Texte intégral
Jean-Luc Cazettes : " Nous ne souhaitons pas prendre le virage de la CFDT ".
En refusant, la semaine dernière, de signer l'accord sur les retraites complémentaires avec le patronat, la CFDT et la CFTC, la CFE-CGC a confirmé qu'elle occupait, désormais, une place à part sur l'échiquier syndical. Longtemps allié du MEDEF, signataire de la plupart des grands accords sociaux, le syndicat des cadres tente, aujourd'hui, de se poser en partenaire exigeant, n'hésitant pas à qualifier de " débiles " certaines propositions patronales, ni à s'afficher au côté de FO et de la CGT dans les négociations. Sur les deux précédents accords de la " refondation sociale ", sur l'assurance chômage et la santé au travail, il avait d'abord dit non avant de rejoindre, ultérieurement, le camp des signataires, au risque d'être taxé de versatilité. Dans une interview aux " Échos ", Jean-Luc Cazettes, cinquante-sept ans, président de la CFE-CGC depuis juin 1999, s'explique sur sa stratégie : " Nous ne sommes pas prêts à prendre le virage de la CFDT ". En quelques années, la base militante du syndicat s'est considérablement rajeunie, s'impliquant moins dans l'entreprise mais devenant plus active et revendicative, observe-t-il. " Le MEDEF ne s'en est pas rendu compte parce que () nous avons toujours les mêmes dirigeants qu'il y a vingt ans ", relève Jean-Luc Cazettes. " Le syndicalisme d'appareil, c'est terminé ", lance-t-il. Ainsi, c'est l'ampleur inattendue de la mobilisation du 25 janvier sur les retraites qui a poussé le syndicat des cadres à rejeter l'accord avec le MEDEF, laisse entendre son président. Si ce projet avait été présenté fin décembre, " nous aurions été quatre syndicats à le signer ", déclare-t-il. Grâce à un discours plus radical, Jean-Luc Cazettes entend redonner à la CFE-CGC, aux prud'homales de décembre 2002, la première place dans le collège de l'encadrement, qui lui avait été ravie, fin 1997, par la CFDT. Si l'objectif est atteint, Jean-Luc Cazettes sera candidat à sa succession en 2003, annonce-t-il.
" Les Échos " : Alors que vous aviez fini par signer les deux premiers accords de la refondation sociale, vous venez de rejeter l'accord sur les retraites complémentaires. Quelle est la logique suivie par la CFE-CGC ?
Jean-Luc Cazettes : A chaque fois, le MEDEF avait essayé de passer en force, en disant: C'est fini, il n'y a plus rien à discuter. À chaque fois, sur la base de l'accord qui nous était proposé, nous avons commencé par dire non. À chaque fois, le patronat a ensuite reculé : en ce qui concerne l'assurance chômage, sur le caractère obligatoire du PARE et les sanctions, en ce qui concerne la santé au travail sur l'intervention des médecins libéraux. In fine, ces deux accords ont été substantiellement modifiés et, à partir du moment où nos objectifs ont été atteints, nous les avons signés. A ce propos, je mets le Medef en garde. Son président vient d'écrire au secrétaire général de la CGT que la lettre d'interprétation qu'il nous avait adressée, le 18 décembre, sur la santé au travail, ne changeait en rien les termes de l'accord initial. Ce courrier d'Ernest-Antoine Seillière m'ennuie. Une signature, cela peut toujours se dénoncer...
Sur la retraite complémentaire, le patronat a, de nouveau, tenté de passer en force mais, par méconnaissance du climat dans les entreprises, il s'est heurté à une sensibilité beaucoup plus forte des salariés. La mobilisation du 25 janvier a tout changé: nous étions, ce jour-là, plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues pour dire non à un allongement de la durée de cotisation. Parmi elles, il y avait quelque 20.000 cadres: pour la CFE-CGC, c'est du jamais vu. Après cela, il n'était plus possible pour l'organisation patronale de camper sur ses positions, ou pour les syndicats de lâcher prise. Nous avions des obligations à l'égard de ceux qui ont répondu à notre appel. C'est si vrai qu'à mon avis, le projet du 10 février nous aurait été présenté le 22 décembre, nous aurions été quatre syndicats à le signer, au lieu de deux.
Ne vous êtes-vous pas laissé griser par ce succès ?
