous avons compté sur l'Espagne pendant notre propre présidence. Certains d'entre vous étaient peut-être au Conseil européen de Nice, un Conseil européen difficile. Je peux témoigner que, pendant ce Conseil européen comme pendant toute notre présidence, il y a eu un accord, un travail commun, extrêmement proche entre nos deux délégations. Il en ira de même pendant la présidence espagnole pour des raisons qui sont à la fois des raisons d'amitié, des raisons de loyauté, et aussi mais surtout parce que nos vues sont extrêmement proches, parce que nous partageons cette même vision. Donc, nous allons continuer à travailler pour avancer dans ce sens là, mais je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes, surtout sur les sujets que nous avons déjà traités ce matin : l'élargissement notamment, et aussi les problèmes financiers de l'Union.
Q - Je voudrais demander au ministre de Miguel si les événements qui sont survenus aux Etats-Unis le 11 septembre vont bouleverser en quoi que ce soit la présidence espagnole. Est-ce que des dossiers vont en souffrir par rapport à de nouvelles priorités ?
()
R - Si tu me permets d'ajouter deux mots sur cette question qui ne m'a pas été posée, simplement pour abonder dans ton sens et dire que les événements du 11 septembre, je crois plus que jamais, nous incitent à accélérer la construction européenne, à la renforcer, à aller vers plus d'Europe.
En France, par exemple, certaines voix s'élèvent pour dire qu'il faudrait différer l'euro. Nous pensons exactement le contraire ; nous pensons que l'euro est un élément de stabilité formidable, un élément de résistance à la spéculation ; que la force d'un espace régional, c'est aussi la force de sa monnaie - les Etats-Unis le prouvent d'ailleurs. Et donc, qu'il faut au contraire renforcer la coordination des politiques économiques, aller plus loin, insister sur le rôle de l'eurogroupe, dans lequel nos deux pays jouent un rôle très important. Donc, la nécessité de l'euro est encore accrue par cela. L'euro, comme un élément de force pour l'Europe qui doit être capable de résister aussi aux menaces ; moi je ne crois pas à la récession mais au ralentissement économique qui nous atteint.
Quant à la Justice et aux affaires intérieures, là-dessus, je n'en dirai qu'un mot. Je suis persuadé que dans les six mois qui viennent, nous allons faire plus de progrès en la matière que nous n'en avons faits pendant les dix dernières sous la pression des événements, qui nous montrent une chose qui est très claire : nous sommes confrontés à des menaces internationales, à des organisations qui fonctionnent comme des multinationales ; on ne peut pas répondre à cela par des réponses purement nationales. Donc, il y a là une évidence, qui est que maintenant, là-dessus, nous devons aller vers l'harmonisation et, autant que possible, vers la mise en commun. Et la présidence espagnole, là-dessus, a un rôle très important à jouer, puisque j'ai parlé des six prochains mois, pour voir où cela nous amène.
Q - C'est une question pour M. Moscovici. Je voulais savoir quel est en ce moment exactement la position française face au concept d'Euromandat comme on l'appelle d'une certaine manière ; un concept que les Espagnols ont particulièrement à cur, et qui permettrait de faire l'économie de formalités d'extradition pour la remise de certains délinquants dont les terroristes.
R - Oui, même nous n'appelons pas ça Euromandat : on dit plutôt chez nous "mandat d'arrêt européen". Nous y sommes favorables ; nous y sommes résolument favorables. Vous savez qu'il existe aujourd'hui dans l'Europe des procédures d'extradition, qui sont longues, complexes, qui résultent des divergences assez logiques, finalement entre les législations des différents pays membres, et dont nous souffrons. Je rappelle par exemple qu'il y a en Grande-Bretagne un terroriste qui est suspecté depuis 1995 d'être un des principaux responsables des attentats qui ont frappé la France et, depuis lors, il n'a toujours pas été extradé.
