Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la politique de l'aménagement du territoire et la coopération européenne, le développement régional et la gestion territoriale en Europe dans le cadre des contrats de plan Etat région, Paris le 18 mai 1999.

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Circonstance : Ouverture des 2èmes rencontres parlementaires sur l'aménagement du territoire intitulées "le développement régional en Europe : quelles stratégies de mobilisation et de coopération ?" à l'Assemblée nationale le 18 mai 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
La fonction parlementaire ne se limite pas à lhémicycle. Il est bon que nos discussions de lautomne ou du printemps dernier, sur laménagement durable du territoire ou sur lintercommunalité, au cours desquelles nombre de vos préoccupations ont été évoquées, trouvent un prolongement ici avec les divers acteurs de laménagement du territoire, élus, fonctionnaires et professionnels que je remercie vivement dêtre là. Je sais que mes collègues députés partagent cette conviction, au premier rang desquels le démiurge de cette rencontre, Jean-Pierre Balligand, que je félicite pour cette réunion qui doit être pluraliste et porteuse didées.
Mesdames, Messieurs, il ny a pas de politique daménagement du territoire ni de développement régional sans un engagement fort de lEtat défini par les représentants de la Nation. Mais il ny a pas de politique de décentralisation qui réussisse, de mobilisation et de coopération régionale, fréquemment transfrontières, sans une concertation et une adhésion de ceux à qui elle sappliquera.
Le thème que vous avez choisi pour ces deuxièmes rencontres parlementaires sur laménagement du territoire, le développement régional en Europe, a donné lieu à de nombreux débats. Le constat quon peut dresser, schématique, est simple. Même en tenant compte de lexception que forment lIle de France, la région PACA et Rhône-Alpes, la plupart des régions françaises sont en position de faiblesse démographique, industrielle, administrative par rapport aux régions des autres pays dEurope. La mobilisation et la coopération sont souhaités mais encore trop peu développées. Et cette faiblesse est une faiblesse pour la France.
Pour autant, il ne sagit pas de se laisser abuser par des mirages commodes, par exemple linstauration de la fameuse Europe des régions. LEurope des régions, bâtie sans autre précaution, risquerait de n'être que lEurope des régions riches. Noublions pas que, ces dernières années, si les disparités entre les Etats ont diminué, elles se sont accrues, toutes nationalités confondues, entre les régions.
Gardons aussi à lesprit quil existe deux échelons distincts de gestion territoriale : lun de proximité, lautre plus stratégique. Le premier est avant tout de la compétence des communes, des structures intercommunales et des départements. Le second, qui est souvent déficient, appartient à lEtat et aux régions. Je crois quon renforcera ces dernières et cest nécessaire, - en clarifiant les compétences stratégiques entre Paris et les régions et en étendant celles des régions.
Sagissant de la relation à lEurope, les financements communautaires, nous le savons, passent par les fonds structurels, objet d'une réforme récente. Il est désormais acquis que la dotation des régions françaises va diminuer javais mis en garde contre cela au cours de notre précédent colloque -, ce qui risque de provoquer une certaine insatisfaction, si on veut bien considérer que la moitié de notre politique locale dinvestissement en est tributaire et que nous sommes en période de ressources rares. A force de rechercher des critères, en réalité limitatifs, dattribution des fonds à travers les fameux zonages, lessentiel est parfois oublié : cest par la réussite de projets structurants qui ne sarrêtent pas aux frontières des zones concernées que se développent les territoires. Il faut donc laisser place, dans la définition de ces politiques, à des critères fondés sur des projets et à une approche de terrain. Il faut favoriser les coopérations. Jespère que la France pourra orienter dans cette perspective la politique européenne.
En réalité, existe-t-il vraiment aujourdhui une politique européenne daménagement du territoire ? Quitte à être provocant, on peut en douter. Dune part, nous parlons délargissement et de réforme des fonds structurels sans avoir toujours pris conscience des données géographiques et démographiques de lEurope : on ne peut pas appliquer les politiques européennes indifféremment au Massif central et à la Ruhr. Sans cette réflexion, les mécanismes de lUnion européenne élargie nous conduiront au renforcement de pôles déjà géographiquement forts, à la marginalisation de régions faibles tout en limitant lespace de manuvre des Etats. Les questions daménagement du territoire doivent donc être prises en compte dans des discussions qui ne porteront pas uniquement sur la définition et la gestion des fonds structurels mais qui définiront également une politique ambitieuse par exemple de construction dinfrastructures de transports et dautoroutes de linformation au service du désenclavement et du développement des territoires, nécessairement transfrontières.
Dautre part, laménagement du territoire nest pas séparable du développement économique général. Quel sens aurait un effort nécessaire de rééquilibrage du territoire si, dans le même temps, par exemple, la politique fiscale suivie entravait le développement de ce territoire ? Or nous constatons que certains Etats européens pratiquent le dumping fiscal et refusent lharmonisation fiscale nécessaire. Pourquoi en ce qui les concerne ne pas limiter lattribution des fonds structurels dont ils peuvent être bénéficiaires ? Des principes clairs devront nous guider : le développement au niveau local dune économie et dune « société partenaire » dans laquelle joueront un rôle central à la fois les régions et la construction dune Europe solidaire. Nous n'en sommes pas encore là.
La discussion des contrats de plan Etat-région devrait nous permettre de faire un pas dans cette direction. Cest un moment fort. Quand on voit l'importance de l'attente des régions, je crains quune certaine déception soit au rendez-vous si l'Etat n'opère pas un effort supplémentaire par rapport aux chiffres, déjà importants, cités aujourdhui. Je souhaite que lEtat le moment venu puisse accomplir ce mouvement.
Dune façon générale, les régions devraient davantage prendre en main leur propre destin. Quel président français de conseil régional traitant avec son homologue doutre Rhin ou de lautre versant des Pyrénées, na jamais eu lexpérience de devoir interrompre une négociation pendant le temps nécessaire pour que les services de lEtat donnent ou ne donnent pas leur accord à un projet pour lequel le partenaire étranger avait pu, lui, dégager les fonds en quelques semaines ? En rapprochant du terrain la prise de décision, en raccourcissant les circuits financiers, en dotant les collectivités régionales de compétences structurantes, en stimulant les expériences de coopération envers lesquelles le droit français est réticent, nous favoriserons lémergence dune politique de développement du territoire plus lisible pour les citoyens et nous ferons des régions les acteurs majeurs de cette politique. C'est le vu que je forme.
Pour terminer, je souhaite vous faire partager une conviction. Il ne sagit pas que déconomie. Cest notamment par le développement des territoires que nous assurerons la cohésion sociale et la valorisation de lenvironnement. Laffirmation de politiques régionales, nationales et européennes coordonnées daménagement du territoire est un choix davenir. Sur tous les plans. Vos travaux daujourdhui y contribueront. Merci.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 19 mai 1999)