Déclaration de M. Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, sur la responsabilité sociale et environnementale et la conduite responsable des entreprises, Paris le 26 juin 2014.

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Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire Général
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'ouvrir cette réunion ministérielle informelle, la première du genre, dédiée à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) et à la « conduite responsable des entreprises ». Je remercie le Secrétaire général de l'OCDE pour avoir permis cette rencontre, un an après le drame du Rana Plaza, destinée à montrer notre détermination à agir pour empêcher que de tels drames ne se reproduisent. Je remercie également Mme Liliane Ploumen, Ministre des Pays-Bas également très engagée pour la RSE et le commerce responsable, qui co-préside à mes côtés cette première réunion ministérielle.
Le 24 avril 2013, un immeuble qui abritait plusieurs usines textiles s'est effondré au Bangladesh : 1133 personnes ont trouvé la mort, des milliers d'autres se retrouvent handicapées à vie et incapables de travailler à nouveau. Le drame du Rana Plaza n'est malheureusement pas un cas isolé. Au Bangladesh même, il a été précédé d'autres accidents particulièrement meurtriers, qu'il s'agisse d'usines qui s'effondrent ou qui prennent feu. Des accidents de ce type surviennent malheureusement trop souvent y compris dans d'autres pays.
Ce n'est pas le fruit du hasard ou de la malchance. C'est le produit d'une mondialisation sans règle, d'un système qui promeut le moins-disant social et environnemental, et cela au détriment des populations, qui en sont les premières victimes. Aujourd'hui le commerce international représente près de 18 000 Milliards de dollars d'échanges annuels, contribuant pour plus d'un tiers à la création de valeur ajoutée mondiale. Les deux sessions que nous aurons cet après-midi à l'OCDE, consacrées respectivement aux secteurs du textile-habillement et des industries extractives, représentent près de la moitié de ces échanges. C'est donc une responsabilité très forte que nous avons aujourd'hui.
Nous sommes ici rassemblés pour changer de règles, pour passer d'une mondialisation effrénée qui conduit à des drames, à une mondialisation plus régulée et respectueuse des normes sociales et environnementales.
Les Principes Directeurs adoptés par l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sont une première étape. Ils constituent un corpus complet de normes volontaires, qui aident les entreprises à s'assurer que les droits fondamentaux reconnus par les Nations Unies, l'OIT et l'OCDE sont respectés dans le cadre de leurs activités, et les entreprises donneuses d'ordres ne se situent pas seulement dans les Etats membres de l'OCDE. 46 pays adhèrent aujourd'hui à ces Principes, les 34 pays membres de l'OCDE ainsi que 12 Etats non membres : Argentine, Brésil, Colombie, Egypte, Lettonie, Lituanie, Maroc, Pérou, Roumanie, Tunisie, Costa Rica et Jordanie.
Je félicite ceux de mes collègues qui ont déjà fait la démarche d'adhérer aux Principes Directeurs, et m'adresse aux autres, à plusieurs de mes collègues présents dans cette salle aujourd'hui, pour les encourager dans la même voie.
Au-delà des entreprises multinationales, quels sont les autres acteurs concernés ? Au premier chef, naturellement, les preneurs d'ordres, entreprises industrielles dans les pays émergents, propriétaires de bâtiments à usage industriels, employeurs de ces millions de travailleurs – dans le cas du textile-habillement, plutôt des travailleuses. Pour dire les choses de manière crue, la veille du drame du Rana Plaza, des fissures étaient apparues dans le bâtiment, mais les travailleurs avaient été contraints de retourner à leurs postes. Je crois comprendre que les responsables font l'objet de procédures pénales au Bangladesh même, cela illustre bien leur responsabilité.
Les Etats dans lesquels se déroulent ces activités industrielles portent aussi une part de responsabilité. Responsabilité d'assurer un climat des affaires satisfaisants, de mettre en place des infrastructures qui permettent, par exemple, aux services d'incendie de rejoindre le lieu d'un sinistre avant que celui-ci ait produit tous ses ravages. Responsabilité d'appliquer et de faire appliquer les conventions fondamentales de l'OIT auxquelles ils sont partie, en matière de droit du travail, d'interdiction du travail forcé ou du travail des enfants.
