Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec TV5 Monde le 27 avril 2014, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France.

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Média : TV5

Texte intégral

- Ukraine -
Q - Merci d'être avec nous, d'avoir choisi TV5 Monde pour cet entretien en particulier au moment où la France et le monde sont confrontés à la très dangereuse crise ukrainienne. On va parler aussi d'autres sujets comme la présence française en Afrique, les enjeux du climat avant la grande conférence de Paris fin 2015, aussi de la diplomatie économique ou encore des efforts de la France pour attirer des touristes du monde entier en France. Ce sont des compétences qui font partie aussi aujourd'hui de votre ministère. Alors commençons par l'Ukraine si vous le voulez bien. Vendredi, le Premier ministre ukrainien, Arseni Yatseniouk, accusait la Russie de vouloir lancer une troisième guerre mondiale. On en est vraiment là, Laurent Fabius ?
R - La situation est très inquiétante et c'est vrai que lorsque des populations ont les nerfs à vif et que les incidents se multiplient, il peut toujours y avoir un dérapage aux conséquences incalculables.
Dans cette situation-là, je pense qu'il faut que la France, l'Europe et plus largement, nous poursuivions trois objectifs : premièrement la désescalade. Il n'est pas question d'aller faire la guerre à la Russie, cela n'a pas de sens. Il faut lancer un appel à la désescalade et en particulier des côtés russe et pro-Russes. Deuxièmement, il faut préparer l'élection présidentielle du 25 mai. Les russes disent que le gouvernement ukrainien n'a pas de légitimité. Nous, nous pensons qu'il a une légitimité, mais il faut, quand on est dans une crise comme celle que nous connaissons actuellement, que l'on arrive à avoir une nouvelle autorité issue de l'élection présidentielle. Et troisièmement, il faut que l'on prépare une nouvelle Constitution et le gouvernement ukrainien y est prêt. Donc désescalade, élection présidentielle, nouvelle Constitution : voilà le chemin de la raison.
Q - Désescalade, ça ne veut pas dire baisser la garde. Ça veut dire que les sanctions que l'Union européenne, que les Occidentaux en général, préparent, sont toujours nécessaires ?
R - Oui, et lundi 28 avril est prévue une réunion des COREPER, c'est-à-dire des représentants permanents auprès de l'Europe pour préparer un nouveau train de sanctions. De leur côté, les Américains devraient rendre public un train de sanctions et si les choses s'aggravaient encore, il peut y avoir un troisième stade.
Q - Un mot sur ces sanctions : est-ce que les sanctions qui sont pour l'instant essentiellement d'ordre économique vont suffire à faire sinon plier Vladimir Poutine, en tout cas le faire réfléchir ?
R - C'est l'objectif. Les sanctions sont multiformes : il y a eu l'annulation du G8, l'interruption de toute coopération militaire, des sanctions personnelles, des refus et des suppressions de visas, des blocages financiers, et puis ces sanctions peuvent monter en régime. Mais il faut évidemment dire, en particulier aux Russes, que la souveraineté de chaque pays doit être respectée. Nous respectons la souveraineté russe, les Russes doivent respecter la souveraineté ukrainienne.
Q - Vous avez été surpris par la fermeté, par la dureté on peut même dire, de Vladimir Poutine ?
R - Surpris, non, parce qu'à la place où je suis, il faut en général envisager toutes les hypothèses. Mais je le répète, l'appel à la désescalade est la seule voie raisonnable.
Q - Et pour parler du gouvernement ukrainien, est-ce que vous trouvez que la manière dont les autorités de Kiev gèrent la crise, est satisfaisante ?
R - C'est très difficile pour ces autorités. D'abord parce que le Parlement et le gouvernement sont composites. Je trouve que le Premier ministre, M. Iatseniouk, fait preuve en général d'une vraie maîtrise dans une situation épouvantablement difficile. Il y a la menace russe, les difficultés internes, les contradictions dans son propre pays et les complications économiques, il faut qu'il arrive à gérer tout ça, c'est donc très difficile.
