Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à Europe 1 le 15 octobre 2014, sur le déficit de la sécurité sociale le budget 2015 et les dépenses de santé.

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Média : Europe 1

Texte intégral


THOMAS SOTTO
L'interview politique d'EUROPE 1. Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez ce matin Marisol TOURAINE, ministre des Affaires sociales et de la santé. Madame, monsieur, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il y a tellement à lui demander. Bienvenue Marisol TOURAINE. Bonjour.
MARISOL TOURAINE
Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous avez le trac aujourd'hui ?
MARISOL TOURAINE
Non, pourquoi ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que Bruxelles va juger un budget 2015 qui manque de sincérité, d'investissements, etc. et qui multiplie les trous et les déficits.
MARISOL TOURAINE
C'est un budget dynamique, responsable, et dans le secteur social que je connais particulièrement bien, nous faisons des économies de façon vigoureuses, forte, toute en préservant l'essentiel. Et l'essentiel c'est quoi, Jean-Pierre ELKABBACH ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attendez…
MARISOL TOURAINE
Laissez-moi… l'essentiel c'est quoi ? C'est de garantir à l'ensemble de nos concitoyens…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'accès aux soins.
MARISOL TOURAINE
… que notre protection sociale ne sera pas remise en cause. Eh bien dans le budget 2015, il y a à la fois des économies significatives, fortes, comme il n'y en a jamais eu par le passé, et la préservation du droit à l'accès à la santé, le renforcement des droits, pas de déremboursement, pas de franchise, pas de remise en cause de l'hôpital public.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour les comptes sociaux, quel est le déficit en 2014/2015 ?
MARISOL TOURAINE
Pour la Sécurité sociale, c'est-à-dire qu'il y a d'autres comptes sociaux, en 2014 nous avons un déficit du régime général qui sera de 12… 11,8 millions, pardon.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et le total des comptes sociaux, c'est un déficit de ?
MARISOL TOURAINE
Autour de 15 milliards d'euros.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quand vous promettez l'équilibre ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, cela dépendra évidemment de la croissance.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
2017, 2019, 2021 ?
MARISOL TOURAINE
Non, le plus vite sera le mieux. 2017 parait difficile à atteindre, mais c'est évidemment un objectif qu'on doit toujours pouvoir avoir en perspective.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous voyez qu'avec tant de déficits, même dans les comptes sociaux…
MARISOL TOURAINE
Mais… non mais pourquoi y-a-t-il des déficits ? Parce que l'on peut toujours s'amuser à lancer des chiffres et dire, au fond, la situation n'est pas tenue. La situation est tenue comme elle ne l'a jamais été. Il n'y a pas de dérapage des dépenses, et en matière sociale, non seulement il n'y a pas de dérapage mais il y a des dépenses qui sont assumées, et qui permettent de faire des progrès. Il y a des malades qui aujourd'hui reçoivent des traitements qui n'existaient pas il y a quelques mois, je pense aux malades de l'hépatite C, c'est un progrès.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bravo pour les progrès !
MARISOL TOURAINE
Ce qui aujourd'hui fait défaut, c'est la croissance, et donc les recettes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce matin, la loi santé sera probablement adoptée au Conseil des ministres, vous allez la défendre.
MARISOL TOURAINE
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous généralisez le tiers payant, la gratuité chez le médecin. Vous y tenez…
MARISOL TOURAINE
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une mesure de gauche.
MARISOL TOURAINE
C'est une mesure de progrès et c'est une mesure de gauche. Oui, c'est un mesure de progrès, parce que, au fond, l'enjeu c'est quoi ? C'est de dire que chacun doit pouvoir accéder à son professionnel, à son médecin, sans avoir d'obstacle financier. Pourquoi y-a-t-il autant de personnes qui vont à l'hôpital, alors que leur état de santé, ne justifie pas d'aller à l'hôpital ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour aller chez le médecin, alors que l'acte serait gratuit.
MARISOL TOURAINE
Parce qu'ils ont ou elles ont des difficultés d'accès aux soins.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien. Vous avez chiffré le coût du tiers payant ?
MARISOL TOURAINE
Il n'y aura pas de coût significatif. L'enjeu, et je prends l'engagement que le système sera simple d'accès, de mise en oeuvre, pour les médecins. Moi je ne veux pas faire quelque chose…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous avez dit : pas d'augmentation significative.