Non. Depuis le début, le MEDEF fait une mauvaise analyse de la CFE-CGC et de l'encadrement. Au dernier congrès, j'avais indiqué qu'il y avait un changement. Cela fait des années que je clôture des stages de formation militante et, depuis trois ans, j'aperçois nettement un changement de profil. L'époque est révolue où nous n'avions, à la CFE-CGC, que des cadres de 55 ans qui cherchaient une protection syndicale. Aujourd'hui, nos militants ont entre 35 et 40 ans, avec autant de femmes que d'hommes et ils n'ont plus du tout les mêmes réactions que la génération d'avant. Le MEDEF ne s'en est pas rendu compte, parce que nos structures, elles, n'ont pas évolué. Dans les fédérations, nous avons toujours les mêmes dirigeants qu'il y a vingt ans. Le syndicalisme cadre, dans les entreprises, ce n'est plus la même paire de manches. La journée d'action sur la retraite a révélé cette base cadre plus active, plus revendicative. Je pensais voir des papys dans les rue, j'ai vu des jeunes.
Avez-vous mis des moyens nouveaux pour mobiliser ce jour-là ?
L'informatique nous aide bien. La confédération a développé un Intranet qui lui permet d'être en relation directe avec de plus en plus de sections syndicales d'entreprise. Nous gagnons considérablement en efficacité pour faire passer les messages.
Quel est le cadre-type de la CFE-CGC ?
C'est un technicien, agent de maîtrise ou cadre moyen, plutôt jeune, beaucoup plus attaché à la vie familiale, associative, qu'à son entreprise, dans laquelle il ne s'implique plus comme avant. C'est un salarié que l'on ne fait plus courir comme avant avec une petite carotte. Dans les années 1980, il a vu son père viré de son entreprise à 53 - 55 ans après s'y être donné plus que de raison et, de cela, il a tiré les leçons. En outre, dans l'entreprise, les cadres n'ont plus la même reconnaissance qu'avant. Avec la détaylorisation, le passage en groupes autonomes, on a supprimé les lignes hiérarchiques. De plus en plus, le niveau de la décision stratégique est remonté et il s'est produit une coupure entre, d'un côté, le top management, les cadres supérieurs et, de l'autre, le reste des cadres. Aujourd'hui, ceux-ci ne sont plus, en majorité, que des exécutants, diplômés, compétents, mais des exécutants. Ils n'ont plus la sensation d'apporter quelque chose à la stratégie de l'entreprise.
Cela ne donne pas une image très dynamique de l'encadrement... N'êtes-vous pas en train de passer à côté du virage de la nouvelle économie?
Je travaille beaucoup, en ce moment, avec les gens de " Silicon Sentier ". Il ne faut pas se leurrer. Dès qu'une start-up grossit, on retombe sur les schémas sociaux classiques d'une entreprise classique. Ce qui change, c'est la forme de l'engagement syndical, qui n'a plus rien d'idéologique. Les cadres veulent un syndicalisme pragmatique, de service : garanties juridiques, accords de partenariat avec des banques... Ils deviennent consommateurs de syndicalisme comme de culture ou de loisir et, d'ailleurs, ils adhérent à une organisation comme ils s'engagent dans une association humanitaire ou à une amicale sportive.
Cela vous oblige à changer vos structures, afin qu'ils ne trouvent pas, en face d'eux, des gens qui font du syndicalisme comme il y a vingt ans...
Il vont prendre le pouvoir...
À propos de prise de pouvoir, serez-vous de nouveau candidat à la présidence de la CFE-CGC en 2003, date du prochain congrès ?
Il y a de fortes chances. Cela dépendra de notre résultat aux élections prud'homales de décembre 2002, où notre objectif est de reprendre la première place du collège de l'encadrement. Cela suppose de récupérer 4 à 5 points. Ce ne sera pas facile parce que, la plupart du temps, les cadres, dans les grandes entreprises, ne se déplacent pas pour aller voter. C'est pourquoi il faut développer les possibilités de vote par correspondance. J'observe, aujourd'hui, un retour en grâce électoral, aux chambres d'agriculture et dans le secteur public, et nous sommes en passe de devenir la première organisation de la police.
Mais votre discours peut-il séduire un électorat de cadres assez hétérogène? Par exemple, votre hostilité aux fonds de pension, aux stock-options n'a rien pour plaire aux cadres supérieurs...
Il est difficile de faire coexister les cadres supérieurs avec les autres. Parce qu'ils ne se sentent pas à leur place dans une réunion de section. Il faut imaginer, pour eux, des formules de type associatif leur permettant de garder une certaine indépendance.
Est-ce pour s'adapter à votre nouvelle base que vous radicalisez votre discours?