Donc, nous pensons que ces choses là ont pris aujourd'hui une ampleur telle qu'il faut être capable d'harmoniser les législations, et là, en l'occurrence, il s'agit de réaliser une législation commune qui permette un mandat d'arrêt européen dans le cadre des procédures judiciaires, quel que soit le pays de l'Union européenne concerné, qui permettrait non seulement d'accélérer les délais que représentent les procédures actuelles, mais de les remplacer en réalité. Et de ce point de vue là, les conclusions du Conseil européen sont extrêmement claires : nous attendons, comme l'a dit Ramon de Miguel, que la Commission fasse son travail de proposition afin de pouvoir avancer le plus vite possible dans cette direction. Donc, le gouvernement français y est tout à fait favorable et il l'a manifesté aussi bien dans le récent Conseil de justice et affaires intérieures par la voix de M. Vaillant, ministre de l'Intérieur, et de Mme Lebranchu, Garde des Sceaux, qu'au Conseil européen de Bruxelles il y a maintenant dix jours.
Nous soutiendrons tout ce que fera la présidence espagnole pour accélérer la réalisation de cette réforme importante.
Q - La demande hollandaise de changer radicalement le système de fonds structurels peut ouvrir un débat sur la renationalisation des aides régionales et, deuxièmement, croyez-vous que les Etats membres devraient tous financer sur la même base l'élargissement, indépendamment de leur PIB.
R - Nous partageons complètement la façon dont la présidence espagnole entend aborder les négociations de l'élargissement sur le chapitre financier, que ce soit la politique régionale, que ce soit la politique agricole commune, que ce soit le bouclage d'ensemble, et ça, c'est un sujet tout à fait déterminant pour nous.
Quelle est notre position ? Premièrement, il faut que les propositions de la Commission soient faites rapidement, afin que chaque chapitre puisse être négocié durant la présidence espagnole. C'est quelque chose d'absolument décisif, si nous voulons remplir notre feuille de route, c'est-à-dire faire en sorte que les pays candidats puissent avoir achevé leur négociation à la fin 2002. Donc, la séquence normale ce sont des propositions rapides de la Commission, une négociation sous présidence espagnole, et nous faisons totalement confiance à la présidence espagnole pour ce faire, et nous pensons qu'elle est bien placée à la fois dans le temps et par ses talents.
Deuxième élément : comme nos amis espagnols, nous pensons que la seule base de négociation possible pour ce chapitre, c'est l'agenda 2000. J'ai été avec Ramon un des négociateurs de l'agenda 2000 ; j'étais présent au Conseil européen de Berlin et je sais qu'elle a été notre très grande difficulté à parvenir à un accord, avec notamment les préoccupations espagnoles. C'est au moment où elles ont été prises en compte que le Sommet s'est arrêté, avec la prise en compte des préoccupations françaises aussi, des préoccupations allemandes, des préoccupations britanniques, des préoccupations de tout le monde. Je déconseille à quiconque de recommencer prématurément à refaire cet exercice. Je crois que cela ne pourrait pas donner des résultats intéressants. Donc, comme toujours, le prochain élargissement doit être négocié sur la base de l'acquis, et l'acquis en la matière c'est Berlin, tout Berlin, rien que Berlin.
Troisième élément : bien sûr, cela ne préjuge pas des réformes, que ce soient des réformes de la politique régionale, comme on vient de parler, ou que ce soient des réformes de la politique agricole commune. Mais dans une philosophie qui est la philosophie de l'Union européenne depuis le départ : à savoir que ces politiques sont les grandes politiques communes de l'Union européenne, qu'on ne peut pas accepter leur démantèlement, que nous sommes opposés, par exemple - je parle plus pour la France, mais je sais que c'est aussi la position espagnole - au co-financement en matière agricole ; nous l'avons été à Berlin et nous le sommes encore aujourd'hui.
Quatrième élément que je veux souligner : nous attachons aussi une très grande importance à la politique régionale, notamment à la politique de cohésion. Nous comprenons qu'elle a contribué et qu'elle contribue au rattrapage des pays qui sont entrés dans l'Union européenne avec un degré de développement économique inférieur, qui sont légèrement en retard par rapport à ceux des pays qui sont membres de l'Union européenne depuis l'origine.
