Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la protection du patrimoine architectural des aéroports, notamment dans un cadre européen, Le Bourget le 22 juin 2001.

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Circonstance : Atelier international sur le thême : "L'aéroport historique, quel futur ?", à l'aéroport du Bourget le 22 juin 2001

Texte intégral

Cette 44ème édition du salon international de l'Air et de l'Espace du Bourget, première du XXIème siècle, présente le cadre idéal pour clôturer les réflexions engagées par votre réseau d'experts de " l'Europe de l'Air " sur l'avenir des aéroports historiques.
Que reste-t-il en effet de cette conquête de l'air, commencée au début du XXe siècle, en 1903, avec le premier vol des frères Wright à Kitty Hawk ? L'avion a, nous le savons tous, révolutionné les notions traditionnelles de l'espace et du temps, bouleversé l'économie mondiale et changé la nature de nos échanges et nos mentalités. Cinquante ans après les premiers bonds de ces "aéroplanes", les hommes ont réussi à conquérir l'espace en lançant des satellites à la découverte d'autres planètes. La conquête du monde par l'avion s'explique par l'ampleur des moyens humains et matériels qui lui ont été consacrés dès ses débuts.
Le formidable développement de l'aviation, ses performances, son universalité ont également été utilisés comme un outil de puissance, un vecteur de pouvoir et de conquête.
L'avion a renouvelé la recherche de l'arme absolue : porteurs des horreurs de la guerre, il est devenu un instrument de puissance planétaire. Mais il a aussi transformé la vie quotidienne de millions de femmes et d'hommes, changeant la nature des métiers de l'industrie, utilisant de nouveaux matériaux et des savoirs-faire utiles dans d'autres branches industrielles comme le bâtiment, avec les alliages résistants et légers en aluminium par exemple. Il a également ouvert le monde du voyage au plus grand nombre.
Vous venez de visiter ce site unique en France, et très rare en Europe, lieu emblématique où se côtoient un aéroport en activité, avec la présentation des machines les plus sophistiquées, et le remarquable musée de l'air et de l'espace. Fondé dès 1919 et installé au Bourget à partir de 1973, il nous rappelle les grandes étapes de l'aventure aéronautique. Ce site du Bourget n'est certes pas le " berceau " de l'aviation française, mais un lieu témoin de nombreux exploits, ceux de pilotes héroïques comme Nungesser et Coli ou Costes et Bellonte... qui tentèrent la traversée de l'Atlantique. On sait quelles foules énormes étaient venues accueillir ici l'américain Charles Lindbergh le 21 mai 1927.
Le Bourget est aussi le témoin historique de la naissance et du développement de l'aviation civile, le transport de passagers payants, dans des bombardiers reconvertis de la Première guerre mondiale. Inaugurées dès 1919, les premières liaisons aériennes sont internationales et la ligne Le Bourget-Croydon restera longtemps la plus fréquentée du monde. Pour répondre à l'accroissement du trafic aérien, une nouvelle aérogare est projetée au Bourget dès 1930. Conçu par l'architecte Georges Labro, inauguré en 1937 à l'occasion de l'Exposition internationale, bombardé en partie durant la dernière guerre et reconstruit à l'identique par le même architecte, l'aéroport du Bourget est le seul de cette génération à avoir survécu à la guerre et aux démolitions récentes comme celles de Lyon-Bron ou de Bordeaux.
Cette architecture aéroportuaire restera encore longtemps non seulement une " gare " pour le transport aérien mais aussi un lieu de spectacle, avec ses gradins en terrasse pour un public venu admirer les exploits aéronautiques dont cette manifestation du Salon international du Bourget perpétue la tradition.
Mais, paradoxalement, c'est une architecture que l'on pourrait qualifier d'éphémère, réponse toujours décalée pour rattraper les immenses progrès techniques et quantitatifs de l'aviation commerciale et les exigences dues à une fréquentation toujours plus intense. Après l'ouverture en 1961 d'Orly, qui est venu succéder au Bourget, la plate-forme aéroportuaire de Roissy se trouve elle aussi bientôt saturée malgré l'ouverture de la nouvelle aérogare et d'une nouvelle piste, obligeant au choix difficile d'un autre site aéroportuaire à la périphérie de la capitale.
Cette obsolescence rapide de l'usage de ces aéroports pose naturellement la question des conditions de leur maintien au titre du patrimoine. Car ces infrastructures parmi les plus monumentales, les plus prestigieuses et les plus innovatrices de l'ère moderne méritent d'être identifiées, protégées et restaurées. Alors qu'il existe de nombreuses collections publiques et privées d'avions historiques comme celle que vous venez de visitez ou celles rassemblées et entretenues par les membres de l'Aéro-Club de France, l'architecture de l'aéronautique mérite une meilleure reconnaissance et nous devons y travailler.
Cette prise de conscience d'un patrimoine de l'aéronautique constitue un travail de longue haleine, objectif poursuivi par la constitution de ce réseau de compétences européennes que vous avez lancé depuis trois ans dans le cadre du programme Raphaël.
