Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France Inter le 15 septembre 2014, sur l'aide de la France et de la communauté internationale à l'Irak face au groupe terroriste Daech.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous rentrez de Bagdad où François HOLLANDE est venu témoigner du soutien de la France au nouveau gouvernement irakien, soutien qui sera politique mais aussi militaire a affirmé le président ; on apprend ce matin que des avions français vont procéder aujourd'hui même au premier vol de reconnaissance militaire au-dessus de l'Irak, la France est engagée sur un nouveau front ?
LAURENT FABIUS
Pas encore, effectivement nous étions avec François HOLLANDE et Jean-Yves LE DRIAN vendredi en Irak et nous avons discuté avec les responsables aussi bien le président irakien, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et nous avons exposé aux Irakiens le fait que nous étions disponibles et nous leur avons demandé l'autorisation, la décision s'il y en a une sera prise par le président de la République de survoler leur territoire et ils nous ont demandé de le faire. Voilà où on en est. Tout à l'heure, et c'est pour ça que je vous quitterai d'ailleurs assez tôt, je recevrai au quai d'Orsay la conférence sur la sécurité et la paix en Irak qui est organisée conjointement par l'Irak et par la France.
PATRICK COHEN
Donc c'est une mission de renseignements effectuée aujourd'hui par l'aviation, par l'Armée de l'Air française, sous quelles conditions ensuite la France pourrait-elle participer à cette intervention, à cette coalition à l'initiative du gouvernement américain ?
LAURENT FABIUS
Le président français qui est le chef des armées s'exprimera le moment venu, nous verrons quelle est la décision qui sera prise…
PATRICK COHEN
Le moment venu c'est à l'issue de la conférence ou un peu plus tard ?
LAURENT FABIUS
Non, non, je ne pense pas, je ne pense pas. Mais il faut bien voir quelle est la situation, si nous devions intervenir là-bas ce n'est pas par plaisir, c'est pour une raison simple, c'est que ce que j'appelle les égorgeurs de Daech, c'est-à-dire, ce qu'on appelle… mais le terme est très mauvais, l'Etat islamique, non je ne suis pas d'accord pour les appeler l'Etat islamique, ils voudraient…
PATRICK COHEN
Daech c'est l'acronyme en arabe de l'Etat islamique.
LAURENT FABIUS
Ils voudraient être un Etat, ils ne sont pas un Etat. Ils voudraient qu'on pense qu'ils agissent au nom des musulmans, ce n'est pas vrai. Donc ces égorgeurs de Daech, non seulement sont redoutables et redoutés en Irak, en Syrie et dans l'ensemble de la région, mais ils nous menacent tous car ils ont un pouvoir très simple, tous ceux qui n'acceptent pas leur mode de vie, leur mode de pensée, tous ceux qui ne se soumettent pas à eux, il faut les tuer. Par rapport à ça il est évident que les démocraties comme les nôtres ne peuvent pas ne pas réagir. Donc il y a effectivement et la conférence de Paris est la première occasion, un espèce de rassemblement mondial de gens d'ailleurs très très différents puisque nous serons 29 pays et organisations ce matin, qui disent, nous voulons qu'il y ait une union politique en Irak, elle est en marche, nous voulons apporter une aide sur le plan sécuritaire et nous voulons enfin qu'il y ait une aide humanitaire et de reconstruction. La France s'inscrit dans ce mouvement-là.
PATRICK COHEN
Il s'agit de se protéger, dites-vous ce matin Laurent FABIUS, comme l'avait dit Barak OBAMA quitte peut-être à augmenter certains risques. Vous avez entendu peut-être l'un de vos prédécesseurs Dominique de VILLEPIN s'exprimer vendredi, engager une troisième guerre d'Irak est une décision absurde et dangereuse, c'est prendre le risque de fédérer contre nous, combien de terroristes allons-nous créer, que lui répondez-vous ?
