Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les enjeux de la présidence française de l'Union européenne, le rôle de la présidence du Conseil européen, l'élargissement de l'Union européenne et ses modalités financières, les progrès de la défense européenne, la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), Paris le 28 mars 2000.

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Circonstance : Forum sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne organisé par la Délégation pour l'Union européenne à l'Assemblée nationale à Paris le 28 mars 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Nous sommes au terme d'une journée qui a été longue pour vous, il est un peu tard. J'ai regardé attentivement la liste des interventions et j'ai eu des compte rendus de quelques-uns d'entre elles, je ne pense pas qu'il faille que je reprenne tout ce que vous avez entendu dans le détail depuis ce matin. Si vous êtes là, c'est que vous êtes particulièrement attentifs à ces questions spécialisées et engagés pour beaucoup d'entre vous. Je me bornerai donc à quelques commentaires que l'on peut faire à ce stade sur la façon dont nous allons essayer de tirer le meilleur parti de la présidence française au cours des six prochains mois, de juillet à décembre. La présidence du second semestre est une présidence courte puisqu'il y a une certaine pause en août et que l'on ne termine pas tout à fait à la fin du mois de décembre, c'est donc plus court en temps utile que celle qui va du 1er janvier au 30 juin. Cela n'en est que plus chargé.
Vous avez donc passé en revue les questions institutionnelles, les questions de PESC et de défense européenne. Me concernant, je commencerai par souligner le fait qu'il ne faut pas exagérer la position de chaque présidence, c'est en fait une sorte de course de relais. Nous nous inscrivons dans une continuité et le travail que nous faisons dépend naturellement de l'état dans lequel nous prenons les dossiers à l'issue de la présidence précédente et il ne faut pas oublier que nous sommes encore dans la présidence portugaise qui travaille très bien et qu'il y a toute une série de choses, où ce que nous allons faire ou non, dépendra de ce qu'auront pu faire les Portugais jusqu'à fin juin, puisque le Conseil européen aura lieu à cette date. De même, nous passerons le relais aux Suédois et à d'autres pays.
Je souligne cela car on a un peu tendance dans chaque pays d'ailleurs à tour de rôle à faire comme si la présidence X partait d'une page blanche. Ce n'est pas du tout ainsi que cela se présente et on le voit bien lorsque l'on se trouve dans la troïka, ce qui est notre cas, lorsque l'on voit arriver les dossiers, dossiers que l'on suit depuis des années. Il y a une continuité et tout l'exercice précisément est à la fois de s'inscrire dans ce travail collectif, se comporter en président, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que d'être un pays qui défend ses propres idées. La présidence doit avoir un comportement, une déontologie qui n'est pas la même que celle d'un pays participant. Dans tel ou tel débat, il ne faut pas faire valoir à tout prix les vues de notre pays sur celles des autres, il faut au contraire dégager le consensus dynamique, mais le consensus quand même. Et chacun d'entre vous sait bien que ce n'est pas le même exercice.
Les dossiers qui s'imposent largement à nous sont tous connus. Nous allons les marquer de notre style, nous infléchirons telle ou telle chose, nous essaierons de développer de nouveaux volets, il suffit de penser par exemple à la dimension emploi-innovation-croissance. Il est clair que c'est à partir du moment où Lionel Jospin, nouveau Premier ministre a insisté, au nom de la France, pour qu'il y ait un rendez-vous annuel sous une forme ou une autre mais qui soit concentré sur cette question de l'emploi, que cela s'est vraiment produit, et que c'est devenu un rendez-vous régulier. Et de ce fait, cela dynamise les actions, fédère les initiatives et oriente les travaux. On l'a fait sans être président et il y a une façon dans ce système européen qui peut paraître compliquée de marquer et de donner des impulsions. Mais lorsque l'on prendra la présidence, nous aurons à traiter la Conférence intergouvernementale, les négociations d'élargissement, la poursuite de l'effort en matière de défense et la poursuite de la mise en oeuvre de la PESC, plus un nombre considérable de sujets que vous avez traité ou effleuré, chacun d'entre eux se décomposant en une infinité de sujets particuliers. Nous prendrons ces dossiers et nous essaierons d'aller, tous ensemble, au sein de l'Union, le plus loin et le mieux possible. Certains de ces dossiers sont après la décision majeure, d'autres sont avant la conclusion essentielle.
