Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur l'urgence pour l'emploi et notamment la notion d'"entreprise citoyenne", à l'Assemblée nationale le 12 juillet 1995.

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Circonstance : Discussion de la proposition de loi tendant à relever à 20,6 % le taux de la TVA, Assemblée nationale le 12 juillet 1995

Texte intégral

M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, à ce stade de la discussion du texte relatif au relèvement du taux de la TVA et avant que ne vous soit présenté, dans le courant de l'après-midi, par M. le ministre de l'économie et des finances le projet de loi de finances rectificative pour 1995, j'ai souhaité m'adresser à vous quelques instants.
Nous sommes ? ce n'est pas nouveau dans notre vie politique ? dans une situation à propos de laquelle on peut parler tout à la fois de paradoxe et de décalage.
On voudrait nous faire croire, à écouter quelques commentateurs, que le pays est saisi par le doute ou par la déception deux mois à peine après ce grand rendez-vous de notre vie démocratique que constitue l'élection présidentielle. C'est peut-être le cas de quelques professionnels du scepticisme distingué ou du dénigrement systématique, mais ce n'est pas la réalité telle qu'on la perçoit sur le terrain ? il m'arrive d'y aller ? ou telle qu'elle s'exprime à travers toutes les méthodes de consultation ou d'étude de l'opinion, ou telle que la manifestent les comportements de nos concitoyens.
Sans m'attarder davantage sur ce décalage bien habituel dans la vie publique, je voulais vous dire ? c'est l'objet de mon propos aujourd'hui ? que le Gouvernement ne se laisse pas détourner de sa tâche, ni de ses objectifs par ces quelques turbulences superficielles.
Nous avons travaillé vite et fort, en parfaite conformité avec les engagements du Président de la République, en parfaite conformité avec les orientations que je vous ai présentées dans mon discours de politique générale et que vous avez, ici et au Sénat, largement approuvées.
Quatre semaines pour élaborer un plan d'urgence ambitieux et cohérent ! Je n'ai pas fait d'études statistiques précises, mais je crois ne pas m'avancer beaucoup en disant qu'aucun gouvernement, après une grande consultation nationale, qu'elle soit présidentielle ou législative, n'a fait mieux ni plus vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Le plan que nous avons élaboré est un plan ambitieux et cohérent.
Il est ambitieux d'abord pour l'emploi. Je ne vais pas en détailler toutes les mesures ; vous les connaissez. Je voudrais simplement rappeler que le contrat initiative-emploi va permettre un abaissement de 40 p. 100 du coût du travail au niveau du SMIC, ce qui est deux fois plus puissant que la mesure la plus puissante qui existait auparavant, c'est-à-dire le contrat de retour à l'emploi.
De même, nous avons ? et on ne peut pas faire plus simple ? prévu une baisse de 10 p. 100 du coût du travail au niveau du SMIC pour l'ensemble des entreprises, qu'elles soient industrielles, commerciales, artisanales ou agricoles. C'est une mesure ? je le répète ? sans précédent.
Ambitieux pour l'emploi, notre plan l'est aussi contre les déficits. Je l'ai dit et je persiste : nous étions confrontés à une dérive calamiteuse de nos finances publiques et il fallait marquer un coût d'arrêt. Nous l'avons marqué en réalisant 20 milliards de francs d'annulations de crédits sur cinq mois de l'année en cours. Il paraît que ce n'est pas assez... C'est beaucoup ! Il a fallu détermination et courage pour arriver à ce résultat !
Nous avons également dégagé les ressources nouvelles qui étaient nécessaires pour stopper la dérive du déficit.
Ambitieux, ce plan est aussi cohérent.
J'ai dit que nous voulions nous attaquer au chômage et au déficit. Je voudrais insister à nouveau sur ce point. C'est le même combat ! Maastricht ou pas Maastricht, il faut réduire les déficits publics en France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Ce n'est pas simplement pour respecter un traité ou pour appliquer des critères, c'est tout simplement parce qu'on ne peut pas vivre durablement, même une nation, au-dessus de ses moyens. L'accumulation des déficits, c'est l'explosion de la dette, c'est-à-dire une ponction insupportable sur l'épargne nationale, la hausse des taux d'intérêt et l'arrêt de la croissance. Voilà pourquoi il faut réduire les déficits et nous allons continuer à les réduire ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Ce plan est également cohérent parce qu'il a une logique profonde de réforme structurelle. En diminuant les impôts ou les prélèvements obligatoires qui pèsent directement sur le coût du travail, sous forme de cotisations sociales, nous travaillons pour l'emploi et nous transférons ces charges sur d'autres impôts ? il n'y a pas de cagnotte nous permettant de l'éviter ! ? qui, eux, sont neutres pour l'emploi. C'est donc une réforme cohérente et logique.
J'ajoute que ce plan s'accompagne d'un effort spectaculaire en faveur du logement et il a été salué comme tel par les professionnels du secteur : 5 milliards d'aides directes ou indirectes dans cette seule loi de finances rectificative, plus l'effort de la Caisse des dépôts.
