Interview de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice, avec RTL le 12 juin 2014, sur l'administration pénitentiaire, l'islamisme en prison et sur le Front national.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

LAURENT BAZIN
Jean-Michel APHATIE vous recevez donc ce matin la ministre de la Justice, Christiane TAUBIRA.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Bonjour monsieur APHATIE.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le personnel pénitentiaire est appelé aujourd'hui à la grève par ses syndicats pour protester, je cite, contre les conditions de travail devenues insupportables et dangereuses, la mise en danger de plus en plus fréquente, écrivent-ils. Ces syndicats exagèrent ou ils ont raison Christiane TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Il y a une réalité de difficulté dans les conditions de travail, d'abord parce qu'il manque des effectifs. Par exemple sous l'ancien quinquennat, pendant trois années consécutives le gouvernement a créé par loi de finances des emplois mais il ne les a pas financés donc ces emplois n'existent pas. Or ils avaient été estimés par rapport aux besoins. Ensuite évidemment, vous savez bien que la population carcérale a augmenté, par conséquent les conditions de tensions sont plus fortes et il est vrai que nous avons eu des incidents importants dans nos établissements. J'ai pris un certain nombre de dispositions, depuis l'année dernière par exemple, j'ai adopté un plan de sécurisation, un plan de sécurisation de 33 millions d'euros…
JEAN-MICHEL APHATIE
Qui ne produit pas d'effets visiblement.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non, non, vous ne pouvez pas dire ça, parce qu'il est en oeuvre…
JEAN-MICHEL APHATIE
Je m'appuie sur ce que disent les syndicats.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non, non, mais la surpopulation, vous avez entendu aussi les syndicats et des personnels dire qu'ils ne comprennent pas l'arrivée de certaines personnes dans les établissements pénitentiaires, c'est-à-dire par exemple des mises à exécution de peines qui datent de plusieurs années, qui sont de courtes peines de deux mois, par exemple pour le non-paiement d'une pension alimentaire. Eux-mêmes se rendent compte que ce sont des situations absurdes, ils sont inquiets évidemment des sorties sèches, mais ce plan de sécurisation est mis en oeuvre, c'est-à-dire que nous sécurisons des établissements, nous installons des portiques à masse métallique, des portiques à onde millimétrique, nous mettons des filets anti-protection, nous avons également un plan sur le personnel…
JEAN-MICHEL APHATIE
Si je peux me permettre, la situation ne s'arrangera peut-être pas puisqu'hier en Conseil des ministres, parmi tous les ministères le vôtre a perdu 73 millions d'euros pour 2014. Donc on imagine que la situation…
CHRISTIANE TAUBIRA
Vous vous avancez beaucoup, vous vous avancez beaucoup parce que…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est la coupe budgétaire qui a été annoncée je crois dans les économies nécessaires.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui mais j'ai une réunion budgétaire lundi prochain donc voilà….
JEAN-MICHEL APHATIE
Je pensais que le Conseil des ministres c'était le lieu où on tranchait les problèmes mais…
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais de toute façon, les choses sont définitives, les choses sont définitifs une fois que les budgets sont adoptés par le Parlement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et vous espérez obtenir une remise en quelque sorte de la coupe…
CHRISTIANE TAUBIRA
En tout cas je bataille pour expliquer les besoins de ce ministère, parce que ce ministère a été fortement mal traité, il y a des besoins indiscutables, le législateur a plusieurs reprises a confié de nouvelles missions aux magistrats et aux greffiers, il faut avoir les moyens de les assumer.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc ce n'est pas définitif, ce qui a été annoncé hier n'est pas définitif pour le ministre de la Justice si on vous entend bien Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Je ne vous apprends rien du tout, vous savez monsieur APHATIE qu'il y a plusieurs étapes pendant la discussion budgétaire, il y a la longue étape gouvernementale et ensuite il y a l'étape parlementaire.
JEAN-MICHEL APHATIE
Puisque nous parlions des prisons….
CHRISTIANE TAUBIRA
Ceci étant, on ne peut pas se dissimuler qu'il y a de vraies difficultés parce que nous sommes vraiment dans un contexte budgétaire extrêmement contraint et il est bon de rappeler quand même un certain nombre de gaspillages effectués ces dernières années, et de choix.
JEAN-MICHEL APHATIE
Puisque nous parlions des prisons Christiane TAUBIRA, la radicalisation, l'islamisme en prison ça existe ? Ca concerne combien de gens ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui bien entendu ça existe, il ne faut pas justement surestimer le phénomène parce que si on le surestime tout simplement on évite de se rendre compte de radicalisations qui se produisent ailleurs et notamment à l'extérieur, donc il y a évidemment des personnes qui se radicalisent en prison. Nous avons mis en place, là aussi je n'ai pas fini de vous expliquer mon plan pour le pénitencier, ils le connaissent donc j'admets que nous ne puissions pas passer toute l'interview dessus, en tout cas ils connaissent mon respect notamment parce que je me déplace beaucoup dans les établissements pénitentiaires. Pour la lutte contre la radicalisation j'ai pris des dispositions depuis juin 2012, j'en ai pris à nouveau dans le plan de sécurisation et j'ai lancé également en janvier un plan contre la violence, mais dans le plan de sécurisation un certain nombre de dispositions notamment pour renforcer… nous avons un service de renseignement pénitentiaire qui est répartie sur l'ensemble du territoire avec bien entendu, un centre nerveux à Paris et nous avons renforcé donc ce service pénitentiaire, j'ai procédé à sept recrutements nouveaux en juin 2013, nous avons spécialisé ces agents, nous avons augmenté, intensifié leur formation dans notre école pénitentiaire mais également avec le GIGN, ils ont un référent dans chaque établissement pénitentiaire, 800 personnes sont suivies, ce n'est pas ça la radicalisation …
JEAN-MICHEL APHATIE
800 personnes ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Non, non à ce que nous suivons sur le grand banditisme, sur la criminalité organisée…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et sur la radicalisation ?
