Texte intégral
Point de presse :
Je voudrais remercier Mme Teresa Moura de son invitation qui me fait passer la journée à Lisbonne avec le président de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, M. Alain Barrau. J'ai d'ailleurs été auditionné, ce matin, par la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée portugaise. Je rencontrerai aussi ce soir le Premier ministre portugais, M. Antonio Guterres, mais nous avons surtout eu une longue réunion de travail, un déjeuner de travail, dans un climat tout à fait amical. Mme Teresa Moura vient de dire quels étaient les sujets dont nous avions parlé. Je vais donc partir de cette présentation en disant qu'il me semble que, par-delà des différences normales, des nuances, la France et le Portugal abordent les étapes à venir de la construction européenne dans un esprit très commun.
Nous sommes, les uns et les autres, favorables à une Union européenne élargie et à un élargissement qui puisse être mené dans les meilleurs délais. Le Conseil européen de Göteborg a rappelé qu'il s'agissait là d'un mouvement irréversible. Nous nous inscrivons dans ce mouvement avec une volonté qui est de réussir l'élargissement, de faire en sorte que ces négociations soient menées jusqu'à leur terme, rapidement et sérieusement.
Sur l'avenir de l'Union européenne, je crois, là aussi, que beaucoup de points nous rapprochent. J'en citerai quelques-uns uns : d'abord la volonté que l'Europe soit un modèle de civilisation, que l'Europe soit fondée sur des valeurs, que l'Europe ne soit pas qu'un marché. C'est pour cela, par exemple, que nous partageons avec le Premier ministre Guterres et avec nos amis portugais la volonté que la Charte des Droits fondamentaux soit intégrée dans les traités.
Nous souhaitons une Union européenne qui soit gouvernée par le triangle institutionnel actuel fortement rénové, et c'est pour cela que nous pensons, comme nos amis portugais, que la Commission européenne doit avoir son rôle renforcé, que le Conseil européen doit voir son rôle renforcé.
Nous avons des approches qui sont également ambitieuses sur le contenu des politiques européennes. Nous pensons, les uns et les autres, que la substance doit l'emporter sur la forme, que le contenu est très important, plutôt que le contenant. C'est à dire que les institutions, c'est très important, mais qu'on ne fait pas une réforme uniquement pour des institutions. On réforme les institutions pour mener de bonnes politiques et ces bonnes politiques sont des politiques pour les citoyens. C'est dans ce contexte-là que nous allons nous inscrire ensemble dans le débat sur l'avenir de l'Union européenne élargie.
Nous avons, je crois, aussi, des visions proches de ce que peut être le Conseil européen de Laeken qui devrait déboucher sur la mise en place d'une enceinte ouverte élargie, plus au moins sur le modèle de la convention qui a élaboré la Charte des Droits fondamentaux, avec peut-être des modalités de fonctionnement différentes, compte tenu du fait que nous sommes là dans un exercice quasi constitutionnel.
Bref, sur l'avenir de l'Europe nous sommes décidés à avancer ensemble et j'ai dit à Mme Teresa Moura à quel point nous avions apprécié l'intervention du Premier ministre devant l'Assemblée portugaise, qui nous a semblé d'une philosophie tout à fait compatible avec la nôtre.
Enfin, sur l'approche du cycle commercial multilatéral de l'OMC, là aussi il y a une très large convergence. Premièrement, pour souhaiter que ce cycle puisse se tenir. Il est important que nous ayons cette réunion de Doha. Deuxièmement, pour souhaiter que ce soit un succès. Je crois que nous ne pouvons pas nous permettre, après Seattle, un deuxième échec. Troisièmement, pour demander qu'on travaille sans délais à cette réussite. Quatrièmement, pour continuer de demander qu'on ait de ce cycle une approche globale et ambitieuse. Dans la discussion commerciale multilatérale, on doit, c'est la vision européenne, intégrer des sujets comme les normes sociales, comme l'environnement, comme le développement. On ne peut pas avoir une négociation fragmentée, secteur par secteur, qui n'est dans l'intérêt, ni de la planète, dans un univers globalisé, ni de l'Europe. Donc, je crois que pour nous, Portugais et Français, la position qui a été celle de l'Union européenne en 1999 reste la base sur laquelle nous devons discuter, étant entendu bien sûr que nous savons que Doha ne sera qu'un début. Donc, nous devons y entrer aussi avec un esprit de flexibilité et de négociation.