Voilà, si vous voulez, quatre éléments qui font opposition. Je crois que cela peut permettre de dessiner entre nous des convergences très larges, et nous sommes particulièrement satisfaits que ce soit l'Espagne qui ait à négocier cela. Et je pense que nous aurons l'occasion de discuter de tout cela à Perpignan, dans un état d'esprit très commun.
Q - En parlant de l'Europe, il y a aussi un point relativement important aujourd'hui, c'est l'eau, c'est le Plan hydrologique national qu'est en train de mettre en place l'Espagne. Alors on sait que l'Espagne n'a pas posé la question directement à la France pour faire passer cette eau, il y a un gros problème ici. Qu'est-ce que l'Europe a l'intention de faire, ou est-ce qu'il y aurait à un moment ou à un autre un échange entre l'Europe, la France, l'Espagne sur le PHN ? C'est une question à tous les deux.
R - Je n'ai pas de commentaire à faire sur le Plan hydrologique espagnol. La seule chose que je peux dire est que nous sommes tout à fait disponibles pour parler dans le cadre des liaisons transfrontières de ce type de problème, notamment de l'eau du Rhône. Ce n'est pas un problème qui a commencé hier car je me souviens que lorsque j'étais élève de l'ENA, en 1982, et que je faisais mon stage à Montpellier, on en parlait déjà. Nous sommes disponibles et je crois que nous pourrons travailler, le moment venu, quand les Espagnols le souhaiteront, dans un état d'esprit positif.
Q - Par rapport à la présidence espagnole de l'Union européenne, j'aimerais savoir si un message a été transmis aujourd'hui au sujet de la politique espagnole de libéraliser au sein de l'Union, s'il existait une certaine pression ou un message d'embarras de la part de l'Espagne envers la France et, d'un autre côté, j'aimerais savoir si vous avez concrétisé un programme pour la prochaine réunion de Perpignan.
R - Je suis très satisfait de cet état d'esprit de la présidence espagnole qui, je crois, est tout à fait juste. Depuis plusieurs années, depuis Amsterdam en réalité, nous essayons d'enrichir la construction européenne. Nous essayons de faire en sorte que, dans le domaine économique, elle ne se limite pas à la réalisation de la monnaie unique et à l'approfondissement du marché intérieur, mais qu'elle s'enrichisse. Nous avons fait cela à Luxembourg, avec l'ajout de l'objectif emploi ; nous avons fait cela à Cardiff, avec la perspective de réformes de structures; nous avons fait cela à Lisbonne, avec la volonté d'enrichir le processus européen, par exemple pour tout ce qui concerne la société de la connaissance, la société de l'information, l'innovation technologique. Nous voulons faire en sorte que l'Europe soit une terre dans laquelle on va vers le plein emploi, en insistant sur sa dimension structurelle. Donc, le processus de Lisbonne qui, maintenant, est devenu le sujet d'un sommet annuel, un des deux sommets de la présidence semestrielle, comme l'a dit Ramon, est beaucoup plus riche, beaucoup plus élargi et son agenda est beaucoup plus fourni que de parler simplement de problèmes de libéralisation.
Je crois que la façon dont la présidence espagnole compte l'aborder, de façon pragmatique, non idéologique, de façon large, est la bonne. Par exemple, on sait bien quelle est la position de la France sur ces sujets. Nous sommes favorables au marché intérieur et au marché unique ; nous le sommes depuis l'acte unique, donc nous voulons son approfondissement et son achèvement. Nous souhaitons en même temps que l'on ne soulève pas trop vite certaines questions ; qu'on nous donne les moyens et le temps d'aller vers la réalisation des réformes nécessaires. Voilà ce que nous voulons, donc il ne faut pas que ce soit un sujet de confrontation, et dans l'état d'esprit que vient de définir Ramon, il ne le sera pas. C'est tout à fait fondamental à l'avancée et à l'achèvement de ses causes et aussi à la réussite de la présidence espagnole à laquelle nous voulons tout à fait concourir.