Q - Avant de parler des pays environnants, un mot quand même sur la Crimée : malgré les 95 % en faveur du rattachement de la Russie - il y a eu un référendum le 16 mars - est-ce que pour vous la Crimée fait toujours partie, Monsieur le Ministre, de l'Ukraine ?
R - La communauté internationale a dit qu'elle ne reconnaissait pas l'annexion. Comprenez bien que si on accepte l'idée qu'une région, parce qu'il y a une minorité dans cette région, peut organiser un référendum pour être annexée par un autre pays et ceci contrairement au souhait du pays auquel elle appartient, cela veut dire qu'il n'y a plus de frontières internationales, il n'y a plus de droit international. Imaginez que cela se passe en Chine ou en Afrique où il y a des ethnies différentes, ce serait une source de conflits effrayants, y compris d'ailleurs en Russie où il y a des populations composites.
Il faut bien sûr qu'il y ait une décentralisation mais aussi qu'on prenne en compte les soucis des minorités - c'est très important - et en particulier qu'elles puissent exprimer leurs différentes langues, c'est tout à fait fondamental. Mais autoriser la mise en cause de la souveraineté des pays et ne pas respecter les frontières internationales, c'est extrêmement dangereux.
Q - Donc la solution pour l'avenir de l'Ukraine, ce serait une décentralisation comme on dit ou même peut-être une fédéralisation ?
R - Oui. Cela ne veut pas du tout dire un démembrement mais il faut - et je pense que le gouvernement ukrainien en est d'accord - qu'il y ait une discussion avec la population, elle est concernée au premier point. On pourrait arriver à une décentralisation qui prenne en compte la diversité des régions.
Q - Alors vous le disiez, vous êtes ministre des affaires étrangères, vous dialoguez avec la Russie, on connaît Vladimir Poutine ; on sait aussi que les Occidentaux ont besoin de Vladimir Poutine. En Syrie par exemple, en Iran aussi, sur des dossiers très importants, très chauds en ce moment...
R - Pour le moment, il n'y a pas de confusion entre les différentes crises. Vous parliez de l'Iran. Nous discutons en ce moment avec l'Iran pour essayer de trouver une solution au problème du nucléaire iranien et nous avons d'un côté les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne et de l'autre côté, l'Iran. Et les Russes, pour le moment - j'espère que ça va durer - sont solidaires de ce que nous faisons dans le 5 +1. Donc il n'y a pas de confusion.
Q - On ne mélange pas les dossiers pour le moment...
R - Pour le moment, et c'est très souhaitable parce qu'à partir du moment où on mélangerait les dossiers, ce n'est pas une crise qui aiderait à résoudre l'autre mais c'est une crise qui rendrait encore plus difficile la solution de l'autre.
Q - Un mot sur la solidarité européenne en la matière ; les Européens sur l'Ukraine sont aussi divisés et entre autres les Polonais, les Pays baltes qui sont plus fermes. Cette crise ukrainienne, vous estimez qu'elle est un test important pour la solidarité européenne ?
R - Oui, et je dois dire que les Européens ont été regroupés.
Deux exemples : le 21 février dernier, je suis allé avec mes collègues allemand et polonais à Kiev et nous avons conclu un accord avec la partie ukrainienne, qui a permis d'éviter le bain de sang à Kiev. L'Europe était là et a évité le bain de sang. Aujourd'hui, c'est vrai qu'il y a des sensibilités différentes. Sur les 28 pays de l'Union européenne, vous en avez six qui dépendent à 100 % du gaz russe et 12 qui dépendent à plus de 50 %. Évidemment ces pays sont beaucoup plus sensibles à la menace que d'autres pays qui eux en sont davantage indépendants. Et sur la question des sanctions, elles ne peuvent être décidées qu'à l'unanimité et jusqu'à présent, cette unanimité a existé.
- Géorgie / Moldavie -
(...)