Reprenons-les rapidement pour voir ce que peut faire la présidence française.
L'élargissement est la première question car c'est un contexte qui s'impose à nous et qui marquera toutes les années qui viennent dans la reconstruction européenne et mieux vaut tard que jamais, on se rend compte enfin que cet élément est déterminant. Je dis "enfin" car il y a urgence à réfléchir à l'ensemble des conséquences que cela aura sur le fonctionnement de l'Union, que ce soit en termes institutionnels, en termes financiers, en termes géopolitiques. Il faut absolument que les meilleurs esprits et les Européens les plus convaincus intègrent cette donnée. Et il y a encore peu de temps, deux ou trois ans, au début de ce gouvernement, on se rendait compte qu'il y avait un clivage entre l'état d'esprit en France que nous allions approfondir. Beaucoup de gens pensaient sincèrement que la construction européenne était une sorte d'extrapolation mécanique, on a fait l'Euro, nous ferons des choses communes dans tous les domaines. Il y a une sorte d'impasse intellectuelle sur la dimension de l'élargissement, non pas parce que l'opinion française était contre, mais parce qu'elle ne mesurait pas à quel point cela remettait en cause les données sur lesquelles nous avons organisé cette construction européenne. Maintenant, c'est mieux perçu partout, l'opinion publique française perçoit mieux la dimension de l'élargissement, sa nécessité historique et les problèmes qu'elle pose, les pays candidats mesurent mieux à quel point c'est difficile de se préparer à entrer dans l'Union, ils ont une demande moins absolutiste car eux-mêmes ont besoin d'étapes, d'efforts durant lesquels ils ont besoin d'être aidés. Et les autres pays de l'Union se sont rendus compte qu'on ne pouvait pas décréter que tel pays entrerait à telle date, comme si nous pouvions nous passer de négociations sérieuses ayant résolu les problèmes réellement.
Les points de vues se sont rapprochés sur cette question de l'élargissement et à cet égard, je trouve que les décision prises à Helsinki sont des décisions raisonnables, qui traduisent la volonté des Quinze de reprendre le contrôle dans le bon sens du terme d'un processus historique réel mais qui doit être maîtrisé et conduit si l'on veut qu'il se déroule conformément à l'intérêt de l'Union et à l'intérêt des pays candidats. Et là aussi, heureusement, nous avons dépassé cette apparente contradiction, les pays candidats veulent entrer dans l'Europe parce qu'elle est forte, parce qu'elle est riche et qu'elle fonctionne bien, ils ne veulent pas entrer dans une Europe qui serait complètement détraquée car leur entrée n'aurait pas été préparée. Ce serait une victoire à la Pyrrhus, un marché de dupes et nous aurions perdu ce que nous avons mis des décennies à bâtir. Ces éléments qui étaient dans une contradiction frontale pénible au cours des années passées, ont trouvé je crois à Helsinki, une réponse, et c'est pour cela que nous l'avons adoptée, assez consensuelle, assez dynamique. Et cette approche consistant à négocier activement, non pas par groupe de pays mais pays par pays, en fonction des mérites propres de chaque pays, l'approche consistant à ne pas fixer de date artificielle pour l'entrée des pays - car cela voudrait dire que les négociations sont "bidons" mais au contraire de fixer une date objective disant qu'à partir de cette date, l'Europe doit être prête à accueillir les nouveaux pays qui seront eux-mêmes prêts -, je trouve cela plus rationnel, plus logique, plus raisonnable et cela a donc de meilleures raisons de fonctionner plutôt que la démagogie qui a régné sur cette question pendant des années.