Je crois effectivement, comme tu l'as dit, que ce qui a été réalisé récemment entre nous dans le domaine énergétique, avec les très bonnes avancées en termes d'interconnexions électriques, c'est le modèle de la façon dont nous devons travailler. Je suis sûr qu'en travaillant ainsi, la France et l'Espagne ensemble, nous concourrons au succès du Sommet de Barcelone.
Q - Depuis plusieurs années, les sommets de l'Union sont le théâtre de manifestations très importantes, de mouvements sociaux et de syndicats. Qu'est-ce que l'Espagne compte faire durant sa présidence pour amplifier le domaine des normes sociales en Europe, qui sont aujourd'hui très critiquées par leur absence. Et, après les déclarations du président Aznar au lendemain de Gènes, qui avait menacé de fermer Schengen lors du prochain Sommet de Barcelone, l'Espagne va-t-elle mettre en application cette menace et la France acceptera-t-elle que sa frontière soit fermée au moment de ces manifestations ?
R - Je vais laisser Ramon répondre mais je veux faire une petite observation : depuis Gènes, il y a eu quelques petits événements qui ont forgé l'approche de cette question de la mondialisation. Le mot "petits" est bien sûr avec des guillemets.
Q - M. Moscovici vient de manifester, si j'ai bien compris, que l'Espagne doit faire face au processus de Lisbonne de manière pragmatique et non idéologique. Pourriez-vous, comme membre du gouvernement espagnol, le souligner ?
R - Je suis sûr que nous saurons éviter à Barcelone, une mise en scène pensée d'avance par une opposition supposée. Nous allons travailler dans un état d'esprit commun, qui est bien celui que vient de décrire Ramon de Miguel, c'est-à-dire de parvenir à un compromis ; un compromis entre des intérêts nationaux, qui peuvent parfois diverger, des visions politiques qui peuvent ne pas être les mêmes. Et je crois que si tout le monde travaillait dans cet esprit là, et bien l'Europe avancerait davantage encore. Encore une fois, si je parle de pragmatisme, c'est en réponse à ce que disait M. de Miguel, c'est donc ce que nous attendons de l'Espagne avec une grande confiance
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)
Remise de décorations le 2 octobre :
Chère Maria-Isabel Florès,
Chère Geneviève Saint-Hubert,
Cher Laurent Cohen-Tanugi,
Monsieur le Président,
Madame la Présidente,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis particulièrement heureux de vous recevoir ce soir, au ministère des Affaires étrangères, pour cet hommage que la République rend à nos trois amis.
Je prends toujours beaucoup de plaisir à ces cérémonies collectives, pour honorer des serviteurs de la cause européenne. Certes, elles imposent que l'éloge traditionnel de chacun soit relativement bref. Je le regrette et espère que vous ne m'en voudrez pas. J'ai voulu aussi privilégier, de cette façon, le côté convivial de cette rencontre, à laquelle vous avez convié les êtres qui vous sont chers.
Mais cet exercice de portrait de groupe permet aussi de prendre toute la mesure de la force de l'engagement pour l'Europe. Des femmes et des hommes qui viennent d'horizons divers, suivent un itinéraire singulier, et se retrouvent un jour, autour de mêmes valeurs, engagés au service de cet idéal européen qui nous mobilise tant. Des convergences et des intersections, n'est-ce pas là, résumée, la démarche de la construction européenne ?
Nous en avons, aujourd'hui encore, l'illustration exemplaire.
Je me tourne d'abord vers Maria-Isabel Florès.
Vous êtes actuellement attachée culturelle à l'Office culturel de l'Ambassade d'Espagne à Paris. Cette étiquette, somme toute classique, en tout cas pour la maison dans laquelle nous nous trouvons, dissimule un parcours atypique. J'ose à peine dire, pour reprendre le langage diplomatique, que vous êtes en poste chez nous depuis 1974, tant vous êtes des nôtres. Et j'intercède immédiatement auprès de l'ambassadeur Javier Elorza, ici présent, pour qu'il ne vous soumette pas, à l'issue de cette cérémonie, à l'obligation de mobilité qui s'impose normalement aux diplomates.
