Interview de M. Pascal Canfin, ministre du développement, avec RFI le 20 février 2014, sur la situation en Ukraine, la taxe sur les transactions financières et sur le projet de loi sur la politique de développement.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

VINCENT SOURIAU
Ministre chargé du Développement, merci d'être avec nous. Le président ukrainien, Viktor IANOUKOVITCH, annonce donc une trêve conclue hier avec les chefs de file de l'opposition, après les affrontements de Kiev qui ont fait au moins 28 morts. Est-ce qu'un dialogue politique vous semble encore possible en Ukraine ?
PASCAL CANFIN
Oui, il est non seulement possible, mais c'est la seule voie qui permet de sortir par le haut, de cette crise. Vous savez, la stratégie française et la stratégie européenne, parce que, sur ce sujet, il faut le souligner, l'Europe parle d'une seule et même voix. Il y a aujourd'hui, avec Laurent FABIUS, le ministre allemand et le ministre polonais à Kiev, et il y a, dans quelques heures, à Bruxelles, une réunion de l'ensemble des ministres des Affaires étrangères, pour définir la position commune de l'Union européenne. Je pense que c'est important, parce que sur beaucoup de crises internationales, on critique l'Europe, là elle est unie et active. La stratégie repose sur deux jambes. La première jambe, c'est la dénonciation de ces violences parfaitement inadmissibles, insupportables, et vous rappelez le nombre dramatique de morts.
VINCENT SOURIAU
28 morts.
PASCAL CANFIN
Avec, peut-être, ça sera décidé aujourd'hui, des sanctions. Et la deuxième jambe, c'est le dialogue. Le dialogue, tout simplement parce qu'il n'y a pas d'autre solution qu'une solution qui passe par le dialogue politique, et, à terme, par des élections, pour rétablir une légitimité à Kiev, au pouvoir. Et j'insiste sur le fait que l'Europe continue bien évidemment d'avoir la main tendue, c'est-à-dire de proposer à l'Ukraine, au peuple ukrainien, l'accord d'association, parce qu'il ne s'agit évidemment pas de rejeter l'Ukraine, nous ne sommes pas dans un camp ou dans un autre, c'est la paix qui est notre seul objet.
VINCENT SOURIAU
En même temps, Pascal CANFIN, il y a une opération qualifiée d'antiterroriste, en cours en ce moment, un nouveau chef des armées, un partisan de la ligne dure, qui a été nommé hier soir, ce n'est pas ce que l'on appelle un double-langage de la part du président IANOUKOVITCH ?
PASCAL CANFIN
C'est précisément pour cela que nous avons une stratégie, avec une première jambe sur les sanctions, et la deuxième, sur le dialogue. Je crois que c'est la seule façon, à la fois de montrer où sont les limites, où est notre coeur, comme disait Laurent FABIUS hier à l'Assemblée nationale, et en même temps, toujours avoir la main tendue, parce que si nous contribuons nous-mêmes à crisper, à renforcer les tensions, à exacerber les tensions au sein de la société ukrainienne, nous ne jouons pas notre rôle, et donc nous avons une stratégie sur deux jambes, qui encore une fois est une stratégie de l'ensemble des pays européens, il faut le souligner.
VINCENT SOURIAU
Alors, cette crise ukrainienne, a légèrement éclipsé le 26ème Conseil des ministres franco-allemands, qui se tenait hier à Paris, vous y avez participé, Pascal CANFIN.
PASCAL CANFIN
Oui.
VINCENT SOURIAU
On y a parlé de la taxe sur les transactions financières, c'est une vieille idée. Pourquoi n'y a-t-il toujours pas de position commune, en Europe, sur cette question ?
PASCAL CANFIN
D'abord, parce que dans les 28 pays qui constituent l'Union européenne, seuls 11 ont dit que politiquement ils souhaitaient adopter cette taxe sur les transactions financières, et maintenant, parmi les 11, nous discutons pour obtenir les modalités, l'assiette, le taux, les produits qui seront couverts, et ensuite à quoi va servir les revenus issus de cette taxe. Et il y a eu un pas important, qui a été franchi hier avec le Conseil des ministres franco-allemand, c'est que nous nous sommes mis d'accord, la France et l'Allemagne, pour avoir un champ large de cette taxe, qui couvre l'ensemble des produits, ce que l'on appelle les produits dérivés, sans rentrer dans la technique, donc pas seulement un champ étroit, qui rapporterait peu, mais un champ large. Maintenant, il reste encore à définir un accord sur des modalités précises, et c'est vrai, je l'ai dit publiquement, je regrette que nous n'ayons pu le faire dès hier, parce qu'il y avait une opportunité politique, pour sceller un accord, y compris technique, franco-allemand, pour ensuite aller voir l'Espagne, l'Italie, le Portugal, et avancer le plus rapidement possible. Nous avons franchi un pas, nous ne sommes pas au bout du chemin, il y a maintenant un nouveau calendrier qui est fixé, qui est le fait d'arriver à un accord, avant les élections européennes…
VINCENT SOURIAU
Avant les élections européennes.
PASCAL CANFIN
… c'est un message politique fondamental. C'est un message politique fondamental, parce que ça montrera concrètement que l'Europe peut agir et que nous pouvons faire, à plusieurs, ce que nous ne pouvons pas faire tout seul, à savoir reprendre en partie la main, sur les transactions les plus spéculatives.