MARISOL TOURAINE
Je ne veux pas mettre en place quelque chose qui soit compliqué pour les médecins. Ma priorité, et c'est le fil conducteur de cette loi santé, c'est de permettre à chaque français de trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Moi, cette loi, je l'ai construite.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, attendez…
MARISOL TOURAINE
Cette loi, je l'ai construite pour répondre aux besoins, aux attentes, que les Français m'expriment quand je les rencontre. Comment je fais pour me soigner ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, très bien, mais vous le dites aussi aux médecins, etc.
MARISOL TOURAINE
Où est-ce que je vais à 11h00 du soir quand je suis malade ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc le tiers payant est important…
MARISOL TOURAINE
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une décision politique et idéologique d'abord, vous l'avez dit.
MARISOL TOURAINE
Non, ce n'est pas une décision idéologique…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous l'avez dit.
MARISOL TOURAINE
On peut être politique sans être idéologue, et il n'y a pas nécessairement de conflit. Il y a la volonté de mettre en place une mesure de progrès et de dire à tous les Français : vous pouvez vous faire soigner, il y a égalité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous dites qu'il n'y aura pas de coût supplémentaire. Pierre GATTAZ part en guerre contre le compte de pénibilité prévu dans la réforme des retraites, il dit que c'est inapplicable, c'est anxiogène pour les chefs d'entreprise et il demande l'abrogation pure et simple. Est-ce que c'est envisageable ?
MARISOL TOURAINE
Non. La loi a été votée en janvier 2014. Les décrets d'application ont été publiés vendredi dernier à la suite d'une concertation intense.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle sera appliquée le 1er janvier 2015.
MARISOL TOURAINE
Une concertation intense avec le patronat et les syndicats. Le temps de la mise en oeuvre est venu, et je dis à Pierre GATTAZ que ça ne sert à rien de multiplier les provocations et de faire de la surenchère. Parce que…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une provocation de sa part ?
MARISOL TOURAINE
… à force d'être excessif, on finit par être inaudible. C'est une réforme qui a été votée par le Parlement, qui est mise en place après une concertation entre le partenaires sociaux, et je crois que le patronat aujourd'hui doit s'engager dans la mise en place de ce droit nouveau, qui est une avancée sociale considérable pour les salariés, qui ont été exposés à des situations de pénibilité et qui vont pouvoir partir en retraite plus tôt, concrètement, 1 million de personnes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En 2015 et… d'accord, et en 2016 ?
MARISOL TOURAINE
2016, 3 millions de personnes…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
3 millions, et en 2017, etc.
MARISOL TOURAINE
… donc, qui seront concernées. Après on arrive à une stabilisation…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Combien ça coûte, vous voulez des réformes structurelles, combien ça va couter ? Parce qu'un jour, à force de dépenser on ne pourra peut-être même plus défendre, comme vous le faites aujourd'hui, la protection sociale.
MARISOL TOURAINE
Dans les années qui viennent, nous allons chiffrer, enfin cela se chiffre vers 200, 300 millions d'euros au démarrage, ce sont des sommes limitées. En bout, c'est-à-dire vers 2030, cela représentera environ 1,5 à 2 milliards d'euros, ce qui est supportable par nos régimes de retraite, dès lors que dans le même temps nous avons mis en place, je le rappelle, des mesures pour équilibrer les régimes de retraite…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Marisol TOURAINE, on prend des mesures…
MARISOL TOURAINE
… avec l'allongement des durées de cotisations.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
… concrètes. Vous aviez annoncé des mesures contre le tabac.
MARISOL TOURAINE
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
A terme, vous voulez la mort du tabac.
MARISOL TOURAINE
Je veux la fin du tabagisme, oui, moi je ne parle pas avec des mots comme ceux-là, mais je veux la fin du tabagisme. La mort, elle est du côté de ceux qui fument, 73 000 personnes chaque année, c'est-à-dire Jean-Pierre ELKABBACH, imaginez que chaque jour vous avez un avion qui s'écrase avec 200 personnes à bord. C'est ça les victimes du tabac.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc à bas le tabac.
MARISOL TOURAINE
Eh bien je veux me battre contre cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et les vapoteurs qui fument, on entendait tout à l'heure une dame qui disait qu'elle voulait vapoter tranquillement dans son bureau. C'est toxique, c'est nuisible ?
MARISOL TOURAINE
Il s'agit d'encadrer l'usage de la vapoteuse, pas de l'interdire. Je dis aux fumeurs : si vous voulez arrêter de fumer et vapoter, très bien, mais aux jeunes…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment on encadre ?