Q - Alors vous venez de prononcer le mot de «menace» ; s'il y a bien deux pays qui sont sensibles à cette menace, c'est la Moldavie et la Géorgie, des anciennes républiques de l'URSS, qui craignent aujourd'hui cette puissance russe. Vous y étiez d'ailleurs cette semaine. Que feraient les Occidentaux par exemple si des incidents devaient éclater en Transnistrie qu'est cette région russophone de la Moldavie ?
R - Je viens d'effectuer un déplacement dans ces deux pays avec mon collègue allemand. Le fait que les Allemands et les Français envoient leurs deux ministres des affaires étrangères ensemble a été reçu de manière très positive par ces pays. En Moldavie, la Transnistrie est dans une situation particulière parce que de fait, elle est sous la dépendance russe aujourd'hui.
Q - En plus c'est à la frontière de l'Ukraine, donc c'est très sensible...
R - Bien sûr, c'est très sensible. Et les autorités moldaves sont tout à fait conscientes de cela. Elles ne raisonnent pas en termes de «l'Europe contre la Russie». Mais elles souhaitent, et nous en sommes d'accord, passer un accord d'association économique avec l'Europe - ce que nous allons faire normalement au mois de juin.
En Géorgie, le problème est un peu différent ; vous savez qu'il y a deux régions qui ont un statut particulier : l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. La Géorgie souhaite également passer un accord d'association, nous en sommes d'accord. Je tiens à répéter ici que ce n'est pas parce que ces deux pays - la Moldavie et la Géorgie - ont de bonnes relations avec l'Union européenne qu'elles doivent avoir de mauvaises relations avec la Russie. La géographie est là et on peut très bien avoir de bonnes relations avec les deux, c'est ce que nous souhaitons.
Q - Vous parlez d'association avec l'Union européenne ; donc il ne s'agit pas d'intégration...
R - Non, il s'agit d'un accord économique d'association qui est positif pour ces régions. Ainsi, dès le 28 avril, il n'y aura plus de visa demandé pour les séjours de courte durée des Moldaves en Union européenne.
Q - Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question sur les réactions que l'Occident... que l'Europe aurait si jamais des incidents devaient éclater en Transnistrie, ce qui n'est pas impensable...
R - Nous n'en sommes pas là.
Q - Il y a énormément de Russophones dans cette région...
R - Oui bien sûr. En tout cas ce n'est pas souhaitable. Mais si cela devait exister, cela signifierait que de la part des Russes, ce n'est pas simplement un problème vis-à-vis de l'Ukraine, mais c'est une volonté générale d'étendre leur souveraineté, ce qui évidemment poserait des problèmes considérables.
Q - Est-ce que la Moldavie, la Géorgie ont leur place dans l'OTAN ?
R - Elles ne le demandent pas.
Q - A priori des accords de défense suffiraient, des accords de partenariat...
R - Pour l'OTAN, il faut faire très attention. Il existe dans le traité de l'OTAN l'article 5, qui stipule que si une partie d'un pays membre de l'OTAN est attaquée, tous les autres doivent se porter à son secours. Et il ne faut pas entrer dans un système où les Russes se sentiraient eux-mêmes menacés. Pour le moment, et c'est la position de l'Allemagne, de la France et de beaucoup d'autres pays, nous sommes pour un maintien de l'existant.
Q - Quand vous étiez en Géorgie, vous avez évoqué un futur voyage du président français, François Hollande ; est-ce que vous avez la date de ce voyage ?
R - Il arrive dans très peu de jours, au début du mois de mai.
(...).
- Syrie -
Q - Alors une question si vous voulez bien sur la Syrie, pour évoquer l'accueil des réfugiés syriens en France. Il y a trois millions de réfugiés syriens, qui ont été chassés de leur pays par la guerre, il y en a 159 qui sont à Saint-Ouen, c'est dans la banlieue parisienne, près de Paris. Et ils ne parviennent pas à être pris en charge, ils ne sont pas pris en charge - le maire a versé, je crois, 1 200 euros - et le maire de Saint-Ouen fait appel à l'État français et au ministère des affaires étrangères pour venir en aide à ces réfugiés. Qu'est-ce que vous pouvez faire ?
