Texte intégral
Discours de François Huwart,
secrétaire d'Etat au Commerce extérieur à la réunion d'information et de discussion avec des représentants
de la société civile sur l'actualité des négociations
à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
Jeudi 20 septembre 2001
Mesdames et Messieurs les parlementaires, Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous retrouver et de faire le point avec vous à sept semaines de la date prévue pour l'ouverture de la conférence ministérielle de Doha. Mais notre réunion d'information et de dialogue sur l'OMC sera évidemment marquée, ce soir, par les événements tragiques de la semaine passée.
Au-delà même de l'horreur, de l'indignation et de la tristesse que nous avons ressenties, nous ne pouvons pas évoquer les échéances multilatérales des prochaines semaines sans d'abord réfléchir aux conséquences globales des événements du 11 septembre.
Je ne m'étendrais pas sur les dimensions stratégiques, militaires, diplomatiques ou macro-économiques de la situation nouvelle dans laquelle nous nous trouvons, car ce n'est pas l'objet de notre réunion.
Je me limiterai à quelques commentaires sur la politique commerciale : celle-ci n'est évidemment pas au premier rang des instruments d'action à notre disposition lorsque l'on parle de lutte internationale contre le terrorisme. Il convient donc de rester réaliste dans le rôle qu'on lui attribue. Elle peut et elle doit néanmoins servir à la construction d'un monde moins violent, moins risqué : l'échange international, s'il n'est pas trop inégal, est clairement porteur de paix et de sécurité. N'oublions pas que la construction européenne s'est faite, après la seconde guerre mondiale, à partir des échanges commerciaux. Dans le nouveau contexte créé par les événements, la question que nous devons nous poser est simple : les grands axes de la politique commerciale européenne sont-ils toujours valides ? Doivent-ils être adaptés, voire modifiés ?
S'agissant de l'OMC, je soulignerai quatre points :
§ Notre approche globale, fondée sur une meilleure régulation internationale, sur une prise en compte accrue des problèmes du développement, et sur le développement durable, me paraît non seulement confirmée dans la situation de crise actuelle, mais même confortée. Il faudra sans doute aller plus loin que nous ne l'imaginions pour tenter de répondre aux nouveaux défis et accroître la solidarité internationale.
§ Si cette vision européenne paraît sans doute la seule possible sur le moyen et long terme, l'attention immédiate des membres de l'OMC se concentrera peut-être sur les points de consensus plutôt que sur les points de désaccord. Il nous faudra dans cette hypothèse gérer le décalage entre le besoin de rassemblement et la nécessité de conserver des objectifs ambitieux.
§ L'OMC est par ailleurs une organisation qui tend vers l'universalité mais qui n'est pas encore une organisation " mondiale ". N'oublions pas que nombre de pays n'en font pas ou pas encore partie. Je pense par exemple à la Russie, à l'Arabie Saoudite, à l'Iran, au Vietnam, à l'Algérie, à la Syrie ou à l'Ukraine. L'OMC doit accueillir tous ces pays - qui sont en cours d'adhésion ou candidats - pour être l'organisation universelle dont nous avons besoin.
§ Dernière remarque, les efforts récents qui ont été engagés pour faire travailler ensemble les institutions internationales doivent être accentués, et l'OMC y prendra sa part. Le rythme de ces rapprochements est trop lent face à l'accélération de l'histoire : qu'il s'agisse de santé, de développement social, du lien entre commerce et développement, de culture, beaucoup reste à faire pour rendre visible une action globale et coordonnée à l'échelle de la planète.
Au delà de l'OMC, notre politique commerciale bilatérale ou régionale doit également faire l'objet d'une réflexion nouvelle. Je citerai deux exemples.
La relance du partenariat euroméditerranéen initiée l'an dernier par le commissaire Patten et la présidence française de l'Union européenne se révèle aujourd'hui précieuse pour fixer des perspectives de coopération avec nos voisins méditerranéens. Là encore, il faudra sans doute faire davantage et aller plus vite.
Les pays du Mercosur entrent dans une période d'instabilité économique aggravée par l'approche d'une récession américaine. La négociation engagée avec l'Europe pour un accord de libre échange est l'une des rares perspectives positives dont ils disposent au plan international. Il nous faudra répondre dans la mesure du possible aux attentes de ces pays sans sacrifier pour autant nos intérêts économiques et agricoles.