De même que c'était très important d'accepter l'idée qu'il y ait une réforme institutionnelle avant, au moment de l'échec d'Amsterdam, il ne s'est trouvé que 3 pays, l'Italie, la France et la Belgique pour adopter une déclaration disant qu'il fallait une réforme institutionnelle avant tout nouvel élargissement. A l'époque, les autres condamnaient l'égoïsme affreux de ces trois pays alors que c'était une nécessité fonctionnelle et simplement, une lucidité plus grande dans la prévision de la suite. Le premier point est donc l'élargissement qui marquera donc notre présidence comme il marquera toutes les années qui viennent durant un nombre d'années X que je ne connais pas car je ne sais pas combien de temps il faudra pour que ceux des pays qui auront le plus de mal à négocier leur entrée aient fini la négociation. Je n'en sais rien, mais je sais que cela ne se fait pas en un jour et cette affaire marquera donc la vie de l'Union européenne, s'élargissant peu à peu durant des années et des années.
Il faut avoir cela en tête et à partir de maintenant, chaque fois que l'on réfléchit sur n'importe lequel des points, il faut réfléchir à ce que cela veut dire et comment cela fonctionne non pas à quinze mais à vingt ou trente. Il fallait donc à tout prix, si nous voulions travailler sur les problèmes réels, pour les surmonter, que l'on intègre cette dimension. Pendant cette présidence, notre rôle est d'animer, de suivre le travail de la Commission et de s'assurer que les négociations avancent, qu'elles ont bien lieu. La présidence n'est pas là pour inventer, pour des raisons politiques abstraites, que tel pays est prêt et que tel autre ne l'est pas. La présidence par contre peut avoir un rôle d'impulsion que je crois très important pour que la négociation ait vraiment lieu. Après avoir dit que l'élargissement devait à tout prix être maîtrisé pour qu'il se déroule, j'insiste aussi pour dire que la négociation doit avoir réellement lieu. En matière de négociations d'élargissement, on ne peut pas se borner à organiser des séances un peu formelles dans lesquelles on regarde, chapitre par chapitre, essentiellement ce qui ne pose aucun problème. Il est grand temps d'entrer dans la vraie matière de la négociation et dans les sujets les plus difficiles, car on le sait tous, les pays de l'Union et les pays candidats, il y a des pays qui posent peu de problèmes, d'autres qui posent de vrais problèmes, il y a des cas où l'intégration de tel ou tel met en péril la survie de telle ou telle politique commune ou bien alors il faudra la financer autrement. Mais dans l'agenda-2000, en mars 1999 à Berlin, et cela n'a pas été facile, nous nous sommes mis d'accord sur une enveloppe financière qui va de 2000 à 2006 hors élargissement, alors qu'il est bien probable que des pays seront en état d'entrer avant. Donc, il faudra bien réouvrir cette discussion qu'il ne faut pas éluder au contraire. Et vous verrez que la France qui lançait une sorte d'appel à la raison lorsque la politique d'élargissement était présentée comme une sorte de toboggan facile, serait au contraire le pays dans sa présidence qui poussera à ce que la négociation ait lieu sérieusement car plus on s'engage vite dans le cur de la négociation, plus on a de chances d'avancer.
Voilà quel sera notre rôle durant la présidence, nous regarderons les problèmes sans les masquer. Il n'est pas question que nous perdions du temps, il faudra donc prendre les choses à bras le corps.
Je ne peux pas dire ce que nous trouverons, je n'en sais rien encore une fois, les négociations sont de vraies négociations, cela dépend donc de la réalité de l'économie, de la réalité des réformes, du degré d'avancement dans la reprise des acquits communautaires, de toutes sortes de choses tout à fait variables d'un pays à l'autre. On peut comprendre que ce sera difficile, nous savons tous qu'il est difficile de faire des réformes, quelles qu'elles soient, mais il faudra que ce débat ait lieu. Je vois donc notre présidence comme étant un stimulant pour ces négociations, pour qu'elles soient effectives, réelles et donc utiles à nous tous pour avancer. Mais, tout cela ne se conclura pas durant la présidence française, compte tenu du fait que l'on a ouvert l'an dernier avec six pays, cette année avec six pays, il n'y a aucun cas qui ne soit proche du but, mais il est de notre responsabilité de les faire avancer le mieux possible et avec le maximum de clarté.