Voilà, donc, de mon point de vue, quelles ont été, très rapidement résumées, les grandes lignes de nos entretiens qui font apparaître à la fois une volonté et des capacités de travailler ensemble.
Q - Je sais que vous avez eu un rôle fondamental à la fin des négociations du Traité de Nice, que vous défendez le Traité de Nice, mais cependant il y a des voix, notamment la voix de l'ancien président Jacques Delors, qui sont contre le traité. Comment est-il possible d'articuler les deux thèses ? Est-il possible de penser à une anticipation de la CIG 2004 ? Après le référendum irlandais, vient maintenant le péril d'une nouvelle situation semblable en Autriche, c'est ma dernière question, la possibilité de ce nouveau référendum qui est demandé par les Autrichiens.
R - D'abord, vous savez, je n'ai pas de fierté d'auteur sur le Traité de Nice. Je peux vous faire la confidence que le Traité de Nice n'est pas tel que je l'aurais rêvé. J'aurais souhaité personnellement que l'on aille beaucoup plus loin sur certains points. Je vais vous en donner deux ou trois.
J'aurais aimé que la Commission européenne sorte renforcée de Nice, ce qui voulait dire qu'on n'aurait pas un commissaire par Etat membre et qu'on aurait un plafonnement de la Commission. J'aurais aimé qu'on aille plus loin en matière de vote à la majorité qualifiée, en matière d'harmonisation fiscale, en matière d'harmonisation sociale. J'aurais peut-être souhaité qu'on soit encore plus équitable en terme de voix au Conseil.
Donc, pour moi, Nice est loin d'être un traité parfait. Mais, j'y insiste, c'est le meilleur traité possible dans l'état de l'Union. Nous l'avons fait ensemble, à Quinze. Il ne traduit pas telle ou telle présidence, telle ou telle vision et encore moins telle ou telle personne, mais l'état actuel de l'Union. Nice, c'est ce que nous pouvions faire de mieux à Nice, collectivement. J'ajoute une deuxième chose, c'est que ce traité est un traité nécessaire. Sans Nice, l'élargissement est toujours possible évidemment, et toujours souhaitable, il se poursuivra, mais il se complique. Nous avons besoin de Nice pour réussir l'élargissement vite. C'est pour cela que je ne suis pas d'accord avec les voix qui laissent entendre que le Traité de Nice n'est pas un traité nécessaire. Ce n'est pas de Jacques Delors dont je parle, mais peut-être d'autres présidents de la Commission, M. Prodi, pour être clair.
Il était logique que ce traité provoque des frustrations. Il y a ceux qui trouvent que ce traité est trop intégrateur. C'est le cas, notamment, de bon nombre de gens qui ont voté non au référendum en Irlande. Il ne faut pas s'y tromper. Ce n'est pas un vote pour plus d'Europe, le non en Irlande, c'est un vote pour moins d'Europe, une Europe plus neutre, moins intégrée avec des valeurs peut être plus affaiblies, notamment, par exemple, le refus de l'avortement, qui était un déterminisme extrêmement fort dans ce pays.
Il y a ceux qui auraient souhaité qu'on fasse plus, c'est le cas de Jacques Delors. Mais j'observe que Jacques Delors, tout en étant critique sur le Traité de Nice, lorsqu'il a été interrogé le matin du débat parlementaire, sur la question de savoir s'il voterait le Traité de Nice s'il était parlementaire, a répondu : ce n'est pas un bon traité, mais je le voterai parce que c'est un traité nécessaire. Donc ne faisons pas dire à Jacques Delors ce qu'il n'a pas dit. Il n'a pas dit qu'il ne fallait pas de Traité de Nice. Il a dit que ce traité était là, qu'il était nécessaire, et je suis d'accord avec lui. Il fallait voter Nice, il faut voter Nice, d'abord parce que c'est notre oeuvre collective, parce que c'est un traité nécessaire à l'élargissement.
