Texte intégral
F. David
La presse bruisse encore des réactions provoquées par l'intervention du président de la République samedi, lors du 14 Juillet. On l'a trouvé très offensif et on a dit que la campagne allait être violente entre L. Jospin et J. Chirac. Est-ce votre sentiment, la campagne est lancée ?
- "Je dirais que le président de la République a fait sien le vieil adage : "La meilleure défense, c'est l'attaque." Alors bien entendu, tout y est passé ! Mais je crois aussi qu'il faut relativiser parce que le Gouvernement actuel a marqué des points avec les emplois-jeunes et les 35 heures. Cela dit, dans beaucoup de domaines, dans la construction européenne, par exemple, du Traité d'Amsterdam en passant par celui de Nice, J. Chirac et L. Jospin ont marché la main dans la main. Quand le président de la République dit qu'il y aurait en France, compte tenu des 200 "parquétistes"-procureurs dont nous disposons, une application de la loi qui serait différente ; qui est le premier responsable ? C'est J. Chirac, lorsqu'il a nommé la commission Truche qui a conduit à la loi qui a été votée et qui fait, en effet, que le cordon ombilical a été coupé entre les procureurs et le gouvernement pour les instructions individuelles. Nous n'avons pas approuvé au Mouvement des citoyens car il faut une politique pénale globale et s'il doit y avoir des instructions écrites, il faut les donner mais, comme je viens de le dire, par écrit."
Il ne vous semble pas que le Président a marqué des points quand il a longuement, très longuement abordé le thème de la sécurité, préoccupation majeure des Français en ce moment, et à laquelle, finalement, L. Jospin répond aujourd'hui en envoyant à ses ministres les lettres plafonds du Budget, en annonçant, notamment, la création d'un nombre important de policiers. Est-ce que 3 000 policiers en plus vous semble suffisant ?
- "Les lettres plafonds partent toujours à peu près à la même date. L'insécurité est un vrai problème auquel J.-P. Chevènement a eu l'occasion de s'attaquer en créant, par exemple, ce qu'on appelle "la police de proximité" et les "Contrats locaux de sécurité." Mais ce qui est vrai, c'est que, dans au moins deux cas extrêmement importants, L. Jospin n'a pas rendu les arbitrages que demandait J. -P. Chevènement, qu'il s'agisse par exemple de la réforme de l'ordonnance de 1945 qui aurait permis..."
...qui concerne les mineurs...
- " ..Qui concerne les mineurs, absolument... qui aurait permis d'extraire à leur milieu familial ou social ou au quartier, des jeunes multi-récidivistes laissés à l'abandon. On sait bien qu'ils sont interpellés 15 fois, 23 fois... par les policiers, conduits au parquet et, à partir de là, déférés mais ils ne sont pas poursuivis."
Cela veut dire que L. Jospin a mené une politique laxiste en ce qui concerne la sécurité ?
- "Il a suivi les propositions du Garde des Sceaux qui était, à l'époque, madame Guigou. Il n'a pas eu une politique laxiste, ce serait naturellement excessif, mais je pense qu'il n'a pas pris les mesures suffisantes. En ce qui concerne, par exemple, la citoyenneté - c'est un grand combat -, ce qu'à fait L. Jospin dans ce domaine - alors que les propositions de J.-P. Chevènement allaient loin parce qu'il faut prendre la sécurité dans sa globalité : qu'il s'agisse de l'école, du travail, de l'accès au travail de tous les jeunes - la proposition de L. Jospin s'est terminée par un numéro d'appel, ce qui est pour le moins insuffisant."
Vous parliez de l'ordonnance de 1945 concernant les mineurs et on parle beaucoup des mineurs délinquants en ce moment. Un certain nombre de villes ont décidé d'imposer ce qu'on appelle "les couvre-feu" pour ces mineurs en dessous de 13 ans : interdiction de se promener tout seul la nuit. Est-ce que ça vous paraît une bonne mesure ? Est-ce que ce n'est pas démagogique et sécuritaire ?
- "Il ne faut pas attendre de cette mesure des résultats spectaculaires. Bien entendu, une telle disposition peut être tirée dans tous les sens car elle a plusieurs versants. Mais je l'ai dit, elle est parfaitement admissible par la gauche. Car quels sont l'homme et la femme qui peuvent accepter que des enfants de moins de 13 ans circulent à 2 heures du matin dans les rues sans être accompagnés d'un adulte responsable ? Là, c'est véritablement laissé la porte ouverte à toutes les mauvaises aventures pour ces enfants. Il est donc nécessaire de réagir. La police - dans les conditions fixées par les arrêtés, c'est-à-dire dans des rues bien précises, pour une durée déterminée à partir de certaines heures : 23 heures à 5 heures du matin, et pour les ramener chez eux et ensuite, je l'espère, demander un suivi par les services sociaux de la famille et de l'enfant - me paraît tout à fait souhaitable."
