Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social dans "Libération" du 2 décembre 2013, sur les travailleurs détachés et la sous traitance.

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Q - Pourquoi la France tient-elle tant à réviser cette directive ?
R - À sa création, en 1996, ce texte a été écrit pour protéger les salariés. Notamment les Français qui souhaitent pouvoir travailler dans un autre pays de l'UE tout en restant affiliés à notre système de protection sociale. Mais l'élargissement aux pays de l'Est, combiné à la crise de 2008, a détourné la directive de ses objectifs, entrainant un véritable dumping social. Chaque pays a voulu exporter son chômage de masse.
Le nombre de travailleurs détachés en France a explosé. De 145.000 personnes en 2011, nous sommes passés à 170.000 en 2012 et + 30 % en 2013. En quatre ans, leur nombre a plus que doublé. Et encore, dans le secteur du bâtiment - le plus impacté - on estime que seule une entreprise sur deux les déclare.
Q - Comment endiguer ce phénomène ?
R - En faisant d'abord respecter les règles existantes. Contrôler davantage. Ce sont les entreprises du bâtiment elles-mêmes qui le demandent. En complétant ensuite notre arsenal juridique. Aujourd'hui, lorsqu'une entreprise français passe un contrat avec une autre basée dans un pays de l'Est, elle n'est tenue responsable du non -respect par son sous-traitant du droit du travail français que dans un nombre très limité de cas. Demain, elle en sera pleinement responsable.
Il faut pouvoir aussi agir contre les mécanismes sophistiqués de détachements de travailleurs. Par exemple, pour un chantier en France, une entreprise française peut contracter avec une société irlandaise. Mais cette dernière va ensuite voir une entreprise lituanienne qui sous-traite à une polonaise. Cette dernière est elle-même en accord avec une roumaine, laquelle envoie enfin des ouvriers travailler sur le chantier français de la toute première entreprise. Or, si au milieu de cette chaîne, certaines sociétés sont en infraction, le donneur d'ordre ne peut en être tenu responsable. La bataille est donc européenne.
Q - Quelle sera la position de la France, le 9 décembre à Bruxelles ?
R - Nous voulons que ce principe de responsabilité solidaire s'applique partout en Europe. Nous voulons aussi pouvoir continuer à demander tous les documents prouvant qu'un des sous-traitants respecte bien le droit français : temps de travail, repos hebdomadaires, salaire minimum, égalité hommes-femmes, modalités d'hébergement...
Q - Pensez-vous réussir à constituer une majorité qualifiée ?
R - Les libéraux, Grande-Bretagne en tête, refusent d'avoir plus de contrôles. Au dernier conseil, ce camp était à l'offensive. Mais la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Espagne, la Belgique ou encore le Luxembourg se sont levés pour dire non lorsque la présidence lituanienne a décidé de mettre aux voix. Le temps de la contre-offensive est arrivé. Celle d'une alliance entre les pays du coeur de l'Europe continentale et de nouveaux entrants de l'Est, comme la Roumanie et la Bulgarie, bien plus préoccupés de la situation de leurs salariés que du seul intérêt à court terme de leurs entreprises.
Q - Si aucun accord n'est trouvé, les eurosceptiques ne vont-ils pas railler une fois de plus l'impuissance française à Bruxelles ?
R - Une chose est claire : nous refuserons un accord au rabais. Pas d'accord vaut mieux qu'un mauvais accord. La bataille continuera ensuite sur une question simple qui bloque. Deux gouvernements libéraux du parti populaire européen (PPE) auquel appartient l'UMP de MM Copé et Fillon. Ce sera dès lors un enjeu de la campagne des européennes.
Q - Outre les fraudes, le paiement des cotisations sociales dans le pays d'origine - avec un avantage comparatif allant jusqu'à 30 % - crée aussi des distorsions de concurrence.
R - Les cotisations sociales doivent continuer à être payées dans le pays d'origine. Ne pas le faire serait contraire à la liberté de circulation et pénaliserait nos propres détachés - 2e contingent en Europe derrière les Polonais et à égalité avec les Allemands - qui veulent continuer à cotiser en France. La solution à ce problème réside dans une autre bataille : celle de l'Europe sociale, le combat pour un socle minimal de droits sociaux en Europe. De ce point de vue, une des difficultés majeures vient de se régler : un salaire minimum va être crée en Allemagne. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2013