Concernant la CIG, je crois que Pierre Moscovici en a beaucoup parlé, je serai donc tout à fait bref. Il y a une chose simple que je peux redire ici, nous ferons tout ce qui dépend de nous, Français, en tant que présidents et en tant que Français, pour que l'on puisse aboutir à la fin de notre présidence, au Conseil européen de Nice. Mais, je ne peux pas m'engager pour tous les autres, et je ne peux pas dire qu'un certain nombre de problèmes qui naissent de la difficulté réelle des trois questions d'Amsterdam et d'autres sujets que l'on abordera si l'on avance bien sur les trois premiers sujets, je ne peux pas dire qu'ils disparaîtront comme par enchantement, et que les raisons qui ont fait qu'à Amsterdam les pays ne s'étaient pas mis d'accord sur la repondération, la majorité qualifiée et la Commission, vont brusquement se mettre d'accord ainsi, on ne peut pas le décréter, il y a une obligation d'efforts, il n'y a pas une obligation de résultats. Nous ferons le mieux possible.
Les difficultés vous les connaissez, il y a un lien très étroit entre le meilleur système de repondération auquel nous parviendrons et l'extension de la majorité qualifiée. Il est clair qu'il y a un lien entre les deux et pour ce que l'on appelle les grands pays, je n'aime pas trop l'expression mais nous parlons entre spécialistes en quelque sorte et tout le monde sait ce que cela veut dire, il est clair qu'il y a un lien et que nous irons d'autant plus loin dans l'extension de la majorité qualifiée que nous aurons un système de décision, - je préférerai unique mais nous verrons -, un système de décisions qui permettra de respecter la réalité dans ce qui se passera ensuite, surtout si on étend dans des matières sensibles, et c'est bien l'objet, comme les matières fiscales ou le social par exemple.
Cela n'a pas mal commencé, Pierre Moscovici a dû vous dire qu'on avait l'impression que les choses progressaient, qu'elles étaient entamées en tout cas, sous l'impulsion portugaise qui est excellente dans un esprit assez constructif car il y a une sorte de sentiment de responsabilité collectif. Il ne faut pas refaire Amsterdam, il ne faut pas tourner en rond durant des mois, sur tous ces sujets que tout le monde connaît par cur, il ne faut pas tourner en rond pour ne pas aboutir. On voit bien qu'il y a une sorte de sentiment d'obligation historique mais en même temps, les choix finaux ne sont pas faits. Il nous appartiendra sans doute, sous notre présidence, à partir du travail de préparation, de décantation qui aura été fait par nos amis portugais, nous aurons peut-être à exercer une pression, amicale mais constante et forte, y compris sur nous-mêmes, pour que l'on aboutisse en temps utile, puisque c'est l'espérance que nous avons. Il faudra s'arrêter à un moment pour agir. Par exemple, dans l'affaire de la Commission, pour la maintenir plafonnée à une taille qui lui permette de fonctionner malgré tout après, il se posera la question du deuxième commissaire pour "les grands pays". Certains ne veulent pas, d'autres l'accepteraient peut-être, dans certaines conditions, il faudra nouer tout cela à un moment donné, c'est le travail d'une présidence active, et à cet égard il faudra que nous soyons des présidents actifs, peut-être décisifs, je l'espère.