Cela existait déjà, les policiers ont déjà pour mission de ramener chez eux les enfants qui sont perdus, égarés ou qui sont sans adulte ?
- "Les policiers, comme les citoyens, comme vous ou moi. Seulement dans la pratique, il en va autrement. Dans certain cas, pour certains maires, évidemment, c'est histoire de faire du tam-tam mais cela répond aussi à une attente profonde de la population qui a que le sentiment que l'impuissance règne partout et que les pouvoirs publics ne veulent pas prendre leurs responsabilités."
Vous disiez, il y a quelques temps, en parlant de la possible candidature de J.-P. Chevènement à l'élection présidentielle, que la majorité plurielle n'a plus grand sens aujourd'hui. C'est un sentiment qui augmente chez vous ?
- "Ce n'est pas un sentiment qui augmente, c'est un constat. Nous avons été très heureux en 1997 car lors de sa déclaration de politique générale, L. Jospin avait ouvert des perspectives et nous semblions prendre du champ par rapport à d'autres politiques qui avaient été suivies. Avec le recul et les années qui ont passé, on constate que le Gouvernement actuel, conduit par L. Jospin, a pris du champ par rapport à cette déclaration et qu'il y a, disons-le franchement, une forme de dérive libérale. Si je prends les lois qui ont été votées comme les nouvelles régulations économiques ou la modernisation sociale, franchement, il n'y a rien dedans qui empêchera les grandes multinationales de licencier, de se délocaliser ou faire mieux, comme Alcatel, puisque nous aurons un groupe sans entreprises, sans cadres, sans ingénieurs et sans ouvriers. Là, l'Etat est absent. Quand j'entends R. Hue qui fait le tour des lieux difficiles et sensibles et qui dit qu'il faut appliquer la loi sur la modernisation sociale, cela augmentera les discussions..."
...Vous avez voté contre. Cela veut dire que vous êtes encore plus à gauche que le PC aujourd'hui ?
- "Ce n'est pas la question d'être à gauche, c'est d'être conséquent et républicain et de ne pas donner pas l'impression qu'on fait quelque chose, qui, dans les faits, se révélera totalement impuissant. Nous sommes pour que la France fasse retour à la République."
Ce sera le créneau de J.-P. Chevènement dans sa future campagne présidentielle ?
- "Ce sera, s'il est candidat, son créneau car sa candidature n'a de sens que si véritablement elle est faite pour changer la donne et mettre fin aux vis-à-vis émollients entre le social-libéralisme et le libéralisme qui se dit social."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 juillet 2001)
La presse bruisse encore des réactions provoquées par l'intervention du président de la République samedi, lors du 14 Juillet. On l'a trouvé très offensif et on a dit que la campagne allait être violente entre L. Jospin et J. Chirac. Est-ce votre sentiment, la campagne est lancée ?
- "Je dirais que le président de la République a fait sien le vieil adage : "La meilleure défense, c'est l'attaque." Alors bien entendu, tout y est passé ! Mais je crois aussi qu'il faut relativiser parce que le Gouvernement actuel a marqué des points avec les emplois-jeunes et les 35 heures. Cela dit, dans beaucoup de domaines, dans la construction européenne, par exemple, du Traité d'Amsterdam en passant par celui de Nice, J. Chirac et L. Jospin ont marché la main dans la main. Quand le président de la République dit qu'il y aurait en France, compte tenu des 200 "parquétistes"-procureurs dont nous disposons, une application de la loi qui serait différente ; qui est le premier responsable ? C'est J. Chirac, lorsqu'il a nommé la commission Truche qui a conduit à la loi qui a été votée et qui fait, en effet, que le cordon ombilical a été coupé entre les procureurs et le gouvernement pour les instructions individuelles. Nous n'avons pas approuvé au Mouvement des citoyens car il faut une politique pénale globale et s'il doit y avoir des instructions écrites, il faut les donner mais, comme je viens de le dire, par écrit."
Il ne vous semble pas que le Président a marqué des points quand il a longuement, très longuement abordé le thème de la sécurité, préoccupation majeure des Français en ce moment, et à laquelle, finalement, L. Jospin répond aujourd'hui en envoyant à ses ministres les lettres plafonds du Budget, en annonçant, notamment, la création d'un nombre important de policiers. Est-ce que 3 000 policiers en plus vous semble suffisant ?
- "Les lettres plafonds partent toujours à peu près à la même date. L'insécurité est un vrai problème auquel J.-P. Chevènement a eu l'occasion de s'attaquer en créant, par exemple, ce qu'on appelle "la police de proximité" et les "Contrats locaux de sécurité." Mais ce qui est vrai, c'est que, dans au moins deux cas extrêmement importants, L. Jospin n'a pas rendu les arbitrages que demandait J. -P. Chevènement, qu'il s'agisse par exemple de la réforme de l'ordonnance de 1945 qui aurait permis..."
...qui concerne les mineurs...