Votre itinéraire témoigne, en tout cas, d'un engagement actif et inlassable dans de multiples champs de responsabilités, avec toujours le même souci de l'autre.
Après des études de droit et de psychologie sociale, vous vous êtes très vite impliquée dans la sphère publique. Il y a évidemment votre activité pour promouvoir la culture espagnole, favoriser les échanges avec notre pays. A ce titre, vous avez su mettre, il y a quelques années, "Paris à l'heure espagnole". Mais vous êtes aussi une militante passionnée, - je sais combien ce terme est fort en espagnol -, de nombreuses causes. Il y a l'action syndicale où vous vous affirmez comme une interlocutrice de grande qualité, en tant que présidente de la fédération des services publics de l'UGT. Vous êtes aussi très impliquée dans des associations féminines, ainsi qu'une figure de la communauté espagnole en France
C'est donc à cette personnalité complète, qui incarne à mes yeux le plein épanouissement d'une citoyenne européenne, que j'ai voulu rendre hommage aujourd'hui.
Notre itinéraire européen nous conduit maintenant de l'Espagne vers le nord des Pyrénées, plus précisément à Toulouse, terre de mission de Geneviève Saint-Hubert. Voilà trois ans que vous avez été portée à la présidence de la fédération française des Maisons de l'Europe. Cette responsabilité récompense fort justement votre activité à la tête de la Maison de l'Europe de Toulouse, sans doute la plus dynamique en France.
Mais, devant vous, ce soir, comment ne pas penser d'abord aux victimes de la terrible catastrophe qui a frappé votre ville magnifique ? Nous devions nous y retrouver, le lundi 24 septembre, pour le forum régional Midi-Pyrénées, organisé dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'Europe lancé au Conseil européen de Nice. Cette rencontre a été évidemment reportée. Je sais combien vous aviez activement contribué à sa préparation. Une fois encore, vous vous étiez impliquée pour faire que cette Europe lointaine, pas toujours intelligible, soit un peu plus familière à nos concitoyens.
Là aussi, votre parcours reflète à la fois beaucoup de cohérence et de persévérance. Après des études supérieures de langues, surveillante de collège au début des années 80, puis chargée des relations internationales de l'université de Toulouse, des voyages en Amérique et en Allemagne ont joué un grand rôle dans vos choix futurs. C'est, je crois, au retour de Berlin, en 1982, que vous avez eu l'idée de ce concept de Maison de l'Europe, à l'époque très innovant. Il a fallu ensuite batailler jusqu'en 1986, pour créer la maison de l'Europe de Toulouse que vous dirigez toujours. Vous êtes, à ce titre, un véritable partenaire de l'action que mène le ministère des Affaires européennes, avec le soutien des institutions de l'Union, pour rendre l'Europe populaire. J'ai pu l'apprécier de manière très concrète dans la fonction que j'occupe notamment à l'occasion de la mise en place d'un réseau de relais d'information sur l'Europe dans les régions et les départements.
Vous ne ménagez ni vos efforts, ni votre enthousiasme, face aux défis actuels qui ne manquent pas. Je pense d'abord à l'introduction des pièces et des billets en euros, le 1erjanvier prochain. Vous avez conduit, m'a-t-on rapporté, une action exemplaire destinée aux personnes âgés. Il y a aussi le débat sur l'avenir de l'Europe que j'évoquais à l'instant. Pour parvenir à impliquer des acteurs de la société civile, au-delà des cercles habituels, comme nous le souhaitons, votre concours est précieux.