Après Marc Vilbenoît [NDLR : président de la CFE-CGC de 1993 à 1999], tout discours un peu musclé apparaît comme une révolution. C'est vrai que ma base pousse de plus en plus, mais mes interlocuteurs, en face, ne me donnent aucune raison de la freiner. Que voulez-vous que je fasse quand le MEDEF arrange, le jeudi, avec la CFDT, les termes de l'accord sur les retraites qui sera négocié le vendredi ? Si au moins, il avait pris en compte notre revendication d'un rachat possible des points de retraite perdus pour années d'études... Mais non, il négocie avec la CFDT, notamment le rapprochement entre le régime des cadres [AGIRC] et ARRCO, qui est, pour nous, inacceptable, et il nous dit : " viens signer ". Moi, je ne marche pas.
Cela résulte-t-il de votre inimitié personnelle avec Denis Kessler [numéro deux du Medef]?
Sûrement.
Finirez-vous par signer l'accord sur les retraites, comme les deux précédents ?
Il y a deux choses qui me gênent. La première est que l'accord court jusqu'au 31 décembre 2002, ce qui signifie qu'il faudra le renégocier en pleine campagne des prud'homales. C'est une erreur colossale. Vous pensez que je vais aborder ces élections en me liant les mains sur l'allongement de la durée de cotisation? Ce sera sans moi. Le deuxième obstacle, c'est qu'il ne fallait pas dicter à l'État une réforme des régimes de base. Jamais, les partenaires sociaux n'avaient autant débordé leur champ de compétences.Est-ce cohérent d'en appeler à l'État quand la négociation bloque et de se réfugier derrière le dogme d'un paritarisme pur lorsqu'il s'agit de rédiger l'accord?
J'ai réclamé l'intervention du gouvernement lorsque le MEDEF a menacé de mettre en l'air le régime de l'ASF [qui finance les retraites complémentaires entre 60 et 65 ans]. Je ne cherche pas à contester à tout prix la légitimité de l'État sur le champ social. Les élus du suffrage universel ont le droit de se pencher sur l'ensemble des sujets pour s'assurer que les évolutions prises sont conformes aux lignes générales qu'ils ont définies. Je dirai même que l'État permet d'établir un rapport de forces avec le MEDEF. Ce sera le cas tant que les patrons continueront à se livrer à une chasse aux sorcières syndicales dans les entreprises. Il y a encore eu, l'an dernier, 13.000 licenciements de délégués syndicaux.
N'est-ce pas un peu infantilisant ? Les syndicats allemands n'attendent pas que l'État les protège...
La législation n'est pas la même. En Allemagne, les accords signés ne bénéficient qu'aux adhérents syndicaux. En France, que l'on adhère à une organisation ou pas, on a droit à tous les avantages obtenus par les syndicats. En dehors des grandes entreprises, cela ne facilite pas le rapport de forces.
La refondation sociale a confirmé la bipolarisation du monde syndical, avec, d'un côté la CFDT et la CFTC et, de l'autre, FO et la CGT. Où se situe la CFE-CGC?
Au centre. Il est clair que nous ne souhaitons pas prendre le virage de la CFDT, surtout pas au même rythme.
Vous pensez que les cadres comprennent mieux votre attitude que celle, peut-être plus moderniste, de la CFDT?
Si la CFDT est moderniste, je veux bien être ringard. Je suis imperméable aux étiquettes. Moi, je crois que la CFDT a quelques années de retard dans son analyse de l'encadrement. Les cadres d'aujourd'hui sont moins ouverts que leurs prédécesseurs à la ligne cédétiste.
Vous avez vécu une petite lune de miel avec FO. Quel est le sens de ce rapprochement ? C'est vrai que je m'entends mieux avec Marc Blondel qu'avec Nicole Notat. Surtout, je tiens compte de ce qui se passe sur le terrain, pas des grandes constructions intellectuelles nationales. Dans les branches professionnelles, les gens de la CFE-CGC travaillent avec ceux de FO et de la CFTC, pas avec la CFDT, qui, dans les entreprises, continue de bouffer du cadre tous les matins. Dans la métallurgie, la chimie, notre allié, c'est FO. Je ne fais que renouer, au sommet, des liens qui existaient mais qui avaient été mis entre parenthèses. Le syndicalisme, c'est d'abord écouter le terrain, pas se partager des présidences d'organismes sociaux. Le syndicalisme d'appareil, c'est terminé.