Deuxième question : pour ce qui est de l'anticipation de la CIG en 2004, pourquoi pas ? A une condition, c'est que cela se fasse sur la base de travaux qui aient bien avancé avant. Et donc il faut prendre cette affaire en marchant. Commençons par réussir le débat national, allons ensuite au débat européen et, s'il est possible de le conclure plus vite que prévu, pourquoi pas ? Mais je ne suis pas dans la logique, encore une fois, qui est celle du président de la Commission actuel, qui consiste à dire : si nous ne réussissons pas à faire adopter Nice, alors allons plus vite sur la prochaine CIG. Je crois encore une fois que notre intérêt collectif, celui des pays membres, celui des pays candidats, c'est de ratifier Nice et de le ratifier vite, et je me réjouis que le Parlement portugais s'apprête à le faire en octobre 2002.
Enfin, troisième question, je ne suis pas le mieux placé pour parler de la politique autrichienne, mais il me semble que ceux qui demandent un référendum appartiennent au parti qui n'est pas le mieux à même d'incarner les valeurs européennes. Je parle du parti de M. Haïder, et quand on demande un référendum, alors que c'est pas forcément prévu dans la constitution, malheureusement c'est souvent pour voter non. Voilà, M. Haïder n'est pas, ne peut pas être, ne sera jamais, même pour voter sur l'Europe, mon modèle./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2001)
Interview à "Publico" :
Q - Vous avez débattu à Lisbonne des questions concrètes de l'élargissement. Y a-t-il un rapprochement en matière de fonds structurels et de réforme de la PAC (Politique agricole commune) ?
R - Nous avons, principalement, débattu de deux questions. D'abord de l'élargissement, et de la préoccupation qui est la nôtre d'une bonne reprise formelle de l'acquis communautaire par les pays candidats, mais aussi de leur capacité à appliquer ces acquis. La présidence belge a demandé à la Commission d'élaborer un rapport de progrès d'ici le sommet de Gand, en octobre, ce qui a tout son sens puisque l'élargissement se rapproche.
La deuxième question dont nous avons débattu concerne la manière de conjuguer les réformes européennes qui nous attendent et l'élargissement. J'ai dit à Teresa Moura que ces deux exercices devraient à la fois s'articuler et être distincts l'un de l'autre. Nous pensons que l'on ne doit pas mélanger les négociations financières avec celles de l'élargissement, ce qui risquerait de les compliquer et de les retarder.
Nous devons négocier avec les pays candidats sur la base de l'acquis actuel. Et nous devons traiter la négociation du paquet financier dans les délais prévus, c'est-à-dire 2005/2006. Mais nous n'acceptons pas que l'accord financier en vigueur soit mis en cause avant cette échéance.
Q - La France est-elle préparée à une réforme de la PAC ?
R - Elle est préparée et elle y travaille. Comme nos amis portugais, nous pensons que la PAC et les politiques structurelles sont des politiques communes qui peuvent être adaptées, renforcées, mais que l'on ne peut pas les révolutionner, ni moins encore les remettre en cause.
Q - Avez-vous abordé avec votre homologue portugais la question de l'impôt européen ?
R - Nous avons également évoqué cette question. La France a une position ouverte. On parle beaucoup de fédéralisme mais on n'en retire pas toujours toutes les conclusions qui s'imposent. Un fédéralisme "au rabais", avec des politiques communes réduites, n'a aucun sens. Si l'on parle de fédéralisme, il faut alors aussi parler de budget fédéral.