Après ce bref panorama des enjeux auxquels est confrontée la politique commerciale européenne, je reviens maintenant aux perspectives plus immédiates de l'OMC, qui sont l'objet principal de notre réunion.
Neuf jours après les attentats, un certain nombre d'échéances ont d'ores et déjà été annulées ou reportées : c'est le cas du sommet des Nations Unies sur l'enfance qui devait se tenir cette semaine aux Etats-Unis. La réunion du FMI prévue à la fin de ce mois ne se tiendra pas non plus et celle de la FAO, en Italie pourrait être reportée.
1 - La question se pose bien sûr pour la Conférence de l'OMC à Doha.
La première préoccupation concerne la sécurité d'une telle réunion dans un pays du Golfe à si brève échéance. Certes, le négociateur américain Robert Zoellick, a réaffirmé vendredi dernier la volonté des Etats-Unis d'aller de l'avant dans le lancement d'un cycle de négociations commerciales. Ce communiqué appelait à poursuivre la préparation de la conférence de Doha et Pascal Lamy s'en est tenu ces derniers jours à cette ligne.
Au cas où la réunion ministérielle ne pourrait se tenir aux dates prévues à Doha, nous devons envisager plusieurs hypothèses. Mais je ne souhaite pas explorer ici les mérites ou les inconvénients de formules alternatives car la question ne se pose pas en ces termes à l'heure où nous parlons. Nous devons prendre le temps d'évaluer la situation nouvelle dans laquelle nous nous trouvons. Nous verrons également si la position américaine à l'égard du cycle de négociation commerciale évolue dans le contexte que je viens d'évoquer.
2- Tout en étant parfaitement conscient de ces nombreuses incertitudes, nous devons continuer à travailler dans la perspective d'une réunion à Doha début novembre. C'est pourquoi je crois nécessaire de faire un tour d'horizon du travail accompli depuis notre dernière réunion en juillet. Nous avions alors commenté la dynamique de négociation constatée depuis le printemps dernier: cette dynamique n'a pas faibli de tout l'été.
A la fin du mois de juillet, M. Harbinson a transmis un rapport d'étape équilibré, qui a maintenu ouvert le champ des sujets susceptibles d'être intégrés dans le programme de négociation. Je vous avais dit que l'Union européenne redoutait un processus " d'écrémage " qui aurait conduit au rejet des sujets encore litigieux. Cet écrémage n'a pas eu lieu.
Lors de la réunion du Conseil général informel de l'OMC, les 30 et 31 juillet, les négociateurs européens et américains ont affiché leur détermination commune à lancer un cycle à Doha. Ils ont affiché à cette occasion un certain nombre de points de convergence. La première de ces convergences concerne le principe d'un cycle large qui donne satisfaction à tous les membres de l'OMC. Mais cette convergence est encore bien fragile et il reste à lui donner un contenu concret et technique.
Les positions des principaux pays en développement ont été confirmées à cette occasion : l'Inde, la Malaisie ou le Pakistan restent réservés, le Brésil, de son côté se dit prêt à négocier sur tous les sujets.
A Mexico, fin août, le Commissaire Lamy s'est efforcé de rassurer nos partenaires. M. Harbinson a confirmé qu'aucune question n'avait été tranchée à cette occasion. Mais ces discussions informelles ont clairement montré que l'agriculture, l'environnement, l'anti-dumping et la mise en uvre seront les sujets décisifs à Doha.
3 - Voici pour le contexte multilatéral à la fin de l'été. Vous avez peut-être noté que, lors du conseil informel des ministres du commerce à Bruges le 7 septembre dernier, la France avait marqué sa différence dans le cercle communautaire.
Je veux vous expliquer la position du gouvernement français et le message que j'ai moi-même délivré à nos partenaires européens.
Voici ce que j'ai dit à mes collègues européens et au commissaire Lamy :
Oui, nous avons pris bonne note du rapprochement euro-américain, et de l'acceptation progressive par la majorité de nos partenaires du principe d'un cycle large. Et oui, nous avons bien enregistré le soutien de tous les partenaires européens au mandat donné à la Commission en octobre 1999.