Propos recueillis par Michèle Lécluse et Jean-Francis Pécresse
(source : http://www.cfecgc.org, le 21 février 2001)
En refusant, la semaine dernière, de signer l'accord sur les retraites complémentaires avec le patronat, la CFDT et la CFTC, la CFE-CGC a confirmé qu'elle occupait, désormais, une place à part sur l'échiquier syndical. Longtemps allié du MEDEF, signataire de la plupart des grands accords sociaux, le syndicat des cadres tente, aujourd'hui, de se poser en partenaire exigeant, n'hésitant pas à qualifier de " débiles " certaines propositions patronales, ni à s'afficher au côté de FO et de la CGT dans les négociations. Sur les deux précédents accords de la " refondation sociale ", sur l'assurance chômage et la santé au travail, il avait d'abord dit non avant de rejoindre, ultérieurement, le camp des signataires, au risque d'être taxé de versatilité. Dans une interview aux " Échos ", Jean-Luc Cazettes, cinquante-sept ans, président de la CFE-CGC depuis juin 1999, s'explique sur sa stratégie : " Nous ne sommes pas prêts à prendre le virage de la CFDT ". En quelques années, la base militante du syndicat s'est considérablement rajeunie, s'impliquant moins dans l'entreprise mais devenant plus active et revendicative, observe-t-il. " Le MEDEF ne s'en est pas rendu compte parce que () nous avons toujours les mêmes dirigeants qu'il y a vingt ans ", relève Jean-Luc Cazettes. " Le syndicalisme d'appareil, c'est terminé ", lance-t-il. Ainsi, c'est l'ampleur inattendue de la mobilisation du 25 janvier sur les retraites qui a poussé le syndicat des cadres à rejeter l'accord avec le MEDEF, laisse entendre son président. Si ce projet avait été présenté fin décembre, " nous aurions été quatre syndicats à le signer ", déclare-t-il. Grâce à un discours plus radical, Jean-Luc Cazettes entend redonner à la CFE-CGC, aux prud'homales de décembre 2002, la première place dans le collège de l'encadrement, qui lui avait été ravie, fin 1997, par la CFDT. Si l'objectif est atteint, Jean-Luc Cazettes sera candidat à sa succession en 2003, annonce-t-il.
" Les Échos " : Alors que vous aviez fini par signer les deux premiers accords de la refondation sociale, vous venez de rejeter l'accord sur les retraites complémentaires. Quelle est la logique suivie par la CFE-CGC ?
Jean-Luc Cazettes : A chaque fois, le MEDEF avait essayé de passer en force, en disant: C'est fini, il n'y a plus rien à discuter. À chaque fois, sur la base de l'accord qui nous était proposé, nous avons commencé par dire non. À chaque fois, le patronat a ensuite reculé : en ce qui concerne l'assurance chômage, sur le caractère obligatoire du PARE et les sanctions, en ce qui concerne la santé au travail sur l'intervention des médecins libéraux. In fine, ces deux accords ont été substantiellement modifiés et, à partir du moment où nos objectifs ont été atteints, nous les avons signés. A ce propos, je mets le Medef en garde. Son président vient d'écrire au secrétaire général de la CGT que la lettre d'interprétation qu'il nous avait adressée, le 18 décembre, sur la santé au travail, ne changeait en rien les termes de l'accord initial. Ce courrier d'Ernest-Antoine Seillière m'ennuie. Une signature, cela peut toujours se dénoncer...
Sur la retraite complémentaire, le patronat a, de nouveau, tenté de passer en force mais, par méconnaissance du climat dans les entreprises, il s'est heurté à une sensibilité beaucoup plus forte des salariés. La mobilisation du 25 janvier a tout changé: nous étions, ce jour-là, plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues pour dire non à un allongement de la durée de cotisation. Parmi elles, il y avait quelque 20.000 cadres: pour la CFE-CGC, c'est du jamais vu. Après cela, il n'était plus possible pour l'organisation patronale de camper sur ses positions, ou pour les syndicats de lâcher prise. Nous avions des obligations à l'égard de ceux qui ont répondu à notre appel. C'est si vrai qu'à mon avis, le projet du 10 février nous aurait été présenté le 22 décembre, nous aurions été quatre syndicats à le signer, au lieu de deux.
Ne vous êtes-vous pas laissé griser par ce succès ?