Le fédéralisme budgétaire suppose que l'on définisse des politiques communes. Une fédération a une justice, les éléments d'une police, d'une défense, d'une monnaie. Les ressources doivent être plus importantes et non pas moindres que celles de l'actuelle Union. Faire une fédération avec un budget de 1,09 pour cent du PIB n'a aucun sens. Donc, j'estime que la réflexion sur un impôt européen doit faire partie de la réflexion institutionnelle. Il n'y a pas de tabous.
Q - Votre approche du fédéralisme ressemble beaucoup à celle du Premier ministre portugais. Mais les propositions de Jospin ne sont pas tout à fait fédéralistes, contrairement à celles du chancelier allemand. Sera-t-il possible de réussir un accord entre les deux pays afin d'établir l'agenda de la prochaine réforme ?
R - Il n'y a ni "une position allemande", ni "une position française". Il y a, pour le moment, des contributions diverses...
Q - Mais il y a des sensibilités propres aux deux pays qui semblent contradictoires...
R - Le discours de Lionel Jospin n'est pas très proche des propositions du SPD. En revanche, il y a une familiarité évidente avec le discours du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer. Tous les deux proposent une fédération d'Etats-nations. La porte-parole des Verts allemands, Mme Roth, a exprimé un soutien à la vision de Lionel Jospin. Jurgen Habermas, le "maître à penser" du SPD et de Joschka Fischer, a écrit deux articles qui soutenaient également les idées de Lionel Jospin. Cela prouve qu'il est possible de trouver un terrain commun.
Lors du Conseil européen de Laeken, en décembre, la méthode de la prochaine réforme sera discutée. La France et l'Allemagne travaillent en commun à ce sujet, et il ne serait pas surprenant qu'il y ait une proposition commune.
Nous avons discuté de la création d'une Convention, probablement plus élargie que celle qui a préparé la Charte des Droits fondamentaux, incluant les pays candidats, et qui permette d'associer la société civile, selon des modalités encore à définir. Cette convention, dans un esprit de consensus, travaillera à la définition, non pas d'un texte abouti, mais d'articulations. La décision finale appartiendrait ensuite à une CIG de courte durée. Voilà quelques-unes des idées sur lesquelles nous travaillons ensemble, entre autres avec les Allemands.
Q - Au Portugal on a le sentiment que la France penche plutôt vers la nécessité de mise en place d'un "noyau dur" de pays - les plus riches et les plus puissants, les fondateurs - capable de réaliser l'idée d'une Europe-puissance, ce qui a toujours été l'ambition française. Il ne s'agit pas là tellement des idées de Jospin, mais plutôt des idées de Chirac ou de Delors.
R - Nous sommes dans un débat libre où toutes les opinions sont recevables. Les idées que vous évoquez traversent toutes les familles politiques françaises, y compris celle des socialistes. Il existe la thèse de Dominique Strauss-Kahn, celle d'un noyau dur constitué autour de l'euro; il y a aussi les idées de Jacques Delors, plutôt autour des six pays fondateurs, etc...
Mais vous avez certainement remarqué que le discours de Lionel Jospin ne va pas dans ce sens. Son projet, qui est également celui que je défends, est celui d'une Europe élargie qui puisse être une fédération d'Etats-nations.
Nous souhaitons également une Europe-puissance mais ce pouvoir de l'Europe doit lui venir aussi de son nombre et de son unité. La question du nombre de pays membres pose, naturellement, certains problèmes, et exige également d'agir avec souplesse. Nous refusons une Europe à deux vitesses. Nous préférons une Europe à géométrie variable, à partir de coopérations renforcées. Ce qui est différent de la thèse de l'avant-garde.
Q - Mais vous souhaitez une Europe-puissance ...