CHRISTIANE TAUBIRA
…et sur la radicalisation, 90 personnes à peu près sont suivies. Je rappelle quand même puisqu'on parle de radicalisation, à partir d'une confession en particulier, je rappelle que 18.000 détenus dans nos établissements pratiquent le ramadan, c'est-à-dire, parce que personne ne leur demande de déclarer leur profession…
JEAN-MICHEL APHATIE
Leur confession.
CHRISTIANE TAUBIRA
Leur confession, pardon merci, et depuis l'année dernière et cette année, nous avons recruté des Imams, donc 15 en 2013, 15 à nouveau en 2014, ce qui nous permet de couvrir 60 établissements supplémentaires parce que les problèmes ne viennent pas de l'exercice du culte qui est une obligation de la laïcité, c'est-à-dire l'autorisation, la liberté de culte comme la liberté de conscience, les problèmes ne viennent pas de la pratique du culte, ils viennent justement d'Imams qui s'improvisent et qui appellent à la haine et à la violence.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le Front National est arrivé en tête lors des élections européennes du 25 mai dernier avec plus de 10 points d'avance sur les listes du Parti socialiste, deux ans après son accession à la présidence, peut-on considérer ce résultat comme un échec pour la présidence HOLLANDE ?
CHRISTIANE TAUBIRA
En tout cas personne ne pense à prendre à la légère un tel résultat…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est un échec après deux ans de gouvernement ?
CHRISTIANE TAUBIRA
…personne ne se dispense… je ne sais pas, on ne peut pas appeler échec, parce que pardon, mais c'est une simplification de dire que c'est un échec parce que ça imputerait à une personne, aussi haute que soit sa fonction un processus général, un mouvement, une dynamique d'une part importante de l'électorat. Je ne pense pas qu'on se contente…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y a deux ans vous disiez le changement, on va tout changer et puis vous voyez, on n'a pas l'impression que tout ceci s'inscrive…
CHRISTIANE TAUBIRA
Il y a deux ans on n'a certainement pas dit quelle était la situation, on n'a certainement pas suffisamment expliqué quelle était la gravité de la situation, on n'a certainement pas été suffisamment clairs, suffisamment pédagogues, suffisamment, j'allais presque dire, polémiques et partisans parce que c'est ce que le président de la République a refusé, il a voulu s'installer dans ce que j'ai appelé une élégance institutionnelle, alors que nous avons trouvé une situation…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y avait beaucoup d'anti-sarkozysme et le thème du bilan a été largement …
CHRISTIANE TAUBIRA
Une fois que le gouvernement a été installé, le président de la République qui en campagne pourtant avait dit que nous sommes dans une situation de crise, que la situation est grave, nous avons découvert, puisque nous étions, nous avions accès aux informations, nous avons découvert une situation plus grave, nous n'avons pas pris la peine de l'expliquer. Il ne s'agit pas de se trouver des excuses, il s'agit d'admettre que nous sommes dans une situation difficile, qu'il y a des réponses efficaces à apporter, qu'il y a une impatience qui est totalement légitime, que des personnes se fourvoient en croyant qu'un vote peut porter de l'espoir en lui, en tout cas ce vote-là porte de l'espoir en lui. Voilà, mais ça appelle tous les responsables politiques, tous les responsables politiques républicains en tout cas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Qu'avez-vous pensé du mot « fournée » utilisé par Jean-Marie LE PEN ? Antisémite ou pas ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Très probablement, en tout cas moi ce que je constate c'est que ce parti politique qui prétend avoir ravalé sa façade n'a jamais renié ni son héritage, ni son patrimoine, ni sa filiation de pensée. Il évite par le silence, c'est vraiment un pêché par omission le FN actuellement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donnez-vous acte à Marine LE PEN d'avoir coupé avec son père dans cette affaire ?
CHRISTIANE TAUBIRA
C'est leur affaire ! C'est leur affaire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais vous lui donnez acte ou pas ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Quand ils s'arrangent sur le dos de la République, quand ils s'arrangent sur le dos de la franchise, de la vérité, quand ils s'arrangent sur le dos de la responsabilité vis-à-vis des Français pour une situation qui est objectivement difficile pour des millions de Français qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui sont exclus, qui ont des craintes y compris lorsqu'ils ont encore un emploi, ils s'arrangent entre eux, donc leurs affaires ne me concernent pas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Quand allez-vous quitter le gouvernement Christiane TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais c'est une obsession chez vous monsieur APHATIE.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est la première fois que je vous pose la question.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non, non chaque fois que je vous vois vous me demandez…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais on se voit très peu, on se voit très peu…
CHRISTIANE TAUBIRA
…la dernière fois vous m'avez dit en attendant… j'en conviens, j'en conviens. Mais monsieur APHATIE vous savez bien que e qui est rare est précieux.
JEAN-MICHEL APHATIE
Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Je parle de vous, évidemment.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous me l'enlevez de la bouche. Christiane TAUBIRA, rare et précieuse était l'invitée de RTL ce matin, bonne journée.
LAURENT BAZIN
Merci Christiane TAUBIRA, merci Jean-Michel, à demain.
CHRISTIANE TAUBIRA
Merci à vous.
JEAN-MICHEL APHATIE
A demain Laurent.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 juin 2014