Non. Depuis le début, le MEDEF fait une mauvaise analyse de la CFE-CGC et de l'encadrement. Au dernier congrès, j'avais indiqué qu'il y avait un changement. Cela fait des années que je clôture des stages de formation militante et, depuis trois ans, j'aperçois nettement un changement de profil. L'époque est révolue où nous n'avions, à la CFE-CGC, que des cadres de 55 ans qui cherchaient une protection syndicale. Aujourd'hui, nos militants ont entre 35 et 40 ans, avec autant de femmes que d'hommes et ils n'ont plus du tout les mêmes réactions que la génération d'avant. Le MEDEF ne s'en est pas rendu compte, parce que nos structures, elles, n'ont pas évolué. Dans les fédérations, nous avons toujours les mêmes dirigeants qu'il y a vingt ans. Le syndicalisme cadre, dans les entreprises, ce n'est plus la même paire de manches. La journée d'action sur la retraite a révélé cette base cadre plus active, plus revendicative. Je pensais voir des papys dans les rue, j'ai vu des jeunes.
Avez-vous mis des moyens nouveaux pour mobiliser ce jour-là ?
L'informatique nous aide bien. La confédération a développé un Intranet qui lui permet d'être en relation directe avec de plus en plus de sections syndicales d'entreprise. Nous gagnons considérablement en efficacité pour faire passer les messages.
Quel est le cadre-type de la CFE-CGC ?
C'est un technicien, agent de maîtrise ou cadre moyen, plutôt jeune, beaucoup plus attaché à la vie familiale, associative, qu'à son entreprise, dans laquelle il ne s'implique plus comme avant. C'est un salarié que l'on ne fait plus courir comme avant avec une petite carotte. Dans les années 1980, il a vu son père viré de son entreprise à 53 - 55 ans après s'y être donné plus que de raison et, de cela, il a tiré les leçons. En outre, dans l'entreprise, les cadres n'ont plus la même reconnaissance qu'avant. Avec la détaylorisation, le passage en groupes autonomes, on a supprimé les lignes hiérarchiques. De plus en plus, le niveau de la décision stratégique est remonté et il s'est produit une coupure entre, d'un côté, le top management, les cadres supérieurs et, de l'autre, le reste des cadres. Aujourd'hui, ceux-ci ne sont plus, en majorité, que des exécutants, diplômés, compétents, mais des exécutants. Ils n'ont plus la sensation d'apporter quelque chose à la stratégie de l'entreprise.
Cela ne donne pas une image très dynamique de l'encadrement... N'êtes-vous pas en train de passer à côté du virage de la nouvelle économie?
Je travaille beaucoup, en ce moment, avec les gens de " Silicon Sentier ". Il ne faut pas se leurrer. Dès qu'une start-up grossit, on retombe sur les schémas sociaux classiques d'une entreprise classique. Ce qui change, c'est la forme de l'engagement syndical, qui n'a plus rien d'idéologique. Les cadres veulent un syndicalisme pragmatique, de service : garanties juridiques, accords de partenariat avec des banques... Ils deviennent consommateurs de syndicalisme comme de culture ou de loisir et, d'ailleurs, ils adhérent à une organisation comme ils s'engagent dans une association humanitaire ou à une amicale sportive.
Cela vous oblige à changer vos structures, afin qu'ils ne trouvent pas, en face d'eux, des gens qui font du syndicalisme comme il y a vingt ans...
Il vont prendre le pouvoir...
À propos de prise de pouvoir, serez-vous de nouveau candidat à la présidence de la CFE-CGC en 2003, date du prochain congrès ?
Il y a de fortes chances. Cela dépendra de notre résultat aux élections prud'homales de décembre 2002, où notre objectif est de reprendre la première place du collège de l'encadrement. Cela suppose de récupérer 4 à 5 points. Ce ne sera pas facile parce que, la plupart du temps, les cadres, dans les grandes entreprises, ne se déplacent pas pour aller voter. C'est pourquoi il faut développer les possibilités de vote par correspondance. J'observe, aujourd'hui, un retour en grâce électoral, aux chambres d'agriculture et dans le secteur public, et nous sommes en passe de devenir la première organisation de la police.
Mais votre discours peut-il séduire un électorat de cadres assez hétérogène? Par exemple, votre hostilité aux fonds de pension, aux stock-options n'a rien pour plaire aux cadres supérieurs...
Il est difficile de faire coexister les cadres supérieurs avec les autres. Parce qu'ils ne se sentent pas à leur place dans une réunion de section. Il faut imaginer, pour eux, des formules de type associatif leur permettant de garder une certaine indépendance.
Est-ce pour s'adapter à votre nouvelle base que vous radicalisez votre discours?