Cette responsabilité n'est pas seulement morale ou juridique ; elle est aussi économique et politique. Dans le cas du Bangladesh, l'émergence du secteur textile, qui représente aujourd'hui une part très importante du PIB et des exportations, a été facteur de croissance et de progrès dans la réduction de la pauvreté, pour l'émancipation des femmes.
Les enjeux sont lourds pour les autorités publiques des pays fournisseurs. Organisations internationales et autorités des pays donneurs d'ordres ont aussi leur part de responsabilité. A la suite du Rana Plaza, la signature du Pacte de soutenabilité entre le gouvernement national, l'UE et l'OIT constitue un pas important, de même que le programme Better Work de l'OIT.
Quant aux autorités des pays donneurs d'ordre, je voudrais souligner que la France s'efforce d'être exemplaire. Dès 2001, la loi dite « nouvelles régulations économiques » a mis en place un régime de reporting extra-financier pour les entreprises cotées. La France a fortement soutenu le projet de directive européenne sur ce type de reporting, actuellement en cours d'approbation, dont elle transposera les dispositions en droit national très rapidement, en complément d'autres initiatives que je souhaite porter.
Le Rana Plaza nous a fait prendre conscience de la nécessité de responsabiliser le commerce international et d'évoquer le sujet de la RSE dans les chaînes de valeur mondiales. Au-delà du textile, le débat est bien mondial. L'OCDE a mis en avant la nécessité d'une relance de la croissance qui soit plus inclusive au niveau mondial. Nous avons un objectif partagé, qui est d'arriver à faire progresser la protection des travailleurs dans le monde, et cela a un prix, pas seulement un coût. La responsabilité sociale et environnementale est un sujet d'intérêt pour tous : pour les entreprises qui tirent une partie de leur réputation et de leur compétitivité des normes sociales et environnementales élevées, tant dans les pays développés que, de plus en plus, dans les pays émergents. Pour les salariés, qui bénéficient de conditions de travail et de niveaux de vie améliorés. Pour les autorités publiques enfin qui ont tout à gagner à une meilleure protection de leurs travailleurs et de leurs biens environnementaux.
Nous reconnaissons que chaque pays a ses avantages comparatifs, mais nous refusons de nous engager dans une course vers le bas dans le commerce international, qui nous entraînerait sur le chemin du dumping social et environnemental.
Je souhaite, et j'espère, votre soutien déterminé pour que ces sujets de RSE soient davantage pris en compte au niveau multilatéral, où l'absence d'interaction institutionnalisée entre l'OMC et l'OIT, est dommageable. C'est une position que la France soutient dans toutes ces instances, et pour lesquelles elle espère compter notamment sur la Turquie, prochaine présidente du G20 en 2015.
Je souhaite également que l'Union européenne renforce les normes sociales et environnementales dans ses accords commerciaux : en impliquant davantage la société civile, en prévoyant des mécanismes de correction de ces accords lorsque les dispositions sociales et environnementales ne sont pas respectées. Je salue la présence du Commissaire De Gucht, et je serai heureux de l'écouter sur ces questions si importantes.
Au-delà, il s'agit de mobiliser la société tout entière et diffuser le principe selon lequel elle ne doit pas consommer sans conscience. Pour ce faire, les consommateurs doivent devenir des « consomm-acteurs », libres de choisir en leur âme et conscience ce qu'ils souhaitent consommer. La France encourage la consommation « responsable » et soutient la négociation d'une nouvelle norme achat responsable ainsi que la labellisation de «filières responsables ».
Je conclurai simplement : les conditions sociales ne doivent pas, ne doivent plus, faire l'objet de concurrence, et j'invite, sans plus tarder, à prendre la parole mon collègue Nihat Zeybekçi, ministre de l'économie de la république de Turquie, qui prendra la présidence du G20 en 2015.
source http://www.economie.gouv.fr, le 27 juin 2014