Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RFI le 2 novembre 2014, sur l'assassinat en 2013 de deux journalistes français au Mali.

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Circonstance : Journée internationale de lutte contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes, le 2 novembre 2014

Média : Radio France Internationale

Texte intégral


Q - C'est un triste anniversaire à RFI. Il y a un an, Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient assassinés près de Kidal au Mali. Vous avez déclaré cette semaine devant l'Assemblée nationale que «l'enquête était dans une phase décisive». Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
R - Cela fait exactement un an aujourd'hui que vos collègues ont été assassinés. Je me rappelle les choses comme si c'était hier, d'abord l'émotion énorme que cela a suscité compte tenu du fait qu'ils étaient journalistes et aussi de leur personnalité parce que c'étaient deux personnes très appréciées par leurs collègues, très sérieuses et très rigoureuses. Cela a été un choc énorme.
Évidemment, l'enquête a lieu. Ce n'est pas facile pour moi de donner des éléments précis car il y a le secret de l'instruction. Mais j'ai répondu à une question à l'Assemblée nationale cette semaine et j'ai dit ce qui est la stricte vérité que «l'enquête était entrée dans une phase décisive» ; je pense qu'on va pouvoir identifier et arrêter à la fois les auteurs et puis les commanditaires.
Nous sommes dans une situation très difficile, vous savez ce qui se passe dans le nord du Mali en ce moment. D'abord il y a une bonne collaboration entre la France et le Mali, ça c'est tout à fait important. Et, d'autre part, il y a des pourparlers à Alger en ce moment, entre, d'un côté Bamako et les groupes du Nord ; cela peut faciliter aussi l'identification, l'arrestation des assassins.
On a dans le coeur, le souvenir, l'émotion de vos camarades, mais on avait dit qu'il fallait rechercher les coupables et les arrêter, j'espère que c'est en bonne voie.
Q - La souveraineté de l'État malien reste mise à rude épreuve dans le nord du pays. Ce mercredi 29 octobre, il y a eu un violent accrochage entre la force française Barkhane déployée sur place et un groupe armé terroriste, et la mort d'un soldat français. Comment l'enquête peut-elle progresser dans ces conditions sur le terrain ?
R - C'est vrai que cela reste difficile au Mali. Il y a eu une phase pendant laquelle les terroristes ont été quasiment asphyxiés. Ensuite, un certain nombre d'entre eux sont revenus sur place. Et cela a poussé nos forces Barkhane à revenir avec l'assaut extrêmement dur de cette semaine où, malheureusement, l'un des nôtres a trouvé la mort et durant lequel plusieurs combattants terroristes ont été neutralisés. Cela n'empêche pas que, en même temps, l'enquête se développe dans toute une série de directions, je ne veux pas entrer dans plus de détails. Le juge est quelqu'un d'extrêmement sérieux. Je vous le répète, je pense que les choses vont avancer favorablement.
Q - Pouvez-vous quand même nous dire par exemple si l'armée procède à des prélèvements ADN sur les personnes interpellées ou sur les corps de combattants terroristes afin de les comparer aux échantillons dont on dispose ?
R - Je peux vous dire en tout cas que le juge veut aller au bout de son enquête et que les Maliens coopèrent.
Q - Pensez-vous que le juge Marc Trévidic va pouvoir se rendre bientôt au Mali ?
R - C'est une personnalité très active. Évidemment, il y a les consignes de sécurité à respecter. Mais du côté de l'État malien, il n'y aura, j'en suis sûr, aucune réticence.
Q - À l'initiative de la France et en hommage à Ghislaine Dupont et à Claude Verlon, ce 2 novembre a été décrété «Journée internationale de lutte contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes» par l'Assemblée générale de l'ONU. Quel rôle joue la France pour que les crimes commis contre la liberté d'informer et d'être informés ne restent pas impunis ?
R - Cette décision qui a été prise par l'Assemblée générale, on peut dire que c'est symbolique. Mais les symboles, c'est très important aussi. Et malheureusement il y a d'autres de vos collègues d'autres pays qui ont été assassinés dans des conditions souvent atroces. J'avais dit à l'époque, et c'est un sentiment ou une analyse que tout le monde partage : «quand un journaliste est assassiné, finalement c'est un double assassinat, à la fois c'est une personne qu'on tue, et là en l'occurrence c'était dans des conditions horribles, mais en même temps c'est la liberté de la presse qu'on veut faire taire, qu'on veut assassiner.»
Il y a eu toute une période où les journalistes étaient protégés, mais maintenant au contraire, ils sont plus exposés que les autres. C'est la raison pour laquelle, il faut absolument être sans merci vis-à-vis de leurs assassins. C'est la raison pour laquelle votre témoignage à vous, votre action est si importante.
Dans ces circonstances dramatiques, je veux rendre hommage au travail que fait RFI et au travail que font tous vos collègues parce que, derrière les voix qu'on entend, ce sont des vies qui souvent sont exposées.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2014