Après Marc Vilbenoît [NDLR : président de la CFE-CGC de 1993 à 1999], tout discours un peu musclé apparaît comme une révolution. C'est vrai que ma base pousse de plus en plus, mais mes interlocuteurs, en face, ne me donnent aucune raison de la freiner. Que voulez-vous que je fasse quand le MEDEF arrange, le jeudi, avec la CFDT, les termes de l'accord sur les retraites qui sera négocié le vendredi ? Si au moins, il avait pris en compte notre revendication d'un rachat possible des points de retraite perdus pour années d'études... Mais non, il négocie avec la CFDT, notamment le rapprochement entre le régime des cadres [AGIRC] et ARRCO, qui est, pour nous, inacceptable, et il nous dit : " viens signer ". Moi, je ne marche pas.
Cela résulte-t-il de votre inimitié personnelle avec Denis Kessler [numéro deux du Medef]?
Sûrement.
Finirez-vous par signer l'accord sur les retraites, comme les deux précédents ?
Il y a deux choses qui me gênent. La première est que l'accord court jusqu'au 31 décembre 2002, ce qui signifie qu'il faudra le renégocier en pleine campagne des prud'homales. C'est une erreur colossale. Vous pensez que je vais aborder ces élections en me liant les mains sur l'allongement de la durée de cotisation? Ce sera sans moi. Le deuxième obstacle, c'est qu'il ne fallait pas dicter à l'État une réforme des régimes de base. Jamais, les partenaires sociaux n'avaient autant débordé leur champ de compétences.Est-ce cohérent d'en appeler à l'État quand la négociation bloque et de se réfugier derrière le dogme d'un paritarisme pur lorsqu'il s'agit de rédiger l'accord?
J'ai réclamé l'intervention du gouvernement lorsque le MEDEF a menacé de mettre en l'air le régime de l'ASF [qui finance les retraites complémentaires entre 60 et 65 ans]. Je ne cherche pas à contester à tout prix la légitimité de l'État sur le champ social. Les élus du suffrage universel ont le droit de se pencher sur l'ensemble des sujets pour s'assurer que les évolutions prises sont conformes aux lignes générales qu'ils ont définies. Je dirai même que l'État permet d'établir un rapport de forces avec le MEDEF. Ce sera le cas tant que les patrons continueront à se livrer à une chasse aux sorcières syndicales dans les entreprises. Il y a encore eu, l'an dernier, 13.000 licenciements de délégués syndicaux.
N'est-ce pas un peu infantilisant ? Les syndicats allemands n'attendent pas que l'État les protège...
La législation n'est pas la même. En Allemagne, les accords signés ne bénéficient qu'aux adhérents syndicaux. En France, que l'on adhère à une organisation ou pas, on a droit à tous les avantages obtenus par les syndicats. En dehors des grandes entreprises, cela ne facilite pas le rapport de forces.
La refondation sociale a confirmé la bipolarisation du monde syndical, avec, d'un côté la CFDT et la CFTC et, de l'autre, FO et la CGT. Où se situe la CFE-CGC?
Au centre. Il est clair que nous ne souhaitons pas prendre le virage de la CFDT, surtout pas au même rythme.
Vous pensez que les cadres comprennent mieux votre attitude que celle, peut-être plus moderniste, de la CFDT?
Si la CFDT est moderniste, je veux bien être ringard. Je suis imperméable aux étiquettes. Moi, je crois que la CFDT a quelques années de retard dans son analyse de l'encadrement. Les cadres d'aujourd'hui sont moins ouverts que leurs prédécesseurs à la ligne cédétiste.
Vous avez vécu une petite lune de miel avec FO. Quel est le sens de ce rapprochement ? C'est vrai que je m'entends mieux avec Marc Blondel qu'avec Nicole Notat. Surtout, je tiens compte de ce qui se passe sur le terrain, pas des grandes constructions intellectuelles nationales. Dans les branches professionnelles, les gens de la CFE-CGC travaillent avec ceux de FO et de la CFTC, pas avec la CFDT, qui, dans les entreprises, continue de bouffer du cadre tous les matins. Dans la métallurgie, la chimie, notre allié, c'est FO. Je ne fais que renouer, au sommet, des liens qui existaient mais qui avaient été mis entre parenthèses. Le syndicalisme, c'est d'abord écouter le terrain, pas se partager des présidences d'organismes sociaux. Le syndicalisme d'appareil, c'est terminé.
Propos recueillis par Michèle Lécluse et Jean-Francis Pécresse
(source : http://www.cfecgc.org, le 21 février 2001)