Interview de M. Manuel Valls, Premier ministre, à Europe 1 le 23 septembre 2014, sur la lutte contre le terrorisme djihadiste, les relations économiques entre la France et l'Allemagne et le conflit à Air France.

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Média : Europe 1

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Jean-Pierre ELKABBACH, on vous retrouve en direct de Berlin, aux côtés de Manuel VALLS, le Premier ministre. Et cette fois, on vous entend bien, Jean-Pierre !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien, très bien. Je dis tout de suite, Manuel VALLS, bonjour, merci d'être avec nous, place...
MANUEL VALLS
Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Porte de Brandebourg. Hervé GOURDEL, notre otage en Algérie, est en danger. Avec le président de la République, est-ce que vous allez céder au chantage de Daech ?
MANUEL VALLS
D'abord, mes pensées vont en premier lieu à cet homme, à ce compatriote, Hervé GOURDEL, qui vit dans la peur, et je pense bien sûr à sa famille, à ses proches. Nous ferons tout, bien évidemment, en lien avec les autorités algériennes, avec qui nous sommes en contact et en qui nous avons évidemment grande confiance pour permettre à ce compatriote de retrouver la liberté, mais bien évidemment, face au terrorisme qui joue précisément sur la terreur, sur la peur, il faut être particulièrement déterminé, comme l'est la France, qui lutte contre le terrorisme partout, parce que le terrorisme s'en prend à nos libertés et à nos valeurs fondamentales.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais cette menace d'exclusion, est-ce qu'elle réduit votre détermination à combattre les terroristes, où qu'ils soient, puisqu'ils nous menacent où que nous soyons ?
MANUEL VALLS
En aucun cas, c'est toute la perfidie du terrorisme que d'avoir recours au chantage à la mort, à menacer, et si on cède, si on recule d'un pouce, on lui donne cette victoire. La volonté du président de la République depuis deux ans, toutes les décisions qui ont été prises, pour ce qui concerne le Mali, récemment, afin d'intervenir à la demande de l'Etat irakien, pour combattre, pour repousser cette organisation terroriste, ces égorgeurs de Daech, ces décisions vont dans ce sens. Combattre le terrorisme, combattre cet instinct de mort.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais cette fois, la guerre n'est plus en Irak ou en Syrie, elle est géographiquement tout proche, à deux heures d'avion de Paris, et, Manuel VALLS, à une heure de Marseille et à une heure de Nice, ils sont là !
MANUEL VALLS
Mais ça n'est pas nouveau, le terrorisme a pris une dimension globale depuis des années, il agit partout, depuis deux ans, quand j'ai pris mes fonctions il y a précisément deux ans, comme ministre de l'Intérieur, j'étais confronté à cette menace en notre sein même, à l'époque, il y avait une trentaine de Français qui étaient partis en Syrie ou qui voulaient y aller, aujourd'hui, ils sont près de 1.000, il y a des centaines de Français et d'Européens et d'étrangers, d'une manière générale, qui combattent en Irak et en Syrie, au sein des rangs terroristes. Donc nous avons une menace, nous y faisons face...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Même sur le territoire national.
MANUEL VALLS
D'abord, par une stratégie globale et sur le territoire national, j'avais évoqué cet ennemi de l'intérieur, pour désigner, au fond, ce qui était une menace inédite, sans doute la plus grave de ce début de 21ème siècle, pour la première fois, nous avons des compatriotes, des résidents en France qui peuvent nous frapper, et comme vous le savez, nous ne cessons d'arrêter des personnes qui veulent partir en Syrie, parfois des mineurs, de démanteler des réseaux, des filières, de démanteler des groupes qui voulaient s'en prendre directement ici, à nos propres intérêts.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour l'otage français actuel, aucune discussion, aucune négociation n'est possible ?
MANUEL VALLS
Aucune discussion, aucune négociation, et ne jamais céder, le chantage, encore une fois, même si, évidemment, nous sommes très inquiets après l'authentification de cette vidéo, et vu les menaces, nous sommes bien sûr inquiets, Laurent FABIUS l'a dit hier soir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez donc peur pour la vie de cet otage, mais est-ce que vous dites avec votre ministre, Bernard CAZENEUVE, la France n'a pas peur et ne peut pas avoir peur, et elle ne peut pas être prise en otage par qui que ce soit ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, et il faut faire preuve de sang-froid...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous le dites, vous ?