R - Oui, mais nous sommes pour la puissance européenne et non pour des puissances en Europe, ou pour un directoire. Nous ne sommes pas pour une Europe gouvernée par la France et par l'Allemagne, mais pour une Europe qui accepte de s'assumer en tant qu'espace uni, ayant vocation à jouer un rôle mondial
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2001)
Je voudrais remercier Mme Teresa Moura de son invitation qui me fait passer la journée à Lisbonne avec le président de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, M. Alain Barrau. J'ai d'ailleurs été auditionné, ce matin, par la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée portugaise. Je rencontrerai aussi ce soir le Premier ministre portugais, M. Antonio Guterres, mais nous avons surtout eu une longue réunion de travail, un déjeuner de travail, dans un climat tout à fait amical. Mme Teresa Moura vient de dire quels étaient les sujets dont nous avions parlé. Je vais donc partir de cette présentation en disant qu'il me semble que, par-delà des différences normales, des nuances, la France et le Portugal abordent les étapes à venir de la construction européenne dans un esprit très commun.
Nous sommes, les uns et les autres, favorables à une Union européenne élargie et à un élargissement qui puisse être mené dans les meilleurs délais. Le Conseil européen de Göteborg a rappelé qu'il s'agissait là d'un mouvement irréversible. Nous nous inscrivons dans ce mouvement avec une volonté qui est de réussir l'élargissement, de faire en sorte que ces négociations soient menées jusqu'à leur terme, rapidement et sérieusement.
Sur l'avenir de l'Union européenne, je crois, là aussi, que beaucoup de points nous rapprochent. J'en citerai quelques-uns uns : d'abord la volonté que l'Europe soit un modèle de civilisation, que l'Europe soit fondée sur des valeurs, que l'Europe ne soit pas qu'un marché. C'est pour cela, par exemple, que nous partageons avec le Premier ministre Guterres et avec nos amis portugais la volonté que la Charte des Droits fondamentaux soit intégrée dans les traités.
Nous souhaitons une Union européenne qui soit gouvernée par le triangle institutionnel actuel fortement rénové, et c'est pour cela que nous pensons, comme nos amis portugais, que la Commission européenne doit avoir son rôle renforcé, que le Conseil européen doit voir son rôle renforcé.
Nous avons des approches qui sont également ambitieuses sur le contenu des politiques européennes. Nous pensons, les uns et les autres, que la substance doit l'emporter sur la forme, que le contenu est très important, plutôt que le contenant. C'est à dire que les institutions, c'est très important, mais qu'on ne fait pas une réforme uniquement pour des institutions. On réforme les institutions pour mener de bonnes politiques et ces bonnes politiques sont des politiques pour les citoyens. C'est dans ce contexte-là que nous allons nous inscrire ensemble dans le débat sur l'avenir de l'Union européenne élargie.
Nous avons, je crois, aussi, des visions proches de ce que peut être le Conseil européen de Laeken qui devrait déboucher sur la mise en place d'une enceinte ouverte élargie, plus au moins sur le modèle de la convention qui a élaboré la Charte des Droits fondamentaux, avec peut-être des modalités de fonctionnement différentes, compte tenu du fait que nous sommes là dans un exercice quasi constitutionnel.
Bref, sur l'avenir de l'Europe nous sommes décidés à avancer ensemble et j'ai dit à Mme Teresa Moura à quel point nous avions apprécié l'intervention du Premier ministre devant l'Assemblée portugaise, qui nous a semblé d'une philosophie tout à fait compatible avec la nôtre.
Enfin, sur l'approche du cycle commercial multilatéral de l'OMC, là aussi il y a une très large convergence. Premièrement, pour souhaiter que ce cycle puisse se tenir. Il est important que nous ayons cette réunion de Doha. Deuxièmement, pour souhaiter que ce soit un succès. Je crois que nous ne pouvons pas nous permettre, après Seattle, un deuxième échec. Troisièmement, pour demander qu'on travaille sans délais à cette réussite. Quatrièmement, pour continuer de demander qu'on ait de ce cycle une approche globale et ambitieuse. Dans la discussion commerciale multilatérale, on doit, c'est la vision européenne, intégrer des sujets comme les normes sociales, comme l'environnement, comme le développement. On ne peut pas avoir une négociation fragmentée, secteur par secteur, qui n'est dans l'intérêt, ni de la planète, dans un univers globalisé, ni de l'Europe. Donc, je crois que pour nous, Portugais et Français, la position qui a été celle de l'Union européenne en 1999 reste la base sur laquelle nous devons discuter, étant entendu bien sûr que nous savons que Doha ne sera qu'un début. Donc, nous devons y entrer aussi avec un esprit de flexibilité et de négociation.