La question de la défense, est un peu différente, en effet, nous sommes après le lancement. Il s'est passé des choses très importantes ces dernières années grâce à une évolution britannique et française, chacun ayant fait preuve d'un certain réalisme qui a permis une rencontre féconde. Nous avons pris acte de l'attachement fondamental de l'ensemble de nos partenaires à l'Alliance atlantique, les Britanniques ont pris acte, avec réalisme, de la force de l'Union européenne qui se construit, étape après étape. Cela a donc permis de modifier l'approche commune et c'est à partir de Saint-Malo qui est devenu maintenant une date symbolique que nous avons pu progresser à partir de quelques pays et ensuite très vite à quinze pour raisonner collectivement sur ce que nous pourrions faire en tant qu'union. Cela a abouti à un bon texte à Cologne et à des engagements à Helsinki. Les choses vont vite, la chimère est en train de devenir réalité, ce qui enchante certains et inquiète quelques autres, dont certains expriment leur inquiétude et d'autres la cachent. Nous sommes entre les deux et quand même dans une situation de mouvements et maintenant, nous sommes à la mise en oeuvre et il faut tout simplement traduire et organiser réellement les mécanismes de décision dans l'Union européenne demain, qu'elle doit trouver pour réagir à telle ou telle crise que l'on ne souhaite pas bien sûr mais qui peut se présenter. C'est donc un mécanisme de décisions diplomatique et militaire et c'est tout ce qui est comme le COPCI, le comité militaire, tout cela sous l'autorité suprême du Conseil européen et quotidienne du Conseil des Affaires générales et il y a également la question des capacités dont Alain Richard vous a parlé. Vous avez surtout parlé de cela cet après-midi, je n'y reviens pas. Nous sommes une présidence qui arrive dans ce processus, nous avons joué un rôle tout à fait important dans la genèse, et nous nous retrouvons dans ce travail d'élaboration. Ce qui sera notre rôle dans ce semestre-là, c'est de maintenir ce rythme, de faire en sorte que l'on tienne nos délais, que l'on soit précis, que l'on soit concret. Il y a l'aspect militaire proprement dit et en matière de mécanisme de décisions, il faut que l'on combine deux choses, le fait de doter vraiment l'Union européenne de mécanismes d'analyses d'évaluations et de décisions dans ce domaine, ce qu'elle n'avait pas puisque ce n'était pas du tout de sa compétence, et que l'on trouve en court de route - et à notre avis, pas d'une façon prématurée qui étoufferait dans l'uf la démarche -, que l'on trouve en court de route, les modes d'informations, de consultations, de concertations qu'il est normal d'avoir entre l'Union européenne et l'OTAN, mais pas en intervenant de façon prématurée avant que l'Union européenne ait pu elle-même s'organiser et savoir ce qu'elle veut faire et comment. De même qu'il y aura une concertation particulière à trouver avec les pays qui font partie de l'OTAN et qui ne font pas partie de l'Union européenne parce qu'en effet, il peut exister des hypothèses, même si ce n'est pas immédiat, et c'est encore un peu théorique, il peut y avoir des hypothèses où l'Union européenne, un jour, agissant tel que nous le souhaitons puisse avoir à employer des moyens de l'alliance qui se trouvent être les moyens de certains de ces pays. Tout cela est loin, théorique, cela ne justifie pas l'inquiétude que l'on entend parfois qui est pour le moins très prématurée, un peu suspecte mais nous ne pouvons pas non plus considérer que le problème ne se pose pas, il faut donc l'aborder dans un mouvement. Il ne faut rien mettre en place qui soit de nature à freiner ce mouvement, cette dynamiques très précieuse. Nous avons cherché la quadrature du cercle pendant longtemps, il y a eu des colloques pendant 20 ans où l'on parlait de défense européenne entre Français et d'autres parlaient de leur conception entre eux, et elles n'étaient pas convergentes du tout. Nous avons trouvé une façon d'avancer ensemble, la première de nos priorités doit être de préserver ce dynamisme.
