Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, à "France Inter" le 2 décembre 2013, sur les hausses de TVA pour aider à la compétitivité des entreprises.

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Texte intégral

PATRICK COHEN
Êtes-vous passé à votre bureau hier à Bercy ?
BERNARD CAZENEUVE
Non, pas hier.
PATRICK COHEN
Donc vous n'avez pas vu si les manifestants du Front de Gauche étaient sept mille ou cent mille.
BERNARD CAZENEUVE
Non, je ne l'ai pas vu. Je lis les revues de presse comme vous, j'écoute les déclarations.
PATRICK COHEN
C'est dommage. Vous auriez pu regarder par votre fenêtre et vous faire une idée.
BERNARD CAZENEUVE
J'ai travaillé hier beaucoup et au calme, et je n'étais pas à Bercy.
PATRICK COHEN
Pas à Bercy. Sur le fond, que répondez-vous à Jean-Luc MÉLENCHON et au Front de Gauche ? Comment justifier ces hausses de TVA que MÉLENCHON et ses amis présentent comme l'impôt le plus injuste et qui vont faire augmenter les prix dans la restauration, dans les transports, et cætera ?
BERNARD CAZENEUVE
Je réponds deux choses à Jean-Luc MÉLENCHON. D'abord Jean-Luc MÉLENCHON veut que la fiscalité change et qu'elle soit plus juste : c'est précisément ce que nous faisons. Il doit avoir à l'esprit que nous avons aligné la fiscalité du travail sur celle du capital. Il doit avoir à l'esprit que nous avons modifié la fiscalité qui s'applique aux droits de succession. Il doit avoir à l'esprit que nous avons pris pas moins de soixante mesures contre l'optimisation fiscale des grands groupes et engagé avec Christiane TAUBIRA une lutte résolue contre la fraude fiscale qui nous a conduit à faire adopter par l'Assemblée nationale une loi volontariste qui met en place un parquet financier et qui durcit les peines qui s'appliquent à ceux qui fraudent. J'ai pris moi-même une circulaire au mois de juin dernier qui conduit aujourd'hui plus de huit mille cinq cents fraudeurs à déposer des dossiers de régularisation devant l'administration fiscale, c'est-à-dire plus en trois mois qu'au cours des quatre dernières années. Donc ceux qui veulent aller récupérer sur les fraudeurs de l'argent que les fraudeurs doivent au pays, ceux qui veulent plus de justice fiscale, ce sont ceux qui, confrontés à la réalité, essayent de faire en sorte que notre fiscalité évolue, qu'elle soit plus juste, que le consentement à l'impôt soit renforcé et nous le faisons dans un contexte où nous devons aussi redresser les comptes publics. Donc je dis à Jean-Luc MÉLENCHON que le commentaire, c'est sans doute un exercice facile, quand d'autres confrontés à la réalité s'emploient à faire en sorte que notre pays se redresse.
PATRICK COHEN
La TVA, c'est parce que vous ne pouvez pas faire autrement ?
BERNARD CAZENEUVE
Non. Sur le TVA je réponds deux choses à Jean-Luc MÉLENCHON. Il y a un point de désaccord entre nous : lui considère qu'il n'y a pas de problème de compétitivité et que nos entreprises n'ont pas besoin d'être accompagnées dans la concurrence internationale. Moi je considère qu'il y a un problème de compétitivité, qu'il faut baisser le coût du travail et, contrairement à nos prédécesseurs qui avaient augmenté le taux de TVA à 21,2 pourcents, nous l'avons ramené à vingt pourcents.
PATRICK COHEN
Enfin, ils l'avaient augmenté mais ça n'a pas été appliqué.
BERNARD CAZENEUVE
Nous faisons vingt milliards d'efforts sur la compétitivité des entreprises. Ces vingt milliards, nous les finançons comment ? La moitié par des économies en dépenses, une partie par la fiscalité écologique parce qu'il est bon que la diminution du coût du travail soit financée par une fiscalité de rendement qui permette d'avoir des comportements plus vertueux. Et enfin, nous le faisons par l'augmentation de la TVA qui ne touchera pas les produits de première nécessité qui seront maintenus au taux réduit et pour le taux intermédiaire, comme vous l'avez remarqué, nous ferons en sorte à travers des mesures qui sont en loi de finance pour 2014, d'accompagner les secteurs les plus en difficulté, notamment ceux de l'artisanat et du bâtiment : taux réduit de TVA sur la construction de logement social - ça devrait plaire à Jean-Luc MÉLENCHON - et sur les petites réparations, taux réduit de TVA sur la rénovation thermique, extension de l'assiette de ce taux réduit aux travaux induits de manière à prendre à travers une assiette large le maximum d'activités qui font de la croissance et ce qui devrait plaire également à Jean-Luc MÉLENCHON, c'est qu'après deux ans de gel du barème de l'impôt sur le revenu, je propose un budget dans lequel on réindexe le barème, on met en place une décote, on augmente le revenu fiscal de référence.
PATRICK COHEN
Bon, on ne va pas faire tout le budget.
BERNARD CAZENEUVE
Beaucoup, beaucoup de choses pour le pouvoir d'achat, et je pourrais encore en rajouter si vous le laissiez le temps de le faire, ce que vous ne faites pas et ce n'est pas gentil.
PATRICK COHEN
Si, si, c'est gentil parce qu'on va parler d'autres mesures fiscales.
BERNARD CAZENEUVE
J'aurais beaucoup de choses à dire à Jean-Luc MÉLENCHON.