MANUEL VALLS
Et de très grande détermination. La France ne peut pas avoir peur face à ceux qui la menacent ainsi. Je vous rappelle que nous sommes aujourd'hui en train de présenter... le Parlement discute d'un texte de loi, qui renforce les dispositifs que j'avais fait moi-même voter à la fin de l'année 2012, parce qu'il faut s'adapter en permanence face à cette menace qui, encore une fois, est très grave. Je veux convaincre nos concitoyens, non pas leur faire peur, mais les convaincre que jamais nous n'avons fait face à une telle menace en France et en Europe...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais est-ce que vous ne l'aggravez pas quand la France s'implique dans le conflit, certains vont vous reprocher d'intervenir, et à partir de là, est-ce que l'on ne devient pas, comme les Etats-Unis, une cible identifiée pour eux ?
MANUEL VALLS
Mais nous sommes déjà une cible, je vous rappelle qu'il y a deux ans, presque jour pour jour, il y a eu un attentat qui, fort heureusement, n'a pas fait de victimes, à Sarcelles, depuis des mois, nous arrêtons des individus, près d'une centaine, qui reviennent de Syrie, je vous rappelle que c'est un Français qui a commis un attentat atroce au Musée juif de Bruxelles. Donc nous sommes déjà une cible, et nous n'agirions pas et sur le territoire national et en coopération avec nos partenaires, et puis, en Irak, et nous le faisons non pas dans un combat entre l'Orient et l'Occident, entre les chrétiens et l'islam, non ! Puisque nous agissons aussi pour protéger d'abord les musulmans, qui sont les premières victimes du terrorisme, les minorités chrétiennes, toutes les minorités dans ce Proche-Orient aujourd'hui frappé par ce terrorisme...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, là, la France ne renonce pas à envoyer ses Rafale frapper les terroristes de Daech en Irak ?
MANUEL VALLS
La France est une grande nation, qui assume...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle ne renonce pas ?
MANUEL VALLS
Qui assume totalement ses responsabilités et qui n'assume pas les missions qui ont été annoncées par le président de la République, et dont je donnerai les explications, les fondements, les buts demain à l'Assemblée nationale, puisque c'est la Constitution qui le prévoit, il y aura un débat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a un débat. Est-ce que vous demandez un consensus dans cette lutte intérieure et extérieure contre la terreur djihadiste ?
MANUEL VALLS
Le texte que j'ai présenté comme ministre de l'Intérieur, la loi antiterroriste, il y a deux ans, comme celui que Bernard CAZENEUVE a défendu avec beaucoup d'engagement, beaucoup d'intelligence, beaucoup de finesse, a été... ces deux textes ont été adoptés à une très large majorité. Il faut face à l'essentiel, c'est-à-dire la terreur qui veut frapper nos intérêts et nos valeurs, oui, se rassembler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y aura donc une réponse, le président de la République, chef des armées, que vous avez peut-être eu au téléphone hier soir, ou ce matin, je ne sais pas, vous allez le dire...
MANUEL VALLS
Nous nous parlons régulièrement, oui. Ça a été bien sûr le cas, et le chef de l'Etat est à l'assemblée générale des nations unies, où il y aura, en plus, un Conseil de sécurité extraordinaire, consacré à ces filières, à ces étrangers, qui combattent en Syrie et en Irak.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Lui décide de poursuivre les frappes aériennes de la France en Irak ?
MANUEL VALLS
C'est la décision qui a été prise, et ces frappes, ces engagements vont évidemment se poursuivre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que Jean-Yves LE DRIAN et les armées auront les crédits pour les opérations intérieures et extérieures ?
MANUEL VALLS
Qui peut penser...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le député Jacques MYARD disait : est-ce qu'on a les moyens, tout à l'heure, à 07h...
MANUEL VALLS
Vous parliez, il y a un instant, de consensus national, que chacun soit précisément à la hauteur de ces événements, si nous engageons nos armées au Mali, en Centrafrique, aujourd'hui, avec... puisque c'est une intervention uniquement aéroportée, avec les avions, nous intervenons avec bien sûr les moyens. La France a les moyens d'assumer ses responsabilités.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et elle sent qu'il y a cette violence qui monte, y compris sur son territoire, avec la chancelière MERKEL, est-ce que vous avez évoqué ce danger terroriste qui progresse en Europe et peut-être même en Allemagne, comme chez nous ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, ils sont confrontés exactement au même problème, comme d'autres pays européens, et nous avons avec nos amis allemands, mais c'est vrai avec tous les autres pays, une coopération de très grande qualité. Nous avons évoqué ce sujet avec la chancelière, elle connaît, elle sait parfaitement les dangers qui nous concernent, nous, Européens, elle sait ce que représente le terrorisme, et c'est ensemble que nous travaillons, il ne peut pas en être autrement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour la première fois, vous avez rencontré directement Angela MERKEL, et d'abord en tête-à-tête, comment la trouvez-vous ? Est-ce que, avec elle, on peut s'expliquer franchement, sans détours ? Est-ce qu'elle dit ce qu'elle pense ? Et que dit-elle ?