Voilà, donc, de mon point de vue, quelles ont été, très rapidement résumées, les grandes lignes de nos entretiens qui font apparaître à la fois une volonté et des capacités de travailler ensemble.
Q - Je sais que vous avez eu un rôle fondamental à la fin des négociations du Traité de Nice, que vous défendez le Traité de Nice, mais cependant il y a des voix, notamment la voix de l'ancien président Jacques Delors, qui sont contre le traité. Comment est-il possible d'articuler les deux thèses ? Est-il possible de penser à une anticipation de la CIG 2004 ? Après le référendum irlandais, vient maintenant le péril d'une nouvelle situation semblable en Autriche, c'est ma dernière question, la possibilité de ce nouveau référendum qui est demandé par les Autrichiens.
R - D'abord, vous savez, je n'ai pas de fierté d'auteur sur le Traité de Nice. Je peux vous faire la confidence que le Traité de Nice n'est pas tel que je l'aurais rêvé. J'aurais souhaité personnellement que l'on aille beaucoup plus loin sur certains points. Je vais vous en donner deux ou trois.
J'aurais aimé que la Commission européenne sorte renforcée de Nice, ce qui voulait dire qu'on n'aurait pas un commissaire par Etat membre et qu'on aurait un plafonnement de la Commission. J'aurais aimé qu'on aille plus loin en matière de vote à la majorité qualifiée, en matière d'harmonisation fiscale, en matière d'harmonisation sociale. J'aurais peut-être souhaité qu'on soit encore plus équitable en terme de voix au Conseil.
Donc, pour moi, Nice est loin d'être un traité parfait. Mais, j'y insiste, c'est le meilleur traité possible dans l'état de l'Union. Nous l'avons fait ensemble, à Quinze. Il ne traduit pas telle ou telle présidence, telle ou telle vision et encore moins telle ou telle personne, mais l'état actuel de l'Union. Nice, c'est ce que nous pouvions faire de mieux à Nice, collectivement. J'ajoute une deuxième chose, c'est que ce traité est un traité nécessaire. Sans Nice, l'élargissement est toujours possible évidemment, et toujours souhaitable, il se poursuivra, mais il se complique. Nous avons besoin de Nice pour réussir l'élargissement vite. C'est pour cela que je ne suis pas d'accord avec les voix qui laissent entendre que le Traité de Nice n'est pas un traité nécessaire. Ce n'est pas de Jacques Delors dont je parle, mais peut-être d'autres présidents de la Commission, M. Prodi, pour être clair.
Il était logique que ce traité provoque des frustrations. Il y a ceux qui trouvent que ce traité est trop intégrateur. C'est le cas, notamment, de bon nombre de gens qui ont voté non au référendum en Irlande. Il ne faut pas s'y tromper. Ce n'est pas un vote pour plus d'Europe, le non en Irlande, c'est un vote pour moins d'Europe, une Europe plus neutre, moins intégrée avec des valeurs peut être plus affaiblies, notamment, par exemple, le refus de l'avortement, qui était un déterminisme extrêmement fort dans ce pays.
Il y a ceux qui auraient souhaité qu'on fasse plus, c'est le cas de Jacques Delors. Mais j'observe que Jacques Delors, tout en étant critique sur le Traité de Nice, lorsqu'il a été interrogé le matin du débat parlementaire, sur la question de savoir s'il voterait le Traité de Nice s'il était parlementaire, a répondu : ce n'est pas un bon traité, mais je le voterai parce que c'est un traité nécessaire. Donc ne faisons pas dire à Jacques Delors ce qu'il n'a pas dit. Il n'a pas dit qu'il ne fallait pas de Traité de Nice. Il a dit que ce traité était là, qu'il était nécessaire, et je suis d'accord avec lui. Il fallait voter Nice, il faut voter Nice, d'abord parce que c'est notre oeuvre collective, parce que c'est un traité nécessaire à l'élargissement.