LAURENT FABIUS
Non, je pense que là en l'occurrence c'est une analyse fausse. Pourquoi ? D'abord on ne peut pas du tout comparer avec les guerres d'Irak précédentes, c'est exactement l'inverse. La guerre d'Irak, à laquelle nous n'avions pas participé et à l'époque c'était monsieur CHIRAC…
PATRICK COHEN
La deuxième.
LAURENT FABIUS
…et nous étions tout à fait d'accord avec lui. Il y avait un mensonge, des armes de destruction massive qui n'existaient pas et d'autre part, il fallait se battre contre le gouvernement. Là il y a un danger avéré qui sont les terroristes et d'autre part c'est le gouvernement irakien qui demande qu'on vienne l'aider. Donc cela n'a absolument rien à voir, c'est au même endroit géographique mais les circonstances n'ont rien à voir. Premier point. Deuxième point, je veux bien qu'on reste dans nos pantoufles en disant, oh lala, c'est loin, ça ne nous regarde pas etc, mais vous avez vu ce qui s'est passé avec monsieur James FOLEY, monsieur Steven SOTLOFF et monsieur David HAINES ? Décapités, décapités et ils veulent, j'ai été sur place, ils veulent, non seulement ils veulent mais ce qu'ils font c'est violer, assassiner, tuer, décapiter tous ceux qui ne pensent pas comme eux et ça ne s'arrête pas à l'Irak, l'Irak, la Syrie, le cas échéant le Liban, la Jordanie, l'ensemble de la région et tous ceux qui les soutiennent, c'est-à-dire une terreur organisée par rapport à cela, la question, je reviens à votre observation, quand on est un politique responsable, il faut bien sûr toujours mesurer le coût de l'action, mais il faut mesurer le coût de l'inaction et le coût de l'inaction c'est de dire à ces terroristes, à ces égorgeurs, allez-y, vous avez le champ libre. Eh bien nous, nous ne l'acceptons pas.
PATRICK COHEN
VILLEPIN ne dit pas, et d'autres ne disent pas que ça ne nous regarde pas, ils disent que ça nous expose davantage notamment aux risques terroristes…
LAURENT FABIUS
Si, si j'ai bien compris, ils disent « il ne faut pas s'en occuper », mais ça…
PATRICK COHEN
Diriez-vous comme le patron de la lutte anti-terroriste ce matin dans les colonnes du PARISIEN, « la question n'est plus de savoir s'il y aura un attentat en France, mais quand ? ». Quid du risque terroriste Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Prenons toutes les précautions intérieures, extérieures pour qu'il n'y en ait pas, mais comme disait très justement Bernard CAZENEUVE ce week-end, il n'y a pas de protection à 100 % simplement il ne faut pas croire que parce que nous n'agirions pas, nous serions protégés, ça c'est une illusion totale.
PATRICK COHEN
La France pourrait donc intervenir pour protéger l'Irak et le nouveau gouvernement irakien, c'est un engagement qui ne s'étendra pas en aucun cas à la Syrie Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
De toutes les manières on verra ce que le président de la République décidera, c'est sa prérogative, ensuite s'il y a une décision de ce type, évidemment il faudra en discuter au Parlement, mais il n'est pas question quelle que soit la décision prise, qu'il y ait des troupes au sol. Pour la Syrie c'est une autre question, évidemment il y a des liens entre les deux puisque ce mouvement des égorgeurs de Daech est présent dans les deux pays, mais la situation n'est pas la même, d'une part parce que juridiquement la situation n'est pas la même, le gouvernement irakien souhaite qu'il y ait une intervention, le gouvernement syrien c'est autre chose et d'autre part le gouvernement syrien comme vous savez, c'est monsieur Bachar EL ASSAD qui est à l'origine du développement de Deach. Et donc il ne faudrait pas que par telle ou telle intervention on redonne plus de légitimité à monsieur Bachar EL ASSAD qui n'en a aucune.
PATRICK COHEN
Donc vous ne voulez pas coopérer en quoi que ce soit avec le régime de Bachar EL ASSAD…
LAURENT FABIUS
Ca, certainement pas !
PATRICK COHEN
Ce ne sera jamais un partenaire ?