R C'est une situation que nous essayons de démêler. Compte tenu de la situation épouvantable de la Syrie, beaucoup de Syriens sont partis à l'étranger et on le comprend. La France a pris sa part. Des Syriens ont fait des demandes pour pouvoir bénéficier du droit d'asile et sont accueillis en France.
Ceux que vous évoquiez ne sont pas passés par ces filières, ils se retrouvent «hors tout» mais il faut trouver une solution humaine. Et donc le ministère de l'intérieur d'une part, le ministère des affaires étrangères...
Q - Vous allez vous en occuper...
R - On va s'en occuper, bien sûr.
(...).
- Mali / République centrafricaine -
Q - Concernant le Mali, on peut dire que l'opération militaire française a été un succès ; politiquement rien n'est vraiment réglé, en particulier dans le nord du pays avec les Touaregs. Est-ce que le gouvernement malien n'a pas perdu beaucoup de temps pour régler cette question ?
R - Militairement, vous avez raison, cela a été un succès et il faut rendre hommage aux soldats français et aux soldats africains qui sont intervenus. Il s'agit également d'un succès sur le plan démocratique, puisqu'un président, parfaitement légitime, a été élu, M. Ibrahim Keita, et qu'une assemblée nationale a été mise en place. Mais il est tout à fait exact que si l'on veut éviter la répétition de ce qui s'est passé avant, il faut qu'une discussion se tienne entre le gouvernement et la diversité des populations du nord. Le président malien le sait parfaitement et nous lui faisons confiance pour que ces discussions soient engagées. C'est absolument indispensable.
Q - Vous avez déjà en partie répondu à la question suivante : vous n'êtes pas déçu par l'attitude politique du président Keita ?
R - Non car je sais que cela prend du temps. Le président s'est engagé à ce que cette discussion ait lieu. Je l'ai rencontré récemment, ainsi que le président français. Il est décidé à suivre cette politique, mais il faut qu'ils arrivent à un résultat.
Q - On sait qu'il n'y a pas de solution à long terme au Mali s'il n'y a pas de solution non plus pour la question touareg...
R - Bien sûr.
Q - Concernant la Centrafrique, les violences continuent entre Chrétiens et Musulmans. Il y a des soldats français qui ont dû riposter jeudi soir d'ailleurs dans un quartier musulman de Bangui. Sept assaillants ont été tués par l'armée française. Dans ce contexte, est-ce que l'armée française restera encore longtemps en Centrafrique ?
R - En République centrafricaine, il y a à la fois des mauvaises et des bonnes nouvelles. Commençons par les bonnes. L'Europe a accepté d'envoyer sur place un certain nombre de soutiens militaires.
Q - Très subitement et très lentement.
R - Mais c'est mieux que rien. Et l'ONU a accepté, à la demande de la France et de la Centrafrique, de décider du lancement d'une opération de «maintien de la paix». Près 12.000 militaires qui vont être envoyé sur place au mois de septembre. C'est indispensable parce que, s'il n'y a pas de sécurité, rien n'est possible.
En revanche, la situation reste très difficile. Certes on a évité ce qu'il faudra appeler un génocide mais les tensions restent très fortes entre d'un côté les Chrétiens et de l'autre les Musulmans. D'autres aspects sont bien sûr à prendre en considération. Les troupes, aussi bien françaises qu'africaines, jouent un rôle important pour séparer les combattants ou les belligérants mais ça reste très difficile. Il y a également un problème humanitaire considérable et la présidente, Mme Samba Panza, y fait face avec beaucoup de courage. Ce sera long, ce sera compliqué mais il faut bien comprendre que s'il n'y avait pas cette sécurisation, ce sont des dizaines et des dizaines de milliers de vies qui risquaient d'être menacées.
Q - Mais là aussi, la solution politique reste à venir ?
R - Bien sûr, il y a toujours trois côtés au triangle : 1) la sécurité ; 2) la démocratie ; 3) le développement. Si vous n'avez pas la sécurité, vous ne pouvez pas avoir la démocratie. Si vous n'avez pas la démocratie, vous ne pourrez pas durablement assurer la sécurité et le développement. La position de la France, c'est d'essayer de favoriser ces trois côtés du triangle.
