Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la faim dans le monde et la sécurité alimentaire, Paris le 2 octobre 2001.

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Circonstance : Colloque "Sécurité alimentaire : Qui va nourrir le Sud ?" à Paris le 2 octobre 2001

Texte intégral

Madame la Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Dans un peu plus d'un mois se tiendront les réunions de la FAO, à Rome, la conférence ministérielle annuelle et un sommet, cinq ans après celui de 1996. La semaine suivante la réunion de l'OMC, à Doha, décidera, je l'espère du lancement d'un nouveau cycle de négociation. Les problèmes de développement seront au centre de ces trois réunions. Pour nous, il y a là l'occasion d'un bilan et de choix pour l'avenir. Le Premier Ministre a demandé au Haut Comité pour la Coopération Internationale, que préside Jean-Louis BIANCO, un avis qu'il doit rendre dans quelques jours, après un travail de fond qui a associé les principaux intervenants, spécialistes du développement, l'administration, les ONG. Sans préjuger du résultat de ces travaux, on peut d'ores et déjà faire quelques constats simples, et évoquer les sujets sur lesquels nous devrons travailler.
A l'évidence, le bilan n'est pas satisfaisant. Le Directeur Général de la FAO, Jacques DIOUF, en a d'ailleurs fait le thème central du prochain sommet : les objectifs que nous nous étions fixés en 1996 lors du Sommet Mondial de l'Alimentation, n'ont pas été remplis. Le nombre de personnes mal nourries dans les PMA a doublé en 30 ans, passant de 116 à 235 millions de personnes. Parallèlement, la préparation de la réunion de l'OMC montre suffisamment que les PVD n'ont pas tiré les bénéfices annoncés de la libéralisation des échanges agricoles.
Je ne dis pas qu'aucun de nos efforts n'aient porté leurs fruits. Je veux saluer, en particulier, l'énorme travail de terrain effectué, au quotidien, par nos coopérants, les spécialistes de la FAO, de la Banque mondiale et de toutes les ONG qui se mobilisent en faveur du développement. Pour notre part, en renouvelant les accords de LOME, nous avons, avec les pays ACP, renouvelé aussi la réflexion sur l'avenir de notre coopération. En ouvrant le marché européen à tous les produits des PMA, nous avons montré l'exemple - je devrais dire, nous avons à nouveau montré l'exemple, parce que notre effort d'ouverture aux produits agricoles des pays du Sud est déjà, depuis longtemps, beaucoup plus marqué que celui de nos partenaires. Ce n'est pas entièrement le hasard de l'histoire ou de la géographie si l'Europe importe aujourd'hui, en provenance des PMA, 6 fois plus de produits agricoles que les Etats-Unis.
Mais rien de tout cela ne masque le déséquilibre croissant entre Nord et Sud, la survivance de la faim dans le monde, les difficultés des agricultures des pays du Sud, la pression sur l'environnement et les ressources en eau, le sentiment que le Sud est le laissé pour compte de la globalisation économique.
Il faut aujourd'hui donner une impulsion nouvelle à la réflexion et à l'action internationale.
Bien entendu les négociations multilatérales ne seront jamais qu'une partie de la réponse. Le précédent sommet de la FAO avait rappelé ce qui est peut-être une évidence, mais qui doit être en tout cas notre point de départ : la sécurité alimentaire est avant tout la responsabilité de chacun des Etats concernés. Cela vaut d'ailleurs pour les Etats européens et nous devons avoir en tête les enjeux de la solidarité internationale lorsque nous discutons, entre nous, des réformes à venir de la PAC.
Mais au-delà il faut s'interroger sur la pertinence des politiques de développement agricole des années passées. Si je peux résumer à l'excès un débat naturellement complexe, je crois qu'il faut accepter de dire clairement aujourd'hui que nous avons trop négligé l'agriculture locale, les cultures vivrières, l'agriculteur et le rôle qu'il joue dans le tissu social et économique des zones rurales des pays du sud.
Ce constat assez simple appelle des conséquences importantes, qu'il s'agisse des négociations commerciales ou des politiques de développement rural que nous devons encourager.
Un mot, d'abord, sur les aspects commerciaux.
Plutôt qu'encourager une libéralisation incontrôlée, nous devons désormais rechercher la constitution de marchés intérieurs élargis, dans lesquels les cultures traditionnelles pourront se développer.
C'est dans ce cadre que l'on dispose des bons atouts pour développer de réelles politiques agricoles régionales, protégées le cas échéant par des barrières tarifaires lorsqu'elles sont nécessaires pour assurer un revenu suffisant aux agriculteurs.
C'est d'ailleurs la démarche que nous avons mis en uvre dans nos dernières négociations avec les pays ACP. Nous nous sommes fixés un objectif de moyen terme, la création d'une zone de libre échange en 2008. Dans l'intervalle, les accords doivent inciter à plus d'intégration régionale, en se donnant les moyens nécessaires, sous forme d'aide financière, pour préparer ces évolutions. Cela nous donne un champ d'expérience important pour l'avenir.
Partant de là, on peut, sans trop de mal, identifier les directions à prendre pour les prochaines négociations commerciales : favoriser la mise en place de règles du jeu ; inciter à la création de zones régionales ou sous-régionales ; accepter, par conséquent, que le libre-échange n'est pas en soi une recette de développement : c'est tout cela que nous devrons avoir à l'esprit à Doha, et surtout après Doha, dans le cadre du prochain cycle de négociation, si nous voulons que les règles de l'OMC apportent une contribution positive aux politiques de développement dans le monde.
Cela se traduit par des objectifs précis pour la négociation :
Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC s'imposent de manière plus stricte aux pays riches qu'aux pays en développement.
La mise en uvre des accords passés doit être adaptée lorsque c'est nécessaire : ce débat sur la " mise en uvre " ne me semble pas mal engagé à Genève.