A partir du noyau constitué par les trois partenaires initiaux du projet, le Landesdenkmalamt Berlin, English Heritage et la Direction de l'architecture et du Patrimoine, se sont joints le Musée de l'Air et de l'Espace, la Cité de l'Architecture et du patrimoine, la Fédération internationale de l'aéronautique et d'autres collègues néerlandais, belges, suédois, finlandais, hongrois et italiens, sans oublier les responsables de la Speke-Garston Development Company à Liverpool. Le cercle de professionnels du patrimoine s'est largement ouvert et diversifié : des historiens et conservateurs aux responsables et gestionnaires publics de sites aéroportuaires, aux compagnies aériennes et diverses associations de sauvegarde de l'aéronautique.
Vos rencontres permettent de mesurer le degré d'intérêt patrimonial de chacun des pays sur ce nouveau patrimoine : ici considéré comme lieu de mémoire héroïque d'une bataille, celle d'Angleterre durant la seconde guerre mondiale, là comme un vestige à effacer rapidement liée à une occupation militaire soviétique. Au-delà des identités nationales et locales, cette appropriation d'une histoire commune et internationale de l'aéronautique est capitale pour la compréhension de l'aviation et le développement d'un patrimoine européen.
Peu à peu s'est dégagé, à travers vos ateliers de travail de Liverpool, de Berlin et aujourd'hui de Paris, une charte pour la sauvegarde du patrimoine de l'aéronautique. Les membres du groupe de travail du programme Europe de l'air proposent la rédaction d'une charte européenne pour la sauvegarde de l'architecture de l'aéronautique.
A partir de cette base, ils demanderont au Conseil de l'Europe de formuler une recommandation. En vue de sensibiliser à ce patrimoine de l'aéronautique, les partenaires, les propriétaires et les gestionnaires des sites, sera produite une publication. Cette histoire du patrimoine de l'aéronautique doit attirer notre attention sur le legs du XXe siècle. En France, sur près de 600 sites aéronautiques répertoriés, moins d'une dizaine sont aujourd'hui protégés.
Pour tenter de remédier à cette situation préoccupante qui touche l'ensemble de cette architecture du XXe siècle, un certain nombre de mesures de protection ont été engagées depuis deux ans. Ainsi, en 1999, l'aéroclub de Doncourt-les-Conflans en Meurthe-et-Moselle a été protégé et inscrit au titre de la loi sur les monuments historiques ; l'année dernière, la liste s'est accrue avec le hangar à dirigeables d'Ecausseville dans la Manche, la soufflerie Hispano-Suiza de Bois-Colombes dans les Hauts-de-Seine ainsi que l'ancien hangar AK, les anciens bureaux du Colonel Renard et la grande soufflerie de l'ONERA à Meudon dans les Hauts-de-Seine, promue au classement. Cette année, la protection de l'école de pilotage de la Compagnie Française Aérienne d'Avrillé, près d'Angers est à l'étude ; elle pourrait être réutilisée en Maison de l'Architecture.
La protection doit s'accompagner d'études préalables établies en concertation avec les propriétaires et les collectivités, afin de proposer les meilleures solutions pour la ré affection et la réhabilitation de ce type particulier d'édifices ou de sites. La reconversion de tels sites doit être compatible avec leur intérêt patrimonial et garder la meilleure lecture des valeurs d'origine et d'usage du lieu et des bâtiments. Ces exemples et d'autres comme l'aérogare sud d'Orly de l'architecte Henri Vicariot qui vous sera présentée demain après-midi et l'aérogare n°1 Charles-de-Gaulle à Roissy-en-France, édifiée par Paul Andreu ainsi que, pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les hangars aéronautiques d'Istres et de Marignane montrent, ne serait-ce que pour la France, la richesse de l'architecture aéroportuaire à faire connaître.
La Cité de l'Architecture et du Patrimoine, tête de pont d'un réseau national et international de diffusion, présentera après son ouverture une exposition sur ce thème, alliant le patrimoine européen de ces aéroports historiques et la création architecturale contemporaine. Cette manifestation prolongera les discussions animées provoquées par votre table ronde de ce matin, facilitant ainsi l'essor de cette nouvelle culture architecturale associant la mémoire et le projet.
Je souhaite vivement que les réflexions engagées dans le cadre de ce programme Raphaël soient rapidement communiquées au public, via notre site Internet et par une publication éditée par les Editions du Patrimoine.
Ces actions devraient également se poursuivre et permettre d'élargir votre réseau d'experts européens dans le cadre de la création d'un observatoire des politiques culturelles qui serait mis en place par le Conseil de l'Europe. Au-delà de la protection du patrimoine, il s'agit aussi de forger les termes d'une histoire commune de l'aéronautique européenne faisant , en contrepoids de celle des Etats-Unis, appel à une vision unique.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 juin 2001)