PATRICK COHEN
Oui, je vois que vous l'avez cité énormément. Les Bonnets Rouges vous ont fait reculer sur l'écotaxe. Vous ne reculerez pas sur les hausses de TVA, Bernard CAZENEUVE.
BERNARD CAZENEUVE
Sur les hausses de TVA, nous avons pris une position il y a plus d'un an qui a fait l'objet d'aménagements dans le cadre de la loi de finance pour faire en sorte que cette augmentation de la TVA qui est destinée à restaurer la compétitivité des entreprises n'obère pas le pouvoir d'achat des ménages et n'obère pas la croissance. Je viens de vous dire ce que nous avons fait et nous continuons à discuter avec un certain nombre de secteurs dont nous parlerons peut-être sur ce sujet.
PATRICK COHEN
Justement, les centres équestres qui continuent de manifester ce matin ?
BERNARD CAZENEUVE
Sur les centres équestres, je vais dire des choses extrêmement précises. D'abord, nous sommes déterminés avec eux. Je le leur ai dit à plusieurs reprises et Stéphane LE FOLL également pour que nous trouvions une solution. Quel est le problème ? En 2004, le gouvernement de Jacques CHIRAC a décidé de mettre en place un taux réduit de TVA qui n'était pas conforme à la réglementation européenne. La France a été condamnée. Elle a été condamnée en mars 2012 à se mettre en conformité avec les textes européens et nous sommes désormais dans une procédure de manquement sur manquement, et si nous n'adaptons pas notre taux de TVA aux réglementations européennes, ce sont des amendes très significatives qui nous serons appliquées.
PATRICK COHEN
C'est-à-dire ? Des millions d'euros ? Des dizaines de millions ?
BERNARD CAZENEUVE
Des millions d'euros. Et je vais d'ailleurs vous dire que l'an dernier, ce sont plusieurs milliards d'euros que nous avons dû payer en raison de contentieux européens qu'avait laissé prospérer la précédente majorité, je pense notamment au contentieux OPCVM. Notre démarche est très claire sur les centres équestres et je veux leur envoyer un message fort ce matin. 1/ Nous sommes déterminés à agir avec eux et avec l'ensemble des forces politiques françaises qui devront s'associer à nous pour que dans le cadre de la révision de la directive TVA dont les négociations commenceront à la fin de l'année et aboutiront en 2015, le taux réduit de TVA sur les centres équestres soit bien inscrit dans la nouvelle directive.
PATRICK COHEN
Taux réduit, c'est-à-dire dix pourcents ?
BERNARD CAZENEUVE
Non. Ça peut être dix, ça peut être 5,5, ça dépendra de la négociation. En tous les cas, le gouvernement français – Stéphane LE FOLL l'a rappelé à plusieurs reprises, nous agirons ensemble sur ce point – est prêt à obtenir cela. Premier point. Deuxième point : nous ne pouvons pas faire autrement que de nous mettre en conformité si nous voulons que la négociation aboutisse, parce que si nous crispons la discussion avec l'Union européenne, nous perdons des chances tactiquement d'aboutir à l'issue. Donc pendant la période transitoire, que proposons-nous ? Un fonds cheval qui permet aux centres équestres de ne pas voir leur activité obérer et, par ailleurs, nous disons à la Commission européenne : « Nous allons négocier avec vous. Nous mettons en place un dispositif transitoire. Est-ce que vous acceptez pendant la période transitoire que sur les centres équestres au titre de l'activité sportive qu'ils développent, on puisse mettre en place un taux intermédiaire de dix pourcents ? » Il y a deux hypothèses : soit la Commission l'accepte – elle nous a dit le contraire jusqu'à présent, mais tant mieux : nous faisons une dernière tentative.
PATRICK COHEN
Sur une partie des activités, c'est ça ?
BERNARD CAZENEUVE
Sur une partie des activités : les activités des centres équestres au titre de leurs activités sportives. Soit elle le refuse et, dans ce cas-là, les contrats dont bénéficient les centres équestres et qui sont au taux réduit de TVA pourront s'appliquer jusqu'à la fin de l'année. Deuxièmement, il y aura ce fonds qui aidera les centres équestres à ne pas subir les effets de l'augmentation de la TVA. Et troisièmement, ensemble avec eux, nous ferons tout pour obtenir qu'en 2015 le taux réduit de TVA s'applique de nouveau. Donc je pense qu'il serait souhaitable, et je les appelle à travailler avec nous pour que ces objectifs soient atteints. Ils sont à notre portée. Et pour qu'on atteigne ces objectifs, il faut dire la vérité, la vérité sur le dossier c'est exactement et scrupuleusement ce que je viens de dire. Deuxièmement, que nous agissions ensemble. Et troisièmement, qu'un certain nombre de discours sur l'équitaxe qui n'existe pas – il n'y a aucune équitaxe de créée : c'est simplement une augmentation du taux de TVA rendue nécessaire par une condamnation de la France – que tout ce discours cesse et qu'ensemble nous agissions pour atteindre l'objectif que précisément nos interlocuteurs du monde équestre veulent atteindre. C'est un secteur que je connais bien, j'ai été premier vice-président de la région Basse-Normandie et j'ai participé à la mise en place des Jeux équestres mondiaux. C'est un secteur que j'ai toujours accompagné et aidé, dont je comprends les difficultés et qui peut avec nous trouver une issue mais aujourd'hui, il est temps sur ce sujet de dire ensemble.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2013