Concernant la PESC, nous prenons la présidence à un moment où, à la fois en termes de mécanismes il y a des éléments nouveaux et où en termes de crises et de difficultés, cela abonde. Nous avons mis en place la novation qui est la création d'un Haut représentant pour la PESC. Je crois qu'il faut bien cerner ce que nous lui demandons, ce que nous attendons de lui. Il faut mettre le curseur au bon endroit, il ne faut pas être en dessous de nos attentes et il ne faut pas attendre de lui des choses impossibles. Je veux dire qu'en prenant une analogie avec les débats que vous n'avez pas oubliés sur la monnaie, nous n'avons pas décidé de créer une politique étrangère unique, c'est une politique étrangère commune. Il s'agit donc de travailler dans la partie commune de nos politiques étrangères. Aucun pays de l'Union n'a décidé de mettre un terme à sa politique étrangère nationale, je dirai même qu'à l'avenir, les politiques étrangères nationales fortes, inventives, dynamiques resteront le combustible de cette politique étrangère européenne. Et je pense que la politique étrangère commune, la partie commune du système se nourrira de cette vitalité. Et d'ailleurs, dès aujourd'hui, lorsque l'on se situe dans le champ de la politique étrangère, à travers les crises multiples qui se produisent malheureusement dans le monde, on voit que cette diversité est une richesse et le fait qu'à travers l'Histoire, les pays membres de l'Union étaient liés à tel ou tel autre, aient connu telle ou telle région, parlent telle ou telle langue, c'est un élément de rayonnement, de compréhension, de connaissance.
Regardez l'atout que représente pour les Etats-Unis le fait d'avoir tellement de communautés multiples qui viennent de tel ou tel pays, qui sont restées en relation et qui parlent toutes les langues. C'est une façon interne d'être universels, et en Europe c'est la diversité qui joue ce rôle, la diversité des pays, des nations, des connaissances, des connexions historiques. Cet élément doit être gardé mais au fur et à mesure que l'Union européenne avance, au fur et à mesure qu'elle développe son système extraordinairement compliqué planétaire d'accords de tous les types que vous connaissez bien et qu'elle les négocie en organisant des rencontres annuelles, semestrielles, qu'elle intervient jusqu'ici avec des moyens surtout financiers mais de plus en plus avec une approche politico-diplomatique, un jour militaire, tout cela forme la trame d'une approche commune qui vient compléter, démultiplier, relayer les politiques étrangères nationales dynamiques. C'est pour cette partie-là que nous avons créé un représentant pour la PESC, Javier Solana, et que nous avons choisi un homme qui a une grande expérience, une extrême subtilité pour réussir justement à donner un contenu dans cette situation nouvelle pour laquelle il faut beaucoup de finesse politique et de sens stratégique.
Nous intervenons, et notre rôle en tant que président c'est de faire en sorte que ces mécanismes nouveaux se mettent en place le mieux possible. C'est déjà le cas, cela a commencé un peu avec la présidence finlandaise, cela se consolide avec la présidence portugaise mais il faut avoir les idées claires pour que cela fonctionne bien. A Lisbonne par exemple, au dîner de jeudi soir des chefs d'Etats et de gouvernements et des ministres des Affaires étrangères qui a été consacré aux Balkans en général, le débat a porté sur la façon de mettre de l'ordre dans les interventions multiples sur les Balkans et comment "balayer devant notre porte", c'est-à-dire mettre de l'ordre dans ce qui est européen. Et c'est dans ce débat que nous sommes arrivés à l'idée qu'il fallait demander à M. Solana, assisté par la Commission et donc par M. Patten, de mieux coordonner l'ensemble des actions de l'Union européenne sur ce secteur. Il y aura autre chose à coordonner ensuite car il n'y a pas que l'Europe, mais il faut commencer par cela. Ce sont des occasions de ce type et pendant notre présidence, nous veillerons concrètement à ce que ces mécanismes nouveaux entrent dans la réalité et que le travail du Haut représentant en matière de défense et en matière de politiques étrangères communes sur quelques points importants, puisse commencer à s'enraciner. Il faut choisir de grands dossiers, il ne faut pas que cette approche nouvelle soit complètement éparpillée, il y a des crises partout et nous pourrions nous consacrer à plein à n'importe laquelle d'entre elle. Il faut bien se concentrer, je crois que la défense, la mise en oeuvre des mécanismes nouveaux, c'est très important et que la question des Balkans au sens large du terme s'impose.