MARISOL TOURAINE
… que les jeunes n'entrent pas dans le tabac, en commençant à vapoter, c'est ça la différence. On arrête de fumer avec la vapoteuse mais on ne se laisse pas tenter pour la première fois par cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La loi santé veut prévenir les excès de consommation d'alcool chez les jeunes, ce que l'on appelle la cuite express, si on traduit…
MARISOL TOURAINE
Oui, le Binge drinking, pour parler comme tout le monde, c'est-à-dire que c'est un terme anglais, mais…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et alors, qu'est-ce que vous allez faire ? La loi va-t-elle vraiment punir ou interdire tout ce qui valorise, même de manière hypocrite, la pub ?
MARISOL TOURAINE
Oui, il y aura des mesures spécifiques, d'abord en direction des mineurs, parce que c'est la priorité, il sera désormais interdit de vendre des produits qui sont sympathiques, qui rendent sympathique l'alcool, par exemple des protections pour les téléphones portables ou des t-shirts, avec des scènes un peu amusantes autour de l'ivresse, cela sera puni de sanctions. Tout ce qui encouragera dans les universités, dans les associations, le binge drinking…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il va y avoir des gendarmes partout, avec vous l'Etat c'est le père Fouettard, boom boom boom, la sanction !
MARISOL TOURAINE
Non, mais le bizutage… Non, il n'y a pas que des sanctions, il y a aussi des incitations, des campagnes de communication. Sur le tabac, par exemple, j'ai lancé pour la première fois une campagne de communication choc, qui a beaucoup d'effets.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je vous pose la dernière question, à 08h00, que vous avez entendue dans mon bureau, le journal, Facebook et Apple subventionneraient la congélation d'ovocytes de leurs employées volontaires, qui peuvent peut-être les utiliser, les vendre, etc. Est-ce que ça augmente la liberté des femmes ?
MARISOL TOURAINE
Je suis préoccupée d'entendre que c'est un projet porté par des entreprises. Parce que, quel est l'objectif recherché ? Est-ce que l'objectif c'est de demander à des femmes de ne pas avoir d'enfant au moment où elles le souhaitent, pour pouvoir être plus disponibles pour leur entreprise ? Donc je dis : attention à ces projets, ce sont des enjeux difficiles, compliqués, qui ont des conséquences éthiques, il n'appartient pas aux entreprises et aux employeurs de se saisir de ces questions-là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce possible en France, ou…
MARISOL TOURAINE
De cette façon-là, ça n'est évidemment pas possible en France, aujourd'hui. Le débat est un débat médical, éthique, ça n'est certainement pas un débat pour directeurs de Ressources humaines.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Thomas va vous poser une question sur Ebola.
THOMAS SOTTO
Je vais vous poser une question sur Ebola, si vous voulez… L'OMS dit qu'il y aura plus de 10 000 cas, nouveaux cas par semaine d'ici décembre. Ça vous inquiète ? Est-ce que Ebola c'est vraiment… c'est cerné, on gère la situation ou pas ?
MARISOL TOURAINE
Ebola est un sujet de préoccupation majeure pour l'Afrique, et nous devons tout faire pour renforcer les moyens de lutter contre l'épidémie en Afrique…
THOMAS SOTTO
Et la France, l'Afrique et la France ?
MARISOL TOURAINE
… protéger l'Afrique c'est protéger la France. Et dans le même temps, nous mettons en place, en France, des structures pour accueillir un malade, si cela devait se présenter…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous avez noté que les personnels soignants sont inquiets, parce qu'ils se disent pas informés, pas formés.
MARISOL TOURAINE
Non, les personnels soignants sont informés, d'ailleurs ils reçoivent des éléments de communication de façon très régulière, je vais les rassembler à nouveau la semaine prochaine au ministère, pour pouvoir échanger sur leurs sujets de préoccupations, mais je veux le dire, très fortement, il n'y a pas de malade d'Ebola sur le territoire national, aujourd'hui.
THOMAS SOTTO
On est équipé pour faire face ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est l'anniversaire…
MARISOL TOURAINE
Nous sommes, nous avons des équipes médicales très capables et nous pouvons prendre en charge des malades d'Ebola. Aujourd'hui, il n'y en a pas sur le territoire national…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourvu qu'il n'y en ait pas.
MARISOL TOURAINE
… mais nous restons extrêmement vigilants, parce que le risque zéro n'existe pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci.
THOMAS SOTTO
Merci Marisol TOURAINE d'être venue en direct ce matin, sur EUROPE 1. Merci Jean-Pierre ELKABBACH.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 octobre 2014