J'en viens maintenant à Laurent Cohen-Tanugi. Vous êtes aujourd'hui un avocat international de renom, inscrit aux barreaux de Paris et de New York, spécialiste reconnu du droit des industries de la communication. Mais cette activité ne résume pas votre parcours ou plutôt elle structure une pensée qui s'épanouit également dans la science politique et le militantisme européen, comme membre du bureau national du Mouvement européen. Ces quelques traits traduisent bien, me semble-t-il, votre souci permanent de penser en praticien, et d'agir en penseur.
Au risque d'être réducteur, il me semble que le fil à dérouler pour vous suivre serait américain. Il commence avec vos études à l'université Harvard, au début des années 80, après l'Ecole normale supérieure, deux hauts lieux de la connaissance. Bien avant que la mondialisation n'imprègne la réalité et le discours, vous êtes allé puiser aux meilleures sources. C'est à la Harvard law school, sur les bancs d'un cours de droit de la concurrence, que vous rencontrerez Jodie, qui deviendra votre épouse. Bien évidemment, votre professeur était éminent à tel point qu'il faillit être nommé juge à la Cour suprême. Mais reconnaître qu'il avait fumé dans sa jeunesse ce que l'on appelle, je crois, de l'herbe, lui fut fatal. Vous nous direz s'il réunissait, chez lui le soir, ses meilleurs étudiants pour approfondir la jurisprudence de la fair trade commission. Ce séjour à Boston sera déterminant pour la suite. Je pense d'abord au plus prégnant, c'est-à-dire la formation d'une pensée, exposée dans votre premier essai "le droit sans l'Etat", qui fera date en 1985. A juste titre, certains commentateurs ont perçu des accents tocquevilliens dans vos réflexions sur la représentation politique et les institutions en France et aux Etats-Unis. Cette matrice de votre pensée s'est ensuite développée dans de multiples ouvrages, principalement consacrés à la construction européenne. Je me souviens que vous aviez proclamé "l'Europe en danger" au lendemain du traité de Maastricht, anticipant bien les défis existentiels que nous avons aujourd'hui à relever.
Pour nuancer ce portrait très sérieux, j'évoquerai aussi les jardins secrets que vous arpentez entre deux fusions-acquisitions, tout particulièrement la guitare. Il m'est revenu qu'en marge de la négociation du rééchelonnement de la dette d'un grand pays africain ami de la France, vous aviez gagné un concours de rock and roll.
Avant de vous remettre votre distinction, je ne peux m'empêcher de penser que cette cérémonie n'est pas comme les autres. L'ombre du drame effroyable du 11 septembre dernier pèse sur nos curs et nos esprits, tout particulièrement compte tenu des liens qui unissent Laurent Cohen-Tanugi et sa famille à New York et aux Etats-Unis.
Beaucoup d'émotion, de solidarité et de détermination caractérisent la réaction de la communauté internationale. Dans le contexte nouveau issu de ces événements, l'Union européenne est mise brutalement face à ses responsabilités pour lutter contre le terrorisme, mais aussi pour promouvoir un nouvel ordre mondial, plus équitable. Ces défis mettent en pleine lumière, me semble-t-il, un besoin urgent d'Europe, la nécessité d'approfondir l'intégration dans certains domaines, d'accélérer la marche vers l'Europe politique. Nous ne sommes pas à convaincre, vous tous, nous tous ici dont le parcours est intimement lié à cette grande ambition européenne, le plus souvent par un engagement actif au sein du Mouvement européen. Mais les évolutions sont rarement spontanées et nous devrons donc redoubler d'efforts - votre énergie et votre imagination seront précieuses - pour bien faire comprendre à nos concitoyens le sens de cette entreprise, les grands choix devant nous. Vous le voyez, nous sommes au cur du débat sur l'avenir de l'Europe. L'Europe n'a vraisemblablement pas fini de nous étonner. C'est sur cette note optimiste, empruntée à Laurent Cohen-Tanugi, que je terminerai.
Maria-Isabel Florès, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalière dans l'Ordre national du Mérite.
Geneviève Saint-Hubert, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalière dans l'Ordre national du Mérite.
Laurent Cohen-Tanugi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans l'Ordre national du Mérite
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)