Q - Alors, on parlait de la solidarité européenne en la matière en Centrafrique. On a quand même l'impression que la France ne parvient pas à convaincre ou difficilement en tout cas ses alliés, ses partenaires européens.
R - Nous essayons de convaincre nos partenaires. Nous y arrivons souvent, pas toujours. Mais ce n'est pas simplement l'Afrique qui est en jeu, c'est nous-mêmes. Quand on parle, du Mali, de la Centrafrique, de la Libye ou de la Tunisie, ces pays ne sont pas loin de l'Europe. À chaque fois, ce sont des situations différentes mais je dis parfois à mes collègues, que si vous n'agissez pas par solidarité, agissez au moins par égoïsme parce que de toutes les manières, vous êtes concernés. Nous, Français, disons : l'Afrique est proche et nous sommes à ses côtés, ce sont nos partenaires et nous devons les aider.
Q - Ils commencent à l'entendre, ce message ?
R - Les Européens et les Africains sont tout à fait d'accord.
Vous avez constaté que les interventions françaises ont été en général très bien reçues. Certains partenaires européens souhaiteraient davantage s'occuper de l'Est. Il faut s'occuper de tout. Bien sûr, on parlait de l'Ukraine, il y a à l'Est des pays dont nous devons nous occuper, l'Europe mais notre bord Sud, l'Euro Méditerranée, l'Euro/Afrique. C'est essentiel et il faut aussi à avoir à l'esprit que ce n'est pas simplement par générosité. L'Afrique est un continent magnifique qui va se développer d'une façon extraordinaire et il faut l'aider à se développer.
Q - Alors, on parle de l'Afrique on est sur TV5 Monde. On peut aussi parler du Maghreb, une question sur la Tunisie. Vous allez rencontrer demain à Paris le Premier ministre tunisien Mehdi Jomaa, est-ce que vous trouvez que la façon dont la Tunisie est en train de régler son printemps arabe le fait de manière positive ?
R - La réponse est «oui». Je me trouvais avec mon collègue allemand avant-hier en Tunisie et le message que nous avons passé, c'est confiance de mobilisation.
Confiance parce que la Tunisie a fait un grand chemin. Il lui reste encore à décider de sa loi électorale et à voter mais, pour le reste : la Constitution est à bien des égards exemplaire ; et il y a quand même une pacification.
Il faut bien sûr que sur les plans économique et sécuritaire, il y ait encore des progrès mais il y a une confiance et une mobilisation de la France et de l'Europe aux côtés de nos amis tunisiens.
Nous étions donc la semaine dernière là-bas et le Premier ministre tunisien sera lundi et mardi à Paris, il sera également ensuite reçu en Allemagne. Nous comptons énormément sur nos amis tunisiens, nous sommes à leurs côtés, et d'ailleurs, c'est plutôt anecdotique, mais pour encourager les choses, j'ai dit et je le ferai que je passerai une partie de mes vacances en Tunisie. Je pense qu'il faut aussi montrer l'exemple et en plus, c'est un exemple agréable !
Q - À côté de la Tunisie, il y a l'Algérie. Qu'est-ce que vous pensez de la réélection pour un quatrième mandat d'Abdelaziz Bouteflika ?
R - La population s'est prononcée. Je n'ai pas de commentaire particulier à faire. La France est très, très proche de l'Algérie - mais c'est aux Algériens à décider de leurs affaires. Je note notamment un élément très positif, vous parliez tout à l'heure du Mali. On parlait à l'instant de la Libye. Dans toutes ces situations difficiles, l'Algérie a joué un rôle très positif en matière de sécurité.
Q - De coopération sécuritaire.
R - Je tiens à rendre hommage à ce qui a été fait par les autorités algériennes parce que sans eux, il aurait été très, très difficile d'agir.
(...).