Pour autant, trop d'éléments d'incertitude demeurent, et je ne parle pas ici des conséquences du 11 septembre. J'ai donc mis en avant auprès de nos partenaires une lecture plus " réaliste " :
§ Les Etats-Unis n'entendent pas se mobiliser sur l'investissement et la concurrence : ils laissent l'Union faire seule le travail de persuasion et donner seule d'éventuelles contreparties.
§ Les Etats-Unis restent plus que réservés sur l'environnement. Plusieurs questions restent posées : leur négociateur disposera-t-il d'un consensus politique solide dans son pays ? Quelles sera sa marge de manuvre pour consentir les flexibilités nécessaires sur la question de la mise en uvre afin de convaincre les pays émergents les plus hostiles de rallier le projet de cycle dès Doha Les pays émergents seront-ils prêts, à Doha, à lancer un cycle large, incluant des sujets nouveaux, sans obtenir de garanties sur leurs priorités : l'accès, la mise en uvre, l'assistance technique ou le traitement spécial et différencié ? Aujourd'hui, tous ces points restent très incertains.
C'est la raison pour laquelle, j'ai d'abord rappelé notre vision d'un cycle de développement ET de régulation, puis j'ai proposé à nos partenaires d'explorer le scénario alternatif d'une réunion ministérielle de transition, pour ne pas être démunis dans l'hypothèse où le dynamisme observé n'aboutirait pas à temps à un point d'équilibre.
Avant Seattle, notre mot d'ordre était " pas de cycle plutôt qu'un mauvais cycle ". C'est l'évidence qu'il faut réaffirmer aujourd'hui. Mais le contexte a néanmoins évolué car tout le monde est conscient qu'un second échec affaiblirait durablement l'OMC. Les pays en développement en seraient d'ailleurs plus affectés que les grandes puissances qui trouveraient dans leurs alliances bilatérales ou régionales des alternatives au système multilatéral.
Le risque qui se dessine donc serait justement d'être contraint d'accepter à Doha un accord au rabais pour préserver le système commercial multilatéral : la France estime aujourd'hui qu'il est possible d'éviter ce dilemme.
Si trop de questions restaient en suspens, il serait sage de se donner les 6 ou 12 mois supplémentaires pour parvenir à un bon accord. Une chose est sûre, nous ne voulons pas nous satisfaire, faute de mieux, d'un cycle de libéralisation. Nous ne voulons pas, faute de temps, d'un cycle réduit au seul accès aux marchés aux dépens de la nécessaire régulation de ces échanges.
Se satisfaire d'un cycle étroit, à l'ancienne mode, ce serait donner raison aux nombreux critiques de l'OMC. Cela ne servirait pas les intérêts à long terme de l'Organisation qui doit aujourd'hui assumer ses responsabilités et son rôle dans la gouvernance mondiale en gestation.
4 - Quelles sont donc les prochaines échéances ?
Je ne reviens pas sur le contexte et les incertitudes que j'évoquais en commençant mon propos. Le travail se poursuit à Genève. Le Conseil général de l'OMC du 3 octobre prochain doit préparer des décisions sur la mise en uvre des accords de Marrakech.
Le projet de déclaration ministérielle que prépare actuellement M. Harbinson devrait contribuer à clarifier les données pour Doha. Ce texte devrait nous parvenir au plus tard début octobre.
Nous en attendons notamment un préambule appelant à intégrer les négociations commerciales dans une perspective de développement durable ; nous en attendons également des orientations politiques fortes et claires sur les sujets sensibles de l'environnement, de la santé et du développement, ainsi que des propositions d'agenda crédibles pour un cycle de régulation et de développement.
Le 8 octobre, le Conseil Affaires générales de l'Union européenne sera l'occasion pour les Etats membres de faire le point avec la Commission sur ce dossier, avant la mini-ministérielle de l'OMC programmée, elle, pour le 13 octobre à Singapour.
A un mois de Doha, le Conseil devra être en mesure d'évaluer si la dynamique de négociations peut se poursuivre, et, surtout, si cette dynamique permet le lancement d'un cycle conforme au mandat. Dans le cas contraire, le contenu et les modalités d'un scénario alternatif, comme je l'ai souligné à Bruges, devront être clairement étudiés.
Enfin, je le redis en conclusion, nous devons tous continuer à travailler pour être prêts tout simplement en dépit des incertitudes.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 24 septembre 2001)