Deuxième question : pour ce qui est de l'anticipation de la CIG en 2004, pourquoi pas ? A une condition, c'est que cela se fasse sur la base de travaux qui aient bien avancé avant. Et donc il faut prendre cette affaire en marchant. Commençons par réussir le débat national, allons ensuite au débat européen et, s'il est possible de le conclure plus vite que prévu, pourquoi pas ? Mais je ne suis pas dans la logique, encore une fois, qui est celle du président de la Commission actuel, qui consiste à dire : si nous ne réussissons pas à faire adopter Nice, alors allons plus vite sur la prochaine CIG. Je crois encore une fois que notre intérêt collectif, celui des pays membres, celui des pays candidats, c'est de ratifier Nice et de le ratifier vite, et je me réjouis que le Parlement portugais s'apprête à le faire en octobre 2002.
Enfin, troisième question, je ne suis pas le mieux placé pour parler de la politique autrichienne, mais il me semble que ceux qui demandent un référendum appartiennent au parti qui n'est pas le mieux à même d'incarner les valeurs européennes. Je parle du parti de M. Haïder, et quand on demande un référendum, alors que c'est pas forcément prévu dans la constitution, malheureusement c'est souvent pour voter non. Voilà, M. Haïder n'est pas, ne peut pas être, ne sera jamais, même pour voter sur l'Europe, mon modèle./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2001)
Interview à "Publico" :
Q - Vous avez débattu à Lisbonne des questions concrètes de l'élargissement. Y a-t-il un rapprochement en matière de fonds structurels et de réforme de la PAC (Politique agricole commune) ?
R - Nous avons, principalement, débattu de deux questions. D'abord de l'élargissement, et de la préoccupation qui est la nôtre d'une bonne reprise formelle de l'acquis communautaire par les pays candidats, mais aussi de leur capacité à appliquer ces acquis. La présidence belge a demandé à la Commission d'élaborer un rapport de progrès d'ici le sommet de Gand, en octobre, ce qui a tout son sens puisque l'élargissement se rapproche.
La deuxième question dont nous avons débattu concerne la manière de conjuguer les réformes européennes qui nous attendent et l'élargissement. J'ai dit à Teresa Moura que ces deux exercices devraient à la fois s'articuler et être distincts l'un de l'autre. Nous pensons que l'on ne doit pas mélanger les négociations financières avec celles de l'élargissement, ce qui risquerait de les compliquer et de les retarder.
Nous devons négocier avec les pays candidats sur la base de l'acquis actuel. Et nous devons traiter la négociation du paquet financier dans les délais prévus, c'est-à-dire 2005/2006. Mais nous n'acceptons pas que l'accord financier en vigueur soit mis en cause avant cette échéance.
Q - La France est-elle préparée à une réforme de la PAC ?
R - Elle est préparée et elle y travaille. Comme nos amis portugais, nous pensons que la PAC et les politiques structurelles sont des politiques communes qui peuvent être adaptées, renforcées, mais que l'on ne peut pas les révolutionner, ni moins encore les remettre en cause.
Q - Avez-vous abordé avec votre homologue portugais la question de l'impôt européen ?
R - Nous avons également évoqué cette question. La France a une position ouverte. On parle beaucoup de fédéralisme mais on n'en retire pas toujours toutes les conclusions qui s'imposent. Un fédéralisme "au rabais", avec des politiques communes réduites, n'a aucun sens. Si l'on parle de fédéralisme, il faut alors aussi parler de budget fédéral.