- Diplomatie économique -
Q - Il fallait le dire. Alors, vous évoquez aussi souvent, Laurent Fabius, le concept de «diplomatie économique», c'est un concept auquel vous êtes attaché. Vous êtes aussi ministre du commerce extérieur, c'est aussi une nouveauté, une première en France. Vous êtes, on peut dire, le ministre de la diplomatie globale ?
R - Oui, exactement. Je crois qu'on ne peut pas séparer la diplomatie stratégique, la diplomatie éducative et culturelle et la diplomatie économique. Les ambassadeurs qui sont les représentants de la France traitent l'ensemble de ces sujets.
Q - Vous voulez associer l'important réseau diplomatique français à l'économie ?
R - Bien sûr ! Le réseau français est le troisième du monde en matière diplomatique mais ce réseau doit aider nos entreprises à être plus présentes à l'étranger. On a un problème de commerce extérieur. Aussi, ce réseau doit aider davantage le tourisme, les touristes à venir en France. Il doit aider sur les plans éducatif, culturel et sportif aussi. Donc la diplomatie, le mot est exactement celui-là, est désormais une action globale.
Q - Mais c'est le rôle des diplomates de faire, d'essayer de décrocher des contrats ?
R - Bien sûr et ça ne diminue en rien leur influence, au contraire. La France est une grande puissance diplomatique, mais si nous devions être affaiblis durablement sur le plan économique, que deviendrait notre poids même si nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité. Il faut à la fois s'occuper de diplomatie stratégique, d'éducation, de culture, de recherche et d'économie et de sport.
Q - Mais est-ce qu'au final ce ne sont pas les intérêts économiques qui vont dicter leurs lois à la diplomatie ?
R - Non, tout cela. Lorsque je me rends, comme je le ferai bientôt en Chine ou aux États-Unis, je parle avec mes collègues ou les présidents qui me reçoivent de la stratégie. Mais j'essaye aussi de faire progresser les intérêts économiques de nos entreprises ce qui est bon pour ceux qui travaillent en France. Je parle aussi de culture comme de l'implantation d'un lycée français ou du développement de la présence culturelle.
Q - Et aussi des droits de l'Homme ?
R - Bien sûr. En ce qui concerne les droits de l'Homme, on connaît l'engagement de la France dans ce domaine mais je trouve qu'en général, quand on veut régler de situations individuelles, c'est plus efficace de les traiter sur un plan direct et parfois discret. Si on les porte sur la place publique, cela, crée un problème de face et les pays hésitent à régler ces problèmes. Il faut à la fois affirmer les principes et traiter les choses en face à face.
Q - Encore une question, on est à cheval sur la diplomatie et l'économique, c'est la reprise d'ALSTOM, un des grands du secteur industriel français par l'Américain au départ, c'était l'Américain GENERAL ELECTRIC qui apparemment tenait la corde. Aujourd'hui, la France négocie avec SIEMENS, le groupe allemand. C'est plutôt cette solution-là qui a votre faveur ?
R - Au moment où vous m'interrogez, je pense que l'essentiel est de ne pas se précipiter. Il y a la situation de ce magnifique groupe qui n'est pas facile. Il y a des propositions diverses. Il faut étudier cela de manière calme et prendre des décisions en fonction de l'intérêt de la France et de l'intérêt de l'entreprise mais il n'y a aucune raison de se précipiter.
Q - Il n'y a pas d'urgence.
R - Gardons notre calme et essayons de favoriser la solution conforme aux intérêts de la France et de l'entreprise.
Q - Alors, vous êtes aussi ministre du tourisme. C'est encore une nouveauté, ce rattachement aux affaires étrangères. Alors, la France est pour l'instant encore la première destination mondiale pour les touristes, j'ai vu 83 millions de touristes en France en 2013. Cette médaille d'or française, elle va la conserver ?
R - Oui mais je mettrai un petit bémol. Nous sommes, en nombre de touristes, les premiers mais seulement troisième pour les ressources apportées par les touristes.
Q - Ca veut dire qu'ils dépensent moins en France.
