Interview de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, à I-Télé le 8 janvier 2014, sur l'affaire Dieudonné, la transition énergétique, la politique du logement et la participation des Verts au gouvernement.

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Média : Itélé

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Cécile DUFLOT est l'invitée d'I-TELE ce matin. Bonjour.
CECILE DUFLOT
Bonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Merci d'être avec nous. Christophe BARBIER évidemment dans un instant. Mais d'abord, la toute première question concernant l'affaire DIEUDONNE, plusieurs villes ont annoncé qu'elles souhaitaient interdire le spectacle de DIEUDONNE. Nantes, Orléans, Tours, Bordeaux. Souhaitez-vous que l'ensemble des villes – donc toutes les autres, qui doivent accueillir la tournée de DIEUDONNE – emboîte le pas, et que finalement, cette tournée soit purement et simplement annulée ?
CECILE DUFLOT
D'abord, une première chose, je souhaite que la loi, toute la loi, rien que la loi soit appliquée. Et vous dites « spectacle », je pense qu'on ne peut plus qualifier l'activité de DIEUDONNE de spectacle, et c'est d'ailleurs là un des dangers parce que son discours abjecte, se déguise – qui est profondément antisémite, c'est plus qu'avéré – se déguise dans une forme d'humour et il utilise aussi son passé pour faire passer ce message scandaleux. Donc je pense qu'il faut être très clair, ça n'est pas une démarche artistique, c'est une démarche politique, sur Internet, il mène des meetings à ciel ouvert. Et c'est donc un adversaire qu'il faut combattre résolument. Aujourd'hui, il est en état de récidive sur de l'incitation à la haine raciale, sur des propos clairement et gravement antisémites. Donc il ne faut avoir aucune patience et aucune tolérance, c'est évident.
CHRISTOPHE BARBIER
Donc une interdiction a priori, Sergio CORONADO, le député Verts, dit : non, il ne faut pas interdire a priori ; il y a une division.
CECILE DUFLOT
Ecoutez, la question, c'est de savoir : est-ce que sur le fond, et là, il n'y a absolument aucune division, DIEUDONNE est un adversaire, et il faut dire une autre chose, c'est qu'il faut aussi faire un travail très important, parce que si ça fonctionne, s'il peut avoir cette perméabilité chez certains jeunes qui, moi, m'inquiète profondément, c'est qu'il faut continuer inlassablement un travail notamment de grande pédagogie, de mémoire sur ce qu'a été le génocide, sur ce qu'a été la Shoah, et il faut être intransigeant sur ce sujet, notamment vis-à-vis de jeunes générations, où les témoins se font plus rares, se font plus âgés, je pense que c'est très important. Il faut en revenir au fond de cette histoire, ne pas en faire une polémique du tout, mais être très vraiment intransigeant sur le fond.
CHRISTOPHE BARBIER
Des lycéens ont été mis en garde à vue pour avoir fait le geste de la quenelle, c'est bien, c'est un avertissement ?
CECILE DUFLOT
Ça m'inquiète, ça m'inquiète, parce que je pense que vis-à-vis de jeunes de 17 ans, il faut avoir un rôle pédagogique, de fermeté, en expliquant le côté absolument insupportable, en rappelant justement ce que fait DIEUDONNE et ce que ça signifie politiquement, et c'est pour ça qu'il faut être très ferme vis-à-vis de lui parce qu'il fait passer des idées – je le dis – abjectes, sordides, en les déguisant sous quelque chose qui apparaît comme de l'humour et qui ne l'est pas. Donc je pense qu'il faut être très, très, très ferme.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est-à-dire que la police peut s'en prendre à ses fans, à son public ?
CECILE DUFLOT
Non, mais, il y a deux choses différentes, là, on parle de lycéens, donc je pense que le rôle éducatif, le rôle de prévention, le rôle d'explication des enseignants, des responsables des établissements scolaires est décisif. Je pense que là, il y a quelque chose d'essentiel. Mais il faut être très clair, je pense à tous les professionnels en exercice, aux pompiers, aux sapeurs pompiers, etc., dont certains ont été photographiés dans cette situation-là, il faut, là, effectivement, être très ferme, maintenant, je pense que tout le monde est au courant, tout le monde sait très bien que ce geste n'est pas un geste amusant ni de défiance, mais est clairement une revendication antisémite. Donc il faut être effectivement très clair.
CHRISTOPHE BARBIER
Sergio CORONADO dit aussi qu'il y a un piège politique tendu par Manuel VALLS, en gros, vous êtes avec lui ou avec DIEUDONNE, et il refuse ce piège-là, c'est votre sentiment ?