MANUEL VALLS
Oui, mais je suis trempé par le même caractère, c'est un avantage, nous parlons directement, franchement, c'est la chancelière d'un grand pays, la première puissance économique de l'Europe, moi, je suis le chef du gouvernement de la deuxième puissance économique de l'Union européenne. Donc nous discutons et entre deux grands pays, de manière équilibrée ; il ne peut pas en être autrement...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous avez le sentiment...
MANUEL VALLS
La relation franco-allemande, Jean-Pierre ELKABBACH, elle est équilibrée, il ne peut pas – là aussi – en être autrement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais comment, Manuel VALLS, on peut être équilibré, sur Der Spiegel, derrière la façade brillante, certes, l'Allemagne cache ses propres difficultés ou ses illusions, mais elle reste forte avec un budget qui va être équilibré en 2015, alors que la France, en 2015, elle aura 4,3% de déficit ; avec un tel écart, est-ce que vous pouvez parler d'égal à égal avec madame MERKEL ?
MANUEL VALLS
Mais bien évidemment, parce que cette relation, elle est forcément équilibrée, l'Allemagne investit plus de cinquante milliards en France, et c'est à peu près ce qu'investit également la France avec ses entreprises en Allemagne. Nous sommes liés, non seulement par l'histoire...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous avons besoin d'elle, elle a besoin de nous.
MANUEL VALLS
Mais bien évidemment, pour l'Europe, il ne peut pas en être autrement. Et nous avons surtout évoqué la nécessité de relancer la croissance en Europe, parce que, ce qui est préoccupant, ce n'est pas uniquement la situation en France, c'est le fait que la zone euro connaît une très faible croissance, sinon une croissance nulle, une très faible inflation, et qu'il y a un risque de décrochage de la zone euro...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais elle est plus inquiète sur notre propre situation en France et sur les promesses non tenues, sur les retards aussi, que la situation...
MANUEL VALLS
Mais l'Allemagne aussi a des défis ! L'Allemagne aussi a des défis, la nécessité d'investir selon certains économistes pour ses propres infrastructures, près de cent milliards, elle est confrontée à la transition énergétique, puisque l'Allemagne a fait le choix d'abandonner le nucléaire, ce qui n'est pas notre cas, elle est confrontée contrairement à nous à une baisse de sa démographie, donc elle a aussi évidemment ses défis...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais quand vous lui avez dit, pardon Manuel VALLS, Monsieur le Premier ministre, quand vous lui avec dit d'investir, donc de mettre de l'euro dans certains projets, elle a dit, et elle ne démord pas, aucun argent supplémentaire, elle vous a répondu « nein » là-dessus...
MANUEL VALLS
Non, non, je n'ai pas du tout cette impression, puisque, actuellement, les deux ministres des Finances, et les deux ministres de l'Economie travaillent ensemble pour nourrir de projets concrets sur le numérique, sur la transition énergétique, sur les grandes infrastructures, sur l'emploi des jeunes. Les 300 milliards d'euros annoncés par Jean-Claude JUNCKER, à travers des financements publics et privés...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ils sont insuffisants ces 300 milliards...
MANUEL VALLS
Mais s'ils sont déjà là, c'est tout à fait considérable...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui...
MANUEL VALLS
Non, Jean-Pierre ELKABBACH, on ne peut pas sourire de cela, l'Europe a besoin de ces investissements, nous, nous menons une politique sérieuse sur le plan budgétaire, de soutien aux entreprises, et je crois que la chancelière, je ne suis pas venu lui demander quoi que ce soit, je ne suis pas là pour lui demander un soutien, je suis venu ici, expliquer...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une bénédiction. On a besoin de la bénédiction de l'Allemagne ?
MANUEL VALLS
Vous savez mon attachement à la laïcité donc je ne vais chercher aucune bénédiction.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Certes. Est-ce que je peux dire, parce qu'on ne le sait pas, que la Chancelière a été impressionnée paraît-il par les efforts très ambitieux prévus par la France pour redresser l'économie et favoriser la compétitivité des entreprises. Mais à Berlin, est-ce que vous lui avez promis de faire ces réformes ? D'aller jusqu'au bout ? Que les promesses seront tenues ?