LAURENT FABIUS
Ca ne peut pas être un partenaire, il faut quand même toujours rappeler les choses, au départ en Syrie, alors là on change de pays, en Syrie il y avait eu une révolte populaire de quelques jeunes, elle a été traitée de telle manière par monsieur Bachar EL ASSAD, qu'aujourd'hui il y a 190.000 morts. Donc tout ça est très très complexe et il ne faut pas venir là-dedans avec des idées simplicistes mais là nous parlons de ces égorgeurs, il y a une menace terroriste qui ne concerne pas simplement ce pays mais l'ensemble de nos pays et donc notre tâche, en tant que responsable, c'est de nous défendre.
PATRICK COHEN
La Syrie d'ASSAD ne sera pas, ne sera jamais un partenaire, l'Iran pourrait-elle être un partenaire Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Alors l'Iran c'est encore autre chose, l'Iran qui est chiite lutte, entend lutter contre ce mouvement des égorgeurs de Daech. En même temps il y a, et donc on pourrait dire que de ce point de vue-là c'est positif, mais en même temps nous avons des divergences avec l'Iran et donc la question est de savoir, est-ce que l'Iran peut faire, veut faire dans cette lutte contre le terrorisme, mais lui-même n'est pas exsangue de reproches et c'est le moins que l'on puisse dire puisque vous connaissez les liens entre l'Iran, le Esbola et l'action de l'Iran en Syrie.
PATRICK COHEN
Donc conférence à suivre aujourd'hui à Paris.
LAURENT FABIUS
La conférence portera sur trois points. Premièrement, le soutien politique au nouveau gouvernement irakien, il est très important que les grands pays, les cinq membres permanents du conseil de sécurité seront là et beaucoup d'autres, donc il est très important que ce gouvernement inclusif soit soutenu. Deuxièmement l'aspect sécuritaire, ce n'est pas simplement les interventions éventuelles, c'est aussi couper les financements, empêcher les djihadistes d'arriver et troisièmement l'aspect humanitaire et l'aspect de reconstruction parce qu'il y a sur le plan humanitaire, nous y étions vendredi, 1.800.000 personnes déplacées. En ce moment il fait terriblement chaud, dans quelques semaines il fera terriblement froid.
PATRICK COHEN
Et pendant ce temps Laurent FABIUS, on va y revenir tout à l'heure évidemment sur ces questions internationales avec les auditeurs d'Inter, la vie intérieure se poursuit, demain vote de confiance, discours de Manuel VALLS devant l'Assemblée nationale, vous êtes passé par là Laurent FABIUS dans une autre vie, un conseil au Premier ministre ?
LAURENT FABIUS
Oh je n'ai pas de conseil à lui donner, non, moi je lirai son discours au Sénat puisque c'est la tradition, il y a la lecture devant les deux chambres. Non, je crois qu'il faut que le Premier ministre dise ce qu'il entend faire de façon simple et je lis dans les journaux des choses très compliquées, la confiance, pas de confiance, l'abstention. Je pense qu'il faut regarder les choses de manière assez claire, un vote de confiance, si on veut soutenir le gouvernement et qu'il réussisse, on vote la confiance. Si on est contre, quand on est dans l'opposition, on vote contre la confiance, s'abstenir ça veut dire ce qui arrive ça m'est égal. C'est quand même difficile et je crois que la majorité, même si elle peut avoir telle ou telle différence sur tel ou tel point avec le gouvernement, veut que le gouvernement et le président de la République réussissent, que la France réussisse et donc il est logique qu'elle apporte sa confiance.
PATRICK COHEN
L'abstention ça n'a aucun sens selon vous, dans une telle circonstance ?
LAURENT FABIUS
Je ne dis pas que ça n'a aucun sens, mais si vous voulez, c'est un problème général. Dire par rapport à un vote aussi important, personne ne disconvient qu'il soit important, au fond le résultat ça m'est égal, c'est un peu compliqué.
PATRICK COHEN
Laurent FABIUS, invité de France Inter ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 septembre 2014