CECILE DUFLOT
Alors, d'abord, je pense qu'il n'y a pas à choisir entre Manuel VALLS et DIEUDONNE, parce que, il faut être contre DIEUDONNE, c'est une évidence, et tout le monde l'est, je pense que là, il ne faut pas croire qu'il y a deux divergences d'appréciation. Ensuite, j'allais dire, sur le strict plan juridique, il peut y avoir des débats de juristes, et ça, c'est légitime. Mais je pense qu'il faut le placer, il faut rester sur un plan politique, de manière très…
CHRISTOPHE BARBIER
Vous ne vous sentez pas piégée par la com.' du ministre de l'Intérieur ?
CECILE DUFLOT
En tout cas, moi, ce que je veux faire, c'est faire en sorte qu'on fasse pièce à tous les antisémites, et DIEUDONNE en est devenu un porte-voix et il faut le faire taire.
CHRISTOPHE BARBIER
Autre affaire judiciaire, sans aucun lien évidemment, aujourd'hui, le Sénat va se prononcer sur la levée d'immunité de Serge DASSAULT, est-ce qu'il faut lever cette immunité ?
CECILE DUFLOT
Il faut que la justice puisse faire son travail, avec qui que ce soit, et avec ce sénateur comme avec d'autres, oui.
CHRISTOPHE BARBIER
Sur le fond de la politique, tous les ministres et tous les hiérarques socialistes, depuis huit jours, nous disent : non, non, il n'y a pas de tournant social libéral dans le discours de voeux du président de la République. Et vous, qu'en dites-vous ?
CECILE DUFLOT
Moi, je pense qu'il ne faut pas commenter les commentaires, la réalité, c'est la politique que nous menons. Et moi, il se trouve que je suis ministre de ce gouvernement, et que je mène une politique en faveur du logement, qui est une politique nouvelle, qui est une politique de régulation, et qu'on ne va pas aisément qualifier de libérale, et qui est une politique, à mon avis, juste et qui répond à la situation.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais sur le 31 décembre, vous avez entendu, comme tout le monde, le pacte de responsabilité, c'est-à-dire la main tendue aux entreprises, baisse des charges, embauches ; ça vous convient ?
CECILE DUFLOT
Est-ce qu'il faut qu'on lutte contre le chômage dans ce pays ? C'est ça votre question ? La réponse est oui. Est-ce que ça passe parfois par le fait de soutenir les délais des entreprises ? La réponse est oui aussi. Je vais vous donner un autre exemple, je pense que nous avons un gisement d'emplois considérable dans notre pays, et c'est ce que j'ai entendu aussi dans l'intervention du président de la République, puisqu'il a érigé au rang de troisième priorité de l'année qui vient la transition énergétique…
CHRISTOPHE BARBIER
Mais il n'a pas dit ce qu'il ferait !
CECILE DUFLOT
Attendez, la transition énergétique, c'est des dizaines de milliers d'emplois, et déjà, dans la rénovation thermique. Nous avons lancé un plan de rénovation thermique, j'étais venue ici en parler d'ailleurs longuement, en disant que tous les habitants de notre pays devaient pouvoir vivre dans des logements qui soient des logements isolés, et faire baisser le prix de leurs charges, parce qu'on sait que le prix du chauffage a énormément augmenté. Ça fait maintenant – ça a été lancé par le Premier ministre au mois de septembre – ça fait donc quatre mois que c'est en fonctionnement. Et les résultats sont au-delà de ce qu'on espérait. Et ça, c'est clairement de l'emploi et de l'activité. Est-ce que le gouvernement agit ? Oui, nous avons fait passer depuis quelques jours la TVA à 5,5% sur les travaux de rénovation thermique. Est-ce que c'est une bonne politique ? Oui, je vous confirme, Monsieur BARBIER, c'est une excellente politique.
CHRISTOPHE BARBIER
Et la prochaine étape, puisque le président veut plus de transition énergétique, que lui demandez-vous de mettre en avant ?