Dans le même temps, je mets en garde contre un risque, celui de la confiance par rapport aux innovations institutionnelles comme elles nous dispensaient de poursuivre notre propre effort. Nous avons un travail à poursuivre au sein de l'Union européenne dont je vois dans mon expérience qu'il prend beaucoup de temps, mais qu'il est extraordinairement riche et qui est le contact multi-bilatéral permanent. Je vois qu'indépendamment de ce qui se passe sur ces questions, le travail permanent entre les ministres des Affaires étrangères, par petits groupes, qui varient selon les sujets, ce n'est souvent pas les mêmes et ce ne sont pas forcément les mêmes selon que l'on s'occupe du Kosovo, de la crise des Grands lacs, de l'ASEAN ou de Timor... Ce travail est fondamental et il me semble qu'au jour le jour, semaine après semaine, semestres après semestres, années après années, nous sommes en train de bâtir un ensemble de références, des approches qui convergent, ce qui n'était pas le cas au début. En matière de politique étrangère, on ne peut pas décréter comme cela que le 1er mars de telle année, nous penserons tous la même chose sur l'Afrique etc... cela ne relève pas d'une décision politique comparable à la monnaie. Dans la monnaie aussi il y a une confiance qui joue, mais dans la politique étrangère, nous sommes, dans la plupart des pays, au cur des mentalités nationales les plus profondément enracinées. Et je ne critique pas, c'est légitime, je constate simplement. Et pour arriver sur la question africaine à une approche des Européens qui convergent, entre les Européens pour qui cela n'a aucune importance, ceux pour qui cela a une importance terrible et douloureuse dans certains cas mais qui sont des expériences antagonistes, pour dépasser ces expériences antagonistes, trouver une approche commune, nouvelle tout en entraînant ceux pour qui c'est une nouveauté, tout cela c'est un travail qui doit être fait inlassablement, qui n'est pas un travail de Pénélope car il avance, il n'est pas détruit durant la nuit, et je considère cela comme très important. Ce n'est pas le sujet principal du colloque mais je vous le cite simplement pour vous dire que mon attitude durant le semestre présidentiel de la France est de continuer à la fois avec les innovations institutionnelles mais aussi de continuer ce travail de fond, qui n'est pas spectaculaire, ni particulièrement visible, qui ne fera pas l'objet d'un bilan spécial en décembre 2000, mais il me paraît essentiel que nous soyons sur cette tendance et que nous la confortions. Il y a aura peut-être des percées sur tel ou tel point, peut-être qu'un jour la conférence sur l'Afrique des Grands lacs se réunira et que nous nous apercevrons que la Belgique, la Grande Bretagne, la France ont joué un rôle important pour déboucher là-dessus. Je ne sais pas, mais ce serait l'un des exemples de cela.
Je crois beaucoup à une méthode qui devra s'étendre sur dix à quinze ans qui soit très concrète, très tenace, très pragmatique, couronnée par des conclusions institutionnelles lorsque les choses sont mûres, mais qui garde en même temps cette liberté d'initiatives et d'approches.
J'ai cité des exemples périphériques en matière de PESC mais la question centrale qui pèsera sur nous, c'est tout à fait prévisible dès maintenant, ce sont les Balkans et l'on peut prévoir déjà que là où seront mis à l'épreuve le travail classique de nos diplomaties et les mécanismes institutionnels nouveaux de l'Europe, c'est cette région ; je ne pense pas et je ne souhaite pas que cela mette à l'épreuve nos mécanismes nouveaux en matière de capacité militaire, là je parlais plutôt en terme politico-diplomatique. Il est clair que la suite de notre engagement au Kosovo, la suite de l'affaire de la Serbie, les autres problèmes de la région, la Bosnie, l'Albanie ou autre, continueront à nous solliciter grandement, et là-dessus nous aurons à la fois à apporter les meilleures réponses possibles, et en même temps, à montrer, à démontrer que l'Europe, de crise en crise se consolide et consolide sa capacité à apporter les bonnes réponses. A cet égard, je pense qu'il faut aujourd'hui faire une appréciation honnête. Nous sommes un an après le début des opérations militaires auxquelles nous avions été contraints en quelque sorte. Je crois que nous avions fait à l'époque ce que nous devions faire, puisque toutes les autres issues, toutes les autres voies avaient été fermées, méthodiquement par les autorités serbes, par le président Milosevic. Je crois qu'il ne faut pas être étonné de la difficulté, elle était prévisible pour quiconque connaît un peu cette région de l'Europe. Nous nous sommes engagés parce que, de deux choses l'une : soit on considérait que dans cette région de l'Europe les affrontements historiques, culturels, ethniques, nationaux faisaient que tout cela était sans fin ; ou bien on considérait que l'on ne pouvait plus raisonner ainsi dans cette époque moderne et dans l'Europe moderne et qu'il fallait s'engager pour européaniser cette partie de l'Europe. Et à ce moment-là, on s'engage sans limitation de durée. C'est ce qui a été fait. Et l'Europe est engagée sous toutes ces formes dans cette partie de l'Europe aussi longtemps que se sera nécessaire. Elle est engagée pour toujours car le jour où elles ne sera plus engagée pour résoudre des crises, elle sera engagée autrement dans des partenariats, des associations, des adhésions etc... Nous aurons, à ce moment-là, atteint notre but. Il n'y a pas de retour en arrière qui puisse être envisagé sur ce plan mais en court de route et sur ce chemin, nous aurons à prendre des décisions très difficiles évidemment.