Il s'accompagne enfin d'un effort de solidarité que l'on considère, quelques jours après l'entrée en vigueur de cette mesure, comme allant de soi, mais qui n'a pas eu de précédent depuis bien longtemps : 4 p. 100 d'augmentation sur le SMIC le 1er juillet, relèvement du minimum vieillesse de 4 p. 100 sur l'année, relèvement anticipé des retraites, triplement, qui n'était pas prévu, qui n'était pas financé, de l'allocation de rentrée scolaire. Nous avons tenu à manifester la solidarité de la nation vis-à-vis des plus défavorisés.
Voilà, rapidement résumées, la logique et l'ambition de ce plan. J'ajoute qu'il a d'ores et déjà eu des effets positifs, même s'il est évidemment bien tôt pour en juger, car les Français nous attendent dans six mois ou un an, comme le disent toutes les enquêtes d'opinion.
L'économie française, en ce début d'année 1995, était sur la bonne voie grâce à l'action courageuse qui a été menée par le précédent gouvernement sous la conduite d'Edouard Balladur. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
La croissance était revenue au rendez-vous, après la récession de 1993 que nous avions héritée, hélas ! d'autres gouvernements ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) L'inflation est maîtrisée. Les exportations sont dynamiques. L'investissement est reparti depuis le début de l'année.
M. Claude Bartolone. Ce n'est pas un discours ! C'est un oral de rattrapage !
M. le Premier ministre. La courbe du chômage était en train de s'inverser, trop lentement, certes, mais les choses ? je le répète ? allaient dans le bon sens.
Mais depuis deux mois, grâce au climat nouveau qui s'est instauré dans le pays et aux décisions d'ores et déjà prises, les évolutions sont plus positives encore. J'en citerai deux.
La première est l'évolution de la consommation et de ce que j'appellerai le moral des Français. C'est ce qui me faisait dire en préambule que l'on était bien en décalage par rapport aux commentateurs que l'on entend dans ces parages.
Selon la dernière note d'Informations rapides de l'INSEE : « L'indicateur, résumé de confiance des ménages, de juin poursuit le mouvement observé le mois précédent et se rapproche de son plus haut niveau historique. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Jean-Pierre Brard. C'était avant la hausse du taux de TVA !
M. le Premier ministre. Dès lors, qu'on ne nous parle pas de morosité et de scepticisme !
Second élément important : depuis deux mois ? et ceci est lié très directement à l'annonce du plan gouvernemental et du collectif ? les taux d'intérêt sont désormais engagés sur une pente de baisse : deux mois, un point de moins sur les taux d'intérêt. Nous avons fait le tiers du chemin qui nous sépare des taux courts de l'Allemagne, et ce sans que la monnaie, à aucun moment, ait été perturbée dans ses équilibres fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Claude Bartolone. Merci, les Japonais !
M. le Premier ministre. Le dialogue social a aussi redémarré dans notre pays.
C'est toujours l'histoire du verre à demi vide ou à demi plein. Nous en avons encore eu la démonstration il y a peu de temps quand le patron du CNPF ? ce n'est d'ailleurs pas forcément l'aune à laquelle je juge la politique gouvernementale...
M. Claude Bartolone. Il vaut mieux pour vous !
M. le Premier ministre. ... mais il est intéressant de savoir ce que pense le patronat ? a dit que le plan du Gouvernement était bon, bien qu'il comporte une ponction fiscale sur les entreprises. Que devient cette appréciation dans certains titres ? « Le CNPF dénonce la ponction sur les entreprises ». Jamais on ne voit que le CNPF dit que le plan est bon !
M. Jean-Pierre Brard. M. Gandois est un ingrat !
M. le Premier ministre. Il faut que nous rétablissions cette vérité : tous les responsables des petites et moyennes entreprises et du secteur de l'artisanat, qui sont fondamentaux pour l'avenir de notre économie et pour l'emploi, ont salué ce plan qu'ils ont reconnu comme cohérent et ambitieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
De même, comme le Gouvernement l'avait souhaité ? cela faisait partie intégrante de son plan ? les partenaires sociaux se sont remis à discuter.
Je tiens à nouveau à saluer deux accords extrêmement importants : le premier, que le Gouvernement a repris à son compte, vous le connaissez, concerne l'emploi des jeunes et le second, qui a été formalisé le 6 juillet dernier dans le cadre de l'UNEDIC, constitue un pas très important, dans la réactivation des dépenses d'indemnisation du chômage afin de favoriser les chômeurs dans l'entreprise. C'est ce que nous souhaitions. C'est ce que les partenaires sociaux ont décidé et je les en félicite.
Enfin, dernier effet, pour l'instant, de ce plan : la mobilisation sur le terrain. On a, ici ou là, daubé un peu sur la convocation des préfets. L'Etat, lorsqu'il veut mobiliser ses services, convoque les préfets et les met au travail !