CECILE DUFLOT
Alors, il va y avoir une loi, et cette loi-là, c'est un grand rendez-vous pour notre pays, à deux titres, le premier, c'est que c'est la première fois dans l'histoire qu'on a un débat démocratique sur le choix énergétique. Les choix qui se sont faits dans les années 70, du tout nucléaire, c'est un choix qui s'est fait sans aucun débat démocratique. Ça, c'est le premier élément. Mais le deuxième, c'est que nous sommes sur une planète aux ressources limitées, nous savons que la question énergétique est un enjeu majeur pour nos sociétés, pour l'activité, mais pour la vie des habitants, l'épuisement des ressources naturelles est là aussi un enjeu décisif. Il y a d'autres pays, je pense à la Chine par exemple, mais d'autres pays européens qui ont engagé un vrai programme en matière de production d'énergie renouvelable, et aussi de recherche, parce que nous ne sommes pas au bout des nouvelles sources de production d'énergie renouvelable. Donc cette transition énergétique, les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables, et le passage du nucléaire, dans un premier temps, de 75 à 50% de notre énergie, c'est un enjeu effectivement fondamental, et un rendez-vous majeur de l'année qui vient.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes accusée depuis deux jours, à cause de la garantie universelle des loyers, les investisseurs se détourneraient du logement locatif pour investir plutôt dans les commerces et les bureaux, est-ce que vous le reconnaissez ?
CECILE DUFLOT
Alors, je pense qu'il faut dire la vérité sur la question du logement en France, qu'est-ce qui s'est passé ces dernières années ? On a artificiellement, avec de l'argent public, des milliards d'euros, Monsieur BARBIER, fait augmenter les prix de l'immobilier, qu'est-ce que ça a provoqué ? Des loyers très chers, qui sont sans commune mesure avec l'augmentation des revenus des Français, et un prix de l'immobilier très élevé. Ça a des conséquences aussi, et tout le monde le sait, en matière de productivité et de compétitivité, parce qu'on stérilise une partie de l'épargne, c'est-à-dire qu'on consacre trop d'argent à l'immobilier. Donc il faut faire baisser les prix tendanciellement. Et il faut aussi…
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, vous luttez contre ça, mais du coup, on ne construit plus…
CECILE DUFLOT
Non, ce n'est pas vrai, ça, c'est faux, on construit moins, c'est vrai, on est dans une période de crise, mais on a bien résisté, les chiffres – qui seront rendus publics dans quelques jours…
CHRISTOPHE BARBIER
Ça va être combien ?
CECILE DUFLOT
– Montreront que, contrairement à ce qu'on dit…
CHRISTOPHE BARBIER
300.000, on franchit 300.000 logements ?
CECILE DUFLOT
Oui, bien plus, je pense qu'on sera au-delà, je pense qu'on sera au-delà même des 330.000. La moyenne des vingt dernières années, Monsieur BARBIER, il faut dire les choses assez franchement, c'est 346.000 logements par an. Est-ce que c'est satisfaisant ? Non…
CHRISTOPHE BARBIER
Il faut 500.000…
CECILE DUFLOT
Notre objectif, c'est 500.000. Et ça, c'est le troisième chantier, c'est un chantier pour moi majeur, qui est à la fois sur les coûts de construction et sur la question des normes, parce que le logement, ça n'est pas un bien comme un autre, c'est pour ça que je ne me satisferai jamais d'un résultat insuffisant, et il faut dire les choses, nous avons résisté dans une période de crise, mais nous devons faire mieux, et nous nous y employons, pourquoi ? Parce que c'est un bien de première nécessité. Aucun humain ne peut vivre sans un toit sur la tête, et que donc, au-delà du secteur économique, qui est essentiel, il y a cette question de l'accès au logement pour tous et pour toutes, qui est absolument indispensable.
CHRISTOPHE BARBIER
François de RUGY, très coquin, me rappelle sur Tweeter de ne pas oublier de vous poser la question rituelle des journalistes : est-ce que les Verts vont quitter le gouvernement ? Plus sérieusement, est-ce que, au moins, après les municipales et les européennes, il y a un moment politique où les Verts se poseront la question ?
CECILE DUFLOT
Mais enfin, écoutez, Monsieur BARBIER, je pense que le lendemain du jour de ma nomination, tout le monde se pose la question…
CHRISTOPHE BARBIER
Oui, mais vous…
CECILE DUFLOT
Ce qui est intéressant d'ailleurs, c'est le procès en illégitimité, ce que ça signifie, c'est que : est-ce que vous avez déjà posé la question à un membre du Parti socialiste pour savoir s'il devait ou pas quitter le gouvernement…
CHRISTOPHE BARBIER
A la gauche du parti, on demande, on a demandé, mais vous, par exemple, en tant que…
CECILE DUFLOT
Moi, le débat qui m'intéresse, c'est de savoir qu'est-ce que nous faisons, est-ce que, effectivement, nous allons oeuvrer à faire que la transition énergétique de notre pays soit vraiment engagée, est-ce qu'une politique du logement, qui est une politique qui va permettre de construire davantage, mais aussi d'éviter – et c'est ce qui est dans la loi ALUR – de consommer les terres agricoles, de faire disparaître des terres agricoles, ce que nous vivons depuis des années, c'est possible ? Je pense que la réponse est oui. Et donc moi, ce qui m'intéresse, c'est l'écologie de l'action, pas l'écologie de la contestation ou du regret, pas celui des remords, pas celui qui dit : on aurait dû faire ça depuis dix ans, mais ceux qui se relèvent les manches et qui, au quotidien, agissent, même si c'est difficile…
CHRISTOPHE BARBIER
Tant que vous pouvez agir, tant que vous avez les moyens de l'action, vous restez ?