Voilà les principaux dossiers tels qu'ils vont arriver, tels qu'ils vont se présenter. Nous traiterons chacun d'entre eux avec l'idée d'aller le plus loin possible, le mieux possible et de laisser à nos amis suédois le moins possible de problèmes non réglés, mais il y a forcément une continuité. Nous serons inspirés dans cette présidence par d'autres idées plus globales, peut-être à plus long terme mais qui nous soutiendront quand même dans le détail de nos actions quotidiennes, comme tout simplement l'idée que l'Europe doit devenir un pôle du monde de demain que nous souhaitons multipolaires et pas unipolaire. Vous connaissez la pensée française sur ces questions, je ne la développe pas. Chaque fois que nous avons à prendre une décision en matière de mécanismes institutionnels, de financement, à faire un simple communiqué, nous sommes habités par cette idée que le monde de demain a besoin d'une Europe forte qui joue son rôle, qui soit capable d'intervenir pour préserver la paix, pour la rétablir, qui soit un facteur d'équilibre dans le monde, inspiratrice de règles dont le monde a besoin. Les choses ne sont pas jouées dans la mondialisation, entre la civilisation et la dimension sauvage des mécanismes. Nous sommes habités par cette idée, nous le serons à tous moments de notre présidence, de même que nous serons habités par cette idée de faire de cet espace européen, une sorte de continent exemplaire sur le plan de l'économie, la croissance de l'innovation, sur le plan social, sur le plan de la vie des gens et il y a tout un volet que j'ai moins développé car il est moins dans l'objet direct du colloque, tout un volet concernant la vie des gens. Je le mentionne lorsque je parle " emploi " mais il est certain qu'à travers tout ce que sont les grands principes rassemblés dans cette charte sur laquelle nous travaillons, à travers tous les efforts que nous faisons en matière de police et en matière de justice, à travers toute une série politique qui, chacune mérite un développement comme concernant le principe de précaution de la sécurité des consommateurs, il y a toute une déclinaison qui n'est pas hétéroclite car elle a un point commun qui est de faire au jour le jour, de façon à ce que chaque Européen, chaque citoyen européen le ressente ainsi, un espace qui est exemplaire de liberté, de sécurité, de potentialité, de possibilité d'épanouissement. C'est cette Europe que nous voulons fabriquer et nous savons bien que lorsque l'on parle de l'Europe comme l'un des pôles du monde de demain, elle ne sera pas un pôle simplement parce qu'elle aura une politique étrangère forte et une capacité militaire nouvelle, ce sera l'un des pôles de demain parce que les gens envieront, admireront ou apprécieront la façon dont on vivra et dont on s'épanouira en Europe. Ce sont tous ces grands objectifs qui ne sont pas des objectifs catalogués dans des documents d'une présidence qui n'est que semestrielle, mais qui, je le répète en terminant, nous animerons.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2000)