VINCENT SOURIAU
Il y a aussi une question politique en Europe, c'est que d'ici les élections européennes en mai, le nouveau président de la Commission européenne va changer. Est-ce que vous pensez que si l'Europe ne parvient pas à un accord sur cette taxe d'ici les élections européennes, le nouveau président va remettre cette question sur la table ?
PASCAL CANFIN
Oui, parce que, comme je vous le disais, c'est un sujet qui maintenant n'appartient plus à la Commission européenne, puisqu'en fait ce ne sont pas les 28 Etats membres qui vont mettre en place cette taxe, ce sont les 11, c'est ce que l'on appelle en jargon européen, une coopération renforcée, et donc, la décision appartient aux 11 Etats concernés. Donc il n'y aura pas d'impact des élections européennes et du changement de commission, en revanche, pour montrer que l'Europe sert à quelque chose, et c'est quand même quelque chose de fondamental, avant les élections européennes, pour que ce soit un point d'appuis dans le débat qui va nous occuper au moment des élections européennes, il faut que cet axe soit décidé avant, et moi, en tant que ministre du Développement, je plaide bien évidemment pour qu'une partie significative, et c'est la position officielle de la France, soit, des recettes, soit affectée au développement, à la lutte contre le changement climatique, à la solidarité internationale. C'est l'origine même de cette taxe.
VINCENT SOURIAU
Vous parliez des recettes, cette taxe, à l'origine, selon le projet de la commission européenne, présenté l'an dernier, devait rapporter environ 35 milliards d'euros. Avec les modalités qui sont discutées en ce moment, c'est beaucoup moins.
PASCAL CANFIN
Justement, il n'y a pas d'accord précis, sur les modalités.
VINCENT SOURIAU
On parlait plutôt de 7 milliards d'euros, ces temps-ci, c'est-à-dire 5 fois moins.
PASCAL CANFIN
Mais, tout dépend de l'accord sur les modalités, je ne vais pas préjuger d'un accord qui, malheureusement, malheureusement, n'existe pas. Par ailleurs, le fait que nous ayons dit, et la France, et l'Allemagne, que nous étions pour un champ large, une assiette large, qui taxe les produits dérivés, peut laisser penser que cela génèrera un certain nombre de recettes qui nous permettrons d'aller au-delà du chiffre que vous mentionnez. Mais, ce qui est important, c'est que le champ soit large, pour générer des recettes supplémentaires pour l'aide au développement, en ce qui me concerne, pour la France. Parce que la France a déjà une taxe sur les transactions financières, et nous en affectons 15 % au pays du sud, notamment à l'Afrique et notamment dans le domaine de la santé. Et je trouve qu'il n'y a rien de plus beau, que de pouvoir taxer les transactions les plus spéculatives, prendre une partie de cet argent et le donner, en l'occurrence notre initiative porte sur les pays du Sahel, pour permettre à des enfants quo aujourd'hui n'ont pas accès aux soins, de, enfin, se soigner. C'est une belle politique, que la politique de développement.
VINCENT SOURIAU
Alors, justement, l'Assemblée nationale a voté il y a dix jours votre projet de loi, Pascal CANFIN, le projet de loi relatif au développement et à la solidarité internationale. Ce texte prévoit de mettre en place des indicateurs de résultats, en clair, Pascal CANFIN, qu'est-ce que ça veut dire ?
PASCAL CANFIN
Ah, cette loi, c'est la première de toute l'histoire de la République française sur ce sujet. Parce que l'histoire de cette politique, c'était ce que l'on appelait à l'époque, la politique africaine de la France. Maintenant, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, nous ouvrons une nouvelle page, qui est la page de la transparence. Et nous avons fait, avec les indicateurs que vous venez d'évoquer, nous avons pris d'autres engagements, la transparence, c'est-à-dire mettre sur un site Internet, l'ensemble des projets que nous finançons, dans les 16 pays africains, où nous intervenons le plus, pour que chaque citoyen du continent et des pays concernés, et chaque contribuable français, puisse savoir précisément ce que nous faisons, projet par projet, avec cet argent, suivre le déroulement du projet, et s'il y avait un problème dans le déroulement du projet, nous alerter. Aujourd'hui…
VINCENT SOURIAU
Ce n'était pas le cas, jusqu'ici, cette transparence.
PASCAL CANFIN
Absolument pas. Absolument pas. La France, je vais même vous dire, était plutôt, il ne faut pas se le cacher, plutôt en retard, et je lui fais, non seulement rattraper son retard, mais je pense que nous allons maintenant même, au cours de 2014, lorsque cette transparence sera acquise de manière opérationnelle, dans les 16 pays africains où nous intervenons le plus, nous serons même plutôt en avance. Et nous le faisons, d'ores et déjà, au Mali, c'est un grand succès, ce site au Mali, nous le faisons, avec bien sûr notre aide, nous allons le faire avec les Néerlandais, une plateforme commune, et mon ambition, c'est que dès les prochains mois, nous puissions avoir une seule plateforme de l'ensemble des bailleurs internationaux, l'Union européenne, d'autres pays européens, les Etats-Unis, de façon à ce que l'ensemble des Maliens, des élus, des ONG, de la société civile, puissent s'approprier totalement l'aide publique internationale, dont je rappelle que grâce à la France, notamment, elle s'élève à 3,2 milliards d'euros pour le Mali.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2014