Les règles du " traitement spécial et différencié " doivent être plus qu'une addition de dérogations et de périodes transitoires : elles doivent permettre, encourager des politiques de développement cohérentes sur le plan commercial avec les efforts engagés par ailleurs.
Les pays riches - et je crois aussi les plus grands pays émergents - doivent s'ouvrir largement aux produits de leurs voisins les plus pauvres. Sur ce point, je l'ai dit, l'Europe montre l'exemple, et je ne crois qu'il y ait une contradiction entre l'encouragement à la constitution de zones régionales, et une plus grande ouverture des pays du Nord aux produits du Sud.
Enfin, plus largement, nous lancerons un cycle, qui devra être un cycle de régulation autant que de libéralisation, et je crois que les pays en développement ont bien compris qu'il était dans leur intérêt d'avoir, à l'OMC, une règle du jeu et un arbitre. Je note, par exemple, que s'agissant des appellations d'origine, un outil essentiel pour protéger le patrimoine des agriculteurs du monde entier, des producteurs de Roquefort aux cultivateurs de thé Darjeeling ou de riz Basmati, il y a déjà un début de consensus avec les pays en développement sur la discussion à venir.
Ensuite, si notre volonté est de remettre au centre des objectifs de nos politiques de développement l'agriculteur, et les différents rôles qu'il est amené à jouer, comme producteur, mais aussi pour l'environnement, la maîtrise des flux de population des zones rurales vers les villes, ou encore comme premier maillon de la chaîne responsable de la sécurité sanitaire des aliments, il faut en tirer les conséquences, et promouvoir une véritable politique de développement rural, dans toutes ses dimensions.
Je vois en particulier trois sujets qui devront être au centre de nos préoccupations :
La lutte contre la pauvreté : parce que la pauvreté est la première des barrières pour l'accès à la nourriture, c'est une dimension essentielle pour assurer la sécurité alimentaire. De ce point de vue, les programmes mis en place pour faire le lien entre les fonds dégagés par l'allègement de la dette, les " cadres stratégiques de réduction de la pauvreté ", seront un instrument nouveau, et espérons-le, efficace. A la condition, naturellement, que le FMI et la Banque Mondiale, responsables de la mise en place de ces programmes, intègrent bien l'objectif d'amélioration de la sécurité alimentaire.
La sécurité sanitaire : il est de notre responsabilité collective de faire en sorte que la sécurité alimentaire du Sud ne soit pas mise en opposition avec la sécurité des aliments au Nord. Le relèvement des normes en Europe est une exigence des consommateurs et un devoir pour les responsables publiques, et naturellement ce mouvement se poursuivra. Les pays du Sud peuvent craindre qu'il y ait là une nouvelle barrière non tarifaire. Ils le disent souvent. Pourtant, je ne pense pas qu'il puisse y avoir une sécurité alimentaire au Nord et des conceptions beaucoup plus laxistes au Sud. Nous devons avoir comme objectif de garantir la santé de tous. Et nous, pays développés, devons en tirer les conséquences lorsque nous fixons les priorités de nos efforts de coopération, qui doivent être renforcés dans ce domaine de la sécurité sanitaire des aliments.
Les technologies nouvelles : c'est un sujet particulièrement important pour la France, qui a gardé dans ce domaine, contrairement à beaucoup de nos partenaires, des infrastructures de recherche publique importantes, dotées de moyens significatifs, 2 milliards de francs environ. Ces ressources, notre responsabilité est de les orienter dans une direction cohérente avec les efforts que nous engageons par ailleurs. La révolution " deux fois verte ", qui privilégie la valorisation des espèces vivrières, la bio-diversité, les ressources naturelles, dont les petites exploitations familiales doivent tirer un bénéfice tangible, est à l'évidence une direction privilégiée.
Pour le reste, évitons de nous poser en donneurs de leçon aux pays du Sud sur l'attitude à avoir à l'égard des OGM. Si la recherche permet des avancées utiles pour le développement, on ne voit pas bien pourquoi on en rejetterait a priori les résultats. Mais à l'inverse, il ne serait pas acceptable que les pays concernés, faute de transparence ou d'accès aux résultats de la recherche, n'aient pas la possibilité de débattre et de choisir, et d'appliquer le principe de grande précaution qui s'impose pour toutes ces techniques de manipulation du vivant. De ce point de vue, le protocole de Carthagène fixe la règle du jeu, encore faut-il qu'il puisse être appliqué. Là encore, la coopération technique, et la FAO, auront leur rôle à jouer.
Pour conclure, je voudrais faire une dernière remarque concernant la méthode de travail qui devra être la nôtre à l'avenir.
Nous avons, pour le développement agricole, des objectifs clairement identifiés. L'agriculture doit jouer un rôle essentiel dans les politiques de développement, au plan économique, mais aussi social ou environnemental. Tout le reste - l'ouverture de marchés des pays riches, l'intégration régionale au sud, les priorités de notre coopération, doivent être des outils pour aider à la mise en place de véritable politiques agricoles de développement.
Mais pour que ces efforts soient efficaces, toutes les institutions doivent travailler dans le même sens, la FAO, le PNUD, l'OMC, la Banque Mondiale ou le FMI, pour ne citer que celles-là. La cohérence entre les doctrines et les programmes des différentes institutions internationales devient un objectif central. Il faudra, à l'avenir, trouver le moyen d'assurer une meilleure coordination entre les institutions internationales. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons améliorer significativement la bonne " gouvernance " mondiale en matière de sécurité alimentaire.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 03 octobre 2001)