MANUEL VALLS
Je l'ai promis à qui d'abord ? Aux Français à travers un langage de vérité qui change dans le paysage politique français. Cinquante milliards en trois ans d'économies, ça n'a jamais été fait, dont vingt-et-un milliards dès 2015. Quarante milliards de soutien aux entreprises, notamment les petites et moyennes, pour baisser le coût du travail parce que ce sont les entreprises qui créent de la richesse et de l'emploi. Des réformes structurelles, c'est-à-dire des réformes pour débloquer notre pays.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous les ferez à temps ?
MANUEL VALLS
Mais bien évidemment, il ne peut pas en être autrement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous lui avez dit quelles réformes vous allez faire ? Est-ce que par exemple vous allez toucher les services sociaux ? Le travail du soir et du dimanche ? De la flexibilité dans tous les secteurs de l'économie ?
MANUEL VALLS
Il faut débloquer la société française. Sur les seuils, c'est-à-dire sur la représentativité des salariés, le dialogue est engagé entre les partenaires sociaux depuis quelques semaines. Sur le travail du dimanche, notamment dans les zones touristiques, je l'ai déjà annoncé, la nécessité de davantage de souplesse et de flexibilité dans le marché du travail, bien évidemment ç'a été dit mais je ne le dis pas ici en Allemagne : je le dis en France parce que ces réformes sont nécessaires par pour l'Allemagne, mais elles sont nécessaires pour la France. Je l'ai dit aussi aux syndicats allemands. Je m'exprimerai ce matin devant le patronat allemand et chacun attend des investissements de la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut dire en passant que le DGB, le syndicat qui fait rêver peut-être vous aussi, a six millions d'adhérents. Ce matin, vous voyez le patronat avec Emmanuel MACRON, qui est à vos côtés pendant tous ces échanges.
MANUEL VALLS
Jean-Pierre ELKABBACH, Reiner HOFFMANN qui est le président de ce grand syndicat, soutient un grand plan Marshall pour l'Union européenne, soutient la politique qui est la nôtre en matière d'investissement et je crois que le patronat allemand est exactement sur la même ligne. Ça veut dire qu'en Europe, il y a une volonté pour une réorientation des politiques économiques et budgétaires en faveur de la croissance et de l'investissement. C'est ce qui change, et je suis venu ici pour le dire. Je ne m'excuse pas quand je viens ici. La France est un grand pays, je ne quémande pas, je parle d'égal à égal avec la Chancelière.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous parlez aussi pour rassurer l'opinion allemande, la presse qui caricature et qui nous trouve...
MANUEL VALLS
J'étais hier à Hambourg, Jean-Pierre ELKABBACH. C'est là où nous construisons ensemble AIRBUS. C'est un grand projet. Il faut dans le domaine du numérique ou de la transition énergétique d'autres grands projets franco-allemands parce que c'est le meilleur moyen de tirer l'Europe vers le haut.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nicolas SARKOZY, désormais candidat au moins à la présidence de l'UMP, soutient l'action du président de la République et du gouvernement à propos de l'Irak. Mais sur le reste, il a affirmé que la série de "Moi, président" n'est qu'une litanie de mensonges et cela vous concerne aussi puisque vous dirigez la France. Est-ce que vous vous sentez des menteurs ? Comment vous lui répondez ?
MANUEL VALLS
Vous savez, face à la crise de confiance que notre pays connaît et cette rupture entre les politiques et les citoyens, je suis convaincu qu'il faut changer de langage, y compris dans la confrontation démocratique nécessaire entre la majorité et l'opposition, entre la gauche et la droite. Ces mots que j'ai entendus ne correspondent à mon avis absolument pas à ce que les Français attendent, qui plus est d'un ancien président de la République. Parce que vous savez, et nous en avons parlé hier avec mes amis Allemands, nous savons aussi dans quel état nous avons trouvé la France. Les trois déficits : déficit de croissance, déficit du commerce extérieur, déficit public.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On est entré dans le grand débat.
MANUEL VALLS
Non !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne pouvez pas dire comme l'autre jour : "Ça ne change rien." Ça va changer pour la droite et ça va changer la gauche qui va trouver un adversaire ou des adversaires dans ce débat.
MANUEL VALLS
Je n'en sais rien. Il est important pour les Français effectivement qu'on parle du bilan, du présent et des propositions. Moi je veux réformer le pays, le redresser. C'est ce que nous faisons avec le président de la République et la majorité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut des résultats.