- " ..Qui concerne les mineurs, absolument... qui aurait permis d'extraire à leur milieu familial ou social ou au quartier, des jeunes multi-récidivistes laissés à l'abandon. On sait bien qu'ils sont interpellés 15 fois, 23 fois... par les policiers, conduits au parquet et, à partir de là, déférés mais ils ne sont pas poursuivis."
Cela veut dire que L. Jospin a mené une politique laxiste en ce qui concerne la sécurité ?
- "Il a suivi les propositions du Garde des Sceaux qui était, à l'époque, madame Guigou. Il n'a pas eu une politique laxiste, ce serait naturellement excessif, mais je pense qu'il n'a pas pris les mesures suffisantes. En ce qui concerne, par exemple, la citoyenneté - c'est un grand combat -, ce qu'à fait L. Jospin dans ce domaine - alors que les propositions de J.-P. Chevènement allaient loin parce qu'il faut prendre la sécurité dans sa globalité : qu'il s'agisse de l'école, du travail, de l'accès au travail de tous les jeunes - la proposition de L. Jospin s'est terminée par un numéro d'appel, ce qui est pour le moins insuffisant."
Vous parliez de l'ordonnance de 1945 concernant les mineurs et on parle beaucoup des mineurs délinquants en ce moment. Un certain nombre de villes ont décidé d'imposer ce qu'on appelle "les couvre-feu" pour ces mineurs en dessous de 13 ans : interdiction de se promener tout seul la nuit. Est-ce que ça vous paraît une bonne mesure ? Est-ce que ce n'est pas démagogique et sécuritaire ?
- "Il ne faut pas attendre de cette mesure des résultats spectaculaires. Bien entendu, une telle disposition peut être tirée dans tous les sens car elle a plusieurs versants. Mais je l'ai dit, elle est parfaitement admissible par la gauche. Car quels sont l'homme et la femme qui peuvent accepter que des enfants de moins de 13 ans circulent à 2 heures du matin dans les rues sans être accompagnés d'un adulte responsable ? Là, c'est véritablement laissé la porte ouverte à toutes les mauvaises aventures pour ces enfants. Il est donc nécessaire de réagir. La police - dans les conditions fixées par les arrêtés, c'est-à-dire dans des rues bien précises, pour une durée déterminée à partir de certaines heures : 23 heures à 5 heures du matin, et pour les ramener chez eux et ensuite, je l'espère, demander un suivi par les services sociaux de la famille et de l'enfant - me paraît tout à fait souhaitable."
Cela existait déjà, les policiers ont déjà pour mission de ramener chez eux les enfants qui sont perdus, égarés ou qui sont sans adulte ?
- "Les policiers, comme les citoyens, comme vous ou moi. Seulement dans la pratique, il en va autrement. Dans certain cas, pour certains maires, évidemment, c'est histoire de faire du tam-tam mais cela répond aussi à une attente profonde de la population qui a que le sentiment que l'impuissance règne partout et que les pouvoirs publics ne veulent pas prendre leurs responsabilités."
Vous disiez, il y a quelques temps, en parlant de la possible candidature de J.-P. Chevènement à l'élection présidentielle, que la majorité plurielle n'a plus grand sens aujourd'hui. C'est un sentiment qui augmente chez vous ?
- "Ce n'est pas un sentiment qui augmente, c'est un constat. Nous avons été très heureux en 1997 car lors de sa déclaration de politique générale, L. Jospin avait ouvert des perspectives et nous semblions prendre du champ par rapport à d'autres politiques qui avaient été suivies. Avec le recul et les années qui ont passé, on constate que le Gouvernement actuel, conduit par L. Jospin, a pris du champ par rapport à cette déclaration et qu'il y a, disons-le franchement, une forme de dérive libérale. Si je prends les lois qui ont été votées comme les nouvelles régulations économiques ou la modernisation sociale, franchement, il n'y a rien dedans qui empêchera les grandes multinationales de licencier, de se délocaliser ou faire mieux, comme Alcatel, puisque nous aurons un groupe sans entreprises, sans cadres, sans ingénieurs et sans ouvriers. Là, l'Etat est absent. Quand j'entends R. Hue qui fait le tour des lieux difficiles et sensibles et qui dit qu'il faut appliquer la loi sur la modernisation sociale, cela augmentera les discussions..."
...Vous avez voté contre. Cela veut dire que vous êtes encore plus à gauche que le PC aujourd'hui ?
- "Ce n'est pas la question d'être à gauche, c'est d'être conséquent et républicain et de ne pas donner pas l'impression qu'on fait quelque chose, qui, dans les faits, se révélera totalement impuissant. Nous sommes pour que la France fasse retour à la République."
Ce sera le créneau de J.-P. Chevènement dans sa future campagne présidentielle ?
- "Ce sera, s'il est candidat, son créneau car sa candidature n'a de sens que si véritablement elle est faite pour changer la donne et mettre fin aux vis-à-vis émollients entre le social-libéralisme et le libéralisme qui se dit social."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 juillet 2001)