Le fédéralisme budgétaire suppose que l'on définisse des politiques communes. Une fédération a une justice, les éléments d'une police, d'une défense, d'une monnaie. Les ressources doivent être plus importantes et non pas moindres que celles de l'actuelle Union. Faire une fédération avec un budget de 1,09 pour cent du PIB n'a aucun sens. Donc, j'estime que la réflexion sur un impôt européen doit faire partie de la réflexion institutionnelle. Il n'y a pas de tabous.
Q - Votre approche du fédéralisme ressemble beaucoup à celle du Premier ministre portugais. Mais les propositions de Jospin ne sont pas tout à fait fédéralistes, contrairement à celles du chancelier allemand. Sera-t-il possible de réussir un accord entre les deux pays afin d'établir l'agenda de la prochaine réforme ?
R - Il n'y a ni "une position allemande", ni "une position française". Il y a, pour le moment, des contributions diverses...
Q - Mais il y a des sensibilités propres aux deux pays qui semblent contradictoires...
R - Le discours de Lionel Jospin n'est pas très proche des propositions du SPD. En revanche, il y a une familiarité évidente avec le discours du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer. Tous les deux proposent une fédération d'Etats-nations. La porte-parole des Verts allemands, Mme Roth, a exprimé un soutien à la vision de Lionel Jospin. Jurgen Habermas, le "maître à penser" du SPD et de Joschka Fischer, a écrit deux articles qui soutenaient également les idées de Lionel Jospin. Cela prouve qu'il est possible de trouver un terrain commun.
Lors du Conseil européen de Laeken, en décembre, la méthode de la prochaine réforme sera discutée. La France et l'Allemagne travaillent en commun à ce sujet, et il ne serait pas surprenant qu'il y ait une proposition commune.
Nous avons discuté de la création d'une Convention, probablement plus élargie que celle qui a préparé la Charte des Droits fondamentaux, incluant les pays candidats, et qui permette d'associer la société civile, selon des modalités encore à définir. Cette convention, dans un esprit de consensus, travaillera à la définition, non pas d'un texte abouti, mais d'articulations. La décision finale appartiendrait ensuite à une CIG de courte durée. Voilà quelques-unes des idées sur lesquelles nous travaillons ensemble, entre autres avec les Allemands.
Q - Au Portugal on a le sentiment que la France penche plutôt vers la nécessité de mise en place d'un "noyau dur" de pays - les plus riches et les plus puissants, les fondateurs - capable de réaliser l'idée d'une Europe-puissance, ce qui a toujours été l'ambition française. Il ne s'agit pas là tellement des idées de Jospin, mais plutôt des idées de Chirac ou de Delors.
R - Nous sommes dans un débat libre où toutes les opinions sont recevables. Les idées que vous évoquez traversent toutes les familles politiques françaises, y compris celle des socialistes. Il existe la thèse de Dominique Strauss-Kahn, celle d'un noyau dur constitué autour de l'euro; il y a aussi les idées de Jacques Delors, plutôt autour des six pays fondateurs, etc...
Mais vous avez certainement remarqué que le discours de Lionel Jospin ne va pas dans ce sens. Son projet, qui est également celui que je défends, est celui d'une Europe élargie qui puisse être une fédération d'Etats-nations.
Nous souhaitons également une Europe-puissance mais ce pouvoir de l'Europe doit lui venir aussi de son nombre et de son unité. La question du nombre de pays membres pose, naturellement, certains problèmes, et exige également d'agir avec souplesse. Nous refusons une Europe à deux vitesses. Nous préférons une Europe à géométrie variable, à partir de coopérations renforcées. Ce qui est différent de la thèse de l'avant-garde.
Q - Mais vous souhaitez une Europe-puissance ...
R - Oui, mais nous sommes pour la puissance européenne et non pour des puissances en Europe, ou pour un directoire. Nous ne sommes pas pour une Europe gouvernée par la France et par l'Allemagne, mais pour une Europe qui accepte de s'assumer en tant qu'espace uni, ayant vocation à jouer un rôle mondial
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2001)