MANUEL VALLS
Il faut des résultats. C'est ce qu'attendent les Français d'abord en matière d'emploi, mais sans casser le modèle social. Quelle France voulons-nous pour nos enfants et nos petits-enfants ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur le Premier ministre, des pilotes d'AIR FRANCE en uniforme vont manifester devant l'Assemblée nationale. Est-ce que vous n'avez pas envie de leur dire qu'il vaut mieux qu'ils soient en uniforme dans leurs avions ? Est-ce qu'ils ne sont pas en train de provoquer à la fois la direction et l'Etat ?
MANUEL VALLS
La direction a fait un certain nombre de nouvelles propositions et les conditions, me semble-t-il, sont réunies pour que les positions des uns et des autres convergent. Cette grève n'a aucune raison ; elle n'est pas comprise par les Français ; elle met à mal et l'image de la France et elle représente un vrai danger pour la compagnie AIR FRANCE.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
"Elle doit cesser", c'est ce qu'on veut entendre. Les Français veulent l'entendre !
MANUEL VALLS
Elle doit cesser, je ne cesse de le dire depuis plusieurs jours. Il faut que le dialogue se poursuive. La direction d'AIR FRANCE a proposé d'arrêter le projet de développement de TRANSAVIA EUROPE.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Si ça n'aboutit pas, vous nommez un médiateur ? Vous faites quelque chose ?
MANUEL VALLS
Mais moi, j'en appelle à la responsabilité de chacun.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que le gouvernement trouve que la direction a mal négocié ? Est-ce que vous la lâchez ce matin ? C'est la question qui est en train de se poser.
MANUEL VALLS
Je pense vous avoir dit le contraire. Il ne s'agit pas de lâcher ou de soutenir. C'est l'intérêt d'AIR FRANCE, de cette grande compagnie qui représente notre pays partout dans le monde, c'est son intérêt qui est aujourd'hui en cause.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Que les pilotes le comprennent.
MANUEL VALLS
Et que les pilotes le comprennent, qu'ils regardent, qu'ils examinent les propositions que la direction a faites et que cette grève cesse.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernière remarque. Etre à Berlin, Manuel VALLS, face à la porte de Brandebourg qui évoque tant de souvenirs d'Histoire, est-ce que c'est émouvant même pour vous ? Ou pour vous aussi ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, parce que c'est là au fond où on retrouve les fondements de notre projet européen. L'Europe est à la croisée des chemins. L'Europe va-t-elle ou non, selon la belle phrase de Jean-Pierre CHEVENEMENT, sortir de l'Histoire ? C'est une question qui se pose par rapport au monde tel que nous le vivons, à l'émergence de nouvelles grandes puissances comme la Chine, l'Inde, le Brésil.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que c'est l'Europe qui va peut-être sortir de l'Histoire ou la France qui va sortir de l'Histoire ?
MANUEL VALLS
C'est tout le contraire, Jean-Pierre ELKABBACH. Non seulement je suis profondément patriote et je pense que mon pays compte dans le monde, mais quand la France intervient en Afrique ou en Irak, elle le fait d'ailleurs souvent pour l'Europe. Donc chacun doit être à la hauteur de ses responsabilités et c'est vrai aussi sur le plan économique. C'est pour cela qu'il faut une relance au niveau européen parce que nous ne pouvons pas nous permettre que la zone euro décroche du reste du monde. Ici, on sent le poids de l'Histoire, ce que l'Europe a représenté pour les peuples du Sud comme pour les peuples de l'Est : la liberté, la démocratie, le progrès.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ici, on a vaincu deux totalitarismes. A Berlin vous dites, vous Premier ministre de la France : "On vaincra le totalitarisme islamique."
MANUEL VALLS
Le totalitarisme, c'est-à-dire la négation de nos libertés sans confondre l'islam, et je le dis ici aussi, sans confondre l'islam - et je pense bien sûr à nos compatriotes musulmans et aux nombreux musulmans qu'il y a en Europe qui savent ce qu'ils doivent à l'Europe en matière de progrès, de liberté, et notamment de liberté religieuse.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci Manuel VALLS, votre visite continue. Demain je serai à Francfort avec le patron de la BCE, Mario DRAGHI. Ses paroles valent de l'or, de l'euro et surtout des emplois.
MANUEL VALLS
Bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Exclusif Europe 1, Mario DRAGHI à Francfort, 08 heures 15. Vous irez peut-être le voir ?
MANUEL VALLS
Très vite. Et par exemple, la baisse de l'euro a représenté pour AIRBUS des atouts supplémentaires. J'avais demandé cette baisse de l'euro il y a quelques mois et je suis heureux de voir que non seulement l'euro baisse, mais que Mario DRAGHI fait aussi un certain nombre de propositions pour que les pays soutiennent la croissance.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci Manuel VALLS.Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 octobre 2014