M. Jean-Pierre Brard. Ils ne travaillaient pas auparavant ?
M. le Premier ministre. C'est ce que nous avons fait et cela a été utile. Certes, l'emploi ne se décide pas par arrêté préfectoral. Mais, vous en êtes témoins dans vos départements, les comités départementaux pour l'emploi et pour la formation professionnelle ont déjà « mis sous tension » tous les acteurs, qu'il s'agisse des collectivités territoriales, des élus, des chambres de commerce, des unions patronales, des associations. Et cela va continuer.
Je veux d'ailleurs, de ce point de vue, saluer le sens de l'initiative et de la responsabilité de beaucoup d'entreprises françaises. J'ai utilisé à ce propos le concept auquel je tiens d'« entreprises citoyennes ». On nous dit parfois que l'entreprise a un seul objectif : gagner de l'argent et conquérir des marchés. Certes ! Mais dans le monde où nous vivons, dans la France telle qu'elle est, devant la menace de fracture sociale que nous connaissons, l'entreprise a aussi une responsabilité sociale et elle doit s'engager dans la lutte contre le chômage et pour l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
C'est la raison pour laquelle nous distinguerons les entreprises citoyennes, qui ont pris de telles initiatives, et elles sont légion quand on veut bien se donner la peine d'aller voir sur le terrain. Ce sera d'ailleurs formalisé dans les chartes initiative-emploi locales, départementales, régionales, que les ministres iront signer tout au long de juillet, de septembre et d'octobre sur le terrain.
Voilà, mesdames, messieurs les députés, quelques réflexions que je voulais faire devant vous. J'ajoute que tout cela n'est qu'un début.
Nous avons besoin d'un changement profond. C'est ce que les Français ont dit au mois de mai dernier. L'action réformatrice du Gouvernement va s'amplifier.
Dès septembre-octobre, nous vous saisirons de quatre projets importants, que vous connaissez déjà, et sur lesquels nous avons beaucoup avancé ? nous serons prêts dans les délais annoncés.
D'abord, la mise en place de l'allocation-dépendance que je préfère appeler d'ailleurs « prestation-autonomie ». Ce ne sera pas une allocation mais une prestation, qui permettra de créer des emplois. Elle aura pour but de favoriser l'autonomie de nos concitoyens les plus âgés et les plus dépendants.
Ensuite, la réforme de l'accession à la propriété conformément aux orientations annoncées.
En troisième lieu, le statut de l'étudiant.
Enfin, un plan pour la PME et pour l'artisanat qui développera les premières initiatives déjà contenues dans le plan d'urgence qui vous est soumis ces jours-ci.
D'autres chantiers sont ouverts, bien sûr : la réforme de l'hôpital, la réforme de l'Etat, y compris dans ses fonctions régaliennes. Et comme je l'ai dit, hier, au bureau de votre commission de la défense que j'ai reçu à l'Hôtel Matignon : il faut faire une opération vérité sur les grandes orientations de notre politique de défense et sur le budget de la défense. Et nous le ferons, même si cela secoue des conformismes ou des habitudes.
M. Claude Bartolone. Les essais nucléaires !
M. le Premier ministre. Enfin, la loi de finances pour 1996 sera évidemment un grand rendez-vous. Il faudra qu'elle marque une étape supplémentaire dans la réduction des déficits, dans notre action de réforme et dans la recherche des économies.
Au total, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, un seul ennemi menace l'économie française : c'est le doute...
M. Claude Bartolone. Ça, c'est pour Méhaignerie ?
M. le Premier ministre. ... et l'on sait à quel point la psychologie est importante dans l'économie.
Le Gouvernement est déterminé et j'espère vous en avoir convaincus, si besoin était. Je sais que vous l'êtes aussi. Et je me réjouis, comme l'a fait tout à l'heure le garde des sceaux, des conditions dans lesquelles se déroule le dialogue entre le Gouvernement et sa majorité. Je le dis devant les groupes de cette majorité : les textes du Gouvernement, lorsqu'ils arrivent devant l'Assemblée nationale, sont perfectibles et à aucun moment nous ne ressentons le dépôt d'amendements comme une critique systématique de l'action du Gouvernement...
M. Claude Bartolone. Ça, c'est pour Mazeaud !
M. le Premier ministre. ... à condition qu'amender ne soit pas dénigrer. Mais ce n'est pas dans cet esprit que vous l'avez fait, et la réforme constitutionnelle a été, grâce au Parlement, améliorée par rapport aux propositions du Gouvernement. Nous continuerons dans ce sens.
Si le Gouvernement est déterminé et si sa majorité est prête à l'aider, l'opinion reste aujourd'hui pleine d'espérance, elle attend le changement, elle en voit les prémices, elle réagit positivement aux premières décisions que nous avons prises. Je sais que, ensemble, vous, la majorité, et nous, le Gouvernement, parce que nous sommes profondément solidaires, nous allons répondre à cette attente et à cette espérance ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Claude Bartolone. C'est ce que l'on appelle un rappel à l'ordre de sa majorité !
Mme Louise Moreau. Pas du tout !
M. Philippe Auberger, rapporteur général. Nous étions déjà droit dans nos bottes !Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 15 juillet 2014