R - Cela veut dire qu'ils ne restent pas longtemps et qu'ils dépensent moins. Et il y a une montée de multiples concurrents. La France est un pays magnifique, je dirais sans chauvinisme aucun, le plus beau du monde. Mais il faut prendre des décisions pour que la filière économique touristique se développe encore.
Trois chiffres : en 1950, il y avait 25 millions de touristes internationaux dans le monde ; aujourd'hui, il y en a un milliard. En 2030, il y en aura deux milliards. Il faut que la France, puisse recevoir 100 millions de touristes voire 120 millions ou 150 millions. Tout ça s'organise en commençant, bien sûr par les touristes français dont il faut s'occuper. Pour les touristes étrangers, cela commence par les visas, puis par les infrastructures (avions, trains, aéroports). Ainsi, Roissy c'est le premier accueil et il faut que ce soit efficace, que ce soit aimable. Ensuite il y a les moyens de transport, les hôtels, la formation, les commerces...
Q - Les commerces ouverts le dimanche aussi si nécessaire ?
R - Non pas en général mais dans les zones touristiques. Par exemple, les Galeries Lafayette n'ont pas l'autorisation d'ouvrir le dimanche. Selon son président, si cette autorisation est accordée cela permettra l'embauche de 600 employés qui seront payés le double et uniquement sur la base du volontariat. Il faut discuter et le projet est d'organiser vraiment une filière économique. Aujourd'hui, c'est autant d'emplois que l'automobile.
Q - C'est deux millions d'emplois directs et indirects.
R - Il faut que partout dans le monde, les gens se disent qu'ils seront bien accueillis en France.
Q - La France va accueillir la conférence mondiale sur le climat en fin 2015. Il y a urgence, vraiment il y a urgence, c'est ça ? Un des objectifs de cette conférence, c'est de faire bouger les choses ?
R - C'est une conférence qui est fondamentale en décembre 2015. Vous avez vu que les scientifiques nous disent que ce n'est pas deux degrés d'augmentation de la chaleur qui risquent de se produire mais quatre ou cinq degrés d'ici la fin du siècle avec des conséquences apocalyptiques. L'année prochaine à Paris aura lieu une grande conférence pour essayer de trouver un accord global et différencié. La France a l'honneur de la présider et il faut préparer la diplomatie pour qu'on arrive à un résultat positif.
- Otages français -
(...)
Q - Une question aussi sur les ex-otages français en Syrie. FOCUS qui est un hebdomadaire allemand, a affirmé hier je crois, que la France avait versé une rançon de 18 millions de dollars en échange de la libération. C'est vrai ou c'est faux ?
R - Je confirme que c'est faux. Le président de la République et moi-même avons eu l'occasion de dire que l'État français ne versait aucun argent et donc c'est une information qui est sans aucun fondement.
Q - Donc officiellement la France ne verse pas de rançon...
R - C'est sans fondement...
Q - Je vais poser ma question autrement : si la France n'a pas payé de rançon directement, ça ne veut pas dire qu'une rançon n'a pas été payée...
R - Non mais je m'engage pour l'État français bien sûr. Il y a des discussions parce que les otages qui sont libérés ne le sont pas par hasard. Les services en particulier ont joué un rôle considérable. Par rapport à l'affirmation de ce journal disant que l'État français aurait versé de l'argent, c'est faux.
Q - Via les services secrets turcs, c'est ce que dit ce journal...
R - Non.
Q - La réponse est non. Encore un mot à propos d'otages : est-ce que vous avez des nouvelles du dernier otage français, Serge Lazarevic, qui est quelque part détenu au Sahel ?
R - Vous savez, cette question des otages est toujours très délicate. J'ai toujours fait preuve d'une immense discrétion là-dessus parce que le seul résultat qui est à rechercher, c'est l'efficacité et l'efficacité demande de la discrétion. Mais pour M. Lazarevic comme pour les autres, il y a une règle que nous respectons : la France n'abandonne personne, jamais. Cela vaut aussi bien sûr pour M. Lazarevic.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2014