CECILE DUFLOT
Exactement, tant que nous avançons, même sans doute pas assez vite, dans la bonne direction, alors, nous devons y contribuer, c'est une responsabilité, vous savez, parmi les principes des écologistes, il y a celui de la responsabilité.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes engagée dans la campagne municipale à Paris en soutien, NKM patine, c'est gagné pour la gauche ?
CECILE DUFLOT
Une élection, elle n'est jamais terminée tant que les électeurs n'ont pas voté. Donc il faut être très engagé, mais moi, comme vous l'avez dit, je suis la dernière de la liste du 11ème arrondissement de Christophe NADJOVSKI, le candidat des écologistes, et j'en suis très heureuse.
CHRISTOPHE BARBIER
Quand on est ministre, est-ce qu'on prend le temps d'aller faire les soldes ?
CECILE DUFLOT
Pas franchement, non. Enfin, sur Internet, peut-être la nuit, mais c'est à peu près tout.
CHRISTOPHE BARBIER
Bruce, dernière question !
BRUCE TOUSSAINT
Question Tweeter, question tweeter posée par Pierrot de Nantes, elle va s'afficher : est-ce que Cécile DUFLOT sera avec nous à Nantes le 22 février, pour la grande manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
CECILE DUFLOT
D'abord, je pense qu'il ne faut pas le qualifier du nom du Premier ministre, vous connaissez – et je l'ai dit – mon engagement contre la construction de cet aéroport, pour des raisons très pragmatiques, de bon usage de l'argent public et de préservation d'une zone naturelle humide très importante. Mais je pense que ce n'est pas le rôle des ministres de manifester, je pourrais aussi manifester aux côtés du DAL, qui demande un certain nombre de choses, et je l'ai fait pendant des années, aujourd'hui, je suis aux responsabilités, j'assume ces responsabilités. J'assume aussi mes convictions et mes engagements constants.
BRUCE TOUSSAINT
Bien, et puis une toute dernière question indispensable évidemment, avec Christophe, on s'est beaucoup interrogé, avant de vous recevoir, sur votre carte de voeux, Cécile DUFLOT, qui a fait beaucoup parler, on peut la voir d'ailleurs, parce que, il y a un graphisme qui nous laisse un peu… comment dire… dubitatifs, vous, vous l'assumez à 100% ?
CECILE DUFLOT
Alors, non seulement, je l'assume à 100%, mais je voudrais reprendre votre question, votre carte de voeux qui a fait beaucoup parler, Madame DUFLOT. Donc en fait, il s'agit d'une dizaine de tweets, donc c'est pour ça que je veux essayer, dans mon action politique, de toujours faire le…
BRUCE TOUSSAINT
Oui, non, mais c'est un clin d'oeil, ne répondez pas sérieusement, c'est juste pour rigoler…
CECILE DUFLOT
Ben, si, je vais vous répondre sérieusement parce que ce qui se passe aujourd'hui médiatiquement, l'emballement, un système où on est…
BRUCE TOUSSAINT
Il n'y a pas d'emballement…
CECILE DUFLOT
Non, mais un système…
BRUCE TOUSSAINT
Alors, attendez, alors on oublie, on oublie. Nous, ça nous a fait rire. Alors, vous pouvez répondre à tous les deux !
CECILE DUFLOT
Eh bien, moi, je vous dis que ceux qui nous regardent, je les invite à aller regarder le site Internet de PLONK et REPLONK, qui sont deux artistes suisses, qui m'ont fait le grand honneur d'accepter de dessiner la carte de voeux du ministère de l'Egalité des territoires et du logement. Et je pense que c'est aussi le rôle des responsables publics de soutenir les artistes librement, puisqu'ils n'ont eu aucune instruction, ils se sont exprimés totalement librement.
BRUCE TOUSSAINT
Eh bien, pour la peine, nous vous souhaitons une bonne année.
CECILE DUFLOT
A vous aussi. Je vous l'enverrai la carte, Monsieur TOUSSAINT.
BRUCE TOUSSAINT
Merci. Merci Cécile DUFLOT.
Source : Service d'information du gouvernement, le 9 janvier 2014